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Chapitre 1

1

Souvenirs et trous noirs se sont mélangés pendant des années, créant un trouble doux-amer, un insatiable manque de certitude.
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À toi, qui n’a su créer qu’un double volatile,

 

Tu savais te glisser dans chacune de mes cellules nerveuses, là où le déséquilibre régnait, là où le chaos n’a eu de cesse de me tourmenter. Tu as su apaiser les tensions, devenir, année après année, un ami fidèle, un partenaire, mon bras droit. Littéralement, tu as pris naissance entre mes doigts, mécaniquement, jusqu’à te retrouver à couvrir ma chair intérieure de ta brûlure apaisante.

 

Je te sentais devenir le pansement qui réparerait toutes mes peines. Je te sentais forcer l’entrée de mon foie encore neuf. Je te sentais partager mes veines avec mon ADN. Je te sentais t’emparer de mes angoisses, de les transformer en une fébrile légèreté. Devenir cet alter ego qui n’osait sortir de ma conscience. Prendre vie dans mes orbites, pour y déposer ta magie, transformer la laideur en beauté.

 

Tu as su faire éclater la joie, là où la tristesse trônait en vénérable statue de pierre. Tu as su faire régner une absolue béatitude là où mon esprit tentait de s’arracher à mon corps. Tu as su me duper sur le monde, comme jamais personne ne l’avait fait avant toi. Tu as su rendre la timidité farouche.

 

Mais aujourd’hui, ton souvenir me laisse un goût amer. Tu as tenté de me faire oublier toutes ces nuits où tu as laissé de côté ma raison, pour m’engager dans des passions dévorantes de destruction. Ces soirées sauvages où mon corps n’était que ton pantin, animé par ta voracité à faire brûler mes convictions, à laisser s’échapper mon instinct le plus brut. Les nombreuses fois où tu m’as fait perdre pied au sens propre comme au sens figuré m’ont laissé des cicatrices de honte.

 

Le pire étant que jamais plus je ne pensais pouvoir me débarrasser de toi. Car, ce soir- là, tu étais à ton paroxysme, tu as drapé ma tête d’ivresse. J’ai escaladé l’absurdité, consciente du vide qui se formait sous me pieds, mais j’ai continué. J’ai fait verser les larmes autour de moi, par ta faute. Tu t’accrochais à moi comme l’esprit d’un mort s’accrocherait à la vie. Mon corps tout entier frémissait à l’idée de recevoir ton venin, comme un chien qui attendait qu’on le nourrisse, assiégé par ta promesse d’une douleur absente.

 

Tu as été mon ami, certainement bien plus que l’ont été certains. Mais tu as été le plus destructeur de tous, un manipulateur hors pair, indéniablement le plus doué depuis des siècles. Je ne pouvais te détester, car tu as su décloisonner ma tête pour vivre des moments troubles d’originalité. Tu m’as accompagnée jusqu’au bout du monde, à travers tous les éléments de la nature sans aucune exception. Tu as rendu mes nuits interminables, mes journées plus éclatantes. Tu as imbibé l’entièreté de ma tête dans une autre dimension, cet univers parallèle qui recelait d’insouciance.

 

Mais je me suis rendu compte que tu allais beaucoup trop loin, que tu me poussais dans les retranchements les plus sombres de mes actes et de mes pensées. Tu ne cessais de m’appeler pour venir me tenir compagnie alors que j’étais entourée d’amis loyaux et d’amour fidèle. Tu te baladais sous mes yeux, emprisonné d’alu et de verre, prêt à t’ouvrir à ma soif démesurée. Tu m’as esclavagé, torturé, rendu malade. Mes éclats de rire devenaient de plus en plus cafardeux et colériques. Tu as insufflé dans mon cœur une bête infernale qui a brisé des centaines de promesses.

 

Pour tout cela je t’ai aimé et haï, mais aujourd’hui, je te regarde à travers le verre déformant de ta cage, aussi calme que la mer avant la tempête. Je garde ton arôme emprisonné sous le liège, sous le métal, sous le plastique. Mes mains essaient d’oublier l’habileté d’années d’exercices au point où il devient difficile d’en devenir habiles pour d’autres tâches. Mon corps tout entier courbe l’échine devant le vrai monde que tu m’as si longtemps caché et biaisé. Je cherche au fond de moi les ressources qui m’ont toujours manquée pour apprécier ton absence.

 

Même si je sais que tu es là en permanence, aussi expérimenté qu’un caméléon qui changerait d’apparence, je te reconnais sous ton déguisement, sous tes multiples noms. Inutile d’arborer de nouvelles couleurs, de nouveaux slogans, je sais qu’au fond tu n’es qu’un poison. Un menteur, un tricheur et un meurtrier. Combien de vies as-tu prises ? Combien ont succombé à tes saveurs ? Combien ont regretté de t’avoir fait entrer dans leur vie ? De combien de vies as-tu pris le contrôle ?

 

Pour toutes ces questions, je connaissais que trop bien la réponse. Mais tu as su me charmer par ta douceur et ton amertume. Ta puissance de caractère m’a rassurée, bernée, bercée.

 

Si aujourd’hui je t’écris cette lettre, c’est pour te montrer que l’esclave que j’étais a su trouver sa place, où que j’aille, ou que je sois, mon esprit est tranquille, mon cœur est libre de toute souffrance, mon rire est sincère, mes promesses jamais plus brisées. Mon seul compagnon est la liberté d’avoir trouvé la paix. De m’être débarrassée de toi, de m’être enfin trouvée, même si le chemin a été tortueux, les quelques braises qui restaient tapies dans mon incertitude, ont fini par reprendre de la vigueur et brûler toute inquiétude.

 

Je n’oublierai jamais tous ces moments qu’on a vécu ensemble, je n’oublierai jamais la douceur avec laquelle je conscientisais mon monde, notre Monde. Mais tout le reste, je veux l’oublier pour toujours.

Oublier de m’être oubliée dans tes bras. Oublier de m’être mise de côté pour vivre cette version de moi recroquevillée sans aucune estime de soi. Oublier d’avoir préféré te laisser me tuer à petit feu plutôt que d’ouvrir les yeux sur la beauté que recèle la vie. Oublier de m’être mise à genoux des centaines de fois pour te faire sortir de mon organisme intoxiqué. Oublier d’avoir préféré passer du temps avec toi plutôt que d’avoir été présente pour ceux qui avaient besoin de moi. Oublier d’avoir dilapidé mes économies plutôt que de m’offrir le luxe de te voir partir.

 

À toi, mon ami, mon ennemi, mon bourreau, mon sauveur, prend cette lettre comme un dernier hommage à notre passé, comme un ultime adieu à notre présent et une promesse pour mon futur.

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