Créé le: 15.08.2024
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Après
Chapitre 1
1
Quand un garçon découvre qu'il peut voir les morts, sa vie bascule dans un monde étrange où réincarnation et mystères se mêlent. Cette histoire explore ce qui se cache au-delà de la vie, à travers les yeux d'un enfant qui devient malgré lui le messager d'une âme en quête de paix.
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Après
C’était un lundi après-midi, et j’étais heureux car je n’allais plus remettre les pieds à l’école avant deux bons mois. Camille sautillait, et Hugo dévorait un énorme kouign-amann luisant de beurre. On était en forme, on n’avait pas fait grand-chose de la journée. C’est toujours comme ça le dernier jour de l’année.
On a traversé le parc pour rentrer plus vite, et on avait bien fait. Car quand je suis arrivé à l’angle de ma rue, il y avait un camion de pompiers et plein de monde autour. Dans la foule, j’ai aperçu maman. Elle avait un regard étrange, celui qu’elle a d’habitude quand elle ne comprend pas ce que je lui raconte. Même si je n’ai que huit ans, je ne suis pas stupide. Je sais que maman me prend parfois pour un fou ; elle m’a même envoyé chez le psy. Mais le psy lui a dit que j’allais très bien. Parler à un ami imaginaire est tout à fait normal, d’après lui.
J’ai couru vers ma mère, le cœur battant. Les sirènes des pompiers étaient encore en train de s’éteindre, et les badauds murmuraient entre eux. Maman m’a vu arriver et s’est précipitée vers moi. Elle avait l’air soulagée, mais aussi très préoccupée.
« Jules ! Où étais-tu ? » demanda-t-elle, en me prenant par les épaules avec une fermeté que je ne lui connaissais pas.
« J’étais avec Camille et Hugo, on rentrait de l’école. Qu’est-ce qui se passe ? » répondis-je en essayant de voir ce qui se passait derrière elle.
Elle me fit signe de la suivre et on s’est éloigné du groupe. Maman m’explique alors que notre maison avait été évacuée à cause d’un incendie dans un appartement voisin. Les pompiers avaient réussi à maîtriser les flammes, mais la fumée avait envahi notre immeuble.
Je regardai la façade. Il était difficile de croire que le feu s’était déclaré si près de chez nous. J’avais vu les flammes à la télévision, mais c’était la première fois que j’en voyais en vrai. Les murs, pourtant si familiers, semblaient maintenant étrangement menaçants.
« On va chez Mamie pour la nuit, » annonça maman. « Ils doivent vérifier si tout est en ordre avant qu’on puisse rentrer. »
Je hochai la tête, même si je n’avais pas vraiment envie de quitter notre appartement. Les pensées s’entrechoquaient dans ma tête, et une question persistante m’obsédait : qu’est-ce qui aurait pu déclencher un tel incendie ?
En route pour chez Mamie, je me mis à réfléchir à ce que je venais de voir. Les mots de maman résonnaient dans ma tête. Elle disait que tout allait bien se passer, mais je n’étais pas sûr de la croire.
Quand nous arrivâmes chez Mamie, elle nous accueillit avec une chaleur réconfortante. Sa maison était comme un cocon, accueillante et remplie de choses familières. Mais je n’arrivais pas à chasser de mon esprit les images de l’incendie et les questions que j’avais sur ce qui s’était passé.
La nuit, alors que tout le monde dormait, je décidai d’aller me promener dans le jardin. Les étoiles brillaient comme des éclats de verre dans le ciel noir. Je me rendis à l’endroit où je me sentais le plus serein, un petit coin de jardin que Mamie avait aménagé avec des fleurs et des herbes aromatiques.
C’est là que je le vis. Un petit chat noir, assis sur un muret en pierre. Il me regardait avec des yeux d’un vert intense, presque luminescent. Je m’approchai lentement, fasciné. Le chat sauta du muret et s’approcha de moi. Il sembla hésiter un instant avant de se frotter contre ma jambe.
Je le caressai doucement. Il était étonnamment chaud, comme s’il avait absorbé la chaleur du jour. En le regardant, j’eus l’impression que ses yeux perçaient un voile entre ce monde et un autre. Une sorte de connexion étrange se forma entre nous, comme si le chat savait quelque chose que je ne savais pas.
« Tu sais ce qui s’est passé, n’est-ce pas ? » murmurai-je.
Le chat miaula doucement, puis se dirigea vers le coin du jardin, là où se trouvait un vieux puits couvert de mousse. Il s’assit à côté du puits et me regarda fixement. Il se frotta contre moi et miaula de nouveau avant de disparaître dans la nuit. J’avais le sentiment qu’il m’avait conduit ici pour une raison, mais je ne savais pas encore laquelle.
Je décidai de retournai à la maison de Mamie. Je savais que le lendemain, je devrais parler à maman, mais je n’étais pas sûr de pouvoir lui expliquer ce que j’avais découvert.
On est rentrés à la maison le lendemain. Les pompiers avaient tout vérifié, et l’endroit était sûr. Mais avant de rentrer, maman a voulu qu’on passe rendre visite à Monsieur Legrand, notre voisin de palier. C’est de chez lui que le feu était parti, et maman semblait très inquiète avant de frapper à sa porte. Je sentais qu’elle me cachait quelque chose.
Monsieur Legrand ouvrit la porte puis s’effondra dans les bras de maman Chez lui, ça sentait encore le brûlé, et les murs de l’entrée étaient tout noirs.
— Jeanne s’est éteinte hier soir. Les médecins n’ont rien pu faire, expliqua-t-il entre deux sanglots.
C’est juste après que Madame Legrand s’adressa à moi.
— Tu as bonne mine, Jules, et tes cheveux ont bien poussé depuis la dernière fois. Tu frises comme ton père.
Ça faisait un bail que je n’avais pas vu Madame Legrand. Avant, j’allais prendre le goûter chez elle, et elle me gardait parfois le soir quand maman finissait tard. Mais depuis qu’elle était tombée malade, je ne la voyais plus beaucoup. Je l’apercevais parfois en train d’arroser ses plantes sur son balcon, mais c’était tout.
Monsieur Legrand sanglotait sur l’épaule de maman. Madame Legrand était assise sur une des marches de l’escalier. Elle portait sa sempiternelle robe de chambre à motifs fleuris et ses chaussons en forme d’espadrilles. Ceux où ses gros orteils avaient fait deux trous au bout. Elle avait l’air d’humeur joyeuse, presque comme si elle n’était pas morte du tout.
— Léon est en train d’écraser les pieds de ta mère. Et c’est tout juste s’il n’en profite pas pour la peloter !
J’ai regardé maman, qui m’a fait signe de ne pas rester ici, que ce n’était pas un spectacle pour les enfants. Elle m’a tendu le trousseau de clés. Ça voulait dire : rentre à la maison.
Mais je ne voulais pas partir, car je sentais que Madame Legrand avait des choses à me dire.
— Léon va s’en remettre. C’était mon heure de toute façon.
Monsieur Legrand avait quatre-vingt-deux ans, mais il en paraissait cent. Madame Legrand avait à peu près le même âge ; ils s’étaient connus au lycée, mais elle paraissait un peu plus jeune.
— Elle a fait une crise à cause du choc. Et avec les traitements pour son cancer, son cœur n’a pas résisté murmura-t-il à maman.
Monsieur Legrand essuya une larme qui roulait sur sa joue.
— Qu’est-ce que je vais devenir sans elle…
Il sanglotait comme un enfant qui a reçu un zéro en maths et qui va se faire gronder par ses parents. Moi, j’étais un peu surpris qu’il soit triste, car sa femme était à côté de lui. Elle n’était pas du tout morte, elle avait parlé, mais personne, à part moi, ne semblait l’avoir entendue.
Je l’ai regardée à nouveau. Elle était bien là, assise sur une marche, le sourire aux lèvres. À part mon ami imaginaire, je n’avais jamais parlé à quelqu’un qui n’existait pas pour les autres. C’est pourquoi j’ai hésité un long moment avant de tirer sur le pantalon de maman.
— Maman, maman !
Elle m’a lancé un regard sévère, du genre : Jules, ce n’est vraiment pas le moment. Elle devait penser que je lui réclamais un goûter. J’ai chuchoté à son oreille pour que Monsieur Legrand ne m’entende pas.
— Madame Legrand n’est pas morte, elle est assise juste là.
Je lui ai montré l’escalier du doigt. Je crois que maman a jeté un coup d’œil, mais je n’en suis pas sûr. Et puis elle a dit, ou plutôt, elle a crié :
— Ça suffit, Jules, ce n’est pas drôle du tout !
Puis Monsieur Legrand et elle sont entrés dans l’appartement en claquant la porte. Apparemment, je n’étais pas le bienvenu. Et finalement, c’était mieux comme ça, car c’est à ce moment-là que j’ai regardé Madame Legrand dans les yeux, et que l’image m’est apparue aussitôt.
— C’était vous, n’est-ce pas ? lui ai-je demandé.
Elle n’a pas répondu tout de suite, mais son regard la trahissait. Ses yeux surtout. Vert luminescent. Dans mon souvenir, ils étaient d’un marron banal.
Madame Legrand hocha la tête.
— Je n’ai pas eu le choix, c’était en chat ou en tortue.
J’avais déjà entendu parler de la réincarnation, mais je n’en avais jamais vu en vrai.
— Depuis combien de temps sais-tu que tu peux voir les morts ?
Je suis resté sans voix, car je ne le savais pas. Du moins, pas jusqu’à maintenant. Mon ami imaginaire est vraiment imaginaire… enfin, je crois.
— Je ne peux pas, vous vous trompez.
J’ai dit ça sur un ton sec. Non, mais de quoi elle se mêle, ai-je pensé. Elle a hoché la tête et sa bouche s’est étirée en un sourire.
— Oh que si, tu les vois… La preuve, regarde-moi !
Elle se leva et ouvrit grand les bras pour prendre le plus de place possible. C’est vrai que personne ne pouvait la louper. Dans la rue, des gens circulaient en regardant notre immeuble, celui où il y avait eu ce terrible accident. C’était dans tous les journaux.
Madame Legrand se pencha à la balustrade et se mit à crier : « Ouh, ouh, au secours, venez m’aider, au secours !! »
Je me suis un peu reculé, car Madame Legrand me faisait peur. Elle a recommencé à crier, j’allais lui dire de se taire quand je me suis aperçu que personne ne l’entendait. Les gens tournaient la tête un instant, puis reprenaient leur chemin comme si de rien n’était. Ils ne la voyaient pas non plus.
— Alors, convaincu ? me demanda-t-elle, amusée.
Pour la première fois, j’ai commencé à avoir un peu peur. Madame Legrand était un fantôme, et les fantômes sont censés faire peur. Mais étrangement, cette sensation a disparu assez vite. Madame Legrand semblait s’amuser comme une petite folle et ça m’a rassuré.
— Bon, alors, maintenant que tu me crois, tu vas pouvoir te rendre utile.
Un instant, j’ai eu l’impression qu’elle allait me demander d’aller faire des courses au supermarché.
— Tu es mon messager, en quelque sorte. J’ai vraiment eu de la veine que tu habites juste à côté. D’après ce que j’ai compris, il y en a qui cherchent leur messager un bon moment.
J’ai froncé les sourcils et j’aurais bien aimé qu’Hugo et Camille soient là. On aurait bien rigolé. Madame Legrand avait l’air toujours aussi amusée, mais elle se mit à s’agiter comme si un insecte s’était glissé sous sa robe de chambre.
— Tu dois te dépêcher, je n’en ai plus pour très longtemps…
Je ne sais pas si c’était un trucage ou une illusion d’optique, mais les pieds et les mains de Madame Legrand ont commencé à devenir flous, comme s’ils se dissipaient dans l’air. J’ai même porté mes mains à mes yeux tellement c’était incroyable.
— Tu dois venir me chercher dans le jardin… Je ne vais pas tarder à me transformer, et cette fois, ce sera la dernière. Je n’aurai plus d’autre chance. J’attendrai sur le puits. Fais vite, Jules…
Sa voix se mit à se dissoudre, je ne comprenais un mot sur deux, son visage s’effaçait devant mes yeux. Je suis resté figé un instant, puis je me suis mis à dévaler l’escalier à toute berzingue. J’aime bien aller vite. Ensuite, je me suis mis à courir. La maison de mamie était située juste derrière notre immeuble, à deux pâtés de maisons. Je n’ai pas sonné, je suis passé directement par le jardin. Je suis allé jusqu’au puits. Mais il n’y avait pas de chat. J’ai tendu la main comme si j’avais des croquettes et j’ai dit doucement « minou… minou… ». Rien. Et puis, d’un coup, je me suis frappé le front. Mais que j’étais bête ! J’étais tellement bête que j’en ai souri. J’ai remis ma main dans ma poche et j’ai dit plus fort : « Madame Legrand ».
Ça n’a pas pris dix secondes avant que le chat ne sorte d’une haie et vienne se frotter contre mes jambes. Je l’ai pris dans mes bras et je l’ai regardé au fond des yeux. Ça m’a fait drôlement bizarre, mais Madame Legrand et moi, on s’est tout de suite reconnus. Elle a miaulé quelque chose. Mais là, désolé, je n’ai pas compris. Je suis peut-être un messager, mais je ne suis pas Harry Potter non plus.
Je suis reparti à la maison avec le chat dans les bras. Devant la porte de Monsieur Legrand, j’ai regardé Madame Legrand. Ses yeux ont cligné. J’ai pris ça pour un oui. J’ai frappé. Maman était rentrée chez nous, c’est Monsieur Legrand qui nous a ouvert. Il avait toujours l’air triste, mais je n’ai pas hésité une seconde. Sans rien dire, je lui ai collé le chat dans les bras et j’ai reculé. Monsieur Legrand a paru surpris, voire même un peu paniqué. J’ai eu peur qu’il jette le chat par-dessus la balustrade !
Mais non. Rien de tout ça ne s’est passé. Le chat s’est mis à ronronner et j’ai retrouvé le visage du vrai Monsieur Legrand, celui que j’ai toujours connu, avec un air rieur dans les yeux. Il n’a posé aucune question, il m’a juste fait un petit signe de la main et a refermé la porte. J’étais rassuré, car je l’avais senti heureux.
En rentrant à la maison, je me suis fait disputer parce que j’avais disparu et que maman s’était inquiétée. Je ne me suis pas démonté et je lui ai raconté pour Madame Legrand, le chat, la réincarnation, enfin tout ça. Maman a posé les poings sur ses hanches, debout devant moi, et m’a dit que je devais arrêter de mentir et filer dans ma chambre. Je n’ai pas insisté. Quand maman est comme ça, il n’y a rien à faire. Je me suis allongé sur mon lit et j’ai repensé à tout ça : à la réincarnation, aux morts, aux chats. J’étais épuisé. Et c’est à ce moment-là qu’Arthur, mon ami imaginaire, est arrivé. J’ai fermé les yeux et je lui ai raconté toute cette histoire.
Eh bien, je peux vous certifier que lui au moins, il m’a cru.
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