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« La réalité est comme un miroir à deux sens, qui vous montre vous-même, ainsi que ce qui se trouve de l’autre côté. » Deepak Chopra – Le livre des secrets
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Je m’en vais vous conter l’histoire d’un explorateur… Imaginez-le plutôt jeune, du genre passionné. Archéologue féru de chantiers, d’engins perforateurs, d’outils de précision chirurgicale, Anatole Panais n’aime rien tant qu’ausculter la croûte terrestre. Echafauder mille hypothèses permettant de localiser telle ville antique, tel fragment d’os de l’époque pré paléolithique, telle tribu Aztèque ou Incas.

Anatole entre en fouilles comme on entre au couvent, tout son être est aspiré dans les failles mises à nu; on frôle la pâmoison à l’approche de l’éclat d’un tesson de bouteille, le syndrome bien connu de la «presque » découverte (brusque accélération cardiaque, pouls désaccordé, sudation exacerbée…). Il se murmure d’ailleurs à l’envi : « ce cher Anatole, il ne fera pas de vieux os » !

Qu’est-ce qui fait ainsi tanguer Anatole d’un site archéologique à l’autre ? On ne sait pas grand-chose de lui ; rien ne filtre concernant ses racines, ses marottes. Tout homme sensé cultive manifestement plus qu’une part d’ombre !

Harassé de fatigue, le soir, quand la nuit projette son ombre obsédante, Anatole rend les armes. Ce grand gaillard au regard doux s’est habitué à des conditions de vie nomades. Il replie ses membres télescopiques et s’endort sur place, dans sa caravane. Il rêve de fabuleuses découvertes. Le souci, c’est qu’il n’a encore jamais trouvé, sur aucun des sites autopsiés, d’objets ou de fossiles dignes de ce nom : en pleine Afrique subsaharienne, il a exhumé une dent de baleine ; au milieu d’un solennel temple Incas, des ossements épars de pachyderme ; bref, la joie de la trouvaille a toujours laissé place à une cuisante déception.

Un matin d’automne, le Comte Richard de Fort Siras sollicite en urgence notre chercheur de pépites. Il lui expose sans ambages la situation : un ouvrage rédigé de la main de feu son arrière-grand-père affirme l’existence d’un trésor datant de l’époque des Templiers dans les souterrains des châteaux. Anatole, séance tenante, fait le siège de la forteresse, persuadé que son heure de gloire a sonné ! Le Comte le reçoit à sa table, lui ouvre ses archives et ses plans détaillés, lui livre le fruit de plusieurs années de recherche et de déductions. Face à face, penchés tous deux dans un même mouvement d’intelligence partagée, les deux hommes élucubrent.

Le Comte impressionne Anatole avec sa mise soignée en toute circonstance, ses discours historiques qui le tiennent en haleine. Il voyage dans le temps à l’arrière d’une carriole menée grand train par cet homme distingué. Richard de Fort Siras se prétend hanté d’une vision : des objets précieux, vases incrustés, miroirs majestueux, bijoux de facture inédite, dorment sous les douves. Il évoque une tragédie, un terrible incendie et des éboulements, survenus une vingtaine d’année auparavant, qui eurent pour conséquence d’anéantir les premières recherches entreprises.

Anatole s’attaque aux bas-fonds ancestraux. D’heure en heure, jour après jour, son esprit s’agite dans de vains corps-à-corps avec ce terrain moyenâgeux. Seuls quelques reliefs canins sont mis au jour. Si bien qu’il commence à perdre l’une de ses valeurs sûres, le sommeil. Il navigue désormais entre somnolence et veille, un état nauséeux où s’invitent des songes tronqués et asphyxiants.

Un rêve en particulier le taraude : il est au centre du monde et voit par ses propres yeux avec une clarté hors norme. Mais il est comme ligoté dans son propre corps. Cette clairvoyance alliée à cette privation inattendue de mobilité le plonge dans une sidérante angoisse. Il croise de nombreux paysages, des personnes qui le fixent, l’étudient, en silence. Ils ont l’air de poser devant lui, ils se rapprochent, jusqu’à brouiller complètement la mise au point.

Une nuit, il éprouve la nette certitude d’être devenu un objet, il se sent lourd et se perçoit des contours épais et travaillés, revêtu d’une matière pourtant fragile et transparente.

Une autre fois, il est porté sans ménagement, balloté dans une course erratique puis lâché dans un pré. Il ressent comme un coup de fouet au visage au contact d’une pierre. Une cassure survient au niveau supérieur et son champ de vision s’en trouve légèrement amputé. Et soudain, Anatole comprend le sens de son rêve : il se transforme en un miroir qui reflète son âme et ses envies souterraines. Il devient ainsi simultanément son propre archéologue et son propre site de fouilles !

Anatole continue de travailler les sols avec acharnement, tentant d’oublier ses nuits d’errance. Mais l’automne s’achève. Le gel s’installe et ralentit la progression. De gros engins fourragent la terre et semblent redistribuer les reliefs. Le château ébranlé se drape d’un silence réprobateur : rien. Ils ne trouveront rien.

Le Comte s’assombrit à mesure que son domaine s’affaisse ; il finit par convoquer Anatole et lui impose l’arrêt immédiat des fouilles.

– Regardez les choses en face, Anatole ! C’est pire qu’un champ de bataille ! Vos machines finiront par saper mes fondations.

– Mais je touche au but…. balbutie l’archéologue, je vous promets de poursuivre mes investigations à mains nues !

Le Comte de Fort Siras s’éloigne sans un mot, aussi triste et affaibli que son château.

Anatole se laisse choir sous un arbre dégarni. D’un coup de botte, il dégage un bref éclat de lumière. Désabusé, il se penche et déloge un petit bout de verre brisé.

Ah, mais ! Celui-ci semble incrusté dans quelque chose. Il ne vient pas si facilement. Il faut creuser. A coups de pioche, Anatole déterre un fragment de miroir au cadre ornementé.

Rageur, il brandit sa trouvaille et la lance au loin de toutes ses forces. A peine un bruit sourd de chute lui parvient en écho.

– Tout juste bon à dégoter des miettes dans les fourrés !

Un fou rire amer dessine un rictus sur son visage ; ivre de déconvenues, il perd l’équilibre et se heurte violemment le crâne sur les racines de l’arbre. Un peu de sang coule de la tempe, mais ça, Anatole ne peut pas le voir. Car il a basculé dans les méandres de son inconscient.

La fièvre au cœur, il se retrouve dans une sombre et angoissante bibliothèque, un dédale d’étagères et de rayonnages où tous ses souvenirs et fantasmes pourraient bien être classés par ordre (ou désordre !) d’apparition.

Il se déplace difficilement dans cet air épais. Aucune échappatoire, aucune ouverture, le désarroi cède place à la panique.

Soudain, il le voit. Monumental. Ouvragé. Contraste saisissant dans la pièce obscure. Un gigantesque miroir. Celui dont il a tant rêvé. C’est un appel insondable, véritable défi pour cet archéologue déchu.

Fasciné, Anatole s’approche de la psyché. Le vent semble y circuler librement, emportant les pensées illusoires dans sa traîne nuageuse.

Le face à face offre un reflet inattendu, non pas celui du visage hagard d’Anatole Panais, comme vous pourriez vous y attendre, mais un arbre seul et nu, planté là par hasard, comme abandonné au bord du chemin. Un jeune arbre en souffrance, penché, ses branches toutes recroquevillées sous les assauts des tempêtes : l’aspect du végétal condamné à l’hiver.

Cette image glace Anatole au plus profond de lui-même. Il saisit en un regard à la fois la douleur de cet arbre mais aussi sa supplique et son appétit de vie.

Anatole recule, recule puis prend son élan. Il traverse l’écran étincelant en poussant un cri sauvage qui bourdonne encore à mes oreilles, plus de trente ans après.

Mes chers étudiants, cette petite fable me permet d’illustrer le concept psychologique d’« effet-miroir». Notre vie extérieure serait le plus fidèle reflet de notre vécu intérieur, agissant comme un révélateur de nos doutes, de nos espoirs enfouis, de nos plus précieuses trouvailles.

Je vous laisse méditer sur cette nouvelle notion et m’apporter au prochain cours le fruit de vos réflexions ! »

« Monsieur Panais, une question s’il vous plaît ?

– Oui, jeune homme ?

– L’arbre dont vous parlez… A-t-il connu le printemps ? »

Pseudo : Pierre de Lune

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Commentaires (3)

Pierre de lune
25.12.2020

Quel joli cadeau de Noël ✨ merci pour ce gentil commentaire, joyeuses fêtes à Webstory 🤩

Webstory
25.12.2020

Suite à cette histoire, nous avons ajouté la catégorie "Psychologie"

Webstory
25.12.2020

Devenir son propre archéologue et découvrir son miroir intérieur. Une belle fable qui illustre l'idée que "Notre vie extérieure serait le plus fidèle reflet de notre vécu intérieur...". Très belle métaphore. Merci Pierre de lune.

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