Créé le: 16.01.2022
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De l’air

Fantastique, Fiction, Nouvelle

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© 2022-2024 Betty J. Norman

Histoire d'un voyage sous les mers, et au delà. Nous sommes en 2050, Guido est un chercheur renommé, il fait une expérience définitivement marquante.
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Il ne sait pas dire quand et pourquoi le câble qui le reliait au bateau a cédé. Une vague trop forte, peut-être. Il est là, dans le bathyscaphe qu’il a construit avec l’équipe du Professeur Do. Faite dans une matière souple et rigide, novatrice, sa membrane extérieure est conçue pour agir telle une branchie, qui laisserait transpirer à l’intérieur l’oxygène filtré, et quiconque s’y trouverait pourrait respirer. Un nouvel organisme vivant, en quelque sorte.

 

Guido regarde la jauge d’air comprimé : 60 bars. Ses mains deviennent moites, son front perle de sueur. L’air commence à lui manquer. Depuis la loi interdisant les essais sur les animaux (ceux-ci ayant presque tous disparus de la surface de la Terre), la communauté scientifique a démarré à l’insu de tous et dans le plus grand secret des expérimentations sur les humains. Assuré que l’équipe avait sécurisé le dispositif, Guido avait accepté de tester lui-même la capsule. 50 bars. La réserve d’air diminue. Une larme coule sur sa joue. La coque s’est posée sur le fond -à moins que ce soit un rocher ? un corail ? un sous-marin ? Guido n’en sait rien, ses sens sont altérés, il voit mal. Il est là, il attend. Il commence à avoir mal à la tête. Il sait ce que cela veut dire. Le dioxyde de carbone qu’il rejette ne s’évacue pas et remplace lentement l’oxygène. La nature n’aime pas le vide. Il faudra le dire au Professeur Do. Le noter sur la tablette laser. Plus tard, il est las. 40 bars. Il sera bientôt dans la réserve. Sa poitrine le serre, sa gorge se noue. Il se concentre, refuse de céder à la peur. Pourtant, le sentiment l’envahit. Il sait qu’il ne survivra pas. Il a peur de l’agonie et de la souffrance, inévitables, qu’il connaitra bientôt si le bateau ne le retrouve pas. Il ferme les yeux, se concentre sur sa respiration, de plus en plus courte. Son esprit se brouille. Il a 10 ans. Son frère et lui sont à vélo. Ils font la course, à celui qui arrivera le plus vite au stade de foot. Il a 25 ans, il est dans l’amphithéâtre de l’université de Bologne. Section Science. Au bout du banc, cette belle brune devenue sa femme. Il se souvient des efforts qu’il a dû déployer pour la conquérir. 32 ans, la naissance de leur fils. Son souffle ressemble de plus en plus à un râle, sa poitrine se soulève. Il a envie de dormir, il sait qu’il meurt. La membrane du bathyscaphe ne démontre pas ses hypothèses de recherche. Il est déçu. Ou peut-être serait-il déjà mort sans elle ? Dans un sursaut d’énergie, il note cette nouvelle piste, au cas où la capsule soit retrouvée, son corps inerte à l’intérieur. Il sait que le Professeur Do voudra poursuivre, chercher toujours et encore, jusqu’à trouver. La planète est peuplée de plus de 15 milliards de personnes, il est devenu inutile de passer par un intermédiaire pour l’essai clinique. Autant expérimenter directement sur l’humain, la communauté scientifique en est convaincue. Péniblement, il note sur la tablette laser. Que sa mort ne serve pas à rien. Scientifique jusqu’au bout. Sa poitrine se soulève de plus en plus, captant de moins en moins d’air. 20 bars. Il est passé sous le seuil, entré dans la zone rouge. Il sait qu’il n’en a que pour quelques minutes, un quart d’heure tout au plus. Il transpire, il pleure, il rit. Il veut crier mais n’y parvient pas. Il espère, il ne sait pas quoi. Que le bateau en surface le récupère sans doute. Son père, sa mère, c’est un rêve, il a 5 ans, il va se réveiller. Inspirer, expirer. Lentement. Se concentrer sur l’expérimentation, essentielle. Et sur le souffle, sacré. L’air est devenu irrespirable sur Terre, l’espace est continuellement pollué de nouveaux satellites, le niveau des océans est monté de façon incroyable. La mer reste le dernier refuge. Guido sait que sa participation à l’expérimentation est essentielle pour la survie de l’humanité. Pourtant, il ne comprend pas. La capsule est équipée de caméras et il se demande confusément pourquoi l’équipe ne l’a pas encore géolocalisé ni lancé le câble de sauvetage. La réalité immédiate le rattrape. Le nez se bouche, il n’est plus suffisant pour capter les quelques restants d’air. Comme le noyé qu’il sera bientôt, il ouvre grand la bouche, à plein poumon et capte… rien. Ou presque. 10 bars. Il pleure. La colère l’envahit, pourquoi le bateau ne le cherche pas ? Il croit crier et frapper, mais ses gestes sont lents, sans force et confus. Ses lèvres se collent en un mouvement de succion, le nez se pince. Il distingue de moins en moins ce qui l’entoure. Désormais couché sur le sol de la capsule, son corps se soulève en spasmes, comme un poisson hors de l’eau cherchant l’air et à retourner dans les profondeurs. Quelle ironie. Il se contorsionne, bat des mains, faiblement. Il sent ses poumons se coller, chacune de ses alvéoles se bouche sous l’effet du vide, tant chacune d’elle cherche l’air qui lui manque. Capter les dernières onces, résister, jusqu’au bout. Et dire que tout autour, chaque goutte d’eau de cette immensité aquatique recèle d’oxygène pure que cette capsule aurait pu capter. 2 bars. Guido est sans connaissance. Sa poitrine se soulève par intermittence, dans un geste mécanique. Plongé dans le coma, seul son corps tel un véhicule sur sa lancée continue, de plus en plus lentement, jusqu’à ce que cette source vitale s’épuise totalement et que chacune de ses cellules n’ai plus en son sein la moindre trace d’oxygène. Entre deux respirations à peine perceptibles, un temps long s’écoule. La machine ralentit, cale, s’éteint.

 

Pendant ce temps, le bateau en surface est bercé par une légère houle. Le professeur Do et son équipe a suivi la lente progression de la capsule vers le fond. Minute après minute, tout a été mesuré, noté : les facultés altérées de l’agent d’expérimentation face à la diminution de l’air et l’augmentation du dioxyde de carbone à une profondeur de 200m, le manque d’élasticité de la membrane pour l’évacuation dudit dioxyde. A 11h07 précisément, 20 minutes après que le cable ait été sectionné, le Professeur Do déclare la mort de Guido.

 

Commentaires (1)

Starben CASE
27.07.2022

Une nouvelle qui fait froid dans le dos mais qui est tout à fait plausible. La description de la situation est très juste. Merci Betty

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