Créé le: 10.09.2017
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Enfantillages

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© 2017-2024 Grégoire de Rham

La morale de cette scribouillardise est icelle : Pas de morale sans mouron. Ou toute autre sentence pseudo-philosophique qui sonne bien.
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Y a pas que chez Ruquier qu’on entend des conneries qu’il se dit, le Soupirard, en bibelotant au milieu des stands. Faut dire pour sa défense que les brèves de foire qui fusent à ses côtés, ça vaut pas une rasade de Pivot sur la deux. En dehors de quelques péhémus spécialisés dans l’accueil des poivrots de profession, y a guère plus que dans ces fourmillons campagnards que tu peux trouver des zigs qui dissertent ainsi, sans transitionner, sur l’existence, l’argent, les femmes, l’augmentation de la taxe autoroutière, de l’incompétence des pouvoirs publics, des formes arrondies de la moizelle de la boulange qui, à force de fréquenter les miches, s’en est constitué une belle paire, du dernier singueule de Johnny ou des emmerdes hémorroïdales de Dédé le boucher. Le tout accompagné par le concert de fond des crieurs à la vendée, qu’on appelle dans le coin la symphonie des gueulards, pour simplifier.

Soupirard, il se balade dans les rangées, en humant les douces fragrances poissonnières. Fait frais pour la matinée. Et conjugué avec l’odeur, ça rend l’atmosphère vomitive. Faut dire que c’est pas lui, qu’a voulu se rendre là. Mais avec bobonne, y a jamais intérêt à rechigner passque c’est une caractérielle. Donc, Soupirard, il a pas ronchonné quand sa bergère lui a dit d’aller se fournir en fraîche volaille du matin, engraissée avec amour par un homme du cru.

Alors, il poursuit sa déambulation entre les échoppes, à la recherche d’une poularde de qualité. Après la poiscaille, vlà qu’il traverse le quartier des frometons. Le constat olfactif y est sensiblement le même. A croire que le fromager a aussi balancé les étrons de la Marguerite dans la cuve pour épaissir le tout. Ah, sac à papier, ça fouette, qu’il pense, Soupirard.

L’objectif volailler s’approche et Soupirard, il se réjouit d’avance de pouvoir bientôt sortir de ce poulailler trop humain. Mais voilà-t-y-pas qu’au détour d’un contour, il tombe nose à nose avec l’Julot, çui qu’a toujours eu comme un grain dans le ciboulot. Une vieux tas bien épais, adepte de schnaps bon marché. L’est venu accompagné de Germaine, sa légitime, une grosse bonne femme vêtue comme un sac qui passe ses journées à lui meugler à la gueule, et de Zazou, son chérubin de trois printemps qu’a l’air d’avoir miraculeusement échappé jusque-là aux affres de l’hérédité et qu’est même parfois capable de te décocher un petit sourire malicieux qui te laisse penser que tout est pas foutu pour lui, malgré les darons que l’Eternel lui a balancé en pleine poire.

L’Julot, l’est bien décidé à taper la discute avec l’ami Soupirard. Lui, Soupirard, il l’entend pas forcément de cette écoutille-là. Faut dire qu’il a eu des soucis, la nuit précédente, pour trouver le juste chemin jusqu’aux paluches du père Morphée et que, par voie de conséquence, il est pas fit-fit. Après, faut se montrer civilisé, donc Soupirard, il consent quand même à écouter le guignolien lui débiter ses couillonnades. Pour ce qu’est du contenu de la converse, j’vais pas vous refaire le topo, z’aviez qu’à vous référer à avant, passque, comme son air pas dégourdi le laisse présager, l’Julot, il fait pas dans l’original et j’m’en vais pas vous répéter la liste, ça ferait doublon.

Soupirard, il se dit qu’il en a pour un moment. En matière de moulin à parole, en vlà un qu’aurait donné du fil à retordre à Don Quichotte, l’Julot. C’est-y quand même pas croyable qu’un être prétendument humain puisse tenir un monologue aussi creux pendant aussi longtemps sans piger une seule fois l’étendue de sa couennerie.

Mais alors qu’il se prépare déjà à subir les toussi-toussa de son interlocuteur pour le restant du matois, vlà qu’y a sa Germaine qui débarque en bramant passqu’elle a reconnu le Soupirard qui discutaillait le bout de gras avec son légitime, et ça, ça la réjouit passque le Soupirard, il vient d’une bonne famille, c’t’un homme éduqué voyez-vous. Et ça est clairement pas mauvais pour son homme que de fréquenter un peu la haute, quékfois. Comme de bien entendu, elle lui saute au cou, au Soupirard, manquant de peu de l’énuquer au passage, et lui claque bécot sur bécot.

Mais alors qu’elle le complimente sur le choix de son smok du jour, elle pousse un beuglement qui pourrait aisément passer inaperçu dans une séance de castration collective de lamas ténors. C’est qu’elle a louqué vers le landeau. Et force est de constater que le moutard Zazou, y en a plus trace à l’intérieur.

Elle se retourne vers son époux vantable, et elle se met à l’adjectiver en des termes non reconnus officiellement par l’Académie Française. Et pis elle le balafre pour lui apprendre.

« Mais la Germaine, puisque j’te dis qu’il y était y a pas deux broquilles plus tôt !

– J’m’en bats les miches avec du beurre, tête de nœud, c’tait à toi de lui louquer d’ssus, au p’tit. »

Face à cet irréfutable argument et après s’être encore pris deux-trois balafres en pleine frimousse, l’Julot concède son tort. Il essaie néanmoins de s’apologiser comme il peut en prétendant qu’il causait avec son poteau.

« T’avise pas d’mett’ l’tort sur M’sieu Soupirard, cornichon, s’cusez-le, M’sieu Soupirard, l’a pas inventé l’eau clair, mon Julot. »

Soupirard, il essaie tant mal que bien de calmer les esprits qui s’échauffent en retenant la bonne femme de flanquer une autre mandale à son bien-aimé. Mais faut avouer que la patapouve, elle glisse entre les doigts et qu’on en fait pas aisément le tour. Elle manque donc pas de s’extraire de l’étreinte soupirarde et de foutre un pain à qui de droit.

L’estropié se relève péniblement et préfère pas répondre à cet excès de féminisme exacerbé afin de s’éviter toute complication médicale supplémentaire. C’est qu’il s’agirait mine de rien de passer à autre chose et de commencer à fouinarder un peu partout dans ce joyeux bastringue, histoire de retrouver le marmot avant qu’il lui arrive des merdes.

La daronne Germaine, prise à la gorge par ses pulsions maternisantes, commence à chouigner et à gueuler le nom du gosse partout dans le marché. Ça zazouille par-ci, ça zazouille par-là. En moins de temps qu’il n’en faut à François Bayrou pour perdre un poste de ministre, toute la place est au courant. Alors, prise de compassion pour la gravosse qui s’égosille et qui brise les écoutilles de tout-un-chacun, la foule investigue, du mieux qu’elle peut.

Chaque zig présent au rapport fait de son mieux pour satisfaire la baleine à bosse. Ça fouine sous les stands, ça fouille dans la marchandise, ça soulève les plaques d’égouts, ça regarde en l’air passque sait-on jamais, ptêt’ que le môme a des talents d’acrobate. Brèfle, ça fourmille dans tous les coins pour venir au secours à l’esseulée pleurnicharde.

Soupirard, bien entendu, dans son extrême bonté, il tient pas à vexer la vache folle. Donc, il s’adjoint aux recherches, sans rouscailler. Les femmes, à partir d’un certain état d’hystérie, vaut mieux pas se mettre en travers de leur trimard, sinon on s’en prend plein la gueule. Alors, lui aussi, il passe les alentours au peigne fin.

Le signalement est pourtant limpide : pitchounet de trois piges, trois pommes de haut et trois pépins de large, l’air plutôt pétillant, les cheveux de même couleur que la moustache, répondant d’une voix fluette au nom de Zazou.

Sauf que là, le gavroche en herbe, il y répond pas. Tout le monde a beau crier, par vonts et par maux et même plus loin, rien n’y fait. Un toubib qui passe par là pose son diagnostic : soit le lardon a les oreilles bouchées, soit il a clamsé.

« L’un n’empêche pas l’autre » balance un badaud rigolard. L’a pas le temps de dire merde, le pauvre bougre, que la mère Germaine est sur lui, lui filant des gnons à une telle vitesse qu’on peut pas les compter. Il est évacué vite fait sur une civière. Le doc laisse une note de frais et continue son bonhomme de chemin.

Petit à petit, c’est tout le comté qui se retrouve agglutiné sur la Grand-Place. Il se passe suffisamment peu de chose sous ces latitudes pour qu’une nouvelle pareille fasse le tour des foyers en moins de deux.

On a prévenu le commis du gendarme, qui a prévenu le gendarme, qui a prévenu le commis de l’adjudant, qui a prévenu l’adjudant lui-même. Les affres de l’administration. A croire qu’elle s’est habituée aux préventives, la flicaille !

L’adjudant, il est sur place, la moustagache bien peignée pour l’occasion. En termes de kilos, en vlà un qu’a rien à jalouser au Julot et à sa largue. D’ailleurs le gratte-papier de la feuille de chou locale se rend vite compte qu’il pourra pas faire autrement, pour le portrait du susmentionné, que d’utiliser une page double.

Le gras-double fait son inspection minutieusement. Mais toujours aucune trace du fugitif miniature. Des bataillons d’enképiés sont dépêchés sur place, observant avec attention le moindre recoin d’étalage. Mais le chou est blanc.

Soupirard, l’est là au milieu, l’air un peu con. Il sait pas s’il doit rester ou pas. Son aide est pas primordiale, il pourrait foutre le camp chez lui pour retrouver poupoule. Mais d’un autre côté, l’action du récit, elle se passe ici. S’il se barre, c’en est fini de son rôle dans cette drôle d’histoire. En même temps, faut avouer que le môme lui a complétement piqué son statut de protagoniste. Quoi qu’il fasse dans ce qui suit, il passera toujours pour le second couteau. Alors, avec une humilité qui force le respect, Soupirard, il se retire dans ses foyers avec l’air à moitié satisfait du devoir presque accompli.

Sur la place, les flics ont un boulot considérable. D’un côté, bien entendu, faut mettre la main sur le poupard avant qu’on le retrouve aussi froid qu’un discours militaire. Mais de l’autre, y a aussi la daronne à maîtriser. Faut dire qu’elle est vachement emportée, la bibendumette. Toutes les deux minutes, avec une ébouriffante ponctualité, elle passe un zig à tabac pour évacuer sa tension. Faut quatre mastards pour la maitriser à chaque fois. Y a d’ailleurs déjà soixante-quatre lascars qui se trémoussent à terre, transis de douleur. L’ambulance présente a du mal à suivre l’infernale cadence.

Et les heures passent. Les gens aussi. Pas trace du mignard. La gendarmerie locale prouve encore s’il en était besoin que, comme dit Dédé, on est plus en sécurité chez nous.

A dix-sept plombes moins le quart, trente-cinq heures obligent, les pandores stoppent leurs investigations et vont boire le pousse-café. A titre de scène du crime, le marché est laissé tel quel.

De son côté, Soupirard vient de se prendre les rouspétances de sa dulcinée en pleine face. Faut dire qu’avec tout ce remue-ménage, il en a oublié d’acheter un emplumé à déplumer. Faudrait pas avoir à subir ces remontrances toute la soirée, ça lui donne toujours mal aux cheveux d’entendre sa mouquère marronner.

Alors, il joue les Zatopek en direction du marché, espérant que le volailleur s’en sera pas déjà retourné à la casa. Il arrive suintant sur la Grand-Place. Le marchand a levé l’ancre, mais sa marchandise est toujours là à piailler de froid. D’abord, Soupirard, il hésite à en piquer un. C’est du tout cuit : y a juste à le cueillir d’un poing ferme et à lui porter le coup de grâce, d’un geste allègre et assuré. Mais, le Soupirard, l’est du genre honnête, et pis, y a son impeccable réputation, qu’il préférerait pas entacher d’un vol à l’étalage.

Pendant qu’il fait son examen éthique, il observe quand même les volailles, histoire de savoir à quel point ça vaudrait la peine de se risquer. Et c’est là qu’au milieu des codéqueurs, il aperçoit un petit bout d’être humain en train de se taper la discute avec les susmentionnées. Alors là, le Soupirard, il en croit pas ses lucarnes. C’est le môme Zazou, du haut de ses trois pommes qui cocaille avec une aisance qui force le respect.

Soupirard, il s’empresse de bigophoner au commissariat. On lui dit que c’est pas des heures pour déranger les honnêtes gens, merde, quoi ! Ce à quoi il rétorque qu’il a trouvé le tétard dans une cage à poulet. Le pandore lui glisse qu’il ferait mieux de réviser ses sciences naturelles au lieu d’emmerder un honnête fonctionnaire dans l’exercice de son roupillon. Le Soupirard, il insiste, mais il pige vite fait qu’avec tout le respect que lui confère son rang, il peut aller se faire mettre.

Après ça, il tente bien de contacter l’Julot directement pour lui transmettre la nouvelle, mais icelui est injoignable, probablement occupé à sortir du coma dans lequel sa chère et tendre l’a plongé d’un nouveau ramponeau dans l’occiput.

Alors, Soupirard, qu’est quand même pas mauvais bougre et qui s’en voudrait de laisser le bambino, sans défense, au milieu de cette meute de becqueteurs, il voit plus qu’une solution : faut entamer le dialogue. C’est pas chose aisée pour lui. Les gosses, il a jamais vraiment pu. Faut avouer que c’est constitué étrangement ces bestiaux-là. Trop d’innocence. Pas assez en phase avec la réalité. Un sourire trop large. Trop d’évasion dans les yeux. Bref, trop de bonheur, dans un monde qui le permet pourtant pas.

Mais là, il embipogne fermement son courage et il s’approche de la cage aux piafs. Il regarde le momignard dans ses mirettes d’ange et il lui demande si ça va. Le gosse, il répond qu’il fait pas chaud pour la saison. Soupirard, il lui dit que tout le monde le cherche partout. Le loupiot, il soupire que ça l’étonne pas. Soupirard, il s’en pince.

« C’est tout ce que ça te fait ?

– Oh, pas plus, pas moins, M’sieu Spirard.

– Mais qu’est-ce qui t’a pris de te cacher au milieu de cette volaille ?

– V’savez M’sieu Spirard, c’est pas d’la mauvaise volonté d’ma part, hein. Mais les darons, i commençaient à m’les briser menus et pis, les prom’nades en pousse-pousse, j’ai eu ma dose.’Lors j’me suis mis à chercher quékun d’sympathoche avec qui j’pourrais discutailler pendant qu’mes vieux ach’taient leur mou. Mais bon, y a qu’des poivrots dans c’coin-là. Pis avec trois printemps dans l’sac, j’allais pas m’griser, c’est pas raisonnab’, voyez. J’me suis donc dit : bon sang d’bois, l’Zazou, c’quand même pas une affaire d’trouver quékun de bien. J’ai fait l’tour d’la place. J’ai pris l’temps de r’garder bien tout l’monde. Final’ment, j’me suis dit qu’j’m’en allai m’rendre vers ski m’semblait l’plus humain dans l’alentour. Et pis, c’est ce qu’j’ai fait. Et j’dois r’connaître, M’sieu Spirard, qu’entre les zigotos qui s’agitent dans c’bastringue et les bestiaux ci-présents, j’ai découvert vite fait qui c’est qui caquette l’plus joliment.»

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