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Emportée par la douleur de ton dernier souffle, chaque pas me rapprochait inexplicablement vers ta présence…
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La raison m’avait quittée le jour de ton départ et depuis je n’avais de cesse de te retrouver. Mon cœur s’était arrêté de battre en même temps que le tien laissant nos deux corps vides. Alors que le tien retournait à la terre, le mien s’était mis en marche. Un pas après l’autre. Il s’était animé comme un pantin, guidé par les fils invisibles qui reliaient nos deux âmes.

 

Le souvenir de ton rire résonnait au creux de mon oreille, je sentais par moment ta main effleurer la mienne. Mon corps avançait, guidé par une force inconnue. Ma tête vide, anesthésiée par la douleur, avait cessé de penser. J’avais claqué la porte de la maison. Refermé derrière moi les murs pleins des souvenirs de ton absence. Devant moi la route et cette certitude de pouvoir te revoir, te ressentir ailleurs, loin de nous, dans l’inconnu, pour être sans repères et bien certaine que ce que je percevais ne pouvait être que toi.

 

Chaque pas m’éloignait de nous. Chaque pas animait ma quête de toi. Les routes se succédaient sous la pesanteur de ma peine. Le paysage changeait petit à petit à l’intérieur et à l’extérieur… Dorénavant sans repères familiers, portée par la réjouissance de te sentir au plus près de moi, mes pas dans les tiens, tes pas dans les miens, j’escaladais les chemins escarpés. Il me semblait devoir monter, grimper vers le ciel qui ne pouvait que te contenir. M’agrippant aux racines pour me hisser au sommet, je ne pouvais que constater, que c’était bien de la terre que je me rapprochais. Après tout, ton enveloppe s’y était incorporée, dissoute dans l’humus humide des prochaines germinations. Se préparant à renaître à nouveau sous forme de plantes, de fleurs ou d’arbres. Quand mes mains s’aidaient des racines pour ne pas dévaler le chemin en arrière, n’était-ce pas là un signe de ton aide à mon égard ? Un encouragement à continuer… à me rapprocher ?

 

Délaissant les cimes pour dévaler les pentes menant aux profondeurs de la terre, je suivais un petit sentier fait de cailloux et de boue. Mon regard parfois butait sur une pierre en forme de cœur. Ton cœur de pierre, froid, inerte et dur, muré dans son silence mais guidant mes pas, encourageant l’effort à poursuivre cette folie. Le visage giflé par le vent. Les larmes recouvertes par la pluie se mélangeant au temps qu’il faisait. Ce temps qui passait et qui t’éloignait de moi, petit à petit. Alors le pas se faisait pressant. Il fallait avancer au plus vite pour nos retrouvailles. Je le savais. Je le sentais. Tout était là sans l’être. Il fallait aller jusqu’au point de rendez-vous. Guidée par l’instinct de cet amour toujours vivant.

 

Les nuits sans étoiles, lovée dans les fourrés du bord du sentier et puis celles ou le ciel s’illuminait de milliers de petits points lumineux à la recherche de tes yeux. Les jours pluvieux pour mieux cacher sa peine et ceux baignés de soleil où ma soif de toi était en éveil. Te ressentir dans la douceur des rayons du soleil sur ma peau. Comme tes caresses. Comme tes tendresses. Et puis recommencer chaque matinée en essayant d’avoir une pensée. Une seule petite pensée inoffensive pour se reconnecter à l’humidité, aux senteurs de la rosée, à la beauté d’une fleur, au chant mélodieux du merle, à la brise qui anime l’inerte.

 

Je commençais à percevoir les petites pierres du sentier qui roulaient et s’animaient sous mes semelles. Il y avait dans ces bouts de roches qui se dérobaient sous mes pas une étincelle de vie. La végétation se faisait aussi plus présente. Elle crapahutait autour de moi le long du chemin. Me frôlant. Me retenant d’une épine, m’encoublant d’une racine. Redonnant à mon corps les sensations d’être vivant tout simplement.

 

Je sentais le fil invisible qui me reliait à toi et qui m’attirait irrémédiablement à nos retrouvailles, se faire plus intense, avec une certaine vibration qui m’atteignait les tripes et me remontait jusqu’au cœur! Après l’hiver, le printemps. La sève en ébullition, le réveil des graines en dormance. Celles plantées le long du chemin. Celles laissées pour retourner sur mes pas et reprendre la vie là où tu l’avais laissée. Pour ne pas me perdre dans ce labyrinthe menant à l’endroit où tu te trouvais dorénavant. Dans ma tête un nouveau chant, celui du présent. Chaque pas me délestant d’une partie du passé. Ma tête occupée à créer de nouvelles pensées, poursuivant ma quête avec de nouvelles idées. Toi. Mais toi autrement. Je savais qu’il fallait nous revoir. Finaliser ce que l’on avait commencé et réussir à le terminer. Je te criais que j’arrivais ! Qu’il fallait m’attendre. Ne pas rater ce dernier rendez-vous de nous. Chaque jour portait ces pas. Chaque jour ranimait la foi de toi. L’espérance de notre résilience. Petit sentier escarpé, cailloux blancs semés le long des champs pour mieux te tracer.

 

Puis un jour, plus rien. Comme lorsque tu avais fermé les yeux pour la dernière fois. Le sentier avait petit à petit disparu. Je me raccrochais ici ou là aux bribes de son souvenir, souligné par une rangée de pierres, encouragée par l’entrée dégagée au milieu de buissons touffus. Je comprenais qu’il fallait dorénavant sauter ce dernier pas, celui qui me commandait la confiance sans repères. Marcher dans le noir, dans le néant tout comme toi, mais sachant que cela serait le prix à payer pour connaître la fin de notre course. Je me devais d’abandonner la sécurité du connu pour me reconnecter uniquement à ce que l’on avait vécu, à cette empreinte de toi tout au fond de moi, qui ne pouvait que me conduire jusqu’au bout de notre chemin, les yeux fermés, mais le cœur à nouveau ouvert. Le cœur battant menant le rythme de mon pas. Ressentir, avancer, faire confiance et savoir que… Oui, savoir que là, quelque part, tu m’avais appelée à te retrouver.

 

Devant moi se dressait l’orée de la forêt comme la ligne de l’horizon séparant nos deux mondes. De mon côté, il y avait quelque part encore derrière moi, le connu, le balisé, mais le passé. En franchissant le seuil de la ligne, je pénétrerai dans cette faune encore sauvage et sans chemin à ta recherche. C’est là que tu souhaitais me retrouver. Au plus profond de moi-même. Dans cette nature intacte où se fier à son instinct, son intuition étant le seul repère accessible. Inerte devant cette dernière proposition que tu me faisais, je me sentais comme à l’amorce d’un examen de passage. Serais-je capable? Serais-je assez sage? Je fixais intensément cette ligne sombre, dessinée par les arbres serrés les uns contre les autres. Qu’allais-je trouver au-delà de cette frontière ? Aurais-je envie de revenir ou de m’y perdre en t’y retrouvant ? Quitter le monde familier pour retourner à l’état sauvage, à l’état initial. Premier… Un premier pas s’était accompli. Je marchais vers cette dernière étape. Le cœur tambourinant. L’instinct aguerri. Le fil invisible entre nous en tension, pour ne pas me perdre et toi avec, dans cet environnement végétal, animal et primal. Mes doigts tressaillaient devant moi. Je sentais le fil, je m’y accrochais les yeux fermés, marchant en aveugle, portée par la conviction que ce que je ressentais me mènerai là où je devais. Les branches s’agrippaient à moi comme pour me retenir, me repousser en arrière, me ramener à la réalité. Mes pieds butaient sur les rochers, les racines et le bois mort. Mes doigts déchirés par les ronces dans lesquels ils se perdaient continuaient à tenir le petit fil de vie qui persistait à nous relier. Chaque mouvement de mon corps demandait un terrible effort. Mais ni la fatigue, ni la douleur ne parvenait à terrasser cette pulsion qui me mettait en action. Bientôt, les enjambées se firent plus fluides, l’avancement moins embusqué et l’air plus doux. Il y avait dans cette odeur sylvestre les effluves du pin qui me rappelaient ton parfum. Les yeux toujours fermés, j’avançais, j’attendais d’atteindre le bout du fil.

 

Vint le moment où finalement il se déroba sous mes doigts ! J’avais perdu le fil, le fil de notre histoire, notre lien, plus rien. Immobile au milieu de la forêt, enfermée à l’intérieur de moi, je t’ai soudainement senti tout proche. Ta main sur ma joue. Oui, la texture de ta peau je l’aurais reconnue entre mille et c’était bien la tienne. Alors j’ai osé ouvrir tout doucement les yeux. Je t’ai cherché du regard, là, plantée au milieu de nulle part, et j’ai vu à quelques pas de moi, entre deux troncs d’arbres les contours de ta silhouette. Ta main s’est tendue vers moi, le temps s’est suspendu. Nous étions au croisement des chemins. Je pouvais saisir ton invitation et te rejoindre pour toujours.

 

Alors que je m’apprêtais doucement à répondre à ton appel, il m’est revenu nos plus beaux souvenirs, ceux de nos rires, ceux des sensations que nous avions éprouvées en voyageant, mangeant, partageant avec d’autres gens. Ceux de l’amour, de la joie de s’entremêler et de s’abandonner aux jouissances de l’existence, et dans le souvenir de tes yeux, j’ai plongé dans le bonheur d’exister. De savoir que tu ne m’avais pas quittée et que je pourrais toujours de retrouver là au plus profond de moi dans l’essence de ce que j’étais. Je t’ai regardé et ton geste d’invitation s’est transformé en douce salutation. J’ai senti ton amour m’entourer, ta chaleur me réconforter et un peu de ta présence se lover là, juste au creux de mon cœur, pour l’éternité. Il y eut un rayon de soleil derrière toi, très puissant, qui me fit battre des paupières. La lumière était si forte! Et d’un battement de cil, tu n’étais déjà plus accessible. Mais à ta place, entre les deux troncs, il y avait ce petit merle brun qui s’est envolé dès que mes yeux se sont posés sur lui. Dans ma tête, le son de ta voix m’incitait à prendre mon envol. Reprendre la route vers les réjouissances de l’existence, car le chemin tu étais, le chemin tu seras et en toute chose je retrouverai ta présence.

 

Les gens qui m’ont découverte par hasard dans la forêt, déshydratée, en sang et inconsciente, m’ont raconté que je souriais et que j’avais une expression de bonheur inexplicable sur le visage. Ils mirent cela sur le compte de mon état de dégradation physique, souffrant de soif, de faim et d’épuisement, qui devaient probablement m’avoir fait perdre la raison. Ils m’avaient sauvée d’une mort certaine, par une douce aubaine; un simple égarement de randonnée. Dans mon for intérieur, je riais. Comment leur expliquer que c’était te retrouver qui m’avait tant secouée. Que dans cette forêt, j’avais franchi la limite entre nos deux mondes et que j’y avais finalement choisi la vie!

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