J'ai réalisé que si je voulais faire un feuilleton d'été sur les mois de juillet-août, il fallait que je vous passe environ 3 chapitres par semaine. Je vais essayer... Et parfois, pour éviter de trimballer mon ordi en vacances, j'en publierai 3 d'un coup le même jour...
Bonne lecture !
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“Au coin de l’ordinaire” chapitre 3
L’événement le plus important de mon hospitalisation resta cependant la rencontre de mes trois voisins de chambre.
A ma gauche, la tête enveloppée dans un pansement qui lui donnait un petit air d’œuf de Pâques, se trouvait Pietro, la quarantaine rugissante, teint mat et cheveux noirs coupés courts. Pietro était inspecteur de police et se remettait lentement de la malencontreuse rencontre de son crâne avec un manche de pioche lors de l’arrestation mouvementée d’un dealer de coke. Pourtant, ce genre d’action n’appartenait pas aux habitudes de Pietro qui avait été « prêté » pour la circonstance à la brigade des stupéfiants. Son quotidien, c’était la brigade des mineurs. Ses activités étaient la prévention et le traitement de la petite délinquance ainsi que la chasse aux pédophiles et autres malfaisants prédateurs de l’innocence.
Pietro, par ailleurs, était veuf et père d’un garçon et de deux filles âgés de dix, douze et quatorze ans. Le décès de son épouse, fauchée il y a cinq ans sur un passage piéton, lui avait laissé une rancune tenace contre tous ces enragés du bitume qui compensent dans la vitesse ce qui leur manque dans la tête, le cœur et la culotte. Avec l’aide de sa sœur célibataire, il s’organisait non sans mal pour concilier sa vie de père et son métier de flic qu’il définissait lui-même à la fois comme un enfer et une passion à forte dépendance.Par le plus grand des hasard, il habitait une ancienne maison d’un village voisin du mien.
Sa vie sentimentale venait de prendre, depuis quelques mois, un nouveau tournant avec la rencontre d’une jeune journaliste venue faire une enquête sur le stress professionnel dans la police.
Après son veuvage, Pietro avait longtemps hésité avant d’accepter l’idée d’une nouvelle relation amoureuse.
Quand enfin, il avait osé se lancer dans de nouvelles relations, il cumula les échecs. Très entier et habitué à la relation saine, solide et passionnelle qui l’unissait à son épouse, il était trop pressé, trop absolu et faisait fuir ses conquêtes quand ce n’étaient pas ses enfants qui lui « cassaient ses coups »à coups de petites insinuations ou remarques assassines. D’autres conquêtes profitaient de sa générosité, se faisaient payer des week-ends, des cadeaux ou l’utilisaient quelques temps en attendant quelqu’un de plus libre et de mieux nanti. Largué à chaque fois, il tombait de haut et avait pratiqué parfois, ce qu’il appelait aujourd’hui, un harcèlement textuel en écrivant à l’élue du moment des lettres enflammées ou, en dernier recours, pleines de fiel et de reproches.
Cette mauvaise habitude avait bien failli d’ailleurs lui coûter son job. Une de ses copines avait en effet monté, avec l’aide de son nouvel amoureux, une rocambolesque accusation et porté plainte contre Pietro pour avoir crevé les pneus de la voiture du monsieur, histoire de mettre fin aux lettres et aux demandes d’explications de Pietro et, surtout, d’éviter de rembourser à Pietro un certain nombre de frais que ce dernier lui avait avancés. Sentant que les accusations ne passeraient pas l’épreuve d’une enquête, la belle avait retiré sa plainte et ainsi évité à Pietro le blâme, voire le renvoi pour un comportement peu compatible avec une fonction d’inspecteur de police.
Bref, Pietro était devenu prudent et c’est à pas de loup et sans attentes excessives qu’il avait entamé et construisait depuis peu et dans le temps disponible que lui laissaient son job et ses enfants, une nouvelle relation avec Lucie Chevrier, journaliste d’investigation dans un hebdomadaire régional.
Par ailleurs, Pietro se révéla un compagnon de chambrée tout à fait agréable, plein d’humour et dont les visites de ses 3 enfants, de sa sœur et de son amie contribuaient à meubler ce temps d’hospitalisation et à distiller des bouffées de bonne humeur.
A ma droite, Ferran, Fernando en catalan, qui partageait avec moi le privilège de se déplacer avec des béquilles suite à une fracture du tibia survenue pour avoir manqué la dernière marche du dernier étage de l’immeuble de sa dernière conquête.
La trentaine finissante, brun, frisé, moustachu, polyglotte, libertaire, M. Ferran Ferrer était un personnage atypique : naturalisé suisse mais fils d’un immigré catalan et d’une algérienne. Il était le petits-fils, du côté de son père, d’un couple d’anarcho- syndicalistes catalans réfugiés dans le midi de la France après la guerre civile espagnole. Ses grands-parents paternels s’étaient engagés, pendant la l’occupation, dans la résistance française aux côtés d’autres immigrés espagnols. Après la libération de la région, son grand-père, malgré ses convictions anarchistes, participa en octobre 1944 à la tentative d’entrée en Espagne pour y déloger les franquistes, menée par le PC espagnol avec environ 4000 combattants issus des FTP. Ce dernier espoir des républicains, qui eut lieu dans le vall d’Aran
dans les Pyrénées, fit long feu. Après à peine deux semaines, Santiago Carillo et les autres responsables du parti communiste ordonnèrent le repli vers la France des guerilleros submergés par les troupes franquistes. Le grand-père de Ferran, fait prisonnier dans les environs de la ville de Bossost, fut exécuté le lendemain de sa capture par les troupes de Franco. Sa grand-mère se réfugia en Suisse en 1945 avec le père de Ferran. Jamais elle ne s’était résolue à demander leur naturalisation, trop attachés qu’ils étaient à leur pays, l’Espagne, mais surtout à leur région, la Catalogne. Ferran n’avait fait les démarches qu’une fois adulte.
Ses grands-parents maternels, des militants du FNL mais partisans d’une Algérie indépendante certes, mais surtout laïque et démocratique, avaient émigré à Genève peu après la guerre d’indépendance pour des raisons de divergences politiques avec leurs anciens compagnons de lutte maintenant au pouvoir. Sa mère, née en Algérie, avait obtenu la nationalité suisse au terme de sa scolarité, peu avant de rencontrer le père de Ferran sur les bancs de l’université de Fribourg.
Ses grands-parents maternels, des militants du FNL mais partisans d’une Algérie indépendante certes, mais surtout laïque et démocratique, avaient émigré à Genève peu après la guerre d’indépendance pour des raisons de divergences politiques avec leurs anciens compagnons de
de lutte maintenant au pouvoir. Sa mère, née en Algérie, avait obtenu la nationalité suisse au terme de sa scolarité, peu avant de rencontrer le père de Ferran sur les bancs de l’université de Fribourg.
Ferran gardait de son éducation paternelle, une considération irrespectueuse et iconoclaste pour tout ce qui respirait, de près ou de loin, la hiérarchie, le dogmatisme, les bénitiers et la superstition. Il y avait ajouté quelques touches personnelles parmi lesquelles, un goût prononcé pour la musique rock, la chanson française, la musique irlandaise , Mozart, Schubert, la marche en montagne,les blagues et les jeux de mots qu’il pratiquait indifféremment en espagnol, en catalan, en français, en arabe ou en anglais. En effet, Ferran, après un apprentissage de maçon avait perfectionné ses connaissances linguistiques et officiait comme traducteur « free-lance », travaillant à domicile essentiellement pour des ONG et quelques officines de l’ONU.
Il pratiquait parfois ce qu’il appelait de l’alimentaire et traduisait des publicités pour des produits d’exportation ou destinés à une clientèle d’immigrés. Il lui arrivait aussi de faire des traductions à l’intention des communautés espagnoles ou des pays arabes , commandités par les consulats ou des partis politiques suisses dans les cantons où les étrangers ont le droit de vote sur les plan communaux et cantonaux.
Il montrait une propension à frétiller devant toute représentante de la gent féminine à son goût, de 18 à 40 ans sans discrimination. Ce grand tombeur, s’il en est, avait pourtant l’inestimable qualité de ne pas se prendre au sérieux et de pouvoir rire de tout, à commencer de lui-même. Il se moquait de son
de son long cou et s’appelait lui-même « el penjat despenjes », le pendu dépendu en catalan. Dépendu,c’est à cause de son long cou, nous expliquait-t-il. Pendu, il ajoutait, ce serait plutôt en raison de la croyance qui voudrait qu’un pendu bande au moment fatal et que cela lui arrive plus qu’à son tour et qu’il espérait bien que cela ne lui soit jamais fatal. Ce surnom provenait aussi d’un « virelangue » catalan, retranscrit ici, sans orthographe garanti : Setze judges manen el fetche d’un penjat, si el penjat es despenjes, manjaria els setze fedges dels setze judges que l’han penjat » ( seize juges mangent le foie d’un pendu, si le pendu est dépendu, il mangera les seize foies des seize juges qui l’ont pendu). Ce qui plaisait à Ferran, ce n’est pas tant la cascades de sons comparables aux « chaussettes de l’archiduchesse » mais plutôt la vengeance du pendu… Il nous avoua qu’il trouvait les suisses un peu « caps cuadrats », têtes carrées , conformistes, mais qu’avec le temps, il s’était rendu compte que la généralisation est toujours abusive et que comme il en faisait désormais partie, il s’abstiendrait de pareils jugements.
Cela dit, Ferran était d’une compagnie très agréable et nous assurait notre lot d’éclats de rires quotidiens. Hormis le fait qu’il disparaissait volontiers de longs moments dans les couloirs en espérant demander de l’aide aux plus jolies infirmières pour regagner sa chambre – ce qui ne fonctionnait jamais-, il participait à la vie de notre petite équipe d’éclopés et n’était jamais avare ni de confidences ni d’encouragements.
Ferran habitait un modeste appartement de trois pièces au centre ville.
Le dernier lit vers la porte était occupé par Hans-Ulrich dont la chute d’un échafaudage l’avait propulsé, avec l’aide d’une épaule fracturée,du deuxième étage d’un immeuble au cinquième étage de l’hôpital où il se remettait lentement de l’ opération nécessaire pour remettre en service son articulation.
Hans c’était le gros convoi de la chambre. En l’occurrence, c’était plutôt le gros qu’on voit pas. Il traînait son quintal et son silence avec une discrétion qui confinait à l’invisible. Quand il causait, il m’intéressait, beaucoup. Hans avait cinquante-cinq ans. Hans était noir, noir de chez noir, noir garanti d’Afrique. Pourtant Hans-Ulrich Dialaketo était citoyen suisse, suisse-allemand même, et nous parlait avec un accent bernois certifié d’origine. Il était le fils d’un tirailleur sénégalais réfugié en Suisse en 1940. Ce dernier avait obtenu la nationalité suisse en 1950 et avait fait venir son épouse qui vivait alors à Lyon. Les parents de Hans, établis dans la banlieue de Berne, à Köniz, avaient choisi ce prénom germanique dans un souci d’intégration et en honneur à leur nouvelle patrie.
Après une scolarité sans histoires et un apprentissage de ferblantier –couvreur complété par des études commerciales, Hans avait travaillé quelques années dans l’entreprise où il avait effectué sa formation professionnelle. Depuis cinq ans maintenant, il s’était établi en région francophone, en périphérie de la ville de Fribourg, où il dirigeait sa propre petite entreprise de charpente et de couverture. Il avait épousé, Xhemile, suisse aussi mais d’origine kossovare, d’où les prénoms
albanophones de deux de ses enfants : Skender et Resmije, l’aîné se prénommant Honoré, en souvenir de son grand-papa.
Le couple qu’il formait avec Xhemile forçait l’admiration tant leur tendresse et leur complicité, après 30 ans de mariage, restaient vivantes, naturelles et spontanées.
Un soir de confidences, il nous avait avoué avoir eu une seule grosse tentation durant ce tiers de siècle, un seul petit coup de canif au contrat qu’il a toujours gardé pour lui jusqu’à ce jour et qui parfois le culpabilisait encore. C’était lors d’un chantier difficile à l’étranger, avec une ingénieure indigène dont il fut très proche et qui l’aida à supporter les conditions de travail déplorables qui étaient les leurs à l’époque.
Ce fut au cours de la même soirée que j’avais réalisé avec surprise, que Skender, son fils cadet, était l’un de mes élèves.
Hans faisait preuve d’une gentillesse et d’une douceur inversement proportionnelle à sa taille, son poids et sa force physique impressionnante. Ce n’est pas d’une gentillesse mièvre et fade, dégoulinante façon loukoum dont je parle, non, Hans était un condensé d’écoute, de tolérance, de patience, d’humour, de franchise.
Il participait à nos interminables discussions faites de philosophie de boulevard, de considérations
amusées sur la vie hospitalière, de confidences sur nos trajectoires de vie de respectives. Calme et posé, foncièrement bon et serein, il nous offrait de surcroît de grandes bouffées de bonne humeur débridée lors des visites de son épouse, de sa fille et de ses deux garçons âgés de quatorze, dix-huit et vingt ans.
Je crois qu’il a joué un peu le rôle de ciment entre nous (ce qui me semblait normal pour quelqu’un qui travaille dans le bâtiment…).
Nous lui devions beaucoup d’avoir pu tisser de forts liens d’amitié qui promettaient à coup sûr d’aller au-delà de ces quelques semaines à partager le temps et l’espace de nos quatre guérisons.
C’est presque à regret que nous apprîmes presque simultanément, tous les quatre, la date du retour dans nos foyers respectifs.
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