Créé le: 15.09.2020
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Calendrier de « l’Avant »

Nouvelle

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© 2020-2024 Pierre de lune

Un calendrier de l’Avent au mois de février ? Pourquoi pas ? C’est le cadeau d’anniversaire que reçoit Caroline de la part de son frère Étienne, pour ses 50 ans. De surprise en surprise, un vent nouveau balaie «l’Avant » pour qu'advienne un « Après » plus libre et confiant.
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Ma famille trimballe la certitude d’attirer la malchance, la poisse, la scoumoune, comme un gros caddie surchargé qui ne roulera jamais droit. La neige en Bretagne au mois d’août, c’est pour nous, les inondations au camping, en pleine sécheresse caniculaire, cadeau ! La file d’autoroute qui n’avance pas derrière un véhicule en rade au péage, notre lot habituel. Il faut s’attendre à tout, surtout au pire. Le dicton que clame notre tribu en étendard : « le ciel peut toujours nous tomber sur la tête »

Pas facile de se frayer un chemin dans une vie aussi chahutée d’imprévus sournois et de dangers, c’est comme de courir en permanence le cou rentré dans les épaules, le regard en boule de billard, scrutant l’environnement extérieur à 360 degrés, à l’affût du moindre signe alarmant. Entre dérèglements internes menant à la maladie, et accidents potentiels embusqués à chaque coin de rue, l’éphéméride égrène son chapelet d’inquiétudes. Tant de choses sont déjà arrivées, confortant la fébrilité de notre arbre généalogique : par exemple, l’avion d’Oncle Georges détourné par des pirates de l’air énervés – ancien militaire, l’Oncle était parvenu à soulever une mutinerie et à reprendre le contrôle de l’appareil ! Son portrait orne depuis le manteau de la cheminée dans le salon.

        Que dire des accidents de voiture de notre Tante Henriette, rafistolée par des chirurgiens virtuoses dans une clinique dont une aile porte désormais son nom. Surnommée « Tata Bionique », elle nous abreuvait à chaque fête de famille des récits de ses carambolages. J’ai aussi quelques aïeuls alpinistes disparus dans l’ascension de monts peu escarpés et d’autres touchés en leur temps par l’ivresse des profondeurs.

 

Voilà dans quel chaudron maléfique, mon frère et moi avons atterri. Enfants, nous suivions la courbe d’apprentissage des nouveaux nés malchanceux. Hors de la cellule familiale connue et protectrice, point de salut. Nous apprenions vite : se méfier de tout, éviter les zones de danger et les activités « à risques », perfectionner ses radars de contrôle.

En grandissant, on se met à questionner les prismes de lecture parentaux ; commence alors à l’adolescence la sulfureuse phase d’opposition voire de rébellion. Me visualisant précisément dans cette période d’émancipation,  à l’approche des cinquante ans, mon frère chéri a souhaité m’offrir un cadeau personnalisé. Étienne est un artiste refoulé ; il invente des histoires, des poèmes ; il peint des fresques religieuses, restaure sur ses loisirs des monuments en ruine, mais dans la vraie vie, il gère la comptabilité d’une entreprise de poissons surgelés. Il aime voyager, comme oncle Georges, dans des pays exotiques : la Corse ou la Sardaigne. Là, au moins, la météo reste fiable et les événements, tempérés.

 

Je déballe mon présent anticipé. Nous sommes le 31 janvier et nous soufflerons les bougies le 3 février. Verseau. Le meilleur des signes, à mon avis, créatif et sociable, souple et ouvert. Un rêve de vivre avec moi, franchement – je laisse mes coordonnées à la fin de cette histoire, au cas où un homme gentil, serviable, et doté d’un solide sens de l’humour, me reconnaîtrait en tant qu’âme soeur.

– T’as cinquante balais cette année, Cactus ( je m’appelle Caroline, mais c’est le surnom affectueux qu’il me donne depuis la naissance du premier poil sur mes mollets) et j’ai cherché quelque chose de spécial…»

C’est original en effet, une plaque à mon effigie, du format d’un livre, intitulé  «Born in February » et vingt-neuf cases comme autant de volets et de verrous m’enfermant dans mon propre corps. La première surprise passée, et bien que j’aie envie de tout ouvrir pour aérer l’intérieur, je me trouve plutôt photogénique.

– Mais, les calendriers de l’Avent, ce n’est pas au mois de décembre ? »

– C’est encore mieux en décalé ! Tu pourras fêter ce passage sur plusieurs jours…»

Les vingt-neuf cases m’observent depuis leurs fenêtres closes car cette année, février se veut généreusement bissextile. Vingt-neuf pages à tourner comme je vais tourner la page de mon demi-siècle. Cette pochette surprise à tiroirs m’intrigue ; je m’attarde sur le 29, plus grand que les autres, et décoré d’un grand trèfle à quatre feuilles.

– Pourquoi une si grande place pour le 29 ? C’est pour marquer la fin du jeu ?

– Bonne observation, Cac’ ! On dit que le 29 février est le nouveau vendredi 13 ;  vu notre pedigree, j’ai trouvé judicieux d’associer ton entrée dans cette décennie à un porte-bonheur.

– Merci Titoune », je l’adore mon frère Étienne, je l’embrasse fort, il a horreur de ça.  «Et toi, qu’est-ce que tu voudrais pour ton anniversaire ? » Il esquive et je suis bien embêtée, je n’ai pas la moindre idée de quoi lui offrir.

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Il est minuit le 31 janvier ; je peux ouvrir la première case. J’extrais une carte postale pliée plusieurs fois, format ticket de métro. «Tu vois cette statue ?» Je jette un regard au recto de la carte. Manhattan me toise de sa flamme olympique. « Elle a beau porter un nom qui fait rêver, ancrée dans son socle, elle ne peut pas bouger, elle n’est pas si libre que ça. Qu’est-ce qui t’empêche d’avancer ? » Mais je ne veux pas répondre à un Quiz de psychologie ! « T’évites de les regarder en face, tes peurs, pas vrai ? Allez ma Grande, je vais t’aid…» Je balance la Statue de la Liberté dans les toilettes et tire la chasse. Bon débarras. Soirée « couette, roman et chocolat», un régal !

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Je ne trouve plus ce calendrier aux allures de jeu de piste aussi sympa que quand je l’ai reçu ; un côté malveillant se niche à l’ombre des cases. La porte de la première pendouille à moitié arrachée. C’est la veille de mon anniversaire ; d’habitude, je suis malade, normal en hiver. Dans mon canapé deux places, que j’occupe seule, un troupeau de nuages mous et ternes s’est installé. J’ai le droit de ne rien faire. Je n’ouvrirai pas le numéro deux. Finalement, je craque. C’est une photo d’Étienne et moi, soufflant notre deuxième bougie. On était chou, quand même. « Tu as la flamme. » J’ai beau ne pas souffrir de ma rhino-pharyngite d’anniversaire, j’ai besoin d’un mouchoir.

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Samedi 3 février ! À peine midi et j’ai déjà trois messages d’anniversaire, de mon frère, mes parents, ma collègue Marine. On travaille toutes les deux comme préparatrices en pharmacie. Pratique pour quelqu’un comme moi, reine de l’hypocondrie et de l’auto-médication !

J’ai pris ma journée pour faire ce que j’aime. Cinéma, balade en bord de Seine… ce n’est pas si grave, cinquante ans, pas besoin de feu d’artifice ! Étienne m’a prévenue qu’il passait me prendre en fin d’après-midi. Il a insisté pour que j’ouvre le 3 – l’indice du jour. C’est un cercle argenté à gratter, qui révèle cette phrase : « Tu n’as plus qu’à t’élancer seule sur la piste ! » J’ai tout de suite pensé à une piste de danse, mais c’est un peu tôt, l’heure de l’apéro, pour aller en boîte de nuit. Sauf s’il s’agit d’un thé dansant pour quinquagénaires et plus.

*

Je n’y crois pas. Il a osé. Étienne m’a amenée les yeux bandés dans ce qui, sur le plan sonore, ressemble à un hall de gare bondé. Il grogne pour me mettre des chaussures à lacets très serrées, lourdes et bizarres, comme de courtes échasses de plomb. Puis me conduit dans un entrepôt frigorifique, je suis gelée. Là, il ôte le bandeau et m’abandonne à Greta, moulée dans un legging molletonné et polaire assortie. Elle me tend les bras, un sourire givré aux lèvres. Mais pas question de lâcher le bord. Greta ondule du bassin au rythme d’une musique rock qui empêche de se parler. Autour de moi, des couples se tiennent la main et tournent, ils ont l’air heureux. Des enfants se coursent de long en large, se balancent d’un mouvement aisé et fluide. Ça a l’air facile. Mais moi je suis raide sur mes patins, avec l’impression d’être un culbuto qui hésiterait entre la chute avant et la chute arrière. Entre les dents et le coccyx, il faut choisir sa douleur et son suivi médical post-traumatique.

J’ai peur.

J’ai deux heures de cours avec Greta. Une éternité à se demander pourquoi Étienne m’inflige une telle torture. Ma prof adopte une nouvelle tactique. Elle m’attrape le poignet et me tire vers elle avec détermination. Me voilà partie, cramponnée à son bras comme un ado à son smartphone. Au secours !

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Me voilà lovée dans le cocon du dimanche, après l’émotion d’hier. Je me revois à la patinoire de Paris pour ce drôle de bizutage. À la fin du cours, Greta s’est débarrassé de mon étreinte et j’ai terminé ma course seule, certes dans les bordures rembourrées de la piste, mais on peut dire que j’ai marché toute seule sur la glace. Un petit pas pour l’humanité, un grand pas pour moi ! Greta trouve que j’ai du potentiel et m’a donné sa carte « pour poursuivre l’apprentissage ».

Étienne pendant ce temps avait décoré mon appartement et accueilli les invités           « surprise ». Ma famille et quelques amis d’enfance m’ont réceptionnée le nez et les pommettes rougis, toute crispée de la peur de tomber et de me casser quelque chose. Après un bon bain chaud et plusieurs verres de vin, nous avons ri ensemble de l’expérience et il m’a semblé sentir quelque chose de très vivant. J’ai donné à Étienne son cadeau provisoire, un livre sur le Château de Guédelon, il a adoré.

Quand tout le monde était parti, j’ai ouvert la 4e case et il y avait juste cette phrase collée sur une médaille : « je suis fier de toi ! » J’ai l’impression de pouvoir oser, sans pour autant risquer ma vie.

**

Je n’ai pas souvent eu l’occasion de ressentir la fierté. Je me sers un thé chaud aux agrumes, cadeau de Marine, ma complice de l’officine, et j’ouvre le numéro 5. Des images de mon enfance, format « photo cabine » : j’ai quatre ans, juchée sur un vélo tout neuf, en pyjama de velours orange  ; me voilà déguisée en fée à six ans ; mon frère et moi soufflons la dizaine…Plein de clichés aussi tendres que du pain perdu. Et qui ont glissé dans la faille du passé.

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Je pousse la porte numéro 6. Qu’est-ce que mon frérot a encore inventé ? C’est un numéro de téléphone. « Appelle ! »

Il a retrouvé mon amie d’enfance, Carole, nos parents respectifs se croisent souvent. Mais je n’osais pas demander ses coordonnées. J’avais peur de déranger, qu’on se soit trop oubliées. On a passé trois heures au téléphone ! Cette fois, on ne coupera plus la ligne.

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Je dors avec mon calendrier, plein de toute l’affection d’Étienne. Il s’est donné tant de mal pour le confectionner. J’aime les surprises, et je ne les aime pas. C’est excitant de ne pas savoir, et contrariant d’être prise au dépourvu. Je découvre tour à tour, un morceau de Toblerone, montagne suisse miniature en chocolat, un miroir de poupée qui reflète à peine le tiers de mon oeil droit, un jouet d’oeuf surprise qui devient un petit voilier une fois assemblé, un porte-clé avec un blason que je ne connais pas : une cloche, un poisson, une grappe de raisin et un drapeau. Dix jours déjà que je vis au rythme des bizarreries de mon frère.

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Les indices s’accumulent, un panorama de montagne, une crème Mont-blanc pralinée, une publicité pour l’achat d’un caquelon à fondue. Le quatorze février, fête des amoureux, un billet « livraison à 19H30 ». Sur le pas de ma porte, un énorme oranger en pot. Les feuilles aux effluves caressants s’épanouissent sur le seuil. Quelle envergure ! Je le traine au sol au milieu du salon. Qui devient un jardin. La nature s’est invitée dans mon enclos de citadine.

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Le 15 me donne la clé : «Je sais que tu aimes anticiper ! Allez, tu peux commencer à préparer ta valise ! Direction les Alpes ! » Mais… on part quand ?

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Je contemple mon oranger. L’injonction du 16 est sans appel : «Tu dois le confier au voisinage. Je sais que tu n’aimes pas « déranger », pourtant, tu rends souvent service. » Qu’est-ce que c’est que ce ton de moine tibétain ? Oui j’ai dû garder ses tortues d’eau douce lors de ses absences ; je m’occupe du bichon maltais de mes parents quand ils s’octroient une semaine de cure thermale dans le Massif Central. De là à importuner tout l’immeuble avec un oranger de la taille d’un baobab !

Oui, ça me coûte. Je n’aime pas demander, ni être redevable.

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17 : «Donner et recevoir». De plus en plus elliptique, Étienne !

J’arrive chargée de courses. En bas de mon immeuble, des pompiers ont l’air de ranger leur matériel, je hâte le pas. Des locataires attroupés commentent. Je ralentis pour écouter. C’est la petite vieille du 4e, ma voisine de palier, qui a oublié sa casserole sur le feu… Heureusement que les pompiers sont intervenus tout de suite, les dégâts sont limités. Je me précipite pour voir comment elle va.

Elle est enveloppée d’une couverture de survie, dans le hall ; on lui a apporté un fauteuil confortable ; une dame lui pose des questions et prend des notes.

– Je n’ai pas de famille. Non, mes enfants vivent à l’étranger. Impossible de les rejoindre, à mon âge, et je ne veux pas les encombrer.

– Il nous faut pourtant vous reloger le temps de remettre votre appartement en état.»

Je m’arrête.

– Pardon de vous interrompre, bonjour Madame Anna, je suis bien désolée, je vois qu’il y a eu un problème chez vous. Est-ce que je peux vous aider ? »

Son interlocutrice me congédie, arguant qu’elle est sur le point de résoudre le sujet. Avant de monter chez moi, un élan me pousse à ajouter :

– Je n’ai pas voulu être indiscrète, mais si vous avez besoin d’un pied à terre temporaire, je vous accueille volontiers ; je pars en vacances dans quelques jours, cela vous permettrait d’avoir accès à vos affaires. »

**

Anna et moi sirotons un cocktail, assises tranquillement sur mon canapé. Quand je suis rentrée du travail, ma voisine avait préparé des fajitas et des Mojitos ! La veille, elle avait coupé court à l’entretien administratif avec la revêche et accepté ma proposition avec reconnaissance. Je lui avais laissé ma chambre et avais dormi dans le salon.

Nous parlons de son métier de couturière et de styles de robe quand je remarque de l’encre sur son avant-bras gauche. Anna, tatouée ! Décidément, elle bouscule tous mes préjugés ! Elle surprend mon regard et relève sa manche. Un numéro, comme pour les bêtes.

– Auschwitz. J’y suis entrée le 29 février 1944.

– Vous n’avez jamais pensé à… le faire effacer ?

– Il faudrait d’abord que je puisse l’effacer de ma mémoire, ce jour où on m’a volé ma liberté.

Nous reprenons un Mojito en silence. Au moment d’éteindre la lumière, je me souviens du calendrier, et enfonce la case 18. Mais elle est vide. Je vérifie qu’un élément microscopique n’a pas échappé à mon inspection, mais non. Un oubli d’Étienne ? Peu probable.

**

Dès que le réveil sonne, je me rue sur le 19. Rien dedans. Je me retiens d’ouvrir dès à présent les cases qui restent. En fait, j’ai besoin de savoir, je m’attaque aux 20, 21 et 22. Quelle déception ! Vides aussi ! Si j’avais acheté ce calendrier de l’Avent en magasin, j’aurais déjà écrit une demi-douzaine de lettres de réclamation ! Pareil pour les 23, 24, 25, 26, 27 ! Les yeux trop brillants, j’ouvre le 28 et tombe sur un simple message : « il faut du temps pour faire le vide en soi et se trouver vraiment ».  Je ne peux plus m’arrêter de pleurer. Anna va m’entendre depuis la chambre, c’est sûr. Je file à la cuisine me moucher.

Je l’entends s’approcher derrière moi et poser sa main sur mon épaule.

**

Je tends le trousseau de clé à Anna. Elle pourrait retourner dans son appartement, de nouveau habitable, mais elle reste chez moi pour prendre soin de mon oranger. Je m’inquiète de la laisser seule alors que cette date rôde comme un fantôme. Je la serre dans mes bras et elle me pousse dehors. Étienne m’attend en bas, nous partons en voiture pour Annecy.

Mon frère a réservé une semaine de rêve, on se régale de filets de perche, on s’offre un massage en duo, des bains dans un magnifique Spa à Genève, avec vue sur le lac Léman, figé de givre. Je ne sais toujours pas ce que je vais lui offrir.

Je sors le calendrier de mon sac à dos et me recueille devant le 29. Techniquement, je peux regarder, puisqu’il est minuit, le 28 février. Un pétale de rose, comme une ombrelle, tombe dans ma main. Une petite carte m’annonce « the End » avec cette citation de Marianne Williamson : «Lorsque nous nous affranchissons de notre peur, notre présence libère automatiquement les autres». Je pense fort à Anna, à ce moment. Je caresse le pétale velouté, et comme on caresse la lampe d’Aladin, l’idée surgit. Je sais ce que nous allons faire demain. Je pianote sur mon téléphone et note quelques coordonnées.

Étienne dort à coté de moi dans son lit simple et je souris à la vie. Quelle chance d’avoir un frère jumeau !

 

*29 février*

Étienne me regarde, incrédule et en même temps ravi. Cette fois, c’est lui qui m’a suivie sans poser de question. Nous sommes tous les deux en haut du téléphérique, sur le Salève, face au panorama de la chaîne des Alpes et du Jura, enserrant comme des joyaux les lacs d’Annecy et Léman. Le temps est frais, mais la météo a approuvé l’audace de mon initiative.

Derrière nous, deux moniteurs déploient la corolle des voiles. Étienne et moi allons voler pour de bon, départ après la prochaine rafale de vent. Je dois fixer des points à l’horizon et les aligner. Je suis prête. J’avais les jambes molles ce matin, mais là, je n’ai plus peur. L’excitation grandit. « Vous êtes prêts ? » Les moniteurs de parapente, très sympas, prennent le pouls de notre appréhension. J’ai hâte de décoller et d’ôter tous ces filtres déformants de la réalité, tout ce qui a freiné mes envies et mes rêves, ces petites anxiétés et terreurs imaginées.

Je m’envole un 29 février, et j’emporte Anna avec moi. Mon téléphone pend autour de mon cou, en mode vidéo. Assise dans mon salon près de l’oranger, Anna écarquille les yeux et prend appui sur l’air qui nous entoure. Chacune parvenue à un point différent de son chemin, nous abandonnons au ciel les valises trop lourdes du passé et de nos peurs. Je ne pense plus que la voile va se déchirer, s’entortiller, et qu’Étienne ou moi allons finir par nous écraser sur une falaise. Je parie qu’Anna aussi est partie à la conquête de sa liberté. Étienne plus haut, expérimente une figure acrobatique en criant de joie. Mon vol est plus sage, un courant ascensionnel m’arrache un « ouh la la ! »

À notre retour, Anna nous raconte l’extraordinaire expérience de parapente par procuration. À un moment, elle a vraiment cru faire corps avec un rapace. Comme nous, elle a eu la sensation de toucher le ciel.

 

Écrit à Annecy, le 29 février 2020

 

P.S Comme convenu, voici mon numéro de portable : 07 29 02 20 20 (Sur la boîte vocale, si vous entendez la voix d’Étienne, c’est normal … Je voudrais bien qu’il se fasse de nouvelles amies, on est trop collés tous les deux, il est temps de couper le cordon !)

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