Créé le: 20.12.2021
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Cadeau de Noël

Noël

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Un conte de Noël lamentable pour assommer les enfants.
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À 5 ans, je comprenais parfaitement la théorie des quanta. N’ayant pas encore l’imagination appauvrie par la dictature des fantasmes sexuels, je n’avais aucune difficulté à concevoir qu’un électron puisse traverser deux fentes en même temps. Si les exploits d’une particule élémentaire relèguent ceux de Casanova au comique de répétition, c’est pour une raison toute simple : un événement n’est rien d’autre qu’une somme pondérée de toutes les histoires possibles qui mènent à lui. Et l’intrication des spins était pour moi lumineuse. Après tout, il ne s’agit que d’un produit tensoriel dans un espace de Hilbert.

Il était donc fort naturel, en 1966, que je demandasse au Père Noël le cours de physique de Richard Feynmann. Toutefois, cette requête posait deux problèmes. Le premier était que l’hypothèse de l’existence du Père Noël entraînait une violation des lois de la thermodynamique. En effet, il est facile de calculer que, pour déposer en une seule nuit des cadeaux dans chaque foyer chrétien de la planète Terre, le Père Noël devrait se déplacer à une vitesse si grande que le frottement avec l’atmosphère enflammerait sa barbe. Le second problème était ma lutte contre la langue anglo-américaine, devenue après guerre la pire ennemie de la langue française qui, hélas, s’est laissé envahir, enlaidir. J’avais appris le roumain, le polonais, le finnois, le grec, le russe, le basque, le swahili, mais je refusais d’étudier l’anglais. Or, en 1966, le cours de physique de Feynmann n’existait qu’en anglais. C’est pourquoi, comme cadeau de Noël, je demandais à mes parents un fort en rondins, comme Fort-Cheyenne, dans « Le 20e de cavalerie ». En ce temps-là, Lucky Luke et John Wayne faisaient partie de mon panthéon. Ils y sont restés. « John Wayne n’est pas mort » titrait Roland Jaccard qui tirait la langue aux hystériques de la petite morale du 21e siècle.

À 5 ans, j’avais bien sûr assimilé la leçon de Zarathoustra :

« L’homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le délassement du guerrier : tout le reste est folie. »

La femme ne m’intéressait pas encore : je ne voyais pas bien comment me délasser avec cet animal impensable. Mais la guerre me faisait rêver… Et quoi de mieux qu’un fort en bois, avec une tour de guet, des maisons, un drapeau, des personnages à pied ou à cheval, pour pratiquer l’amour de la guerre ?

Mon fort avait une enceinte carrée. On pouvait y pénétrer par la porte ou par le haut. La seconde possibilité me livrait une solution à un fameux problème policier : celui du meurtre en chambre close. Comment entrer dans un cube fermé sans traverser aucune des faces ? Élémentaire ! il suffit d’emprunter un trajet qui exploite une quatrième dimension.

Avant la Saint-Sylvestre, mon fort en bois fut baptisé « Fort-Anthème ». Au début, des restrictions matérielles me contraignirent à en faire un espace-temps dédié à de classiques affrontements entre tuniques bleues et peaux-rouges. Aimant aussi bien les uns que les autre, contrairement aux dieux antiques, il m’était difficile d’user de ma toute puissance pour accorder la victoire à un camp.

Dès janvier 1967, au gré d’achats que nécessitait l’expansion de mon univers, Fort-Anthème s’enrichit de figurines anachroniques : soldats romains, mercenaires suisses de la Renaissance, pioupious de la seconde guerre mondiale, dinosaures. La technologie venait aussi mettre son grain de chlorure de sodium. Désormais, un peau-rouge pouvait chevaucher une motocyclette pour bondir par-dessus l’enceinte, mais il courait le risque de se faire exploser par un tank.

Quelle joie ce fut pour moi de me plonger dans les délices de la guerre totale, celle qui s’affranchit des barrières temporelles. Toutes les époques réunies dans un élan d’amour. Avec ferveur, j’organisais des orgies de civilisations.

Fort-Anthème, en définitive, était un dispositif pour expérimenter l’électrodynamique quantique de Richard Feynmann : la réalité doit inclure toutes les histoires possibles.

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