Créé le: 02.08.2021
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El sarape rojo

Voyage

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© 2021-2024 Joelle Oudard

Monologue inspiré du tableau du peintre mexicainAlberto Garduno "El sarape rojo"
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Voilà maintenant une bonne heure que je suis cachée sous l’énorme sarape rouge de Tio Arturo. J’ai les deux fesses posées sur ses cuisses puissantes, j’entoure mes genoux de mes deux bras. Mon dos forme une boule.  De temps en temps je penche la tête en avant pour détendre les muscles de ma nuque et de mon dos. Ca fait du bien au début. Puis ça tire. Alors je redresse ma tête et cambre mon dos pour l’étirer dans l’autre sens. Ca tire dans mes omoplates mais ça détend le bas du dos. Quand je bouge trop Tio Arturo enserre mes deux bras autour des siens. C’est comme un étau.

Je tiens la position, ça va. Le plus dur, c’est la chaleur. Bien qu’Arturo soit assis sous le marché couvert, il doit bien faire 38 degrés à l’ombre. Ma tresse est plaquée le long de mon dos, de petits cheveux fins collent à ma nuque et me piquent. La transpiration coule de mon front dans mes yeux mon cou, et je ne peux rien essuyer. Juste récupérer quelques gouttes avec la langue. La toile rouge très épaisse retient ma transpiration. J’ai l’impression d’être en train de cuire à la vapeur comme les pescados de Abu dans leur casserole à trous.

Le sarape lui aussi a des petits trous, qui laissent passer la lumière. Je vois des morceaux de personnes que je reconnais très bien, étant donné que je vais au marché deux fois par semaine avec Abu depuis que je sais marcher : Ernesto derrière son petit comptoir à tacos, quesadillas et tamales. Lola et son stand de pan dulce, qu’elle ne surveille jamais. Rita qui vend à la criée tamarin, prunes, mamey, avocats et oranges amères. Et l’horrible Jorgito et son délicieux cochinita pibil. Il faut juste oser affronter sa mauvaise humeur pour lui en acheter.

Les bruits et les odeurs commencent à me faire mal à la tête : la radio poussée à fond, l’ail et le chile habanero grillés, les chiens qui se disputent les déchets de viande, le poisson qui dégèle malgré les kilos de glace.

Tio Arturo et moi, on attend le bus. Il arrivera quand il arrivera. Pour nous emmener vers la grande ville puis à la tortilla border. C’est un énorme mur qui sépare les Mexicains, comme nous, des Américains. Enfin, mon grand frère m’a expliqué que la tortilla border  n’a qu’un bout de mur. Mais par contre si on veut passer du côté de l’Amérique on doit se grouiller parce que le nouveau président américain Trompe il veut construire un énorme mur tout du long et en plus que les Mexicains le paient, tout ça pour qu’on ne puisse plus entrer.

Tio Arturo et les cousins m’ont dit qu’on aurait une chance de passer, mais un par un. Et Tio Arturo et moi on est censés faire un. Ca veut dire que je dois rester cachée sous le sarape jusqu’à ce qu’on descende de ce bus. Ensuite on va passer une nuit près de la frontière, dans de la famille que je connais pas. Et normalement le lendemain, hop, on tente de passer la tortilla.

J’ai peur, mais aussi je me réjouis car je vais enfin voir Maman en vrai. Jusqu’ici j’ai vu des photos et on s’est parlé avec une caméra qui s’appelle Skype. Elle est belle avec sa longue queue de cheval, ses boucles d’oreille dorées et son maquillage. Elle m’a montré son appartement avec la caméra, ça a l’air tout joli et bien rangé. C’est dans un grand immeuble moderne avec une télé vraiment moderne et la climatisation, pas comme chez Abu et son ventilateur pourri qui ne brasse rien à part les mouches et la poussière. Il y a même un ascenseur, ça doit être quelque chose d’appuyer sur un bouton et de se sentir monter vers le ciel. Je ne sais pas si je lui ai manqué, mais je me réjouis de jouer avec elle.

Tiens, je sens Tio Arturo qui me donne le signal que je dois serrer mes deux jambes contre sa taille et le serrer très fort pour qu’il se lève. Il sent le pet mais c’est fait exprès pour qu’il fasse gros et moche et qu’il puisse s’asseoir tout seul dans le bus… ça y’est, on part…

Commentaires (2)

Webstory
02.08.2021

Quelle bonne idée de s'inspirer d'un tableau de 1918 pour raconter une histoire si contemporaine! Bravo Joëlle! Transmis sur Twitter aujourd'hui

Joelle Oudard
05.08.2021

merci beaucoup pour ce retour positif sur mon texte !

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