Créé le: 22.04.2024
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Allez Louya, Va là où y’a

NouvelleAu-delà 2024

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© 2024-2025 1a Hervé Mosquit

Louise, dite Louya, ébranlée par la perte récente d’une amie passe une semaine pour le moins stressante et douloureuse. Elle vit ce moment comme une marche forcée, un voyage intérieur à la recherche de ses valeurs et du sens à donner, autant à la vie qu’à la mort et à notre inévitable finitude.
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Louise Sarrasin, dite Louya, dort mal depuis quelques jours, depuis le décès de sa colocataire et amie Mathilde.

 

Elles avaient grandi ensemble à Bovernier, en Valais, à quelques kilomètres de Martigny, sur la route du Grand St-Bernard.

 

Elles avaient partagé le même parcours scolaire. Leur bac en poche, elles avaient opté pour l’université de Fribourg et pris une colocation dans un petit deux pièces assez vétuste en basse-ville. Louya s’était inscrite en pédagogie curative alors que Mathilde s’était lancée dans des études en sciences du sport. Elles avaient chacune trouvé un amoureux à leur convenance : Jordi, un médecin urgentiste, pour Louya et Frédéric, un avocat, pour Mathilde

 

Les deux garçons durent s’habituer au franc-parler et à l’humour parfois mordant des deux amies qui méritaient largement le surnom donné aux habitants de Bovernier : les vouipes (les guêpes en patois).

 

Il y avait maintenant près de deux mois que les deux amies d’enfance avaient chacune réussi leur examen de Master. Louya avait inauguré sa vie professionnelle dans une classe spéciale d’une école de Fribourg.

 

Mathilde était encore en recherche de travail. Passionnée d’alpinisme, comme son compagnon, elle avait profité de deux jours de congé de Frédéric, un lundi et un mardi, pour faire quelques voies dans les « Gastlosen. Cette petite chaîne de montagne du sud du canton de Fribourg est prisée des grimpeurs qui parfois la comparent aux Dolomites transalpines.

 

En sortant de l’école ce lundi, Louya reçut de magnifiques photos de la première journée de Mathilde et Frédéric. Le mariage parfait d’un ciel d’azur et du gris bleuté des falaises de calcaire côtoyait les sourires radieux de ses amis. Elle répondit simplement « profitez bien ! A demain soir ».

 

Mardi, peu avant la fin des cours, Louya sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Elle s’était donnée comme discipline de ne jamais le consulter pendant la classe. Devinant qu’il ne pouvait s’agir que de Jordi ou de Mathilde, elle piaffa d’impatience mais sans rien n’en laisser paraitre devant ses élèves.

 

A peine le dernier enfant parti, elle examina le message qui venait effectivement de Jordi :

 

« Urgent : rappelle-moi dès que tu peux »

 

Elle rappela immédiatement Jordi. Ce dernier, la voix cassée, lui raconta qu’il venait de recevoir un appel des parents de Frédéric lui annonçant l’accident et les décès de Frédéric et Mathilde. Alors qu’ils étaient à une dizaine de mètres du sommet d’une voie, un rocher s’était détaché de la paroi, heurtant les deux alpinistes et les entrainant dans sa chute. Le policier avait ajouté que ce n’était pas la première fois que ce genre d’événement se produisait aux « Gastlosen », autrement dit, en allemand, « les Inhospitalières ». Avec une chute de plus de 80 mètres, les deux jeunes grimpeurs n’avaient aucune chance de survie.

 

Louya s’effondra en pleurs sur son pupitre. La nouvelle l’avait terrassée. Ce n’était pas possible, ce n’était pas juste, ce n’était pas vrai ! Elle ne voulait pas y croire. Une douleur indicible la submergeait.

Elle eut juste le courage d’articuler, entre deux sanglots :

 

« Viens me chercher s’il te plaît ! »

 

Trente minutes plus tard, Jordi débarquait dans la classe. Il fit avaler un anxiolytique à Louya puis la soutint jusqu’à sa voiture. Arrivée à son domicile, aidée par Jordi, elle se coucha et se laissa couler dans un sommeil profond peuplé de cauchemars. Jordi appela la directrice de l’école. Cette dernière lui transmit ses condoléances et affirma qu’il fallait que Louya prenne le temps de récupérer. Le remplacement serait assuré.

 

Le lendemain, elle eut la force et le courage d’appeler les parents de Mathilde. Ces derniers formaient un couple solide et très croyant. Les parents de Louya, eux, étaient pour l’un agnostique et pour l’autre catholique non pratiquant mais tous les deux affichaient une ouverture, une tolérance et un humanisme aussi solides que la foi de charbonnier des parents de Mathilde.

 

Il y eut beaucoup de silences et bien des pleurs au long de cet échange téléphonique. Mais les parents de Mathilde semblaient presque mieux surmonter leur douleur que Louya, ne serait-ce que par la conviction que leur fille irait au paradis. Louya promit qu’elle serait présente pour les funérailles qui auraient lieu jeudi à Bovernier. Celles de Frédéric se dérouleraient vendredi dans son village natal dans le canton de Fribourg.

 

Jordi, qui travaillait à l’hôpital de Zurich, devait reprendre son travail jeudi mais s’était arrangé pour le repousser d’un jour afin de pouvoir accompagner Louya aux funérailles de son amie.

 

Jeudi Louya se leva en sursaut vers six heures après une nuit entrecoupée de réveils intempestifs suivis de phases d’un sommeil profond mais tout aussi cauchemardesque que la veille. Elle tourna en rond un moment dans l’appartement, errant d’une pièce à l’autre, confrontée sans répit aux affaires de Mathilde ou aux meubles communs de cette joyeuse cohabitation si brutalement interrompue.  Elle ressentait chaque regard sur un vêtement ou un objet lui rappelant Mathilde comme un coup de poignard qui attisait sa douleur et son désespoir.

 

N’en supportant pas davantage, elle décida de sortir même si le jour se levait à peine. Elle n’avait ni but ni itinéraire. Elle se contenta d’arpenter les rues de la vieille ville et les berges de la rivière pendant presque deux heures. La marche lui fut bénéfique : elle se força à ne pas penser à autre chose qu’à mettre un pied devant l’autre et à respirer profondément. Les seules pensées vagabondes qu’elle laissait émerger concernaient des décisions à concrétiser dès que possible : appeler sa directrice et ses parents.

 

Quand elle rentra de sa marche, vers 9h. elle se précipita immédiatement dans sa chambre et réveilla Jordi. Elle lui dit son intention de faire l’amour, là, tout de suite, comme pour exorciser ses angoisses de mort, se donner une preuve de vie et calmer sa révolte et ses interrogations sur ce qu’il fallait bien appeler l’au-delà.

 

Un peu plus tard, elle s’attela aux tâches qu’elle s’était fixées en marchant.

 

Sa directrice l’assura que son remplacement de passait bien et qu’elle pouvait sans problème attendre la semaine prochaine pour reprendre le travail.

 

Elle avertit ses parents qu’elle resterait chez eux ce soir, avec Jordi, après l’enterrement de Mathilde.

 

Vers midi, ils se mirent en route. La cérémonie aurait lieu à 16 h et cela leur laisserait le temps de passer chez les parents.

 

Pendant tout le trajet, Louya ouvrit grand les vannes de toutes ses interrogations trop longtemps contenues sur ce que signifiait la mort et comment faire pour accepter cette inéluctable et imprévisible échéance. Elle espérait peut -être soulager ainsi la douleur, le sentiment d’impuissance et la désespérance qui la taraudaient depuis l’accident de Mathilde.

 

D’abord, elle culpabilisait un peu de se sentir si mal pour la perte d’une amie emportée dans un accident alors que partout sur la planète, des milliers de gens mouraient dans des souffrances atroces lors de catastrophes naturelles ou dans des conflits guerriers. Mais quelles que soient les circonstances de la mort, c’est normal répétait-elle, que cela ne nous fasse vraiment mal que lorsqu’elle nous prend des êtres aimés.

 

Elle voyait bien que la religion donnait une certaine sérénité aux parents de Mathilde et en cela, les rendait plus forts. Les religions, affirmait Louya, ont été inventées pour tenter de donner des explications à la création du monde mais surtout pour croire en une vie après la mort, ce qui est quand même plus sympa que le néant. Les religions étaient aussi censées donner des codes de conduite aux humains, leur permettant de mieux se respecter et s’entraider.

 

Mais que voyait-on trop souvent en réalité ? Les religions devenaient des carcans idéologiques. Les hommes transformaient leurs Dieux d’amour en vérité unique, exclusive. Les méfaits des dogmatiques religieux n’étaient plus à démontrer : les croisades, les terroristes islamistes, les veuves hindoues brûlées avec leur mari et j’en passe… Les fanatiques chiaient des anathèmes ou des fatwas dans lesquels marchaient de crédules imbéciles qui répandaient alors la puanteur de l’intolérance et de la violence.

 

Et après la vie, que nous proposaient-elles ces religions ? Louya trouvait relativement attrayant le paradis des chrétiens, des juifs ou des musulmans. (En excluant toutefois pour ces derniers, la définition des obscurantistes misogynes avec leurs 72 vierges à dépuceler par tous les pseudos martyrs de passage).

 

Les prairies éternelles des Amérindiens lui étaient assez sympathiques mais un peu moins la réincarnation des boudhistes ou des hindouistes : elle ne s’imaginait pas réincarnée, par exemple, en frelon ou dans un humain grincheux, querelleur, quérulent, raciste et bête à manger du foin.

 

Et l’enfer, le diable ? Quelles étaient donc ces croyances pour le moins bizarres et incongrues, voire toxiques, qui rendaient la vie plus angoissante et la mort plus menaçante ?

 

L’enfer, s’il y en avait un, elle y verrait bien brûler, les dictateurs, les violeurs, les assassins, les trafiquants d’êtres humains et les fanatiques de tous bords. Le diable, s’il devait exister, n’était rien d’autre que la part de de méchanceté tapie au creux de personnalités toxiques.

 

–       On arrive ma douce…

 

–       Oui, je vois. Pardonne-moi Jordi. Je sais que j’ai dû te saouler avec ma philosophie de boulevard mais j’en avais besoin. J’arrête maintenant.

 

–       Oui, c’est mieux. Et je pense que les parents de Mathilde, pas plus que les tiens d’ailleurs, n’ont besoin à présent de ce genre de réflexions.

 

La journée passa très vite. Ses parents, comme d’habitude, se montrèrent affectueux, empathiques. Louya puisa là les forces nécessaires pour participer la cérémonie d’adieux à Mathilde. Toute la communauté villageoise entourait les parents de Mathilde dont Louya admirait la force tranquille : ils parvenaient à sublimer leur douleur par une foi inébranlable et la conviction que leur fille, là où elle se trouvait, était bien et les attendait. La mort pour eux n’était pas une finitude, un saut dans le néant mais bien un passage vers un au-delà paisible dans lequel nous nous retrouverions tous un jour. En ce moment-là, Louya aurait tellement voulu être capable de croire comme eux, de laisser cette foi et cette espérance lui insuffler un peu de sérénité.

 

3 jours plus tard…

 

Il fait encore une température estivale en ce dimanche matin de septembre. La vieille ville de Fribourg est silencieuse. Seuls les oiseaux et le murmure des eaux de la Sarine constituent l’univers sonore de ce bourg médiéval dont on dit qu’il exhale des senteurs de molasse, d’eau bénite et de schnaps.

L’automne pointe juste le bout de son nez et distribue des taches de couleurs aux forêts, de la nostalgie aux soirées et du spleen aux rombières.

 

Louya, ouvre les volets mais la lumière qui envahit la pièce reste très timide, le soleil ne s’étant pas encore faufilé dans la ruelle. La jeune femme s’accoude à la fenêtre, jette un coup d’œil à l’extérieur puis ferme la fenêtre. Elle se fixe deux priorités : Une douche rapide, un café serré et une cigarette sur le petit balcon. Ces deux étapes lui apparaissent indispensables pour attendre Jordi et découvrir la parenthèse qu’il lui a promis d’ouvrir aujourd’hui.

 

Un peu plus tard, la porte s’ouvre et Jordi entre dans l’appartement. Il embrasse Louya qui a déjà mis ses chaussures de marche et préparé son sac à dos.

 

Après une bonne heure de trajet en voiture suivi d’une marche en montagne de près de deux heures, ils atteignent un alpage dans une petite vallée entourée de montagnes qui doivent culminer à près de 3000 mètres.  Au milieu de cet écrin de verdure incrusté dans un environnement minéral se trouve un mazot au toit d’ardoises. Devant la porte, un vieil homme, barbu, ridé, le visage buriné par le soleil, fume sa pipe sur un banc. Il aperçoit les promeneurs et lance :

 

–       Bonjour les jeunes ! Alors Jordi, ça faisait un moment que tu n’étais pas passé me voir ? Tu as de la chance de me trouver : dans deux semaines je redescends au village.

 

–       Louya, je te présente Pedro. Pedro a vécu en Amérique du Sud. Il était prof de philosophie à Buenos Aires. Il a perdu toute sa famille dans un incendie et a connu les geôles de la dictature avant d’émigrer en Europe. Il est arrivé en Valais un peu par hasard et s’est fait engager par un agriculteur, propriétaire de cet endroit. Il y a maintenant 25 ans qu’il fait la saison d’alpage et reçoit des jeunes un peu paumés ou en questionnement, comme je l’étais avant mes études. Je voulais juste qu’il te répète ce qu’il m’avait dit au terme de mon séjour ici, il y a maintenant presque 10 ans.

 

Le vieil homme sourit et regarde Louya :

 

–       Je lui ai juste dit qu’on avait tous qu’une vie. Si on en fête le début, on n’en connait jamais la fin et il faut soigner la vie, la chérir tous les jours. Tu as le droit d’être triste ou en colère mais cela ne doit pas t’empêcher de vivre, chaque jour le mieux possible.

 

–       Et la mort ? Et après la mort, l’au-delà, c’est quoi ?

 

–       La mort c’est pour plus tard, pour un moment que chacun ignore..

Et après la mort, chacun a le droit d’imaginer ce qui lui convient.

 

–       IL faut donc l’accepter ?

 

–       Oui ! La vie c’est aujourd’hui. Allez Louya, va là ou y’a de la vie !

Je vais te montrer un petit texte que m’a laissé un jeune. Je l’’ai mis sur les étiquettes des bouteilles où je garde, pour moi et mes visiteurs, l’eau de la source d’à côté.

 

Le vieil homme entre dans le raccard et en sort avec une bouteille qu’il tend à Louya. Cette dernière peut y lire :

 

L’eau de là

Pure eau de source des montagnes valaisannes.

 

Arrive le temps de l’espoir,

Invente-toi des envies,

Monte au bistrot de la vie

Et veille à la bien boire.

 

Rares sont les rires vrais

Ils filent l’amour et la paix

Revenant nous amuser

Et laissant la vie chanter.

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