Créé le: 22.09.2020
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Avec ces idées-là

Nouvelle

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© 2020-2025 a André Birse

Chanson dans la tête, inventivité et souvenir dévoyé
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Seul avec ces idées-là

 

Lui, je ne sais pas comment il aura vécu ces années. Moi, je les ai endurées puis le tout s’est allégé. La première fois que j’ai entendu sa chanson, la fille était dans mes bras. Il l’appelle bébé, je ne l’ai jamais appelée comme ça. Elle est vite repartie. C’était il y a longtemps. Elle portait un manteau blanc, une sorte de gabardine, un manteau d’homme. Je l’avais croisée dans une fête en ville sous la pluie. Nous nous connaissions depuis quelques temps. Elle m’avait souri et s’était approchée de moi. Nous étions allés dans un appartement qui n’était ni le sien ni le mien. J’étais en état de confiance et de fébrile insouciance. Incompatible, je sais. C’est pourtant sur cette réalité-là qu’il pleuvait. Il y avait un boa, un vrai, vivant sur le canapé, de laine, blanche aussi. Elle m’avait dit de ne pas m’inquiéter et je l’ai suivie. Il me semblait que je pouvais avoir confiance, en elle et en moi, pendant au moins le début de la nuit, puis que tout s’éparpillerait. Et c’est ce qui s’est passé.

 

Elle ne restait pas avec le même homme longtemps et ce soir-là c’était moi. A l’époque je n’avais pas vu cette souffrance qui l’aura tant étreinte et n’étais sensible qu’à sa beauté, vive, charnelle et soyeuse qui tenait ses promesses et ne posait pas de question. A un moment de la soirée alors qu’il y avait des gens dans le salon d’à côté, je devins boa et la fit sourire. J’ai longtemps donné beaucoup trop d’importance au sourire que je voyais à tort comme un signe du destin. Ce n’est qu’un artifice de l’instant, une fausse-note universelle, le sourire ment, surtout lorsque les yeux s’en mêlent. Je me dis ça aujourd’hui, oublieux des joies authentiques qui illuminent un visage libéré, et ce soir-là, j’ai carburé au sourire de ma compagne dans cette petite chambre clandestine où le boa nous a rejoint. Son propriétaire s’appelait Max. Il est venu le rechercher avec sa bonne humeur édentée et son odeur de cigarette. Elle en prit une taffe que je n’ai pas partagée, et me sourit à nouveau de façon assassine. Notre confiance eut le temps de vie d’une flamme de bûcher et le temps serpentin se fit créateur d’une qualité suprême, acte, retenue extatique, extatique recherche de volupté. Pour une fois réussie. Les ombres étaient profondes et je devins sensible au coton rugueux qui rapprochait nos chairs et nos muscles.

 

A un moment, qui était nécessairement celui d’après, je lui ai demandé si elle était la fille de la chanson. Elle me dit que c’était la question de trop, quitta la chambre et s’installa nue dans les couvertures sur le canapé, avec Max, le boa et les autres gens. Je suis resté étonnement calme et serein comme si tout s’était joué ce soir-là. Il n’y avait pas de machine à café ni de télé, mais quelques cendriers renversés. Je n’ai plus revu aucun de ces personnages ni même le boa. Le réel s’est étiré dans la nuit de la vie. Seule l’attente vaine est source de lumière. L’un de mes amis d’aujourd’hui me dit avoir beaucoup rit quand elle lui raconta l’histoire du boa qui paraît-il fut sympa avec moi. Les nuits frappent par leur longueur tout au long de la vie, et le chanteur fatigué qui criait de la savoir  à jamais partie s’est répété autant que renouvelé. J’ai du en faire de même et me demande encore ce qui l’en est de l’accouplement des souffrances invisiblement nues lorsque celles-ci se font sentir à petit feu dans la longue échappée qu’on appelle existence humano-reptilienne.

 

Il vieillit avec sa chanson et la révèle de scène en scène. Sur les plateaux télé dans années quatre-vingt, il l’a faite en « play back » on l’on entend son cri sur la fin. C’est « Ne me quitte pas », version Dylan français. Il traîne, en effet, une langueur éternisée celle de l’abandon qui paraissait fou mais devient inéluctable. A la fin du texte, au milieu de la représentation, il se dit fatigué et on le croit. Tout le monde peut le comprendre, sans même savoir le chanter. On le voit bien sur les « cover ». C’est aussi l’extension de Michel H. ou l’Homme qui dort de Georges P. C’est une misère, « des heures et des heures » et une absence signifiée par un messager silencieux qui se nomme temps de la vie et n’est jamais tangible alors que ce qu’il révèle constitue un choc lourd et lent que d’aucuns appellent recherche du bonheur. Louis sourit, il a su se retrouver. Mais sa chanson nous guette, longtemps après. Parfois, encore, toujours. Perfidies du réel inconscient, seuls les pauvres en puissance s’éveillent et se confrontent à lui. Le réel n’est pas mort et jamais ne le sera.

 

Fatigué de dire fatigué, il complète, usé, épuisé, et de poursuivre avec lui: écoeuré, éprouvé, éreinté, lessivé. On l’entend vouloir exprimer qu’on ne ne peut lui faire ça. Il ne s’en remettrait pas. C’est notre chanson à tous. Et un jour c’est fait. C’est bien ainsi. Il ne se met à la hauteur de personne, mais à celle de sa déchirure. Un doute en lui « s’est figé ». Elle ne va pas rentrer. L’attente, encore et toujours, de la livraison des vins de l’amour. Je peux faire « une croix sur toi » lui est venu tout seul alors que c’est l’autre qui fait la croix. On en fait tous. Et le public de chanter le lamento avec des « hou » de hiboux. Est acquise, l’immunité croisée du désamour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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