Créé le: 05.08.2021
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Aimé

Histoire

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© 2021-2024 Agmar Senn

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Chapitre 1

1

Les étranges rencontres de la vie, celles qui tout à coup nous questionnent et nous dérangent aussi. Des moments qui provoquent aussi un certain malaise...
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Je te connus alors que ton état civil venait enfin de changer, tu t’appelais maintenant Aimé ; d’autres autour de toi ont choisi Eve ou Marylin, Théo, Faust ou Marlène, des noms fous de projections diverses.

Je n’ai jamais su ton prénom de naissance. Mais là, ce fut Aimé.

Tu sortais de pénibles démarches administratives, avais essuyé tant de moqueries ou franche haine, que beaucoup d’entre vous endurent lors de ces demandes.
Un vrai combat.
Des avancées, d’effroyables délais de réponse, des reculades, tout est consciemment fait pour décourager les personnes voulant enfin retrouver l’identité qu’ils pensent avoir sans subir le corps qui les nie chaque jour.
Regards… Propos désobligeants… Attitudes franchement hostiles, moralistes : votre lot.
La société demeure plus que tiède sur ces questions-là, quelles que soient les lois en vigueur.
Une forme de purgatoire.

Tu travaillais comme assistant administratif et t’ennuyais fortement, en relation délicate avec toutes et tous.
Tu tentais d’obtenir une formation dans le domaine social.
Nul ne doutait de ta masculinité, difficile de t’imaginer petite fille, jeune fille ou femme, tant ces traitements hormonaux t’avaient changé.
Tu dégustais cette « renaissance », mot emprunté par nombre d’entre vous pour parler de la vie après la transition.
Finalement, tu entras, ravi, à l’école d’études sociales et trouvas un job lié.
Le désir de prendre soin des autres disais-tu souvent.
Mais c’était autre chose aussi je crois.

Nous avons sympathisé.

Tu semblais t’intéresser à la littérature, au cinéma de genre, à la musique, la poésie… ainsi, je te proposai de participer ponctuellement à quelques-uns de mes projets.
Cela te flatta je pense. Et se passa tout à fait bien.
Je constatais peu à peu qui tu étais vraiment… au-delà de la victime d’un système que tu disais constamment être.
Je découvrais cette tendance autoritaire, ce verbe haut affirmant d’impossibles thèses, cette extrême susceptibilité.
Très soucieux du qu’en dira-t-on, paniqué parfois dans la rue, d’une orgueilleuse timidité, toi fille, puis fils de chanteuse si sociable, chansonnière.

Car tu as raison, toujours.
Et pourtant, tu ne sais pas grand-chose, ton récit est parsemé de vérités alternatives gangrénant notre société, de vides abyssaux de connaissance, de croyances erronées.

La vie nous éloigna paresseusement l’un de l’autre, je t’apercevais quelques fois, dans cette ville de province embourgeoisée à l’extrême, avec ou sans ta charmante amie rencontrée ensuite, venue d’horizons lointains, qui devint ta discrète femme.
Toujours un peu en retrait physiquement de toi, fixant les gens avec douceur, parlant peu, souriante et mystérieuse, une Joconde.
Assistante en pharmacie, je crois.
Tu t’installas avec elle. Puis elle attendit un enfant. Issu de la PMA.
Ton plus grand souhait depuis longtemps. Votre grand projet.

Sacrifice premier de la transition, passer de la fécondité à la stérilité, définitive, condition sine qua non de la transition. Injustice.

L’enfant naquit. Vous sembliez heureux.
Il demeurait toujours difficile d’engager une conversation avec la Maman, nous – ceux qui vous rendaient visite, peu.
Tu parlais sans cesse, à coups de grands principes sur le soin des nouveaux nés, elle souriait, comme pour s’excuser de ne rien dire …
L’enfant, un garçon. Théo. Un amour.  Le portrait de sa mère. Beau.
Tu as aussitôt joué ce rôle de père auquel tu avais tant réfléchi : responsabilité, prévention, équilibre alimentaire, cuisine, éducation, tu imposais les règles, les promenades, les jeux.
Tu l’appelles « fils » plutôt que par son prénom.
Je vous rendis visite quelques fois, avec les cadeaux usuels, puis vous perdis de vue.
Un an.

Un jour, une notification d’un réseau social, un post, c’était toi :
« Comment vas-tu ? tu ne m’as plus fait signe… Tu n’as pas lu ce fait divers il y a 4 mois ? C’est nous, E. est en prison et mon fils va bien… »

Je t’appelais aussitôt, tu me racontas le déroulement de ce fait divers, les cochons d’Inde tués affreusement, les bougies brûlant, alignées, dans le couloir jusqu’à la chambre conjugale, l’enfant de quelques mois posé sur le lit parental, dormant, ta femme, E., droguée, à ses côtés, dans le coma.
Le tout jonché de photos de l’enfant et de paillettes.
Une petite sonate de Chopin. En boucle.
Pas cette vie- là semblait-elle hurler, n’ayant donné à son fils qu’un ou deux comprimés de paracétamol à faible dosage pour nourrissons, rien de grave.
Tu avais découvert la scène en rentrant chez toi, tard, tu travaillais une partie de la nuit depuis quelque temps.

Tu avais aussitôt prévenu la police et appelé l’ambulance, atterré, lorsque tu avais découvert la scène macabre.
Tu attaquas aussitôt très fermement ton épouse, la désignant comme meurtrière, avec préméditation, alors qu’elle ne pouvait répondre ou expliquer.
Tu mentais. Tu n’en démordis jamais.
Et le reste suivit.
Les mois passèrent, tu étais enragé contre elle, le manifestait à chacune de nos promenades avec l’enfant, demandait témoignage écrit à chacun.e , dire qu’elle était dépressive, chroniquement… peu responsable, incapable d’élever ton fils.

Tu râlais excessivement sur les avocats et responsables de la petite enfance qui s’affairaient autour de votre cas, culpabilisant ou déculpabilisant tour à tour la maman, le père.
Seuls, nous savions que tu étais le père non biologique, pour protéger ton nouvel état civil.
Je savais, tu me l’avais dit, que fille tu restais, tant en termes de plaisir, que de désir, que de sexe.
Tu voulais la garde exclusive de l’enfant Dieu, niant à ton épouse le moindre amour maternel, la moindre légitimité, la moindre compétence.
Je ne l’ai plus vue.

Tu affirmais des vérités ébouriffantes, avec un manque absolu d’intuition ou d’écoute de l’autre. Tu refusais de discuter avec elle, l’affublant de noms d’oiseaux.
Tu t’épaississais encore, corps et âme, élevais la voix souvent, avec ton fils aussi, brutal dans tes gestes, interdisant des choses sans les lui expliquer, inflexible.
Un plaisir sans doute, celui de la jouissance du pouvoir patriarcal, enfin acquis.
Raison probable, unique ou l’une parmi les autres, de ta transition ?

Je tentais de te parler de médiation, de droit de visite de la Maman, de garde partagée à initier, de psychothérapie de couple, cela te fâchait.
Tu voulais la rayer de la carte. Pour toujours.
Je souhaitais la rencontrer, te l’ai dit plusieurs fois, tu l’as interdit.

Et puis un jour tu « m’écrivis » un mauvais texte court sur la sexualité épanouie et jouissive avec un autre corps, mature, le mien. Je dus lire, la mort dans l’âme. Tu me voulais.
Le texte me déplaisait, je me sentais forcée.  Je n’en dis rien, pas un mot et ignorais la situation, embêtée, dégoûtée.
Tu devins désagréable et acariâtre. Nous espacions nos conversations téléphoniques vespérales ou nocturnes. Tu me parlais de ton désir, de longs monologues.
Je savais que mon refus était le point final de notre relation, comme avec beaucoup d’hommes.
Tu ne me plaisais pas du tout.
Tu cherchas ensuite le prétexte pour cesser de nous voir, tu le trouvas rapidement, au gré d’une conversation, te manifestant par nombre d’idées préconçues.
Nous ne sommes plus vus, tu m’as bloquée sur le réseau social que nous partagions, as tenté, je le sais depuis, de me nuire dès que tu le pouvais. Mais tu ne le peux pas.

Cette aversion de la femme, que tu fus, se serait donc étendue à toutes ?
Tu ne respires plus que muscles, ventre et testostérone.
Tu deviens chaque jour mon pire ennemi, celui qui hait les femmes, celui qui voulut être homme, ennemi des femmes.
Tu es l’ennemi que je n’estime, ni ne jalouse, qui prétend sans être, singe et reproduit.
Et je me demande si la haine de ton propre corps à la naissance a provoqué cette haine des femmes, de toutes les femmes.

Commentaires (2)

Thomas Poussard
10.08.2021

Dur à lire. Bien écrit, et je suppose que c'est une histoire vraie, mais que c'est dur !

AS

Agmar Senn
12.08.2021

merci, oui dur, non irréel ou de multiples histoires ensemble

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