Vénus a mis l'eau (à bras raccourcis), dans son programme de galeriste : l'Amour des arts plastiques et des artistes est en effet le divin dicastère de Barbara Polla. Montons alors vers l'eau limp-ide en rejoignant la rivière de Chêne-Bourg qui, moins oublieuse que le Léthé traverse son Vieux-Bourg
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Vénus a mis l’eau (à bras raccourcis), dans son programme de galeriste : l’Amour des arts plastiques et des artistes est en effet le divin dicastère de Barbara Polla. Montons alors vers l’eau limp-ide en rejoignant cette rivière de Chêne-Bourg qui, moins oublieuse que le Léthé, traverse son Vieux-Bourg : voici la Seymaz et son voisinage.

Tout s’annonce bien liquide au fil de ce préambule, me direz-vous.

Une manière, en tous les cas, de planter le décor d’une exposition de peintures sur le point d’êtres visitées. Mes jeux de mots furtifs, à tiroirs, annonceraient-ils la couleur ? Disons plutôt une déclinaison aqueuse et ce qu’elle a inspiré aux différents artistes regroupés ici sous une même thématique : L’EAU.

Cette démarche collective n’est pas innocente, car elle va mettre en émulsion le liquide rachidien  dans nos têtes, ainsi que les clichés et les idées préconçues qui font tanguer nos certitudes dégoulinantes.

Cela nous conduit à pied sec, rassurez-vous, tout droit chez Barbara Polla. Qui a bien su mener sa barque : en les murs d’Analix Forever elle a jeté son ancre depuis longtemps. Forever ? Ou alors « faut-rêver » … soit le terme d’origine phonétiquement francisé, qui serait adapté à la circonstance présente. Car de pénétrer dans cette antique bâtisse métamorphosée en galerie d’art, va nous transporter dans tous les sens du terme.

Au fond de la première salle, de forme oblongue, la porte s’ouvre sur une petite cour intérieure. Au sol, des galets juxtaposés, arrondis par l’usure du temps. On y marche comme sur des œufs fossilisés qui s’ingénieraient à titiller nos voûtes plantaires. Sur la droite, un petit jardin en friche, où les herbes folles ont le champ libre et les oiseaux un chant libéré. Barbara s’en félicite et nous aussi.

De haut en bas dans ce temple de l’art en proposition concentrée, le temps n’est pas seul à s’écouler, dans le contexte actuel. J’imagine un aqueduc, rendu invisible, souple et sinueux, qui organiserait vers le bas, tout en douceur,  un écoulement silencieux et des éclaboussures créatives, aspergeant de loin en loin et selon des formes variées, les murs de cette expo. Autant de ponctuations successives, vivantes, dont je vais m’aventurer à frôler la substance.

En abordant une œuvre d’art et avant d’analyser quoi que ce soit, il faut d’emblée se laisser aller. A aimer ou ne pas aimer. Se fier à son instinct premier. Ne pas tomber dans le piège d’une « conceptualisation » qui voudrait nous faire croire que sans initiation préalable, celui qui débarque n’aurait aucune chance d’en saisir les clés et d’en apprécier le rayonnement. Comme en cuisine, où le goût de chacun s’exprime spontanément, au premier chef, au bonheur des papilles, avant que le chef nous dévoile les arcanes des combinaisons sensorielles qu’il a mises en œuvre.

Un artiste peut avoir des intentions cachées, c’est même souhaitable. Afin de préserver les touches du mystère. Mais le message central doit, à mon humble avis, émerger tout naturellement. Que l’œuvre soit « abstraite » ou figurative. A propos, comment une œuvre pourrait-elle être abstraite, stricto sensu, dès lors qu’elle est faite de matière et d’espace appréhendable ? Et qu’elle s’adresse avant tout à nos sens en éveil. Excusez la parenthèse, qui me servira à illustrer ce qui suit :

Sur les murs de cette exposition s’imposent immédiatement à mon regard, ces embarcations clairement identifiables, où des migrants flottent vers leur destin. Ceci dit, pourquoi l’eau est-elle si bleue, comme celle des villégiatures vantées par les prospectus de nos agences de voyage ? L’artiste semblerait vouloir nous dire que cette couleur est celle d’un Ciel idéal, qui s’y reflète. Ciel qui contiendrait tous les espoirs, les promesses, et l’espérance d’un azur. A l’horizon souhaité par ces êtres humains en déshérence. Ils n’ont plus de visages. Juste des corps. Agglutinés et en attente, selon des formes enchevêtrées qu’on a parfois de la peine à isoler ou à identifier. Sur des surfaces très réduites, soumises aux caprices de l’eau. La tentation néo-cubiste nous aide ici à saisir une telle déconstruction, une telle incertitude. Celle d’une survie aléatoire en terrain liquide imprévisible. Pour des êtres qui ne savent encore si une existence nouvelle leur est promise. Comme une certaine terre en d’autres temps, en d’autres  lieux et pour d’autres gens. Il s’agit ici, pourtant, d’une eau vitale pour toute l’humanité. Mais qui pourrait un jour nous engloutir lorsque toutes les glaces auront fondu. Ceci est une autre histoire. Celle des 4 éléments qui, en tous temps et aujourd’hui plus que jamais, organisent nos existences tout en laissant planer le danger.

Au gré de notre visite, l’ EAU va donc parler. Dans tous ses états. Parfois paisible, tutoyant sensuellement les corps et nimbée de lumière. Parfois confrontée à l’aventure intérieure mise en scène par notre cerveau, soumis à l’interconnectivité de nos neurones. Cette eau nous rappelle, sur un autre mur, que sans avoir à l’arrivée ni les pieds palmés ni la moindre branchie, nous avons tous flotté à huis clos, dans le liquide amniotique tempéré par le ventre de nos mères. Puis, à l’écart sur un autre mur, une eau bien plus sinistre et glaciale va laisser surnager un visage sans vie. Envahi par l’hypothermie. On découvre aussi, plus loin et avec amertume, certain rivage témoin de catastrophes à répétition. Au Liban.  Là où la Méditerranée et ses routes potentiellement salvatrices, offriront peut-être un jour à sa population, la seule et unique échappatoire. Ce qu’à Dieu ne plaise.

J’ai initié mon propos sur l’Olympe, je le termine ici avec Dieu. La concordance n’est pas très lointaine.

 

Commentaires (2)

Webstory
29.01.2022

Une soirée avec Barbara Polla, à la Galerie Analix Forever – Les textes inspirés par cette rencontre sont visibles dans Histoires > Catégories > D'écrire l'artiste (25.01.2022)

Starben CASE
29.01.2022

J'aime l'idée d'un aqueduc invisible souple et sinueux qui nous emporte vers le bas, comme un écoulement créatif d'éclaboussures, et peut-être que toute cette eau sur les oeuvres nous entraînent vers un autre rivage. Poétique et mystérieux, laissons- nous emporter!

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