Créé le: 07.06.2024
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Âmes sœurs

NouvelleAu-delà 2024

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© 2024-2025 1a Rinatri

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Pourquoi n’écoutons nous pas cette voix qui vient peut-être d’une autre vie, ancrée au plus profond de notre mémoire et qui nous indique le chemin du bonheur.
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Le train filait à vive allure dans les plaines du Sichuan. Sevy regarda autour d’elle. Une belle couchette fermée prévue pour quatre personnes uniquement, du wifi, des prises électriques et surtout, le silence et la paix. Pas de cris d’enfants, pas d’odeur écœurante de soupe au petit jour, pas d’aller-retour incessant dans les couloirs, pas de promiscuité dans les compartiments bondés et malodorants.

Enfin elle avait compris que dans ce pays, il valait mieux voyager en première classe.

Ayant découvert cette possibilité en cherchant un wagon restaurant inexistant dans un autre train, elle n’avait pas hésité à faire cette réservation et s’en félicitait à chaque instant. Elle monta dans son lit propre et confortable après avoir souhaité une bonne nuit à son amie Loulou, déjà installée dans la couchette en dessous de la sienne.

Le doux roulement du train la berçait. Peu à peu elle glissa dans le sommeil, les yeux tournés vers la place en face d’elle, vide.

Il y eu un arrêt qui la porta entre veille et sommeil, un mouvement de la porte glissant sur ses gonds, une silhouette athlétique montant sans effort à la couchette inoccupée. Un sentiment de bien-être, une sorte de tranquillité rassurante l’envahi.  Il est enfin là !

« Quelle étrange pensée » se dit-elle avait de retourner dans le pays des songes.

Le soleil inondant la cabine la réveilla. Machinalement elle tourna son regard vers la couchette en face d’elle, a nouveau vide. Avait elle rêvé ? Non, l’oreiller de travers et le drap entortillé autour d’une couverture bleu en témoignait.

« Il est déjà parti … » et un pincement lui serra le cœur. Elle haussa les épaules. N’importe quoi !

Le chef de cabine annonçait leur arrêt prochain. Elle descendit en vitesse.

– Loulou, je vais me débarbouiller et je reviendrais m’occuper des bagages pendant que tu te prépares, ok ?

– Ok. Je sors un ou deux trucs à grignoter pendant ce temps. Mon estomac n’est pas copain avec la soupe de légumes et le lait de soja à cette heure-ci.

Avec un sourire amusé, et en même temps nostalgique au souvenir des croissants chauds de son pays, Sevy s’éloigna vers les toilettes pour se préparer au mieux. Devant la glace, elle soupira en essayant de coiffer ses cheveux blonds qui commençaient à boucler sous ce climat humide. Pas de maquillage non plus. « Je suis affreuse « se dit-elle. Au bout de trois semaines à trainer ses bagages du sud au nord de la Chine, l’envie de se faire belle s’évaporait. Elle haussa les épaules, ramassa sa tignasse en une queue de cheval haut perché et s’en retourna vers son amie.

Après avoir mangé les fruits rapportés d’un précédant arrêt, Sevy ramassa les nombreux bagages et les transporta près de la sortie prête pour descendre. Plus les jours passaient, plus les valises s’alourdissaient de thés et autres souvenirs qui iraient prendre la poussière dans sa Genève natale d’ici deux semaines.

Debout près de la porte vitrée, elle regardait le paysage défiler. C’était étrange cette sensation qui vous prenait au ventre. Ce pays la touchait de façon incroyable. Au plus profond de son âme. Il dégageait quelque chose de familier, comme si elle y avait déjà vécu. Il est vrai que l’Asie l’avait toujours inexplicablement fascinée.

Elle détourna le regard et un frisson la traversa. Il avançait dans le couloir et se dirigeait vers elle. Son aura la percuta de plein fouet et son cœur fit un bon dans sa poitrine. « C’est lui ».

L’espace d’un instant leur yeux s’accrochèrent, se reconnurent. Il ne lui sourit pas mais son regard pleins d’admiration l’enveloppa de sa chaleur.

Ce regard, elle l’avait vu bien souvent durant son voyage. « Il est attiré par la couleur de mes cheveux et de mes yeux, pensa-t-elle. J’oublie trop souvent que je suis exotique ici ».

Vaguement déçue, elle retourna a sa contemplation sans plus prêter attention à l’inconnu qui la dépassa sans un mot. Pourtant, à son passage, encore ce frisson, cette sensation au plus profond de son être, étrange et forte, comme si le temps s’était suspendu, une sorte d’arrêt sur image. L’envie incontrôlée de le retenir. « Mon imagination me joue encore des tours, se dit-elle, je devrais écrire des livres ».

Sur le quai, Sevy regarda avec désespoir l’escalier interminable qui menait à la sortie de la gare. Est-il possible que ce pays si connecté ne connaisse pas l’usage des ascenseurs.

– Puis-je vous aider ?

Elle leva des yeux surpris vers la voix douce et profonde à la fois qui la submergea et rencontra le regard de velours de son voisin de cabine. Encore ce coup au cœur impossible à contrôler. Leurs yeux s’accrochèrent à nouveau pendant un temps qui sembla infini. Et encore ce sentiment de connivence, de reconnaissance qui semblait les enfermer dans une bulle où les bruits s’estompent et le temps se suspend. D’où venait ce sentiment d’être certaine qu’ils se connaissaient de toute éternité.

« Il faut que  j’arrête de fabuler, s’énerva-t-elle. Mais que ce passe t‘il, c’est insensé ! » Elle ferma son esprit à une analyse qui l’inquiétait. « Toujours cette imagination romanesque et débordant se morigéna-t-elle. Ce n’est qu’un beau spécimen qui m’offre son aide ! »

Malgré tout, son esprit pragmatique repris le dessus. Ravie de la proposition inespérée, Sevy accepta sans pouvoir empêcher ses yeux bleu-vert de briller du plaisir à le voir s’intéresser à elle, pauvre chose sans attraits.

Cette fois, elle le regarda franchement et lui sourit. De longues jambes, des épaules larges, un visage à mi-chemin entre l’asiatique et l’européen, des cheveux noirs très bien entretenus, des yeux de braises intenses, une bouche qu’elle eut soudain envie de toucher étirée dans un sourire qui découvrait des dents parfaites.

Plus grand que la moyenne, il portait des vêtements sombres à la coupe impeccable et un manteau mi-long en cashmere camel. Il rappelait à Sevy ces films coréens peuplés de valeureux guerriers modernes ou l’honneur faisait loi et prêts à mourir pour l’élue de leur cœur.

Il était vraiment bel homme. Et quelle prestance ! Une classe certaine émanait de lui. Une sorte de force tranquille et rassurante.

Penché vers elle, une mallette à la main, il attendait sa réponse, certain qu’elle serait positive. Vraisemblablement cet homme n’était pas un simple citoyen. En voyage d’affaire sans doute.

Sevy avait déjà rencontré des représentants du sexe opposé hors du commun mais jamais aucun ne l’avait fait vibrer ainsi, sans même le connaitre. Jamais aucun n’avait éveillé ce sentiment d’apaisement, de complémentarité. C’était bien au-delà de l’apparence. Bien au-delà de la conscience. Elle ressentait cet homme au plus profond de son âme.

Il saisit la valise la plus lourde, un sac à dos et s’achemina à ses côtés tout naturellement.

– Est-vous russe ?  Sevy secoua la tête amusée. – Non, je viens de Suisse, le pays des montres et du chocolat.

Quelques mots, des banalités et pourtant cette impression de se connaître qui les enveloppait encore et toujours. La conscience exacerbée de la présence de l’autre. Cette connivence naturelle…

Il l’accompagna vers le taxi où son amie l’attendait déjà. Sevy eut la sensation fugace qu’il ne pouvait s’attarder mais ne voulais partir. Elle le remercia afin de le libérer de son engagement et se força à ignorer ce sentiment d’arrachement alors qu’ils échangeaient un dernier regard avant de s’en retourner à leurs destinations respectives.

A ce moment précis, la certitude absolue qu’il était part d’elle-même et que, sans lui, elle ne serait plus jamais complète la transperça. Instant fugace, balayés aussitôt par son esprit logique.

Elle fut trop vite accaparée par son amie et le chauffeur de taxi pour pouvoir s’attarder sur cette pensée dérangeante et ce vide qui allait en s’agrandissant tout au fond de son être, menaçant de la submerger. Avant de monter dans le taxi, elle le chercha des yeux, sans succès bien entendu. « Pourquoi je me sens aussi mal. Ce sentiment d’avoir rater quelque chose d’important. J’aurais voulu ne plus jamais le quitter.

Mais qu’est ce qui se passe, se dit-elle en regardant défiler le paysage. Pourquoi lui ? Et d’ailleurs pourquoi »plus jamais » A quel moment l’aurais je déjà croisé  ? C’est mon unique voyage en Chine ! »

Elle se secoua. Elle ne le reverrais jamais et il sortirait de son esprit aussi vite qu’il y était entré.

Vraiment ?

Alors pourquoi aujourd’hui, à des années lumières de ce moment, la sensation provoquée par cet inconnu persistait et lui enflammait encore et toujours l’imagination. Pourquoi ce regret, ce goût d’inachevé lui tordait les tripes à chaque fois que son image s’imposait à elle.  Ce n’était qu’une rencontre fortuite dans un train à l’autre bout du monde, entre deux étrangers appelés à ne jamais se revoir.

Pourtant, chaque nuit elle sentait sa présence dans ce monde parallèle ou tout est possible.  Il l’attendait avec cette admiration dans ses yeux de braise qui faisait chavirer son cœur. Dans cet au-delà qui n’appartenait qu’a eux.

A chaque instant, elle s’attendait à le voir surgir devant elle. Imaginait comment seraient ces retrouvailles qui bien entendu ne se produiraient pas. Jamais !

A aucun moment elle ne fut effleurée par l’idée qu’il en fut pareil pour lui. Qu’il puisse lui aussi ressentir quelque chose de rare ou même peut-être d’unique. « Ce n’est que mon imagination qui se fait des films », se répétait elle sans cesse.

Et pourtant, est-il possible qu’a des kilomètres de là, un homme retrouve cette jeune femme blonde perdue au milieu de ses valises sur un quai de gare, à chaque fois qu’il ferme les yeux ? Qu’il ressente également ce sentiment de perte inexplicable ?

Est-il possible que deux âmes sœurs ce soient rencontrées et reconnues au-delà du temps et de l’espace.

Pourquoi, au-delà de toute raison et de toute logique, l’espoir de se rencontrer à nouveau subsiste, se refusant à mourir.

Et lorsque cela se produit, doit-on vivre avec cette souffrance qui vous serre le cœur et que rien ne peut estomper ? Ce sentiment incontrôlable d’une chance que nous avons voulu ignorer. Ce cadeau offert et dédaigné ? Il faut apprendre à vivre avec ça. C’est insensé et terrifiant à la fois.

Pourquoi n’écoutons nous pas cette voix, venue peut-être d’une vie antérieure encrée au plus profond de notre mémoire, qui s’acharne sans succès à nous guider vers le chemin du bonheur.

Pourquoi sommes nous sourds et aveugles à ces signes d’un destin bafoué par notre ignorance de pauvres mortels emprisonnés dans leurs certitudes.

Comment pouvons nous croire que ce monde est objectif alors que tout n’est que subjectivité.

Appelons ces instants, imagination débordante, romantisme effréné, illogisme, prémonition, folie dans l’absolu.

En vérité, nous ne savons pas reconnaitre à temps cette énergie où des courants s’attirent inexorablement. Ces messages qui nous parviennent d’un ailleurs que nous refusons d’écouter, de comprendre et qui, au-delà de toute logique et de toute raison, génèrent des regrets pour un être perdu qui ne nous quitteront jamais plus ?

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