Créé le: 08.01.2024
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Camelia Sinensis

Voyage

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© 2024 Astrid Bartell

En principe, un 'Au Revoir', ça se prépare. Un 'A Dieu', c'est un peu plus compliqué.
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Camelia Sinensis…

…à très impérativement ne pas confondre avec Genus Aspalathus. Le premier, et qui figure en titre -noblesse oblige- est de la famille des Theaceae alors que le second fait partie de la tribu des Leguminosae. Aaaah, ben voui, la culture, c’est comme la confiture, et vous connaissez la suite. J’étale. Et là, j’y mettrais mes cheveux à couper que vous en connaissez au moins un des deux sous des noms, disons, bien plus familiers. Earl Grey, Orange Pekoe, English Breakfast. Encore que moi, franchement, je comprends pas, mais alors pas du tout qu’un peuple qui vénère autant sa Royal Family puisse bouffer des haricots blancs-sauce tomate au pt’it déj, mais bon, je digresse. P’êt qu’eux, y comprennent pas pourquoi tremper du pain dans une marmite de fromage fondu avec un bâton en bois puisse être non seulement rassembleur mais franchement identitaire, sans parler des loustics qui amassent des foules à souffler comme des cornes de brumes dans des longs machins en bois qu’ont même pas de trous de flûte, de cordes de harpes ou de anses avec leurs incontournables vessies de porc. Mais voilà que je digresse très violemment. Revenons à notre Camélia. Et je vois que vous y êtes ! A la fois dans la théière et dans la tasse, pic poil à l’heure. Aaaah, l’heure du thé, quelle invention raffinée, noble et incontournable ! Faites-vous le cadeau d’un Afternoon Tea dans l’un des restaurants d’hôtels qui bordent le Quai Wilson et vous comprendrez encore mieux. Aaaah, le Thé ! Une seule plante, une seule essence donne vie à une déclinaison quasi infinie de feuilles -ou de poussières de feuilles- dont la gamme va du modeste sachet à cinq balles le kilo au prestigieux Da Hong Pao dont la dernière cote s’élève à -et là, asseyez-vous, respirez, respirez avant de lire la suite- dont la dernière cote donc s’élève à un million quatre cents mille dollars pour mille grammes. Même avec un dollar dont la parité est au dessous du CHF.-, ça fait cher la tasse. Même un dé à coudre du breuvage peut grever le budget de pas mal de familles par les temps qui courent et que personne, ni le Lièvre, ni la Torture, ne parvient à rattraper. Mais voilà que je digresse encore. Sauf qu’aujourd’hui, j’ai peut-être vraiment, mais alors vraiment besoin de digresser. Pour en revenir à notre Camélia Sinetruc, heureusement que là au milieu, y a une épéclée de merveilles plus abordables que le Da Hong Eccetera pour lequel je suis sûre que tous les palais ne sont pas faits. Massala Chai, Orange Pekoe, Gun Powder, Assam, Lapsang Souchong pour ne citer que quelques-unes parmi mes préférences persos, et pourquoi tu bois du jambon, me demande ma sœur qui a un prénom de fleur. Elle aurait pu s’appeler Camélia mais non, l’idée n’a pas effleuré nos parents. Et sur ce, excusez-moi, mais mon portable, non intelligent s’il en est, biiiip. Neuf heures trente. Ma sœur. Faut annuler le RDV de dentiste de ce matin, me dit-elle. Trop patraque.

-Tu veux une tasse de thé bien chaud ?

-Oui, volontiers, merci.

-Elle arrive dans une tasse toute légère.

Le temps que l’eau bout, que le thé -un Russian Imperial Earl Grey, excusez du peu- infuse, et je traverse la route pour aller chez ma sœur très peu bien. Elle a plutôt bonne mine malgré tout, et un beau sourire en me voyant arriver avec la tasse odorante, sa tasse favorite, une tasse toute légère pour enfant qu’elle n’aura aucune peine à porter à ses lèvres malgré son arthrose dans les bras, les coudes, les épaules.

-Tu veux que je reste ?

-Non, tu vois, ça va mieux. Je vais boire mon thé bien chaud et ça va aller ; fais ce que tu avais prévu.

-Ok mais si ça va pas, tu appelles. Et bois pendant que c’est chaud.

Donc, je vaque. Et là, en l’occurrence, y faut quand même que j’éclaircisses le mystère Genus Machin pour ceux et celles qui auraient oublié de le reconnaître pendant que ma sœur bien-aimée boit son Earl Grey bien chaud. Genus TrucMuche est donc une sorte de thé. Hein ? Mais qui a osé dire thé ? Oh, hérésie suprême ! Du thé ? Ah mais non, pas du tout. Du tout. Aussi délicieux qu’il puisse être, Rooibos ne contient jamais de théine. Aucune ouverture neuronale possible, aucun stimulant, aucun frisson intellectuel ne peut donc suivre le sirotage même intensif d’un litre de cette infusion. Et voilà que je digresse mais il faut bien aller au bout de l’explication. Rooibos sent bon, est très souvent d’une couleur ambre très, très profond, accepte d’être parfumé à la vanille et à diverses autres épices et peut être bu à n’importe quelle heure du jour et de la nuit puisqu’il ne provoque aucune insomnie. A moins que la pause pipi ne s’impose au milieu des rêves. Moi, je sais que ma sœur n’aime pas le Rooibos. Elle aime pas les ersatz, ma sœur. Elle aime le vrai, l’authentique, le Russian Imperial Earl Grey à défaut de son favori, le Darjeeling. J’aurais dû lui en racheter mais elle l’avait pas mis sur sa liste de courses alors j’ai oublié mais elle m’en veut pas, elle sirote gentiment. D’ailleurs, il y a le mot Russian dans celui qu’elle est en train de boire et le russe, elle le parle couramment. Et c’est pas tout parce qu’elle sait faire des tas de choses, ma sœur, ma grande sœur, mon Phare ; elle est la première fille de la commune à passer son permis moto gros cubes et à piloter une machine allant avec le permis, elle est la première femme de la commune à gravir un 4000m dans les alpes valaisannes, elle est championne romande de lancer du javelot, elle chante avec le groupe des altis de la chorale de la paroisse. Elle est prof de gym, elle a un tour à bois et fabrique des jouets pour les vendre à la Kermesse, elle fait des bricelets pour tout le village à Noël, elle tricotte des tas de paires de chaussettes pour les enfants qui n’en n’ont pas, elle fait pousser des bébés plants de tomates dans son salon, elle fait de délicieuses conserves de sauce au mois d’août, elle danse toute la nuit jusqu’à l’heure du café au lait, elle m’offre des voyages. A Miami, y avait déjà un monsieur au torse carrément hirsute sortant de la douche quand nous avons pris notre chambre. Il aurait bien voulu qu’on reste mais ma sœur et moi, on a poliment décliné. Heureusement qu’il avait un bout de serviette de bains autour de ce qui lui servait de taille parce que je crois bien qu’on a échappé au pire. Notre seconde chambre donnait sur la plage, la célébrissime Miami Beach sauf que y avait pas un rat alors on est descendues à la réception de l’hôtel pour savoir si y avait un problème de requins ou de méduses. Même pas ; c’était juste que les gens, y avaient pas envie de se baigner. Alors quelques minutes plus tard, il y avait deux frangines, deux genevoises qui avaient la plage, la mer et tout le reste du paysage pour elles toutes seules. Sans monsieur poilu pour assombrir la vue. En Tunisie, on était les deux seules face à la Méditerranée en furie, emmitouflées dans nos linges de plage et bravant la tempête de sable ; le thé à la menthe et les baklavas bien au chaud sous des tas de couches de linges et de sacs étaient encore meilleurs qu’à l’hôtel ; et même qu’on a vécu des inondations comme ils en avaient jamais vues, à tel point qu’on a dû faire un immense détour pour rejoindre l’aéroport le jour du départ parce que l’autoroute était inondée. Au Maroc, on a acheté du shampoing dans une coop comme y en a à Genève ; on s’est aussi fait draguer par des Allemands franchement adipeux et au bout du compte, ma sœur aurait pu me vendre à un autochtone pour un chameau et six chèvres mais ça lui a pas paru une bonne idée. A moi non plus. Aux Caraïbes, y s’est rien passé de spécial sauf que pour le retour, l’avion qui devait venir nous chercher en fin de périple à Pointe-À-Pitre n’avait pas pu décoller de Zurich parce qu’il y avait trop de brouillard. Est-ce que le pilote savait pas naviguer aux instruments ? Mystère mais de notre côté de l’Atlantique, y avait rien qui décollait non plus parce que la Soufrière était en éruption. C’était bien joli, on voyait des tas de flammèches grosses comme des jambes sans troncs depuis le balcon de l’hôtel et ça faisait des feux d’artifices supplémentaires ce deux août-là. Quand on a quand même réussi à revenir, les deux sacs qui contenaient les cadeaux pour la famille et les voisins étaient bien à quelque part, mais pas à Cointrin avec nous. On a fini pas les récupérer deux semaines plus tard. Et ma sœur, ma grande sœur, mon Phare, elle m’a aussi offert Paris, le Gornergrat, la Jungfrau et son restaurant tournant même pas explosé par James Bond, le Tessin et des tas de journées de ski un peu partout dans les Alpes et des tas et des tas de samedis soirs au Macumba ou au Jimmy’s ou à la Tour de Boël, des soirées terminées le dimanche matin avant de passer prendre des croissants pour toute la famille ou aller manger des spaghettis sur les quais.  Et on a toujours bu du thé. Et là, je préfère penser que ma sœur est en Inde et boit du Darjeeling pour toujours.

Quatorzeheureszérocinqtéléphonedemasœurvoixbriséedétressedétressequatorzeheures

zérosixalerterlessecoursquatorzeheuresdixhélicoptèredanslejardindemasœur

quatorzeheuresonzejecourssouslaroilleytombedescordesjecoursjecoursquatorzeheures

trentecinqheureofficielledudécèsdemasœur.

Et moi ?

Moi…

aaaaaaa eeeeeeeeeeeeeeeee éé iiiiiiiiiii oooo uuuu y bbb c ddddd ff g j ll mmmmmmm nnnnnn pp qq rrrrrr sssssss tttttt u, ’ ’ ’ ’ –

Arriver Comprendre Rien Vous ?

Non moi plus. À peine plus, mais voilà quand même.

 

moi, j’essaie tant bien que mal de gérer l’effroyable sentiment d’impuissance et de désarroi qui m’habite depuis mi-novembre

 

Merci pour toujours à Toi, ma Fleur, mon Phare, ma Sœur pour tous ces moments que tu m’as offerts qui m’ont construite au quotidien et qui m’ont si souvent mis le sourire au cœur.

Un Jour, Toi et moi, on en reparlera.

Commentaires (2)

Webstory
11.01.2024

Merci Astrid pour ce texte original et touchant. Pour ceux qui veulent découvrir le Camelia Sinensis ou le Genus Aspalathus... Intéressant!

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Astrid Bartell
16.01.2024

Merci d'avoir lu! Toute paire d'yeux penchée sur ce que j'écris est un Véritable Honneur.

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