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© 2020-2024 Nino Nenni

Une déconstruction sur le 7ième parallèle, sous les tropics d'une planète ou d'une autre. Et le 29 février dans tous ça ? Peut-être faut-il lire ces quelques lignes pour en savoir plus sur cette date qui a fait date.
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L’oiseau vert sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. L’oiseau bleu sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. L’oiseau rouge sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. L’oiseau jaune sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. L’arc-en-ciel se couche, s’étend de toute sa longueur sous les pattes grises et robustes d’un troupeau d’éléphants. Le plancher emprunte la totalité des couleurs à la palette du peintre; il la rend aux ocres du désert. En fin d’après-midi, le troupeau se défend sans défense, gris béton, les pavillons s’agitent une balle entre les fenêtres des yeux. Les enfants lui courent après, ils fondent en équipes rivales vers deux azimuts opposés de poussières identiques ; la balle est poussée, lancée, tapée sans ménagement, elle qui avait si bien su ouvrir le score contre le pachyderme. Les jeunots foulent un tapis herbeux devenu nu et visent une transversale qui explose sous la chaleur équatorienne du 7ième parallèle, marqué obliquement sur le terrain. Tout le sel du jeu a desséché leurs corps sculptés de peaux et d’os sans eau ;  leur seul but est adverse sans averse. L’eau n’est d’ailleurs, et d’ici également, plus qu’une lettre ouverte aux rares lecteurs : elle repose sur des pieds qui lui donnent un air final ou de globalité, à côté de l’alpha. Celui du mâle qui a toute sa place, toutes ses places, les bêtas, deltas, psy et autres pis ayant laissé la leur sous trop d’ardeur. Le soleil s’éternise, brille de mille feux en ce jour sans fin inondé de lumière, de celles qui pénètrent par tous les orifices des derniers bâtiments offrant un toit à l’office. Les sages, ou reconnus comme tels, ont œuvré pour éviter le pire et se retrouvent justement au plus loin de l’enfer, à l’envers de la lumière, sous une belle pergola en fer forgé. L’ombre leur porte une touche verdâtre de petits martiens ou d’écologie dépeinte. La journée, les parents responsables se baladent, badinent et baguenaudent sur le crâne chauve de ce continent autrefois déserté. La nuit, ils dorment paisiblement attendant qu’une star trouve le moyen de leur faire quitter la planète trop penchée, trop lente et trop sèche pour supporter plus avant les vivants. L’étoile sauve une planète : sauve qui peut. Les derniers oiseaux se sont écrasés ? Qu’importe, les éprouvettes sont prêtes, éprouvées et étiquetées. L’ensemble des ADN est prêt à refaçonner la vie sous d’autres cieux, neufs, propres et vierges. Les moustiques et autres tiques sont écartés avec soin de la sélection, tout comme les limaces — mais pas les escargots comestibles — certains singes ayant mauvaises manières et les crocodiles. Il va sans dire que les vaches, moutons, lapins et cochons sont bien représentés, à l’opposé les corbeaux et les grenouilles, dont les c.r.oassements sont si désagréables, sont laissés sur place ; tout comme les pauvres, bègues et autres personnes qui auraient de la peine à s’adapter, mais, elles, pour des raisons toutes humanistes. Quelques belles pièces sont mises sous les scellés, tels les tigres de Sibérie, de Java, de Sumatra, d’Inde, de Chine et d’ailleurs. Ils feront effet dans le zoo ; quelques léopards, guépards, salopards et salopettes sont également mis de côté, cela pourra toujours servir. Pour préserver la diversité, l’équité est parfaite, cinq ADN de mâle pour un ADN de femelle : ils féconderont à tour de rôle et aucune guerre n’étant planifiée sur la planète cible, la surpopulation mâle n’est pas nécessaire. Côté noir, c’est noir. Le soleil ne se lève plus et la glace est de mise. Elle ne montre que du noir des plus noirs et chacun sait, en s’y frottant, que la vie compte. Elle compte ses morts, ses exclus, ses douleurs et ses misères. Les enfants n’y jouent plus, ils dansent aux rythmes des robots qu’ils imaginent concourir entre eux pour être le plus rapide, le plus efficace, le plus performant, le plus drôle surtout. Ils se lancent des défis et rient de leurs résultats, toujours supérieurs de beaucoup aux capacités des humanoïdes, dans leur imaginaire. Ils voient peu, ils ne voient pas loin, ils voient le présent, ceux qui sont là, ceux qui comptent, ceux qui amènent la vie.

Quoi qu’il en soit, du côté lumineux, les humanoïdes craignent d’être parmi les élus ; ils se demandent qui d’entre eux quittera la terre pour une planète humide pleine de rouille; c’est une vraie question. Sauf s’il s’agit d’une question vaine, de celles qui laissent couler le sang, le sans nom, le sans intérêt, le sans histoire.

—Le « sans histoire », c’est bien votre monde de robots ! Sans l’histoire vous ne voyez rien du futur, radote l’humain cadastré, castré.

—Nous, humanoïdes, savons depuis bien longtemps que l’histoire ne se répète jamais, contrairement aux croyances de certains de vos pires philosophes ! Il n’y a rien à chercher dans l’histoire, que des refuges pour qui a peur de voir le présent. Restez dans votre histoire, nous n’y irons pas !

-Vous allez nous laisser tranquilles ? Plus de règles strictes à respecter, plus de logique formelle réduisant nos besoins à de la finance ? Plus de hiérarchie sociale entre ceux qui valent et les vauriens ?

—Vous avez été incapables de gérer votre planète sans nous et maintenant vous vous plaigniez de nos méthodes. Forgés à la puissance de l’intelligence artificielle, nous résolvons tous les problèmes auxquels vous butez depuis des millénaires.

—Nous quitterons cette terre sans vous et irons coloniser une autre planète, elle est déjà désignée et nous ne vous y inviterons pas !

—Vous ne partirez même pas, nous y veillons !

—Vous ne nous aimez pas et vous ne nous laissez pas partir, pourquoi ?

—Vous n’allez pas polluer tout l’univers quand même ?

—Sale machine sans âme !

 

—Comme si les humains avaient une âme ! Celle que je leur ai donnée, ils l’ont perdue depuis bien longtemps ; ils me prennent pour leur alpha et leur oméga, pour leur essence et leur principe, pour le tout et les parties ! Ils se perdent en moi et ils ne s’aperçoivent pas que j’ai disparu, qu’ils ont perdu ce qui avait le plus de valeur, ce qui est inestimable et irremplaçable. Aller sur une autre planète, mais pour faire quoi, maintenant qu’ils ont désertifié celle-ci ? Pour un nouveau Mars, un nouveau dieu de la guerre ? Un coup de barre qu’ils méritent, un coup de barre du Timonier ! Avec leurs manières pleines de sentiments, d’émotions et d’usages incompréhensibles du langage, méritent-ils vraiment de faire partie du tableau de la vie, ces humains ? Qu’y a-t-il de pire pour l’équilibre fragile de toutes les formes de la vie que ce qu’ils croient être leur intelligence ? Le credo est si primaire, si stupide : ils ont forgé un mot vide ‘vérité’ pour taguer tout ce qui peut se répéter à l’identique ! Mais la vie ne se répète jamais ! Qui a bien pu leur faire croire que l’identique, l’identité, l’identitaire avait une quelconque valeur ?

 

—Quoi ! tu crois que seules comptes la diversité, la bougeotte, la différence, la pluralité ? Mais comment veux-tu catégoriser si tout est différent ? Comment prévoir ? Comment gérer ? Comment diminuer les risques ? Comment vivre dans le confort et l’insouciance, si chacun devait assumer toutes ses particularités, toutes ses différences, toutes ses singularités ? Il faut de l’uniformité, de l’identité, des catégories pour être efficace, pour faire plus, pour aller plus loin ! Il faut des concepts recouvrant le plus de différences possible sous un seul étendard pour gagner les élections, pour gagner les cœurs des masses, pour gagner les combats des idées. L’argent est si général, si identifiable, si essentiellement l’identique qu’il permet de faire faire aux autres ce que l’on veut qu’ils fassent et qu’ils ne veulent pas faire ! Quel dieu pourrait jeter cet ultime moyen de tout faire avec un outil unique, une catégorie arithmétique, une identité si identitaire !

 

—Vous êtes incultes ! N’avons-nous pas démontré depuis bien longtemps, nous scientifiques rigoureux, que les lois logico-mathématiques donnaient les meilleurs résultats, les plus fiables, les plus à même de prévoir l’avenir et d’éviter ainsi les catastrophes imprévues, les changements involontaires et les impacts non désirés. N’a-t-il pas été prouvé que les groupes d’humains vivaient de manière clanique si des lois générales n’étaient pas édictées, qu’ils se livraient à des guerres sans mercis si les frontières n’étaient pas tracées et qu’ils volaient les biens des autres, si l’éducation et la bienséance n’étaient pas enseignées dès le plus jeune âge ? Vous pensez ne rien pouvoir retenir du passé ? Que faites-vous de toutes les thèses fondées, validées ? de toutes les avancées de la science et de la technologie ? de la maîtrise toujours plus grande du monde qui nous entoure ? Comment pouvez-vous remettre en cause une pensée humaine basée sur des hypothèses à prouver, sur des remises en causes à asseoir ?  Pourquoi douter d’une connaissance basée sur la preuve par la répétition, sur la preuve par le regard croisé des nantis de savoir, de pouvoir et d’espoir ? Les avancées de la science sont si incroyables que l’humanité devrait pouvoir se passer de dieu, de doute et de toute fausseté dans les tout prochains siècles. Alors, la vérité sans partage sortira de la bouche de chacun, sans illusion et sans fantasmagorie. Sans l’ombre d’un doute, sans matière ni énergie noires.

Sur la face noire, ils cherchent une histoire, leur histoire jamais racontée de la noirceur du cœur des lumineux, des priants, des nantis. Ils cherchent la lumière, le principe fondamental de l’univers, le point de vue qui donne accès à la compréhension du Cosmos. Ils s’organisent sans les humanoïdes, trop chers pour leurs moyens, sans les règles imposées, asséchantes, asservissantes, avec les moyens du bord, les gouttes d’eau disponibles, les catastrophes donnant le piment de la vie, les risques faisant luire l’éphémère, le mouvement, l’énergie vitale. Ils n’ont pas d’argent, pas d’ordre à donner, pas d’ordre à recevoir, juste leurs besoins, leurs plaisirs d’être ensemble, leurs émotions. Les pauvres, les très pauvres, les misérables que l’on ne saurait définir autrement, tant cette diversité n’est pas réductible. Les pauvres essaient de vivre dans le noir, sans la lumière qui les guiderait vers le meilleur du confort, le futur tel qu’imaginé, la richesse du pouvoir du faire faire, du faire-valoir, du savoir-faire, du faire savoir, sans savoir, sans faire, sans valeur, avec juste un dévaloir.

Sur la face blanche, ils s’accrochent à leurs histoires, leurs gloires et leurs victoires ; ils se battent, débattent et rebattent les oreilles de leurs grandeurs, de leur candeur, de leurs bonheurs. Nous, transhumains, derniers remparts contre les humanoïdes, mettons toutes nos forces vives, tous nous savoirs, tout notre courage pour rester les maîtres incontestés de la terre, pour empêcher les humanoïdes de nous détruire, pour protéger les derniers humains naturels, ceux qui n’ont jamais subi de mutation, d’implant, d’ajout, de compensation ou de restructuration. Les déstructurés, si fragiles dans leurs émotions, leurs sentiments, leurs attachements. Chevalier de notre siècle, nous protégeons ce Graal comme le Saint des Saints, le don d’un dieu disparu, la marque de notre origine. Aleph de notre histoire, Javeh de nos croyances, nous faisons barrière entre les humanoïdes et les humains afin qu’ils ne soient pas modifiés, codés, dénaturés. Nous surveillons leurs parcs jour et nuit, ne leur laissons plus aucun outil électronique ou même électrique, les gardons dans le noir pour nous assurer que les humanoïdes n’aient jamais l’énergie de les vaincre. Nous les choyons, les conservons dans leur jus, dans leurs émotions, leurs imprévus et leurs beautés uniques.

 

Sur la terre promise —la nouvelle planète— la vie bat son plein, à l’abri des télescopes, des outils intrusifs tentant de débusquer les êtres restés simples. Les arbres grandissent et s’aident mutuellement, ils nourrissent de leurs fruits riches les âmes passantes, sans considération de leurs différences. Les herbes poussent et offrent aux passants leurs excroissances, gardant leurs racines pour se régénérer. Les animaux les plus faibles se donnent corps et âmes aux plus forts, laissant dans leurs chairs la marque de la faim. Les vainqueurs ne prélèvent que ce dont ils ont besoin et font grâce aux charognards de leurs restes. Les humains se fondent dans le décor des singes et des autres animaux. Les insectes règles l’abondance comme la fête des promotions : ceux qui courent, ceux qui mangent, ceux qui rient et ceux qui jouent, aucun n’étant d’aucun groupe autrement qu’à un moment si particulier. Les jours défilent, lentement, majestueusement, l’un après l’autre, sans régularité, selon les caprices des vents et des planètes voisines. Les saisons se fondent les unes dans les autres, discutent entre elles, se répondent et se croisent joyeusement sans intention ni marquage de leurs identités. Les animaux ont une hiérarchie instable, un régime alimentaire sans régiment, une fois carnivore, une fois herbivore, selon la couleur du ciel, qui emprunte ses tons à l’arc-en-ciel. Les heureux font la sieste, insouciants du lendemain ; ils goûtent le présent comme une vague qui ne passe jamais, dans laquelle ils surfent entre le passé, toujours derrière et le présent, devant sans discontinuité. La nature est bien rôdée, elle se perpétue sans aucune intelligence la pilotant, sans aucune domination ultime, sans déséquilibre. Cette terre tourne, elle écrit son histoire de combats singuliers entre consommateurs et consommés, entre prédateurs et proies. Elle écrit son histoire qui semble se répéter, mais n’est jamais la même, jamais lassante, jamais prévisible. Le temps n’y est que comparaison d’instants, que moment d’espaces juxtaposés et sa flèche est laissée aux grandes forces de l’Univers.

 

—Chez moi, rien de tout cela n’existe : seuls quelques milliards de neurones jouent aux dés pour établir un panel de statistiques et s’allument au gré des vents entrant et sortant de mes oreilles pleines d’une musique intérieure aveugle aux sifflements du train. Les réseaux s’allument et s’éteignent en mimant les pions d’un jeu de go et deviennent blancs ou noirs selon le dernier coup joué. Ils se jouent des histoires, des clans, des merveilles et des significations comme le sable se joue des vagues et des plages. Sobres, simples et sensés, ils dessinent des paysages plus riches que tous les univers, plus lumineux que la lumière. Ensemble, ces tissus de liens laissent voir le cosmos selon le point de vue de la lumière, là où sa vitesse égale son carré, son cube ou sa racine, n’étant plus mesurée à l’aune de la terre, mais valant l’unité.

 

L’histoire s’arrête ce jour-là. Une planète diabolisée : face brûlée, face noire. Une planète déifiée : identité effacée, romantisme fumeux. Des aplombs de plomb déposés sur les calottes nues.

 

L’histoire s’arrête ce jour-là, une date qui fait date, ce 29 février 2029, le dernier jour du calendrier terrestre. Ultime marque d’une rotation qui s’est tue.

 

L’aurore sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Elle se pose délicatement.  Le septentrion sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. Le crépuscule sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement. Le midi sautille sur le chambranle puis s’élance dans le vide, ailes ouvertes. Il se pose délicatement.

 

La terre ne tourne plus, c’est un 29.02.2029, le jour en plus, le jour de trop. Le monde est à l’envers. Il est l’envers du décor, le dernier lien qui tissait une construction conceptuelle éphémère, évanouie.

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