Créé le: 04.07.2021
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Coiffure pour dames (Contrechamp)
Chapitre 1
1
Cette histoire se compose d'un champ/contrechamp.
La première partie a été publiée sous le même titre ou presque : Coiffeur pour dames : Champ
Il s'agit de la même histoire perçue par un protagoniste et antagoniste.
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COIFFEUR POUR DAMES
J’ai cinq minutes de retard. Cinq minutes ce n’est rien dans une vie, pourtant je note que cela le contrarie. J’ose alors un magnifique sourire sur commande, histoire d’effacer les colères et mauvaises pensées. Le tour est joué, il me répond de la même façon, très professionnel.
Il n’aurait pas dû. Car mon Dieu que ses dents sont affreuses. Il pourrait faire un effort quand même. Je ne sais pas, des facettes, un blanchiment. Oui un blanchiment. Moins cher. Ce serait parfait pour un homme comme lui, de petits moyens. Un ouvrier coiffeur. Maintenant, il faut que je cesse de le regarder ou alors je vais me mettre à rire. Je fais glisser mon manteau sur les épaules, façon vamp mais sans excès, qu’il s’empresse de récupérer avec révérence. Ensuite, il va chercher un cintre, l’accroche, me demande si je souhaite laisser mon sac. Je le garde, non merci. Non pas que je ne lui fasse pas confiance -quoi que- mais plutôt parce que j’ai besoin d’avoir à mes côtés mon nécessaire de vie.
À la dérobée, je l’observe. Ses gestes sont maladroits, oh certes légèrement mais assez pour que je m’en fasse la réflexion.
Où dois-je m’asseoir ? Que pouvais-je lui demander d’autre ? Il me désigne un fauteuil en vieux cuir et c’est là que je les vois, ses ongles rongés, peu élégants. J’ai vraiment du mal avec le négligé. C’est ce que je remarque en premier chez quelqu’un. Son allure, sa prestance ; et le petit détail qui cloche.
Ce détail, enfin ses ongles, colle d’ailleurs assez bien avec sa chemise froissée au niveau du col et son pantalon légèrement trop court. Non, vraiment, je n’aime pas cet homme.
Le siège est confortable. Je dois le reconnaître.
Il me demande si je souhaite un café ou un thé. Je n’ai pas envie de lui répondre. Un non muet, explicite de la tête. Je n’ai plus envie de l’entendre, le voir. J’attrape un magazine, le premier venu. Une page n’importe laquelle puis faire semblant de se plonger dans une lecture passionnante.
Il m’abandonne quelques secondes, le temps de mettre de la musique, une chose vieille et sans intérêt. Quelle idée cette musique ! Est-ce qu’il est comme ça avec tous ses clients ? Le temps passe, je suis pressée, moi !
Je vais lui dire que je suis pressée. Je… La sonnerie du téléphone brise mon élan. C’est son patron, quelqu’un de charmant, que je connais très bien. D’ordinaire, c’est lui qui me coiffe.
Tout en parlant, je sens que l’homme m’observe, et son regard me brûle le dos.
Enfin, il raccroche. Se rapproche de moi.
Ses mains se posent sur ma nuque. Ses mains qu’il doit porter à la bouche, comme un tic, et qu’il ronge et qu’il pose sur ma nuque. J’en frémis d’horreur. Combien de bactéries une bouche ? Dix milliards au moins.
Et ses microbes qui se posent sur ma tête, sur mon corps. Pas envie qu’il me contamine. Je dois abréger ce moment. Juste les pointes. Elles sont fourchues. Vite, je suis pressée. Voilà ce que je lui dis.
Comme s’il n’entendait pas, il continue. Pourquoi ces mains étrangères sur ma nuque d’abord ? À quoi pense-t-il à cet instant ?
À me tuer peut-être ?
Je dis n’importe quoi.
Cet homme m’exaspère.
Il veut que je me lève. Pourquoi me faire asseoir-là, s’il s’agit de me relever ? Me faire asseoir-là, uniquement pour poser ses mains rongées sur ma nuque ?
Je change de place, il m’aide à enfiler une blouse.
Ce coiffeur agit sans logique. Pourquoi ne pas me l’avoir proposée avant cette blouse ?
Dans le reflet du miroir, il sort d’une sacoche minable, une paire de ciseau. Il le manie comme un couteau. Et s’il voulait me… ? Non, vraiment, il faut que je cesse avec ces idées stupides. Je ne l’aime pas. Mais je ne dois pas penser plus loin.
Avec sa paire de ciseaux, il coupe l’élastique qui entrave mes cheveux. D’un coup sec. Pour la première fois, il fait preuve d’assurance. Dois-je m’en réjouir ou non ? Je ferme les yeux, histoire de l’oublier. Sa vue m’est insupportable. Tout comme l’est son massage de tête. Se concentrer sur autre chose. Impossible, il me parle, sa voix altère mes pensées. Je pivote le siège pour le mettre dans l’axe du bac à eau. Ça va ?
Sa question me fait sourire parce que j’aimerais bien lui répondre Vous me prenez vraiment la tête, vous savez ! Mais bon, je ne vais tout de même pas oser un mauvais jeu de mots.
Tout faire pour que ce massage cesse au plus vite. Après le rinçage, je décline sa proposition, son soin nutritif anti-desséchement. Même gratuit. Il serait bon d’arrêter les frais maintenant. Je refuse tout en bloc, je suis sèche. Cela ne lui plaît pas car je sens la température monter ; celle de l’eau dans mes cheveux lorsqu’il me rince. C’est trop chaud ! C’est insensé, je dois lui préciser alors qu’il le sait parfaitement. Que l’eau est trop chaude. Il le fait exprès. D’une évidence.
Mauvais esprit cet homme.
Il m’entoure les cheveux d’une serviette. Il me fait mal. Pour être honnête, un peu seulement.
Et fait pivoter le siège. Retour à la case précédente. Face au miroir.
Il dénoue le turban d’un coup sec, brutal.
J’aimerais que son patron arrive. Si seulement son patron pouvait arriver.
Il démêle ma chevelure. C’est toujours compliqué. Raide, longue, les petits nœuds sont coriaces. Il va me faire mal, j’en suis presque sûre.
Ne plus y penser.
Je reprends le magazine pour ne plus le voir. Un article sur la cellulite fera l’affaire.
Quel ennui cet article !
L’homme me demande de le regarder. Il se croit le centre du monde ? J’aimerais tant le voir disparaître. Mais là, quel autre choix, sinon relever la tête ?
Il coupe les fourches, selon mes souhaits. Bientôt je serai dehors, bientôt je pourrai respirer. Je reprends ma lecture tandis qu’il me sèche les cheveux.
Il veut me faire un brushing. Et puis quoi encore ? Je refuse net, péremptoire, sûre de moi.
Niet.
Ma natte, juste ma natte à refaire et cela sera parfait.
Jamais je n’irai travailler sans ma natte. Elle fait partie de moi, de ma personnalité. Je ne suis rien sans elle. Elle m’accompagne depuis toujours.
Et tant pis s’il n’est pas satisfait. La satisfaction, elle m’appartient. Lui doit se contenter des miettes. Et obéir à celle qui le paie.
Je croise son regard.
Il est en colère. Ses yeux bouillent. À contrecœur il refait ma coiffure. Me fait mal. Je me tais en souffrance parce que je commence maintenant réellement à craindre cet homme. Ses réactions sont si imprévisibles.
Il a terminé, je me regarde à peine, envie de partir. Je me lève. En fait, j’essaie mais
il pose ses mains sur mes épaules.
Il me retient. De force. Je n’ai pas terminé, assène-t-il.
Je jette le magazine, toujours entre mes mains. Il s’empare d’une paire de ciseaux immenses. Il me semble. Je ne sais plus. En tout cas, à cet instant, je croise son regard… de fou.
Il saisit ma natte, une telle énergie… Il veut me tuer. Je ne sais pas si je vais résister, me battre, lutter. Là, j’ai le cœur qui s’emporte. Je lui dis que… Il m’ordonne de me taire, de me tenir tranquille. Très fort. Il hurle. Autrement il ne me ratera pas.
Il ne veut pas me tuer, je le sais maintenant que j’ai entendu ce clac. Il veut juste un trophée qu’il exhibe, glorieux, devant moi. Ma natte, coupée je. Je me sens si vulnérable.
Mais lorsqu’il me nargue avec mes propres cheveux, ce qui se passe à cet instant… c’est… Le choc sans doute.
C’est comme si je devenais folle. Cet homme vient de m’amputer d’une partie de moi-même, de me briser et je ne sais que hurler. Et tandis que je hurle, ce monstre rit.
Je hurle toujours en me jetant sur lui. Je veux récupérer mon bien. Cette natte m’appartient.
Je le griffe, son visage est de sang. Mais il continue.
Il se jette à mes pieds.Qu’il embrasse, j’en vomirais d’horreur. Telle une bête sauvage, il avale mes restes de cheveux, mes fourches tombées au sol.
Je ne suis pas violente d’habitude. Mais là. Là, je le frappe, lui donne des coups de pied encore et encore. Mes cris se mélangent aux siens. Il continue de lécher le carrelage. Insupportable. Sa bouche emplie de mes cheveux, il me regarde. Il me nargue puis me recrache tout au visage.
Cet homme est fou. Il rit de plus belle, de folie. Moi, je pleure de rage parce qu’il ne me reste que ça, les larmes.
Combien de temps encore. À rester-là ?
La porte du salon de coiffure s’ouvre. Le patron qui arrive. Temps d’arrêt. Il ne comprend pas. Non, vraiment pas. Son visage est livide. Muet de stupeur. Il me voit, regarde son employé. Et surtout cette traînée de sang qui doucement s’écoule sur le sol.
Un spasme plus tard, l’ouvrier coiffeur est mort.
Moi aussi, un peu, désormais c’est vrai…
que vais-je devenir sans ma natte ?
Du point de vue du coiffeur, lire Coiffeur pour dames (Champ)
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