Un coup de sang déjoué par un coup de foudre qui débouche, peut-être sur un coup de chance...
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Le coup de la carte postale glissée dans sa boite aux lettres avait éveillé sa curiosité. Aussi, quand je l’appelais le lendemain soir, elle ne se montra pas trop méfiante et enregistra méticuleusement les consignes que je lui donnais par téléphone. Bien entendu, j’avais appelé depuis une cabine publique – il en subsistait quelques exemplaires à la gare – afin de ne pas pouvoir être tracé. Pour déjouer les caméras de vidéosurveillance, j’y étais allé cagoulé et masqué.

Questions arguments, les documents que j’avais collectés étaient suffisamment compromettants pour la convaincre de suivre mes instructions : son avenir en dépendait. La pauvre, elle ne se doutait pas à quel point ! Je l’avais persuadée de me retrouver ce lundi soir au bord du lac à Cully, un peu après la plage de Moratel. A ces heures, l’endroit serait désert et notre rencontre resterait secrète. Caché dans les taillis qui bordent le sentier menant à la plage, je l’attends depuis vingt minutes, l’extrémité d’une rame à la main. J’ai répété le geste des dizaines de fois pour que je n’aie qu’un seul coup à donner. Deux tout au plus. La vitesse d’exécution sera ma meilleure alliée.

Une fois la nuit tombée, je n’aurai plus qu’à trainer le corps jusqu’au bateau de la société de sauvetage amarré non loin de là. Ensuite, ce sera un jeu d’enfant de la larguer au milieu du lac, lestée de quelques plots de ciment volés sur le chantier voisin. Ni vu, ni connu, et à moi l’indépendance. Enfin !

Mais pour l’instant, je dois absolument me concentrer sur la phase cruciale de l’opération. La lumière de l’automne finissant commence à baisser. Les derniers joggeurs retournent à leur voiture. Le feuillage multicolore des taillis projette sur le sentier une ombre protectrice – enfin, pas pour tout le monde – et le lac enfile sa tenue de nuit lisse et soyeuse.

Une vague de souvenirs me remonte à l’esprit. Au début, quand j’allais à l’agence, je la trouvais plutôt sympathique. Elle était gentille, souriante. Toujours habillée avec charme, un brin provocatrice même. Si je n’avais pas eu trente ans de plus qu’elle, sûr que je lui aurais fait du rentre dedans. Mais là, j’ai largement dépassé l’âge et surtout, je n’ai plus les moyens de rester présentable. Déjà que je peine à m’acheter à manger. Alors c’est peut-être ça qui lui a fait changer peu à peu de comportement. Elle a commencé à littéralement ne plus pouvoir me sentir, ni me voir d’ailleurs.

Il faut dire que certains jours je fouette pas mal. Car à l’Abri c’est pas tous les jours douche. Alors forcément, après un bout de temps, je traine mes effluves comme une ombre. Ça a commencé par des haussements de sourcils, ensuite d’épaules, pour finir par des allusions à peine voilées devant tout le monde. Comme si je le faisais exprès d’être dans cet état pitoyable. Alors le jour où elle m’a refusé l’entrée en me disant de revenir une fois que je me serai lavé, j’ai compris que je ne pourrai pas laisser passer un tel affront. Je suis peut-être vieux et décrépi, mais j’ai encore une once de dignité. Elle a franchi un seuil qui mérite vraiment une bonne leçon. On ne traite pas ainsi Robert Desmoyeux. Cette petite insolente verra bien ce dont je suis capable. Car sous mes airs de chien battu, de cloporte nauséabond, j’ai des ressources, moi.

En effet, tassé sur ma chaise de la salle d’attente, j’avais bien remarqué son manège : sa manière de ranger certains documents dans un tiroir à droite de son fauteuil en s’assurant bien que personne ne la regardait. Sauf que moi, comme elle avait fini par ne plus me voir, je pouvais l’espionner tranquillement. Toujours bien placé sur la chaise donnant en diagonale sur son poste de travail.

Il y a deux semaines, quand j’ai noté qu’elle allait aux toilettes, ni une ni deux, j’ai bondi et en deux temps trois mouvements j’avais caché le contenu du fameux tiroir sous ma gabardine. Puis, tranquille, je suis parti comme si j’avais terminé mon rendez-vous. De toute façon, à part l’odeur, personne ne remarque ma présence ici. Et si on me demande, je dirai que j’ai oublié de venir ce jour-là. Personne ne se doutera de rien. Sauf elle peut-être quand elle découvrira la disparition de ses précieux dossiers : toute une collection de bons de paiement de prestations dont les coordonnées du bénéficiaire ont été habilement modifiés pour correspondre au propre compte de la filoute. Apparemment, le mécanisme devait bien fonctionner : la compta, toujours surchargée, n’avait pas le temps de vérifier ce genre de détails.

Je suis tiré de mes pensées lorsque je la vois enfin apparaître au loin dans la tenue de sport fluo que je lui ai enjoint de revêtir pour ne pas la manquer dans la pénombre. Elle marche lentement, essayant probablement de se repérer dans cet environnement qu’elle ne connait pas, ou peu. J’espère qu’elle a bien les codes d’accès que je lui ai demandé de me fournir. Elle est maintenant suffisamment proche pour que je puisse la dévisager plus en détails : les traits de son fin visage trahissent son anxiété sous le casque de ses cheveux noirs et raides.

Elle n’est plus qu’à une vingtaine de mètres. Je serre l’extrémité de la rame de ma main droite tandis que de la gauche j’écarte légèrement le branchage devant moi. Soudain, une sensation de chaleur qui me descend le long du mollet. Puis celle d’un liquide qui infiltre ma chaussure droite…

–        Mais il me pisse dessus ce con de chien ! Fous le camp, aboyé-je à voix basse en secouant ma jambe arrosée. Qu’est-ce qu’il fout là ce clebs ? Barre toi !

Pour une fois que je me suis douché, c’est bien ma veine… De son côté le cocker semble satisfait d’avoir ainsi fait connaissance. Il s’assied sur son derrièrre en me fixant de son regard implorant.

–        Merde, il va tout faire rater, ce con. Allez, rentre chez toi. Zou !

Lui faire comprendre qu’il doit partir. Et fissa. Pas de caillou à lui jeter pour le faire déguerpir. Et l’autre qui s’approche. Que faire ? Soudain, deux yeux ronds qui m’observent à travers les feuillages : un garçonnet d’une dizaine d’années, une laisse à la main. Manquait plus que ça ! Encore quelques mètres et elle sera à ma hauteur. Un quart de seconde pour décider. Ne pas bouger : trop dangereux.

Un doigt sur les lèvres, je fais signe au gamin de se baisser en clignant de l’œil :

–        On fait une blague à la dame, tenté-je de lui faire comprendre sans un mot.

Je me baisse à mon tour, le chien immobile à mes pieds. Elle passe devant nous à petits pas mal assurés, regard rivé sur les aspérités du sentier. Une éternité à retenir son souffle, à attendre, figés dans le silence, qu’elle se soit éloignée. Mes pensées s’entrechoquent à la recherche d’une issue. Je chuchote au loupiot :

–        La dame, elle me veut du mal. Il ne faut pas qu’elle me trouve.

Hochement de tête du gosse qui me fait signe de le suivre. Traversée de broussailles, suivis du cocker la truffe collée au sol. On débouche sur une allée de graviers puis sur une rue qui longe le bistrot de la place. Je me débarrasse du bout de rame dans le premier container venu et remonte vers la gare à grands pas. Le gamin est parti de son côté, le chien baguenaudant derrière lui.

Encore un échec humiliant. Un accroc de plus dans mon estime, déjà bien entamée. Car des humiliations, j’en ai subi pas mal durant ma vie. Quand j’y repense, j’ai l’impression que mon histoire est une succession de rabaissements, de vexations. A l’école déjà, mon manque d’assurance et la condition modeste de ma famille me valaient d’être souvent « oublié » lors d’invitations à des anniversaires. Le lendemain, à la récréation, j’en écoutais les comptes-rendus cruellement enjolivés, les tripes gonflées d’une envieuse acidité.

A l’adolescence, pénalisé par un physique ingrat, je redoutais la proximité des groupes de filles quand en même temps je ressentais une attraction irrésistible à leur égard. Je les voyais ricaner sous cape à mon approche sans pour autant oser les aborder pour engager la conversation. Et mes modestes tentatives auprès de quelques-unes d’entre elles – les moins méchantes, les moins moqueuses – se sont soldées par de mémorables râteaux. Sans parler des railleries de mes camarades que mes échecs amenaient à des tempêtes de fou-rires.

Par la suite, la vie active ne m’a pas épargné non plus. Bien que travailleur et consciencieux j’étais systématiquement dépassé par des collègues plus habiles à se mettre en avant, à assurer par eux-mêmes la publicité tapageuse de leurs moindres faits et gestes. Cantonné aux postes subalternes, j’ai plusieurs fois fait les frais de restructuration, de réorganisations, et me suis retrouvé au chômage. Et à chaque fois le poste suivant était moins valorisant, moins bien rémunéré, mon supérieur encore plus autoritaire et sarcastique voire carrément sadique.

Alors quand à cinquante six ans j’ai été licencié une nouvelle fois, je n’ai plus trouvé le courage de me battre pour retrouver du travail. De toute façon, à mon âge, plus aucun employeur ne prenait la peine de lire mon CV. J’ai donc subi avec résignation l’acharnement de ma conseillère ORP qui me tannait pour que j’envoie mes dix offres de service mensuelles et qui insistait lourdement pour m’inscrire à des formations aussi inutiles qu’onéreuses. C’est ainsi qu’en fin de droit je dois désormais venir régulièrement rencontrer une assistante sociale et subir les sarcasmes de cette mijaurée de réceptionniste.

Alors que j’allais m’engager dans le passage sous voies, ces réflexions me font changer d’avis. Pas question cette fois de renoncer si près du but. Surtout que si je laisse filer cette occasion, ce sera très compliqué voire impossible de fixer un nouveau rendez-vous à la donzelle. Elle va trop se méfier.

Je reviens donc sur mes pas, passe devant la statue de la justice, et je remonte par la route jusqu’à la gare d’Epesses. De là je redescends le long du Rio d’Enfer et reviens le long du lac en direction du village. Quelques gouttes de pluie ont fait leur apparition. Dans un rang de ceps, j’ai arraché au passage un échalas.

Je l’aperçois à quelques centaines de mètres qui piétine à l’extrémité de la plage. A mesure que tombent la nuit et la pluie, je la sens envahie par le froid, l’humidité et la peur. Elle se retourne sans cesse pour scruter autour d’elle. Je dois chaque fois me tapir derrière des rochers ou un renfoncement de mur.

Lassée d’attendre sous l’ondée, elle reprend la direction du port et du parking pour trouver un abri. Elle marche vite. Je la suis à longues enjambées pour ne pas la perdre de vue. Entre la pluie qui brouille ma vue déjà défaillante et l’obscurité qui assombrit les berges, je peine à présent à repérer sa silhouette. Les reflets fluorescents de sa tenue de sport me servent de sémaphores. Pour ne pas perdre du terrain, je me mets à courir. Manque d’entrainement, souffle court, je ne progresse guère plus vite qu’elle et l’écart entre nous ne réduit que très peu. Voilà qu’elle se met à courir elle aussi.

Accélérer mon rythme me coûte des efforts surhumains, gêné en plus que je suis par l’échalas. Mes poumons s’embrasent, ma gorge s’assèche malgré les gouttes qui ruissellent sur mon visage. Trempé, mon manteau pèse une tonne. Elle hésite pour retrouver la trace du chemin qui ramène au village. J’en profite pour revenir à une dizaine mètres d’elle. Le martellement de la pluie battante étouffe le bruit de mes pas, et l’odeur de pisse de chien est lessivée par le flot qui ruisselle sur mon pantalon.

Elle gravit au pas les marches qui mènent à l’esplanade herbeuse du camping. J’en profite pour reprendre mon souffle avant l’assaut final. L’endroit, désert à cette heure, protégé par les taillis est le lieu idéal pour l’estocade, d’autant que le vacarme de la pluie et du tonnerre qui gronde couvriront les possibles cris de ma victime. Je rassemble toutes les énergies qui me restent pour fondre sur elle, l’échalas à bout de bras, tel la lance de Saint Michel face au dragon.

Juste au moment où je vais prendre appui pour porter le coup fatal, elle se retourne et s’écarte d’un bond en arrière. Je m’affale piteusement à ses pieds, l’échalas planté dans la pelouse. Elle en profite pour me sauter sur le dos, agripper mes cheveux et me tirer la tête en arrière. Je suis tellement surpris que je n’ai pas le réflexe de me débattre. Déjà, elle pèse de ses genoux sur mes bras pour les maintenir le long de mon corps. Ce n’est pas qu’elle soit lourde – cinquante kilos tout au plus – mais je n’ai pas d’appui pour la désarçonner.

La douleur dans les cheveux couplée à celle de la gorge tendue à l’extrême devient insupportable. Sans parler du froid glaçant qui monte de l’herbe détrempée. Je râle vaguement et tente d’articuler une parole, mais elle ne m’en laisse pas le temps. Elle me crie à l’oreille, laissant exsuder toute l’adrénaline qui coule dans ses veines :

–        Espèce de vieux débris, tu croyais m’avoir avec ton chantage à la noix. Comme si j’allais te balancer les codes d’accès au serveur contre ton dossier pourri. Et si tu crois que je ne t’ai pas repéré à me suivre toute la soirée comme un caniche apeuré. T’es trop naze…

J’ai foiré une fois de plus. Il sera dit que je suis incapable de réussir quoi que ce soit dans ma vie. Mais comment s’est-elle aperçue que je la suivais ? J’ai pourtant été super discret. En plus, avec cette pluie et l’obscurité …

–        Alors écoute bien l’ancêtre, reprend-elle. Je vais t’expliquer comment va se passer la suite des opérations : là je vais aller direct porter plainte chez les flics. Je me serai fait quelques ecchymoses auparavant, histoire de rendre l’agression plus crédible. Et je demanderai des prélèvements d’ADN qui révéleront des traces de ton profil sur mes vêtements et sur l’échalas. Je n’aurai pas trop de peine à convaincre un juge de ma bonne foi. Ensuite, je te laisse deux options. Tu vois je ne suis pas si vache que ça. Soi tu me restitues gentiment les ordres de paiement que tu as volés dans mon bureau, sans en faire de copie bien sûr, et alors je retire ma plainte et on en reste là. Soi tu persistes dans ta minable tentative de chantage et je te dénonce, en plus de l’agression, pour tentative de corruption. Je te laisser estimer combien d’années de prison ça pourrait te valoir. Et à ton âge, la tôle ça risque de ne pas être Byzance, bien pire que ta situation actuelle. A toi de choisir…

J’en suis fou de rage de m’être laissé avoir comme ça. Mais dans la position où je suis, et si je veux garder un peu des cheveux qui me restent sur le crâne, je n’ai pas trop le choix. Je capitule piteusement. Elle se relève prestement, privilège d’un corps jeune et bien entretenu, tandis que je peine à me remettre à quatre pattes, puis debout. Je suis épuisé. Autant par la course et la position dans laquelle elle m’a maintenue que par le sentiment de défaite et d’impuissance qui me submerge.

Elle se saisit de l’échalas resté planté en terre et le brandit comme un trophée. L’éclair jaillit du fond du ciel.

 

Depuis ma chambre du septième étage du CHUV, je vois les reflets du lac qui miroite les berges françaises. J’ai le bras et la jambe gauche emmaillotés dans d’énormes bandages. Je flotte dans un état comateux, mi euphorique, mi désespéré, et j’ai de la peine à rassembler le puzzle de mes idées. Je me souviens que j’étais à Cully en train de suivre cette garce de réceptionniste, mais après tout s’évanouit dans un brouillard impénétrable. C’est elle qui m’a mis dans cet état ? Où est-elle ? M’a-t-elle finalement échappé ?

Trop de questions pour mon crâne saturé d’analgésiques. Je me rendors.

Je suis réveillé par une femme, la jolie cinquantaine, cheveux tirés en arrière, qui me secoue très délicatement le bras droit.

–        Monsieur Desmoyeux, monsieur Desmoyeux. Réveillez-vous.

Je sursaute. Que me veut cette femme ? Ce n’est pas une infirmière. Que cherche-t-elle ?

–        Monsieur Desmoyeux, ça va ? Vous m’entendez ?

–        Euh, oui. Qu’est-ce qui se passe ? Qui êtes-vous ?

–        Bonjour. Je m’appelle Sylvie Brodard et je suis la psychologue du service. Je viens prendre de vos nouvelles.

–        Pourquoi une psychologue ? Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

–        Vous ne vous souvenez pas ?

Surtout ne pas trop en dire. On ne sait pas ce qu’elle a derrière la tête.

–        C’est tout flou dans ma tête. Pourquoi je suis là ?

–        Vous étiez à Cully, au bord du lac. Il y avait l’orage et vous avez été frappé par la foudre. Tout comme la personne qui était avec vous. Ça vous rappelle quelque chose ?

–        Cully…Très vaguement. Je crois que j’étais allé me promener. Mais tout est très flou. J’ai la tête comme dans un nuage.

J’essaie de gagner du temps pour éviter de répondre trop directement à ses questions. Je ne sais pas ce qu’elle cherche, ni ce qu’elle sait. Je lance un contre-feu de questions :

–        Pourquoi je suis blessé ? Qu’est-ce que j’ai au bras ? Et à la jambe ? C’est grave ?

–        Oh là, oh là. Pour les questions médicales il faudra demander au docteur. Il ne devrait pas tarder à venir faire sa visite. Pour le reste, comme je vous l’ai dit, un éclair vous a frappé, vous et la jeune personne qui vous accompagnait.

–         ???

–        Et vous avez été héroïque : malgré le choc et la gravité de vos blessures, vous avez trouvé la force de vous trainer jusqu’au restaurant du port pour y demander de l’aide. Le personnel a immédiatement appelé les secours qui sont arrivés très rapidement. On vous a transporté ici, au CHUV où vous avez pris en charge juste à temps. Et je suis ici pour vous accompagner et vous soutenir car j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer.

–        Je vais être amputé ?

–        Non, non, vos blessures vont pouvoir être soignées. Le médecin vous en dira plus… Non la mauvaise nouvelle, cela concerne la personne qui vous accompagnait.

Je crains le pire. M’a-t-elle dénoncé ? Je préfère rester coi et simuler l’amnésie. La psy continue en me prenant la main droite qu’elle caresse comme on le fait aux enfants :

–        Voilà : malgré vos efforts pour prévenir les secours, la personne qui était avec vous a succombé à ses blessures durant son transport au CHUV. Apparemment c’est sur elle que la foudre est tombée. Je suis désolée. Vous la connaissiez bien ?

Je feins de divaguer un peu pour différer ma réponse. Je lance prudemment :

–        Je ne me souviens pas. C’est qui ?

–        Elle s’appelait Claire Montennaz. Elle habitait à Lausanne, sous-gare.

–        Connais pas.

–        Ah bon ? Dans un sens, tant mieux pour vous : le choc traumatique sera moindre. Et encore bravo pour votre courage pour être aller chercher du secours. Dites-vous que vous avez tout fait ce qui était possible pour lui sauver la vie.

–        C’est un réflexe de survie, je crois. Je ne me rappelle plus.

–        Ça vous reviendra peut-être un peu plus tard. C’est courant une amnésie temporaire après un tel choc. Mais c’est bizarre quand même que vous ayez été les deux au même endroit, au bord du lac alors qu’il pleuvait à verses.

–        Moi je rentrais probablement de promenade, il me semble me souvenir. J’ai dû être surpris par la pluie. Elle, j’ignore pourquoi elle était là. La faute à pas de chance…

–        On ne saura jamais, hélas. Mais l’essentiel, c’est que vous vous reposiez bien. Et si vous avez des cauchemars, un sentiment de culpabilité qui remonte suite à ce qui vous est arrivé, n’hésitez pas à m’appeler. C’est fréquent pour les rescapés d’un accident où il y a eu des victimes. On pourra en parler : je suis là pour ça.

J’acquiesce d’un hochement de tête, trop occupé à dissimuler la joie qui me submerge. J’arrive juste à articuler quelques mots pour la remercier de son soutien. Elle met tout ça sur le compte de l’émotion et me tapote encore une fois la main.

–        Allez, reposez-vous Monsieur Desmoyeux. Et n’hésitez pas à me contacter au moindre souci.

Elle s’éloigne et me fait un petit signe de la main avant de refermer la porte. Un délicieux sourire illumine son visage.

Et si, pour une fois, la chance était de mon côté ?

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