Suite du "feuilleton de L'été"
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Au coin de l’ordinaire chapitre 7
A sept heures, la radio me tronçonna le sommeil et débitait le monde en flashs d’information. Nous étions samedi et je n’avais même pas pensé à déclencher ce foutu réveil.
J’émergeai doucement. Je m’assis au bord du lit même pas défait. Je me rappelais vaguement m’y être effondré aux alentours de minuit. Je me dirigeai vers la cuisine et me préparai un café. Je le bus à la table de la cuisine, près de la fenêtre, le regard sur les champs alentours et la lisière de la forêt, à quelques centaines de mètres de là.
Je me sentais étonnamment bien et me remémorai ma soirée avec Ferran. Il avait noyé le départ d’Irma dans une série de considérations ironiques sur la vie et les gens, reléguant ce départ, cette rupture, à un événement ordinaire, à la fois anecdotique et inéluctable. Ce gars-là était capable de nous faire sourire, même rire, de presque tout. Il avait le don de mettre à jour les contradictions de nos contemporains sans pour autant porter de jugements ou jouer au père la morale. Sans que le regard ou le propos ne soient vraiment moqueurs, il pouvait nous faire rire des bourgeois engagés dans les bonnes oeuvres mais plus soucieux de la bonne marche de leur home cinéma ou de la santé de leurs animaux domestiques que du sort de leurs frères humains.
Il évoquait aussi les bandes de jeunes « Yo »et celles de jeunes nationalistes, chacune affublée de son uniforme et de son langage propre.Il avait passé à la moulinette le racisme ordinaire, les ragots de
village, les jalousies, pour finir par les conducteurs de 4 x4 et de voitures de sports qui doivent tous, selon lui, présenter des problèmes sexuels et parmi lesquels on trouve même, comble de la contradiction, des militants écolos. Le slogan « vitesse de fou, cerveau à trou, zizi tout mou ; conduite sportive, cervelle d’endive, quéquette passive ; prudence, intelligence, puissance, » m’avait beaucoup fait rire d’autant plus que l’associé et récemment promu nouveau compagnon d’Irma possédait, justement, une rutilante 4X4.
Je me servis un bol de céréales. Les dents du fond et l’oesophage crépis comme il sied, j’envoyai un dernier café pour expédier les marchandises à l’étage inférieur. Derechef je me levai et décidai d’inspecter mon logement. Je constatai que si le bureau d’Irma était totalement vide, le reste de la maison, à quelques détails près, était restée intact.
Je décidai de faire des courses à l’épicerie du village plutôt qu’au supermarché. Un peu de marche me ferait le plus grand bien et me permettrait de faire une pause chez Pépé, le seul bistrot de la commune situé à côté de l’église. Je me demandai ce que deviendrait ce café sans l’apéro d’après la grand –messe, ni d’ailleurs ce que deviendrait la grand-messe sans la perspective de l’apéro qui la suivait.
– Il faut bien fidéliser la clientèle sinon, je peux mettre la clé sous le paillasson et m’exiler à Pétaouchnock vendre des frites.
J’acquiesçai et bus mon kawa à petites gorgées qui rythmaient les pages du journal que j’épluchai sans grande conviction. Les nouvelles n’avaient guère évolué depuis mon hospitalisation : des guerres un peu partout, des richesses on ne peut plus mal réparties, une planète qui se réchauffait, la misère engendrant un fanatisme à la hauteur du désespoir des populations concernées, j’en passe et des meilleures. Tiens, chez nous, quelque chose de nouveau ; la création d’un nouveau parti, le parti d’en rire. Il me semblait en avoir entendu parler, mais je ne savais plus où. Cette nouvelle formation politique affichait un programme écologique, social et fiscal qui se donnait comme gageure de défendre l’environnement et l’avenir de la planète tout en prenant l’argent là où il était et sans permettre la fuite des gros contribuables. Il affichait une vision économique pragmatique qui m’apparaissait à première vue efficace et sympathique. C’était à suivre. On verrait bien…
Dans l’immédiat, le plus urgent était de réorganiser mon quotidien, de réaménager mon logement, de préparer ma rentrée de lundi et d’équiper ma vieille Renault pour l’hiver. Irma avait apparemment vendu la jeep dite commune mais qu’elle utilisait en exclusivité et affectionnait beaucoup malgré ses convictions écologiques affichées.
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Le dimanche se passa le plus paisiblement du monde. Enfin, si tant est que la joyeuse agitation des enfants puisse être classée comme paisible. L’important était que cette vie de famille retrouvée réussissait à enfouir l’angoisse de Pietro concernant l’absence de nouvelles de Lucie.
Il se contenta de deux essais téléphoniques après le repas de midi et en fin de soirée. La journée s’était remplie de promenades, de visites des copains et copines des uns et des autres, des repas, de rangements. La soirée passa très vite entre la surveillance de l’utilisation d’internet pour Aline et Joelle, l’histoire du soir à raconter à Xavier et un dernier coup d’œil aux courriels professionnels qui résumaient à Pietro l’activité de son équipe pendant les dernières semaines.
Le menu de la semaine prochaine serait varié. Quelques enquêtes étaient en cours : deux cas de racket dans un cycle d’orientation de la capitale, une enquête à mener dans un collège à propos de soupçons d’abus sexuel de la part de cinq élèves de 18 ans sur deux écolières de quatorze ans, une dénonciation pour détention d’armes à feu. Et cela, sans compter les urgences du jour qui ne s’annonçaient jamais dans un planning hebdomadaire.
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