Créé le: 15.08.2024
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Devant tes yeux

Amour, Nouvelle, PsychologieAu-delà 2024

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© 2024 Benosdias

Cette histoire est née de plusieurs années de travaux de post-doctorat en psychologie profonde sur ce qui échappe aujourd'hui aux neurosciences. La publication dans une grande revue scientifique ayant été refusée, j'espère que cette étude trouvera une autre vie dans le monde littéraire.
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« Là par exemple, je sais qu’il pense à moi. » Nous sommes unis, à distance, par des liens, des forces invisibles. La science ne connait pas encore la nature de ces liens, mais comme on dit : l’amour est la plus grande force qui règne sur cette Terre. En tout cas, Nat avait besoin de croire que Tom pensait à elle, et elle en était effectivement persuadée. Quant à savoir si l’équilibre parfait en amour existe, exista, ou existera un jour grâce aux progrès de l’IA et de la cybernétique, on peut dire sans se tromper qu’il y avait déséquilibre dans la relation entre Nat et Tom. En faveur de qui ? C’est à chacun de choisir, mais en l’occurrence Tom était très amoureux de Nat qui en jouait un peu.

Un jour qu’ils se retrouvèrent à trois — tous les deux plus un autre garçon — Nat joua un peu trop avec les sentiments de Tom. Mais que voulez-vous ? Elle aimait ça l’amour ! Elle aimait peut-être plus l’amour que l’amour de Tom. Du moins à ce moment-là. Car cette expérience déchira quelque chose dans le cœur de Tom. Cela fit une nouvelle cicatrice dans son cœur, une cicatrice de trop dans son cœur de corsaire. Aussitôt, Nat ne retrouvait plus dans les yeux de Tom ce qui la faisait tant jouir. Cela changea aussi le regard que Nat posait sur Tom, et bouleversa les sentiments de Tom, à tel point que le déséquilibre changea brusquement de camp. Un nouveau cercle vicieux se créa. Ce cercle, faisait de la peine à Nat et ne procurait aucun plaisir à Tom. Ce dernier n’en jouait pas, il ne jouissait pas de la peine de Nat : ce qui donnait d’autant plus de peine à Nat car elle sentait qu’il n’avait plus aucun besoin d’elle.

En un mot, il s’en foutait… La fameuse indifférence ! Plus douloureuse que la haine pour celle qui aime et n’est pas aimée en retour.

 

C’est alors que Nat me téléphona, moi, l’ami de Tom. Elle voulait me voir un soir de semaine. À peine étions-nous assis sur le lit de son studio qu’elle sortit une bouteille de vodka et deux verres. Elle servait de franches rasades que nous buvions tout aussi franchement. J’étais plus attiré par l’alcool que par Nat ; et tout accaparé que j’étais, je n’ai pas vu le coup venir. Bientôt trop ivre pour rentrer chez moi, je me glissais sous les draps. C’est ce moment que Nat choisit pour appeler Tom. J’étais pris dans sa toile. La garce allait-elle aussi tuer mon amitié avec Tom ? Toute contente de son coup, c’était le diable qui, devant moi, tenait le téléphone. Et pour bien prouver à Tom ma présence, Nat me passa le combiné. Mon ami avait confiance en ma chasteté. Toutefois, il exprima un certain énervement et toute sa déception quant au fait que je fusse si facilement tomber dans le panneau. Nat pouvait bien coucher avec qui elle voulait, mais pas avec moi ; cela aurait provoqué une nouvelle cicatrice sur le cœur de Tom, sur la partie amicale de l’organe cette fois, dont la science n’a pas encore trouvé la localisation anatomique précise. Je ne m’intéressais pas à Nat, je ne l’intéressais pas non plus, elle avait passé son coup de fil, j’avais bu ma vodka. Je rentrais dormir chez moi.

 

Quelques temps plus tard, j’acceptais de prendre un café avec Nat. Enfin… Une bière pour ma part. Je la sentais anxieuse et agitée. Je lui demandai si elle savait ce que pensait Tom à cet instant précis. Je la vis pâlir, incapable de prononcer le moindre mot, comme une écolière sur l’estrade n’ayant pas révisé sa leçon. Elle savait très bien ce à quoi Tom pensait, précisément. Mais ces pensées étaient totalement inavouables. De toutes ses forces, Nat tentait de chasser ces visions… visions qui lui blessaient le cœur en un lieu et sous un nom tout aussi indéfinissable. Nous étions en plein milieu d’après-midi, l’heure à laquelle les gens travaillent, ou lorsqu’ils n’ont pas d’occupation urgente, prennent un café. Mais là, Tom ne faisait ni l’un ni l’autre… Et il n’était pas seul. Nat savait au plus profond de son cœur que Tom avait fermé le rideau de sa garçonnière, pour passer un moment intime avec sa nouvelle petite amie. Petite amie ? Non… Sa nouvelle maîtresse ! Il me l’avait soufflé deux jours auparavant : « c’est juste une meuf, comme ça, voilà quoi ». Il l’avait rencontrée « dans un bar », elle travaillait « chez McDonald’s ». Il avait prononcé ces mots sur un ton badin, laissait percevoir une absence totale de sentiments. En revanche, je sus rapidement les tenants de la relation. « Elle fait de ces fellations mon gars, j’ai jamais vu ça… » Et là, ça ne badinait plus. On sentait que c’était du sérieux. La relation avait une haute charge érotique et dégageait une forte odeur d’hormones complémentaires : testostérone et progestérone j’imagine… Je ne crois pas que Tom ait dit quoi que ce soit à Nat de cette relation. Mais Nat, unie par des liens invisibles à Tom, savait. On ne sait comment.

En effet, elle savait ce qu’il se passait à cet instant précis, un peu au-delà du coin de la rue. Je compris rapidement qu’elle m’avait appelé peu après avoir vu le rideau se fermer en plein milieu de l’après-midi. Elle était comme prise de panique, et tenait un discours insensé : « il ne sait pas combien je l’aime… S’il le savait, il reviendrait vers moi, et cesserait de voir cette pouf… » Elle avait lâché le mot et l’information, mais comment savait-elle que Tom voyait quelqu’un d’autre ? Tom m’avait expliqué que des choses étranges se passaient autour de lui ces derniers temps, des choses plutôt désagréables, du style « voiture rayée », « coups de téléphone intempestifs », surtout quand il était avec sa maîtresse. Cela suggérait que Nat les espionnait, ce qui devenait inquiétant vu son état mental. Autant la voiture n’était pas un problème étant donné l’état du véhicule, autant pour le reste, Tom avait porté plainte. Officiellement contre X, mais comme il avait des relations dans le milieu via son père, Nat fut mise sur écoute.

Dès que les rideaux furent fermés donc, cette fameuse après-midi, Nat se lança frénétiquement sur son téléphone et mitrailla Tom d’appels. C’est alors qu’on décrocha au bout du fil, étonnamment.

— Tom ! Arrête de voir cette pouf tu m’entends ? Sinon je sens que je vais faire une connerie…

Après un court silence, des voix d’hommes, éloignés, comme dans un bureau, semblaient parler entre eux.

— Tom, qu’est-ce que tu fous ? Tu es où là ? Tu m’entends ? Tom ! Répond ! Qu’est-ce qui se passe ?

Un des hommes du bureau sembla prendre le combiné : « Madame, ce sont les Renseignements Généraux, est-ce que vous pourriez arrêter vos conneries s’il vous plaît ? »

Après un autre silence, le téléphone raccrocha. Nat se figea, son cœur battait vite, mais surtout très fort. C’est là qu’elle m’appela pour prendre un café. Comme je l’ai dit : j’acceptai, même si je pris une bière.

Elle me parut si mal, avec le regard des gens qui fument du crack, si blanche… Je brisai le silence, calmement : « Nat, il faudrait que tu penses à autre chose je pense… »

— Mais je ne peux pas, je suis obsédée, m’interrompit-elle. Je suis en ligne directe et constante avec Tom, je sais tout ce qu’il pense, fait et ressent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je ne dors plus.

Elle était proche de s’effondrer.

— Tu devrais essayer de faire des choses alors, lui suggérais-je…

C’est alors que Nat m’entraîna dans un plongeon encore plus ridicule que ce qui a été décrit auparavant. Elle postula pour travailler chez McDonald’s ; chaque dimanche matin, elle comptait sur moi pour une partie de tennis, et tous les mardis soir, je l’accompagnais aux avant-premières au cinéma d’art et d’essai du quartier. Tom m’avait déjà soufflé que sa pouf distribuait des frites au McDonald’s ; je fus stupéfait quand il m’a appris qu’elle était aussi championne de tennis et étudiante en fac de cinéma. Je fus encore plus stupéfait lorsqu’il m’avoua que ses relations sexuelles avec elle se résumaient à des relations buccales. En effet, après lui avoir fait « de ses fellations mon gars », la pouf s’offrait trop vite, trop fort et avec trop d’arrogance, ce qui faisait débander Tom. Je me suis dit que Nat serait rassurée de savoir que son Tom ne baisait pas à proprement parler avec sa pouf. En fait, à l’annonce de la nouvelle, Nat tomba dans les pommes. J’avais commis une erreur… Imaginer que cette pouf était plus chaude qu’elle, tout simplement extra chaude, cela, Nat ne le supportait pas. Une autre chose, et sans doute bien pire, insupportable : cela confirmait ses intuitions et ses visions le reste du temps. Car ces longs ébats ratés, elle les avait vus ; mais elle avait aussi vu bien d’autres choses. Ces « autres choses du reste du temps », bien qu’elles ne manquent pas de sel, sortent du contexte de ce récit, mais mériteraient une étude ad hoc.

Après quelques mois, Nat devint plutôt bonne au tennis. Je continuais à lui renvoyer la balle même si je manquais la messe encore et encore le dimanche matin. Elle avait rapidement développé une bonne culture sur les dernières sorties ciné, le tout complété par des lectures théoriques qui lui permettaient d’analyser en temps réel un film de Rohmer ou de Malle. Cela faisait progresser Nat, elle grandissait et tirait parti de sa souffrance. Toutefois, sa folie était toujours bien présente. Un jour que Tom et sa maîtresse se rencontrèrent dans une garçonnière qui n’appartenait ni à l’un ni à l’autre afin d’échapper à leur espionne, Nat fut tout de même la plus forte au jeu du chat et de la souris. Et alors que les rideaux se fermèrent et la lumière restait allumée — ce qui d’habitude énervait encore plus Nat — elle souffla un grand coup, marcha dans les rues dont elle connaissait le nom par cœur, pensa au dernier film qu’elle avait vu, se remémora le lift qu’elle m’avait mis en fin de match du fond du court, et rentra chez elle. Elle n’appela pas Tom, mais fuma un joint léger avec un petit verre de vodka en pensant que Tom et sa pouf, ce soir, seraient vite lassés d’un nouvel ébat raté. En réalité, Nat ne le pensait pas, elle le savait.

 

Ce qui devait arriver, arriva ; l’histoire entre Tom et sa pouf s’acheva, faute d’être limitée à la sphère buccale. Je n’en soufflais mot à Nat, qui malgré tout, fut apaisé comme par magie. Tom rencontra une nouvelle fille, une vraie femme cette fois, de plus de dix ans son aînée, et s’accoupla en bonne et due forme. Nat fut quelque peu vexée d’apprendre coup sur coup, la séparation, et la remise en couple. Elle prit un « coup dans le buffet ». La nouvelle pouf de Tom, qui pour le coup n’en était pas une, était professeure de piano au conservatoire et passionnée de boxe. Le dimanche matin suivant, Nat me fit enfiler des gants. La semaine d’après, elle achetait un synthétiseur.

Un jour qu’elle prenait un café et moi une bière, Nat refit une petite crise. « Tu crois qu’un jour la science inventera un médicament d’amour, comme le philtre de Tristan et Iseult ? La nuit dernière, j’ai rêvé que Tom avait eu un grave accident, qu’il était amnésique et paralysé. Plus personne ne voulait s’occuper de lui. J’étais la seule à continuer à l’aimer au-delà des difficultés. À la fin, il retrouvait la mémoire et m’aimait à nouveau. Au réveil, je savais que tout ceci était impossible… »

Elle continua :

— De temps en temps, quand je vais vraiment mal, je pense à l’après, à après la vie ici, à l’au-delà. Quand nous nous retrouverons là-bas, Tom saura tout, il pourra voir mon cœur, la pureté de mon amour et nous vivrons ensemble pour l’éternité.

Je terminai ma bière est priai d’excuser mon départ abrupt, mais nous étions jeudi soir et mon activité personnelle m’attendait : la danse. À ce moment, je pratiquais surtout la salsa.

Ce qui devait arriver arriva, l’histoire entre Tom et sa nouvelle pouf s’acheva. On pourrait mettre la fin de la relation sur le dos de la différence d’âge, mais cela n’est pas certain du tout. Toujours est-il que Tom rencontra une nouvelle fille. Et le monde de cette nouvelle fille tournait autour de la danse. Le monde a beau être petit, je n’avais jamais entendu parler de cette fille malgré notre passion commune dans une ville si petite. Nat le sut et rangea son synthétiseur au placard. Je revendis mes gants de boxe et retournai à la messe. Quant au partenaire de danse, Nat n’eut pas très longtemps à le trouver.

Quand Tom changea à nouveau sa petite amie pour une avironneuse, Nat le sut. Mais à ma grande surprise, elle ne se lança pas dans l’aviron, ce qui me fit des vacances. Je crus un moment qu’elle avait oublié Tom et rencontré un nouvel amoureux. Pour mon plus grand plaisir, elle continua la danse avec moi. Alors que Tom avait fermé les rideaux avec sa nouvelle compagne, Nat pensait à notre dernière danse. Elle pensait qu’entre elle et moi, il pourrait y avoir encore plein d’autres danses. En réalité, Nat ne pensait pas, elle le savait.

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