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Chapitre 1

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Cette lettre a été écrite à l'encre de mes souvenirs. Souvenirs de douleur, de rancoeur, de trahison, d'injustice, mais aussi d'interrogations, d'espoirs et de tendresse...
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Chère Diane,

 

Te souviens-tu de moi ? Nous nous sommes quittées il y a dix ans telles que se quittent deux collégiennes qui n’ont rien à se dire et considèrent qu’elles ont perdu suffisamment de temps déjà à penser l’une à l’autre. De ces deux collégiennes, la première avait tellement écrasé l’autre sous son mépris qu’elle s’en était lassée ; et la seconde avait tant souffert qu’elle attendait cette séparation pour recommencer à vivre.

 

Dois-je te rappeler lequel de ces deux rôles était le tien ? Ne me répond pas que oui, car je ne te croirais pas. Tu ne peux pas avoir oublié à quel point tu as cherché à salir ma dignité. Tu ne peux pas avoir oublié avec quelle violence tu m’as bousculé jusque dans mes retranchements secrets par plaisir de me voir terrassée de crainte. Tu ne peux pas avoir oublié avec quel malin plaisir tu piétinais ma pauvre fierté d’enfant marginale, car oui, ma position à moi était celle de l’enfant seule et étrange face aux “autres » , ceux qui riaient avec toi (et Dieu sait qu’ils me paraissaient nombreux). Tout cela, non, tu n’as pas pu l’oublier, car tu te rendais compte de ma détresse. Je le sais, je t’ai vue me regarder avec les yeux d’une ancienne amie qui connaît l’impact de ses paroles. Quelle trahison ! Ayant été mon amie, mon alliée, tu ne pouvais que connaître la mesure du mal que tu me faisais.

 

Ainsi, toute la misère que tu m’as infligée, tu la connaissais. Et toutes les fois où ton rire et ta méchanceté se sont déchaînés sur moi en lacérant ma confiance en moi, tu en étais une spectatrice avertie. Tu as vu et connu ma souffrance. C’est pourquoi, je le crois, tu ne m’as pas oubliée.

 

Tu sais, de toute les personnes qui jusqu’à présent ont eu un rôle à jouer dans l’histoire de ma vie, tu es la seule qui ait fait volte-face, et de ma confidente, sois devenue mon ennemie, et ennemie n’étant pas encore suffisant, il fallait que tu sois mon bourreau, un bourreau d’autant plus terrible qu’il obéissait au tribunal de la mondanité. Si tu savais comme je t’ai détestée ! Si tu savais comme tu as ravagé mon moi profond et pulvérisé mon estime personnelle ! Si seulement tu m’avais vue rentrer chez moi et m’effondrer sans avoir les mots pour dire ma souffrance, et que tu avais été dans mon cœur quand il était rongé par l’angoisse de retourner à l’école à cause de ton pouvoir sur moi… Il aurait bien fallu cela. Pour que tu saches ! Pour que tu saches avec quelle force et quel venin je t’en voulais ! Pour que tu mesures les conséquences possibles de la méchanceté gratuite !

 

N’avais-tu pas pensé que j’aurais pu vouloir en finir et me suicider ? N’avais-tu pas  compris que le mal que tu me causais me ferait souffrir toute ma vie et saperait pour longtemps ma confiance en moi ? N’avais-tu pas saisi le drame dont tu étais la cause, et qui consistait à détruire un être humain à l’âge où il doit se construire ?  Non, égoïste, tu n’avais pas réfléchi à tout cela, car je veux croire que tu te serais abstenue de tous ces méfaits si tu comprenais vraiment leur portée. Tu n’imaginais pas que ces actes survivraient à cette époque révolue, n’est-ce pas ? Et pourtant, regarde autour de toi : alors que le monde a changé, que tes proches et toi-même avez pris de l’âge, que dix années ont passé et que je n’appartiens plus à ton quotidien, je n’ai rien oublié de tout cela, et je peux te dire qu’ils ont laissé des traces ineffaçables.

 

Cela dit, je ne te demande pas tes raisons. A vrai dire, cela ne m’intéresse pas. Il me suffit, en effet, de me rappeler que les enfants peuvent être cruels et vraiment, tu l’as été. D’ailleurs ce n’est pas tout : tu étais aussi malheureuse. J’en suis certaine Diane, tu souffrais. C’était limpide, cela me sautait aux yeux et cela me saute encore à la mémoire. Ta méchanceté-même me  le criait à la figure : “A l’aide ! Sauvez moi de ma souffrance ! Regardez-moi et remarquez combien je suis malheureuse!”

 

Dis-moi Diane, as-tu remarqué que ma lettre commence par le même mot que celui dont on qualifie une personne aimée ? Tu ne répondras jamais à cette question rhétorique, évidemment, mais moi je te l’affirme : tu es restée chère à mon cœur.

 

Après ce que je viens d’écrire, tu serais en droit de penser que je joue les héroïnes de roman et cherche à faire preuve de magnanimité, comme si cela devait te forcer à avoir honte de tes comportements passés et à me reconnaître supérieure à toi. Pourtant je te suis sincèrement attachée, et mon sentiment est cohérent, puisque avant tout, nous avions été amies. A mes yeux, un tel lien ne disparaît jamais complètement, et cela est indépendant de notre volonté. D’ailleurs je t’ai déjà prouvé cela : nous étions conscientes de nos souffrances respectives même lorsque nous étions devenues ennemies. En fait, c’est pour cela que tu m’es chère : à cause de cette misère vécue conjointement, chacune dans son cœur, mais sous le regard de l’autre, quand bien même le regard de l’autre était devenu celui d’une adversaire. Disons-le autrement : nous étions compagnes d’infortunes. Nous vivions la même détresse, l’une devant l’autre. Et mon affection pour toi rend hommage à cette souffrance que je t’ai vue traverser.

 

Depuis quelques temps, j’ai fait le deuil de mon ressentiment contre toi. J’aimerais te revoir. Si je le pouvais, je m’adresserais à toi de vive voix. Je te dirais que je t’ai secrètement cherchée. Je te dirais que j’ai longuement pensé à toi, à ce que tu devenais, et que jamais je ne t’oublierais. Je te dirais aussi que je parle de toi à Dieu et Lui demande de prendre soin de toi. Je te dirais que tu ne seras jamais seule, car si différentes que soient nos histoires respectives, je comprends et connais les misères de l’humanité, du moins certaines. Je te dirais que je te souhaite d’être heureuse.

Mais es-tu seulement encore en vie ? Qu’il me soit permis d’en douter. Tu sembles avoir disparu de la mémoire des nos anciens camarades au point culminant de ta propre solitude, de ta propre misère. Personne ne semble savoir ce que u es devenue, et ton nom, que j’ai cherché, n’apparaît nulle part. Il se pourrait que tu te sois tuée. Dire que si c’est le cas, je ne le saurais jamais (quel effroi !) car avant même que ne commence ta dégringolade (Clémence me l’a racontée), j’étais déjà partie, et en quête d’un nouveau souffle de vie.

Tout à été écrit, tout à été dit. Maintenant je n’ai plus qu’à espérer que tu sois allée mieux, et qu’un jour, peut-être, justice puisse être faite à notre passé inachevé.

Je te prie de recevoir, ni mon amitié ni mes souvenirs enchantés, mais mon le espoir que j’aie de te revoir un jour.

 

Bien à toi,

 

Myriam

 

 

PS : J’ai l’eau, j’ai l’électricité. Tout va bien, je ne vis pas dans une grotte.

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