Créé le: 20.12.2022
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Damnés

Fantastique, Horreur, Nouvelle

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© 2022-2024 Thibaut Barbier

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Damnés - Partie 1 de 2

1

Le destin prend différentes formes : une rencontre inattendue, un appel dans le vent, une requête anodine ou encore une annonce dans un journal. Et peu importe son origine, dès lors que le choix d'accepter le message est fait, le destin se met inexorablement en marche.
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L’immeuble numéroté 12 de la longue avenue principale attirait constamment l’attention, pour des raisons très diverses selon les individus. D’apparence ancienne, les architectes et historiens s’accordaient sur sa construction dans les années 1880 et louaient les efforts engagés pour maintenir les lieux dans leur état d’origine. Ce qui rendait la vie particulièrement difficile puisque tout dans le bâtiment était d’époque. Les nouveaux résidents se vantaient de posséder une clef des lieux et regrettaient leur enjouement une fois installés là-bas. Le pire se cristallisait dans l’isolation thermique. L’immeuble se congelait l’hiver et se transformait en étuve l’été, obligeant les pensionnaires à s’adapter. La saison froide en particulier nécessitait la présence constante d’un concierge pour maintenir la chaudière opérationnelle malgré ses nombreux caprices.

Mathilde avait parfaitement conscience de cet enjeu lorsqu’elle accepta ce poste. Elle devait gagner de l’argent pour poursuivre ses études, même si elle ne supportait plus les petits boulots. Ses mauvaises expériences lui apprirent tout de même à devoir se débrouiller. Elle se présenta spontanément à la porte d’entrée de l’immeuble 12 et frappa avec conviction pour manifester sa présence, se servant du heurtoir en acier finement décoré. Elle attendit un instant lorsque la porte s’ouvrit subitement.

Il s’agissait d’une résidente qui sortait par hasard au même moment. Elle manqua de heurter Mathilde et s’excusa sincèrement pour son inattention. Mathilde se présenta et demanda la loge du gardien ou du concierge, mais la résidente lui avoua ne pas savoir. Elle lui indiqua vaguement le bout du couloir et quitta l’immeuble dans la foulée. Mathilde s’aventura dans le large passage et observa le curieux assemblage de modernité et d’ancien. Les vieux tableaux poussiéreux s’alternaient avec du Pop Art criard sur une tapisserie jaunie par le temps. Les meubles pourraient constituer une frise chronologique des styles sur plusieurs décennies tandis que sur le vieux parquet grinçant s’étalaient des tapis duveteux. Mathilde passa devant un miroir, arrangea une nouvelle fois sa coupe garçonne blonde et ajusta le col de sa chemise blanche. Elle s’estima présentable et poursuivit sa recherche du concierge.

Tout au bout du couloir, elle déchiffra l’inscription « Loge » incrustée dans le bois vieilli d’une porte vitrée. Elle scruta l’intérieur à la recherche de signes de vie mais ne remarqua rien. Pourtant, une lampe allumée diffusait une aura jaunâtre à travers le verre flouté. Elle frappa de manière assurée, attendant une réponse et osa pénétrer dans la loge. L’intérieur flottait dans une ambiance tamisée, les meubles enveloppés par une aura ambrée semblaient provenir d’un autre temps et les quelques documents éparpillés rappelaient le « désordre organisé » de l’appartement de Mathilde. Elle se promena distraitement dans la pièce, s’arrêtant devant chaque curiosité lorsqu’une autre personne entra à son tour. Il s’agissait d’un homme, probablement la cinquantaine, en salopette bleue tâchée par la suie ou d’autres salissures et abimée par de petits accrocs. Il s’excusa d’une voix douce pour l’attente et interrogea aimablement la raison de la venue de la jeune femme.

Mathilde évoqua le poste d’assistant de conciergerie et le visage de l’homme s’illumina d’un sourire enjoué. Il déposa une caisse à outil, d’où dépassait une grosse clef anglaise, sur un vieux siège en velours et entraina la demoiselle à travers l’immeuble. Mathilde suivait difficilement le rythme effréné du concierge qui traversait rapidement les différentes pièces pour s’arrêter devant la chaudière au sous-sol. Le monstre de métal rougeoyait fortement, dégageant son souffle de braise dans la direction des visiteurs, et vrombissant d’une voix saccadée qui résonnait dans la cave. Le concierge prévint Mathilde du caractère capricieux de la machine et lui montra le point d’approvisionnement des pellets de bois. Elle contempla l’engeance de la chaleur avec admiration.

Le concierge apprécia l’intérêt de la jeune femme et l’accepta pour le poste sur le champ. Il lui expliqua les différentes tâches où il aurait besoin d’assistance et lui donna rendez-vous le lendemain pour commencer son travail. Elle précisa ses horaires de disponibilité, qu’il accepta sans réserve. Mathilde s’étonna de la simplicité de la démarche mais ne décela aucune incohérence entre l’offre qu’elle avait aperçue dans le journal et ce que le concierge présentait. Elle retrouva son appartement aussi désorganisé qu’elle l’avait laissé. Elle réalisa que le chauffage devenait nécessaire et elle enclencha son radiateur. Elle repensa à la chaudière de l’immeuble 12. Après des recherches rapides, elle retrouva quelques informations sur ce genre de modèle mais aucune représentation fidèle à l’originale dans le sous-sol.

Le lendemain, elle retourna enthousiaste à l’immeuble 12. Une femme sortit en même temps qu’elle entrait, le regard un peu hagard. Elle s’excusa et tint la porte pour Mathilde avant de partir rapidement. Mathilde reconnut la femme qu’elle avait croisé la veille et s’amusa de la coïncidence. Elle avança d’un pas décidé vers la loge du concierge et l’attendit sur le seuil comme ils l’avaient convenu. Après plusieurs minutes, elle s’hasarda à frapper à la porte pour signaler sa présence mais ne reçut aucune réponse. Elle actionna la poignée et pénétra dans la loge tamisée, comme bloquée dans un autre temps. Le désordre ambiant la rassurait étrangement et elle explora les documents et photos par curiosité. Des figures souriantes se tenaient devant l’immeuble 12 au milieu des coupures de presse relatant le bâtiment. Tout à coup, un téléphone à l’ancienne sonna dans la pièce.

Elle regarda le combiné de la machine vétuste et se demanda si elle devait répondre ou non. Le concierge n’était toujours pas revenu. Elle laissa la sonnerie retentir une dernière fois avant de répondre à l’appel. La réception passait mal et seul un grésillement se faisait entendre distinctement. « Ffrrsssshh ffrsssshhhh -dez ffrssshhh ffrssshhh -lo ffrrssshhhh ffrrssshh -ère. » Elle identifia ce qui ressemblait à une voix humaine mais les grésillements l’empêchèrent de comprendre clairement les paroles de son interlocuteur. Elle se concentra pour isoler ne serait-ce qu’un mot. « Ffrrsssshhh ffrsssshh -ours fffrsssshh ffrrrssssh -lie ffrrrsssshh -dière ffrrsssshh ffrrrrssssh -audière ! » Mathilde se raidit. Elle supposa que le dernier mot devait être « chaudière ». La communication s’interrompit brusquement, faisant place à la tonalité régulière de la ligne.

Mathilde resta plusieurs longues minutes dans la loge du concierge, espérant le voir revenir spontanément. L’étrange appel lui laissa un sentiment de malaise, et la peur la retenait de se rendre à la chaudière. Elle fouilla la pièce en recherche d’un quelconque outil et trouva une lourde clef anglaise à l’aspect ancien. Elle attrapa l’objet, le serra fort contre elle pour se redonner du courage et se dirigea vers le local de la chaudière. Une chaleur infernale régnait dans les sous-sols. Le mur thermique entravait les mouvements et forçait Mathilde à ralentir son avancée. La température assommante montait à la tête de la jeune femme qui luttait déjà contre l’atmosphère insoutenable. Elle trainait les pieds, sentant la moiteur entre ses doigts qui serraient la lourde clef et ses paupières s’alourdirent. Elle arriva presque miraculeusement devant le local de la chaudière, regrettant sa présence dans cette fournaise. Elle actionna rapidement la poignée de la porte et resta interloquée sur le palier.

La chaleur étouffante se dissipa presque instantanément. Elle s’attendait à tomber nez-à-nez avec l’imposant monstre de métal mais celui-ci ronronnait paisiblement. De la vitre de chargement émanait un rougeoiement apaisant et une légère brise caressait le visage de Mathilde. La dissipation soudaine de l’enfer accentua la migraine naissante de la jeune femme qui tentait de comprendre le phénomène. Le souvenir de l’appel téléphonique s’imposa à son esprit et la raison revint à elle d’un coup. Elle chercha autour d’elle mais ne trouvât rien justifiant une venue précipitée. Encore hagarde, elle quitta le sous-sol sans savoir quoi faire précisément. Elle remonta jusqu’à la loge du concierge encore habitée par le désordre ambiant. L’environnement familier la rassura un peu et elle reprit avec curiosité sa visite des lieux. Des brochures, des factures, des prospectus et quelques photos trainaient çà et là. Elle sortit de ses rêveries quand elle entendit quelqu’un frapper à la porte.

–        Bonjour Madame, j’espère ne pas vous déranger, demanda timidement une femme élégante.

–        Euh ce n’est rien, j’attendais ici pour être honnête.

–        Ah, je peux vous demander un service alors ?

–        Ce … Cela dépend si c’est dans mes cordes, je ne …

–        J’ai cassé ma clef dans la serrure de ma porte, est-ce que vous avez ce qu’il faut pour m’aider ?

Mathilde acquiesça machinalement, hébétée autant par son comportement que par la requête. La femme la remercia avec un grand sourire et sortit de la loge après avoir donné le numéro de son appartement. Mathilde espéra revoir le concierge avant d’aider la femme, mais elle se reprocha surtout d’avoir accepté la tâche sans réfléchir. Elle ne savait absolument pas comment procéder, et hésita même à retrouver la résidente pour s’excuser d’avoir accepté. Elle attrapa la caisse à outils d’où elle avait extrait la grosse clef anglaise et fouilla son contenu. Elle ne connaissait pas vraiment les objets présents mais devinait leur utilité selon leurs formes, pour la plupart. Finalement, elle se rendit à l’appartement avec l’intention d’improviser une solution sur le tard. Elle s’attendait à voir la femme élégante l’attendre sur le palier. Pourtant, il était parfaitement désert. Mathilde se pencha au niveau de la serrure pour constater le dégât mais ne repéra aucune anormalité. Elle frappa à la porte mais personne ne répondit. Face au silence dérangeant, elle actionna la poignée et pénétra dans l’appartement.

La fraicheur ambiante s’avérait anormale pour un appartement normalement habité. Les affaires étaient tantôt rangées tantôt éparpillées sur le sol. Quelques placards ouverts laissaient apparaitre des vestes et des robes vieillottes. Dans le salon régnait un désordre incroyable tandis que les volets fermés donnaient une ambiance sinistre. Un sombre pressentiment traversa l’esprit de Mathilde qui l’incita à fouiller le reste de l’appartement. Les autres pièces présentaient le même chaos ambiant et toujours aucune présence humaine. Elle arriva dans la chambre et étouffa un cri d’horreur. Un cadavre calciné reposait sur le lit, ses os apparents sous la peau noircie, parsemée de zones rougies. La tête pivota au moment où Mathilde entra dans la pièce et fixa la jeune femme de ses grands yeux écarquillés et injectés de sang. Mathilde, prise de panique, sortit de la chambre précipitamment avant de se ressaisir. Cette personne vivait probablement encore et Mathilde devait lui venir en aide.

Mathilde se prépara mentalement avant d’entrer de nouveau dans la chambre. Mais elle constata avec effroi que le lit était vide. Pire encore, il ne portait aucune trace de brûlure ou une empreinte prouvant la présence d’un corps quelques secondes plus tôt. Mathilde se demanda si elle perdait la raison, tandis qu’elle laissa ses jambes l’accompagner vers la sortie. Cela était trop d’émotions en un laps de temps si court. Elle sortit de l’appartement, toujours sonnée par les découvertes, et croisa la route d’une femme élégante, la même qui était venue à la loge plus tôt. La résidente. Mathilde fut traversée par une illumination et arrêta sa lancée en réalisant la signification de tout ceci. Elle se tenait probablement devant la meurtrière, responsable du crime pyromane dans la chambre.

–        Ah vous êtes déjà là ! Merci, je ne m’attendais pas à ce que vous puissiez venir aussi vite.

–        Vous … Qu’avez-vous fait ?

–        Eh bien je vous l’ai expliqué, non ? La clef de mon appartement s’est cassée dans la serrure …

–        JE ME MOQUE DE VOTRE CLEF ! QU’AVEZ-VOUS FAIT DU CORPS ? cria Mathilde, ses nerfs ayant lâché.

–        Calmez-vous bon sang ! Et de quoi me parlez-vous ? De quel corps faites-vous allusion ?

–        CELUI DANS VOTRE CHAMBRE ! NE MENTEZ PAS !

–        Etes-vous sûre d’aller bien ? La porte de mon appartement est bloquée à cause de la clef. Je ne peux pas l’ouvrir en l’état.

Mathilde resta bouche bée face à cette déclaration. Elle pivota, actionna la poignée mais elle resta fermée. Elle la secoua mais sans effet. Elle ne comprenait plus rien. La résidente regarda Mathilde, inquiète de l’intégrité de la jeune femme. Mathilde étudia la serrure et repéra un morceau de clef coincé à l’intérieur, absent quelques instants plus tôt. Confuse mais admettant de l’invraisemblance de ce qu’elle croyait avoir vu, elle s’excusa et s’affaira à extraire le morceau de métal. Elle ne savait pas comment procéder mais elle essaya chaque outil qu’elle avait à disposition. La résidente comprit l’embarras et la difficulté qui pesaient sur la jeune femme et décida de lui prêter main forte pour réparer la porte. Mathilde proposa de retourner à la loge pour trouver un outil mieux adapté. En y arrivant, elle croisa le concierge qui la salua chaleureusement et la remercia d’être à l’heure comme ils avaient convenu la veille.

Mathilde considéra le concierge avec stupeur. Elle mit quelques secondes à se ressaisir et lui demanda s’il avait des outils pour retirer une clef cassée dans une serrure, en précisant le numéro de l’appartement concerné. Le concierge la regarda dubitatif. « Personne ne réside dans cet appartement en ce moment, mademoiselle … Etes-vous sûre du numéro ? » Mathilde blêmit en un instant. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait et elle questionna sa propre santé mentale. Elle s’excusa en croisant le regard inquiet du concierge et lui assura qu’elle pouvait commencer sa première journée de travail. Mais cette affirmation servait davantage à la rassurer elle plutôt que le concierge car Mathilde ne savait plus quoi penser après tout ce qui était survenu. Aurait-elle pu imaginer tout cela ?

Damnés - Partie 2 de 2

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Le lendemain, Mathilde hésita avant de pénétrer dans l’immeuble 12. Les évènements de la veille hantaient encore son esprit et elle n’avait toujours pas trouvé une explication convenable. Elle poussa timidement la porte qui s’ouvrit à la volée sur une femme visiblement pressée. Mathilde considéra la femme qui lui semblait vaguement familière, drapée d’élégance. Elle la regarda s’éloigner, persuadée d’avoir déjà vécu la scène auparavant. Elle se dirigea vers la loge du concierge, qui s’était de nouveau absenté. Mathilde se raidit lorsque le téléphone sonna. Elle observa le combiné avec terreur, attendant désespérément le retour du concierge pour qu’il réponde à sa place. Mais la sonnerie se poursuivait sans fin, comme une supplication. Animée par la culpabilité, Mathilde tendit une main tremblante vers l’appareil et l’approcha de son oreille. Le grésillement comme la veille griffa ses tympans et déterrèrent les souvenirs.

« Ffrrsssshh -thilde ffrsssshhhh -tendez ? ffrssshhh ffrssshhh -lo ffrrssshhhh -blème ffrrssshh -audière. » Mathilde se ressaisit, elle reconnut la voix du concierge. Et cette fois le message semblait plus clair. Elle manifesta sa présence et le concierge transmit son message entre deux grésillements. « Ffrrsssshhh -tez moi, ffrsssshh besoin de … AAAAAAAAAAAAH Au secours ! fffrsssshh ffrrrssssh supplie ffrrrsssshh -dière ffrrsssshh  -teindre la chaudière ! Ffrrrrrssssshhhh » Mathilde n’eut pas le temps de répondre que la ligne coupa. Cette fois, le message lui parvint clairement et elle comprit qu’elle devait se rendre à la chaudière pour porter assistance au concierge. Elle hésita un long moment, les questions se bousculant dans sa tête. Un cri de détresse avait percé à travers les grésillements, preuve de l’urgence de la situation. Elle considéra la grosse clef anglaise dans la boîte à outils mais l’idée de reproduire la scène de la veille la terrifia au plus haut point. Elle s’arma du courage qui lui restait et descendit au sous-sol.

A mesure qu’elle descendait, une chaleur suffocante l’agressait, bloquant sa respiration. Elle regrettait sa décision à chaque pas mais elle s’inquiétait pour celui qui devait l’attendre. Elle évolua difficilement dans la fournaise, la chaleur lui brûlait chaque partie de sa peau exposée. Elle ignorait quelle défaillance de la chaudière pouvait engendrer une telle anomalie. Les vagues de chaleur ondulèrent le décor, créant des visions surréalistes digne d’un désert de ciment et d’acier. La porte de la chaufferie se dessinait péniblement sur le mur déformé par les hallucinations. Mathilde rebroussa ses manches pour protéger ses mains à l’approche de la poignée, mais cette dernière demeurait étrangement froide. Elle actionna le mécanisme et la chaudière apparut dans son champ de vision.

Le monstre d’acier se dressait là, soufflant des torrents de vapeur de sa bouche incandescente. Des flammes gigantesques sortaient de la gueule pour lécher les babines infernales du colosse. Face à cette engeance flamboyante, Mathilde resta estomaquée et oublia presque la raison de sa venue. Un mouvement dans un coin la ramena à la raison et elle estima que la forme devait être le concierge. Elle se rapprocha et découvrit un squelette carbonisé. Elle étouffa un cri d’horreur qui expira dans sa gorge séchée par la chaleur. Sans prendre plus de temps pour réfléchir, elle se rua hors de la salle pour ne pas subir le même sort mais de larges flammes sortirent de la gueule infernale et lui barrèrent le passage. Elle se retrouvait piégée dans le fourneau sans alternative pour s’enfuir. Le monstre d’acier exulta un rire mécanique et caverneux, glaçant le sang de la jeune femme. Elle se retourna et observa avec horreur un corps sortir des entrailles infernales de la chaudière.

Une sonnerie familière arriva à ses oreilles. Par un tour du destin incompréhensible, elle se trouvait de nouveau dans la loge du concierge. Comme si elle ne l’avait jamais quitté. Elle ne portait aucune trace de brûlure ni même de dégât sur ses vêtements. En fait, elle n’avait rien sur elle qui supportait l’idée d’une exposition à un brasier infernal. Elle entendit de nouveau la sonnerie qu’elle identifia comme celle du téléphone de la loge. Elle émergeait tout juste de ce qui ressemblait à un cauchemar, incapable de comprendre le phénomène. Elle attrapa presque machinalement le combiné qu’elle porta à ses oreilles. La voix de l’autre côté de la ligne évoquait un problème avec le chauffage dans son appartement et demanda de l’assistance pour régler ce problème. Au même moment, une femme très élégante frappa à la porte de la loge, pour un problème de clef.

Mathilde sentit la panique escalader dans sa poitrine. Elle revivait une journée similaire à la veille mais sensiblement différente. Elle regarda la femme qui se tenait à la porte, une veste raffinée tombait parfaitement sur sa robe délicate. Et l’image du cadavre calciné allongé sur le lit resurgit dans sa mémoire. Elle accepta la requête et accompagna la femme après avoir pris la caisse à outil. Les deux femmes arrivèrent sur le palier de la porte et la résidente expliqua avoir cassé sa clef par mégarde dans la serrure. Mathilde inspecta les dégâts et constata la réalité de la situation. Aucun morceau de clef n’était coincé dans la porte. Elle se redressa pour questionner la femme mais elle se trouvait seule sur le palier. Elle observa autour d’elle avec surprise, puis elle entendit un cri provenir de l’appartement. De la fumée sortait de sous la porte. Instinctivement, elle actionna la poignée qui n’était pas verrouillée et pénétra dans l’appartement assailli par les flammes. Des volutes épaisses de fumée saturait l’air et provoquaient de violentes toux à la jeune femme. Elle se couvrit le visage et se rendit jusqu’à la chambre, d’où provenait la fumée.

Les meubles se désagrégeaient dans le brasier tandis qu’une forme humanoïde restait allongée et immobile sur le lit. Mathilde voulut s’approcher mais le feu prenait trop vite. Le lit s’enfonça dans les flammes et disparut dans un tourbillon embrasé. Mathilde fut projetée hors de la chambre, comme propulsée par une vague de chaleur surpuissante. Elle s’écrasa sur le tapis du salon puis se releva difficilement. Elle ouvrit de nouveau la chambre mais elle ne trouva qu’un lit vide et aucune trace du brasier qui consumait la pièce peu de temps auparavant. Croyant que la folie s’emparait d’elle, elle sortit de l’appartement à toute vitesse et voulut quitter l’immeuble 12. Mais la porte d’entrée avait été verrouillée. Elle rebroussa son chemin et se rendit dans la loge du concierge, dans l’espoir de trouver une clef.

Le concierge regarda Mathilde avec surprise, et lui avoua ne pas s’attendre à la voir aussi tôt. Elle lui demanda, visiblement paniquée, pourquoi la porte d’entrée était verrouillée. Puis elle s’arrêta et réalisa de l’invraisemblance de la situation. Le concierge s’excusa de ne pas comprendre la jeune femme. Mathilde s’effondra en larme sur le sol de la loge. Folle, elle ne trouvait plus que cette explication. Elle perdait la raison. Elle essuya ses larmes et observa de nouveau la loge. Elle se trouvait seule dans la pièce poussiéreuse, une lampe torche à la main. Elle examina, étourdie, les environs. Elle appréhendait ce que son esprit lui jouerait comme nouveau tour. Les lieux semblaient étrangement déserts et de toute évidence personne n’était venu dans les lieux depuis des années. Elle inspecta les alentours, son faisceau lumineux révélant des vieux documents et des photos jaunies. Les visages souriants des figures du passé lui glacèrent le sang tandis qu’elle les analysait. Elle reconnut alors le concierge qui l’avait reçue quelques jours plus tôt pour le poste.

Les éléments se mélangeaient dans son esprit, les souvenirs entrelaçaient les fantasques scènes qu’elle avait vécues dernièrement. Elle ne se souvenait plus de la raison exacte de sa visite dans l’immeuble 12, toutefois elle estimait que le poste d’assistant de conciergerie n’était plus valable depuis des lustres. Après quelques vagabondages dans la loge du concierge, retrouvant le téléphone et la caisse à outils dont une grosse clef anglaise dépassait, elle se décida à quitter les lieux. Elle rejoignit le couloir poussiéreux et passa devant la porte menant au sous-sol. A la chaudière. Un frisson d’angoisse traversa son dos, en repensant aux images terrifiantes de cet enfer souterrain. Un courant d’air chaud parvint à ses joues. Intriguée, elle se retourna et fit face à la porte de bois. Après une rapide inspection sous le faisceau de sa lampe, elle comprit sans peine que la porte avait été victime d’un incendie. Elle actionna timidement la poignée, regrettant à chaque instant sa décision de vouloir explorer les sous-sols. De comprendre l’origine de ce vent chaud. Elle descendit les marches une à une, une main sur la rambarde métallique et l’autre tenant la lampe électrique.

Les murs portaient les traces d’un feu violent, qui provenaient de la chaudière, au bout du couloir. Elle continua, comme en transe, sa progression jusqu’au local contenant le monstre de métal. Elle déverrouilla la porte, laissant apparaitre la carcasse infernale. Un faible souffle chaud provenait de la gueule du colosse, tandis qu’une lueur rougeoyait par les vitres. Et face à l’imposante structure, une femme élégante se tenait paisiblement. Elle apposa une main gantée sur la chaudière et à cet instant, sa silhouette s’embrasa. Mathilde retint un cri d’horreur et observa la scène avec stupeur. La femme se retourna alors, ressemblant au cadavre calciné allongé sur le lit. La mâchoire décharnée esquissa un sourire maléfique et un murmure comme un râle sortit de la gorge de l’être abominable. « Je vous l’avais bien dit que ma porte était bloquée, mais vous ne m’aviez pas crue. » Mathilde sentit une présence à ses côtés et remarqua un corps pendu au plafond de la chaufferie. Un rire métallique trembla depuis les entrailles du monstre d’acier, réveillant les braises au cœur du fourneau. Et sous l’éclat incandescent, Mathilde reconnut le visage du pendu. Le concierge fixait le sol de ses yeux exorbités, un morceau de journal dans la main. Elle pouvait lire deux encadrés distinctement. « Recherche assistant/assistante de conciergerie pour Immeuble 12 » et « Mathilde, étudiante, portée disparue ».

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