Créé le: 06.09.2021
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Au Diable…

Correspondance

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© 2021-2024 Jom-Som

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Il est bien des ennemis. De ceux qu'on reconnaît. De ceux qu'on ne sait même pas avoir et qui frappent par surprise. De ceux qui ne se dévoilent pas et attendent leur heure. Mais il est un ennemi qui les coiffe tous. Et c'est contre lui seul que la révolte a un sens.
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Je ne te salue pas, Satan, Prince du Monde. Tout le Mal est dans ton cortège. Tu es maudit entre tous les êtres et l’abomination qui t’entoure est vivante. Maître du Temps, maître des esprits incomplets, maître de la Peur, tu règnes par la désolation. Nuire est ton principal objectif. Tu es la source des malheurs et de toutes les souffrances qu’infligent inutilement aux humains malheureux d’autres humains aussi malheureux qu’eux, tombés en ton pouvoir.

Dans ce monde, tu fais se battre les hommes, pour t’éradiquer pensent-ils. En fait, pour ton plus grand succès : toutes les forces qui s’affrontent se réclament d’un combat contre toi, contre l’Empire du Mal que chacune est convaincue de mener au nom du Bien. Mais ce Bien lui-même ne se prive pas de commettre des atrocités et ne fait que te servir. Plus les humains croient mener contre toi leurs Croisades ou leurs Jihads, plus ils renforcent ton emprise sur eux. Tu réussis là un tour de force admirable, à l’origine de toutes les guerres, de tous les meurtres, et qui corrompt tous les combats.

Tu nous fais tout détruire autour de nous et tu fais de nous tes complices. Il te suffit de peu de temps dans nos têtes pour que tu en exprimes le Mal, si loin de nos idéaux et qui pourtant surgit, impitoyable et sot, à ton image.

Car tu es bête. Profondément. Malin mais borné. Et c’est à l’imbécillité que tu t’adresses en nous. L’imbécillité est puissante puisqu’elle n’a besoin que de nos instincts, de notre cerveau le plus ancien, surgi dans nos crânes de reptiles quand il nous fallait seulement nous nourrir et pour cela tuer, dévorer et nous enfuir. Là est tout ton pouvoir sur nous. Il réside dans le fait que nous sommes des animaux en même temps que des hommes. En nous cohabitent le civilisé et le barbare, le bestial et le spirituel, la haute intelligence et les pulsions de brutes. Toutes choses qui ont toujours leur place dans nos têtes.

Par ce défaut originel qui nous accable, tu règnes sur ce monde. Sans cesse tu triomphes. L’Homme t’obéit parce qu’il obéit à la peur. Parce que celle-ci est son plus sûr moteur. Parce que, devenu la proie de la peur, il devient prêt à tout, jusqu’à l’impensable.

Or, tu sais jouer de la peur, en virtuose.

Tu es toujours là, aux aguets, toujours prêt. Tu sèmes en nos pensées tes graines de discorde, d’intolérance, de haine, de jalousie ou de pure méchanceté jusqu’à ce que nous soyons si malheureux, si pleins de rancœur, si abêtis, si effrayés, que nous nous jetions dans tes bras sans même en avoir conscience.

 

Tu t’introduis dans nos esprits, insidieusement, comme de la pluie, comme de l’eau… L’eau tombe du ciel et glisse sur les flancs des montagnes, emplissant la moindre faille, la moindre anfractuosité, suivant la ligne de plus forte pente, là où les reliefs la font converger, ruisselant parfois en telles quantités qu’elle emporte tout sur son passage. Qui a vu se déchaîner sa puissance dans les crues des fleuves et des torrents sait qu’il n’y a pas plus destructeur. Tu es comme elle, tu te concentres en orages dévastateurs. Tu suscites et tu entretiens les colères humaines, celles qui ne laissent derrière elles que des ruines.

 

Mais l’eau, du moins, est aussi nourricière… Ce n’est pas ton cas.

Je ne fais pas d’angélisme. Un peu de mal n’est pas inutile. L’athlète à l’entraînement ou en compétition se torture le corps pour qu’il devienne plus fort. Cette souffrance-là a un sens. Mais toi, tu joues de la souffrance infligée à autrui par pur plaisir. Tu te nourris d’elle. Tu t’en réjouis. Tu en jouis.

Je ne me bats pas contre toi. Te combattre, c’est t’imiter. C’est entrer dans ton jeu, sur ton terrain. On ne peut te surpasser dans le Mal. On peut alors juste te servir de valet et perdre ce qu’il y a d’espoir dans notre humanité. Au contraire de cela, j’accepte ta présence, même haïssable. Plus haïssable que celle des bourreaux, plus haïssable que celle des tortionnaires, que cependant tu inspires. Hélas, on ne peut t’éradiquer. Si tu es présent dans ce monde c’est que tu y as ton rôle à jouer. Il faut te laisser un espace. Te canaliser, respecter ton cours, te craindre…

On croit que la seule issue des conflits que tu suscites serait une victoire définitive sur toi, sur le Mal que tu représentes. Non. On peut vaincre des hommes, on peut leur pardonner, mais l’Esprit du Mal est éternel. Il fait partie des conditions du monde. Il en est un élément. Cela vaut pour les ennemis. Cela vaut pour l’Ennemi. Cela vaut pour toi. Il nous faut te reconnaître, t’étudier, te démasquer, si nous ne voulons redevenir des pantins entre tes mains.

Ma philosophie est faite : je te crains, je t’observe, mais à distance de toutes tes manifestations. Je ne te défie pas. Je ne me crois pas si fort que je sois à l’abri de tes sombres manigances. Mais si fragile, si faible que je sois, je te vois clairement à l’œuvre.

La moindre de tes ruses n’est pas l’idée que tu n’aurais aucune existence. Que tu ne serais qu’ une invention des religions, destinée à faire peur aux enfants ou aux simples d’esprit faciles à manipuler.

C’est faux. On ne peut expliquer le monde sans toi. Tu existes. Tu te manifestes. Tu agis. Tu agis par ceux que tu as séduits, éblouis, contraints ou terrifiés et qui sont plus à plaindre qu’à condamner car un jour, peut-être, conscience leur viendra…

Tu agis par la colère, la folie, l’intolérance. De tout le mal dont tu uses tu ne fais que rire. Et certains parmi nous rient avec toi, de ce rire glaçant qui ne respecte ni la faiblesse ni l’amour ni rien de ce qu’il y a de bon en nous et qui nous fait espérer.

Maître depuis longtemps de la destinée des vivants, sans doute ne seras-tu jamais défait, pas en notre temps en tout cas. Tu es hors de toute atteinte. Mais nous saurons te démasquer en nous-mêmes et te réduire à rien dès lors que nous t’aurons percé à jour. Nous ne te laisserons pas approcher de nos esprits. La vie pourra nous frapper, nous trouverons d’autres issues que celles que tu nous suggères, que tu mets en nos têtes et que tu nous sommes d’emprunter.

En réalité, tu le sais, tu tombes, tu tombes sans fin, et cette chute terrible constitue le Temps. Mais il y aura un terme pour toi, quand justice se fera, par-delà tout ce qui est, et que tu t’écraseras au plus profond de l’ abîme sans plus jamais te relever.

La peur alors aura  changé de camp…

C’est là qu’est mon espoir, lointain, si lointain, depuis lequel cependant, Satan, par toutes tes victimes comme par tes infortunés complices, je ne te salue toujours pas…

Commentaires (4)

AF

Akim Fesch
15.09.2021

Le diable (s'il est lecteur de Webstory) a dû prendre ce beau texte pour un compliment !

Jo

Jom-Som
15.09.2021

Bien sûr, il est séduisant. C’est le Prince de ce monde. Et rien ne sert d’en faire un épouvantail ni de l’agonir d’injures. Si mon portrait le flatte ce n’est pas sans ajouter qu’à la fin des fins il connaîtra le sort qu’il mérite, dont la peur, insensiblement, s’insinue en lui. C’est cela que je trouve le meilleur antidote à sa puissance.

Thomas Poussard
14.09.2021

On ne vainc pas le mal par le mal, donc... Mais le Bien est-il assez fort pour retourner la situation ? Beau texte, en tous cas.

Jo

Jom-Som
15.09.2021

Le Bien ne retournera jamais la situation. Vivre, c’est côtoyer le Mal tous les jours et tâcher de s’en sortir du mieux possible.

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