Créé le: 12.10.2014
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Conte de la vie nue

Poésie

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© 2014-2025 a Jean Cérien

L’oiseau

1

L’oiseau attend que quelque chose bouge sous le miroir de l’eau ou que le vent l’envole
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L’oiseau attend

Que quelque chose bouge

Sous le miroir de l’eau

 

Ou que le vent l’envole

 

 

septembre 1989

Été

2

 

Été bruissant

Branches arrachées

Orage du soir

Tonnerre harassant

Rage de croire

Temps d’été

Tant de tombés, des blés

Sur la paille dépiautée

Une étoile délavée

 

Été passé

Image fatiguée

Fleuve figé

 

Été perdu

Perpétue

 

Avoir été

 

Hiver 1989

Neige

3

 

Je rêve de me reposer

sur un banc très sombre

de regarder les flocons tomber

 

Ils tombent

 

tombent

 

tombe

 

Novembre 1989

Ailes

4

 

Ailes opalines, cendrées

Boueuses s’ébrouent

Tapent à ma tête

 

Ailes d’anges, ailes de vin

La lie déliée de la vie

La lire à plus soif

 

Ange coasse

Dans la nuit risible

 

Ange crasse

S’abîme dans cette paix

Équilibre de rupture

 

Ailes dangereuses

 

Hiver 1989

...

5

 

Me laissant mourir

 

Au bord d’une rivière

 

De soif

 

Le goût amer

Dans les pattes

De la vie

 

Janvier 1990

 

Déboires

6

 

D’une théière chauffée

D’une bougie allumée

Coule ce thé embaumé

Vivifiant mon corps cassé

 

D’un samovar enfumé

De vieux oublis encrassés

Coule cette eau d’une fée

Calmant mon cœur enflammé

 

D’une carafe effilée

De pur cristal ciselée

Coule une goutte irisée

Berçant mon âme hantée

 

D’un calice consacré

De vide et de plein nacré

Coule un liquide sacré

Effaçant ma vie versée

 

Janvier 1990

 

Place

7

 

Deux artistes écorchent quelques sons

Une rangée de buveurs a enfin un regard à poser

 

Une table ne sait plus quoi dire

Un costard-casquette observe tout

 

Un genou tape du talon

Un couple s’aime

Plusieurs couples s’aiment

 

Les gens se cherchent

Les seuls, esseulés, à table, fixent le même horizon

Deux artistes écorchent une gamme

 

 

L’air de rien

8

De mes mots l’air erre

 

je lance des silences

j’expire pour écrire

 

l’air de l’inspiration

du dernier souffle

 

le silence cireux d’un cœur,

d’un corps qui ne se bat plus

 

 

Mars 1990

Une flaque

9

 

La pluie goutte

goutte à goutte

je la goûte

 

ma peau la porte

ma chaire se mouille

mes os ruissellent

se déforment

puis fondent

en larmes à mes pieds

 

une flaque me conçoit

j’en suis le reflet qu’elle miroite

Du sol noir et brillant

jaillit le corps jusqu’à la tête

au fond du bitume

l’image sombre des nuages

dans le ciel

on croirait une route tracée

 

L’eau tombe

sombre ronde

en trombe

il pleut

 

 

Avril 1990

Paysage

10

 

Le Mont-Blanc est toujours puissant

le lac

l’aimant de la vie

 

Entre ciel et terre

mon corps goûte la paix

seule mon âme blessée

me pousse vers la vie

 

J’use mes souliers

attendant une fois encore

qu’il daigne s’arrêter

ce cœur qui me bat

qui s’ébat

 

Avril 1990

Italie

11

 

Un regard me saisit

il me prend et m’emporte

je passe la porte

ici est mon Italie

des chapelets de mélodies

des chants à la vie

chaque mot est poème

plus beau que ceux dont je rêve

 

à cette table de bistrot

le soleil se couche

trop tôt

et je ne sais plus quoi dire

en sirotant un verre d’eau

sur mon bureau

de marbre,  d’acajou

de toc, de contreplaqué

et les mots sonnent faux

et je ne suis pas dans mon bureau

 

j’écris au sol

et je reste seul

et il fait froid dans mon cœur

et il pleut tous les pleurs

que je voulais garder

et il fait peur dans mon cœur

et mes mots me sonnent faux

et je peine sur mon poème

et il n’y a plus rien à dire

et il n’y a plus rien à croire

et le temps s’en va

et je le laisse là

et le temps s’éteint

et je suis là

 

C’est le bonheur

un regard qui sourit

 

 

Noémi

12

 

Les épaules courbées

regardant le sol

elle marche sous la pluie

froide et douce

 

Aucun pépin

cette eau n’est pas sienne

elle lave sa peau

diluant son ego

redressant son dos

 

Nuque de dignité

regardant devant

elle marche sous la pluie

froide et douce

 

Aucun chagrin

la joie glisse sur elle

elle frappe ses ailes

se fond dans le réel

laisse le radeau

Sur le carreau

13

 

Debout derrière un carreau

les gens me passent devant

aucun ne me fait signe

je suis un corps là

sans reconnaissance

 

Debout derrière un carreau

le temps me passe devant

il ne me fait point signe

je suis un corps là

sans connaissance

 

Debout derrière un carreau

tout oublié des genss

ans l’ombre d’un signe

c’est un corps là

sans naissance.

 

Debout derrière un carreau

tout oublieux du temps

rien ne fait signe

à ce corps là

sans sens.

 

Juin 1990

Nuit de Chine

14

 

Nuit de Chine

nuit ivre de vide

tes lumières

un sapin ne sait pas

la route du retour

une odeur se délaye

 

11 juillet 1990

Roc

15

 

Un roc s’attarde

sculpture bâtarde

 

un roc repose

dans l’eau de rose

 

repose la tête

ses bras caressant

un corps de roc

 

12 juillet 1990

 

En avion

16

 

Ligne d’un sombre

horizon brisé

s’y repose du feu

se dégradant jusqu’au blanc

 

Dans le ciel noir,

Vénus blanche

fuit la pointe de l’aile

qui m’emmène

vers une aube veine.

 

Septembre 1990

Passage

17

 

En transit

pour quelques minutes

regarder les montagnes

sans prendre le temps

de les contempler

 

J’embrasse les vallées

sans pour autant

m’arrêter

 

Seule m’atteint

la lumière

mélancolie

adoucie

 

Septembre 1990

Mélancolie

18

 

Ma mélancolie n’est pas du passé

Elle est celle de la vie

 

Je rêve d’un lieu où les choses

Voudraient dire quelque chose

 

Je cherche un pays où la mort

Ne me laisserait pas froid

 

À Genève ou Pékin, le soleil est le même

Brûlant ou absent

Il me laisse de glace

 

Triste de vivre

Mes yeux pleurent ce qu’ils voient

Ainsi mon cœur est plein de joie.

 

Septembre 1990

la Bise

19

 

La Bise glacée
bourdonne à mes oreilles
du nord
elle frappe mon corps

 

Il frissonne
chaque pouce de moi
en est banni
elle agite l’oriflamme

 

Corps claque au vent

 

Septembre 1990

 

La Bise : vent du nord

Nature

20

Un tigre bondit
des yeux jaunes
en feulant

 

Un tigre tapis
dans ses pattes
un enfant

 

Un tigre s’affale
dans sa gueule
l’innocent

 

Un tigre s’endort
dans ses yeux
un mourant

 

Octobre 1990

Automne

21

 

Une feuille flotte
C’est une litote

 

Elle se balance
Alerte mes sens

 

Poursuivant le vent

 

Novembre 1990

En montagne

22

C’est la neige
qui m’enivre
les flocons
qui volettent
sous les monts
qui font face

C’est la neige
qui m’enivre
le soleil
qui me darde
sur ce coin
trop aride

Novembre 1990

La neige et le soleil

23

Ici la neige est tombée
Elle est déjà fondue
Dessous, il reste les cailloux

 

Ici la neige est tombée
Elle s’est éboulée
Le soleil l’a chauffée

 

Les nuages s’amoncellent
Pleins de flocons
Ils sont noirs, ils sont blancs

 

Au soleil
La terre est humide

 

Décembre 1990

L’écrit vain

24

Le soir, ne sachant que faire
j’écris
ne sachant qu’écrire
j’écris
que je ne sais qu’écrire

puis je m’arrête.

 

Le soir, ne sachant qu’écrire
je m’arrête
ne sachant que faire
j’écris
que j’arrête d’écrire
puis je m’arrête.

 

À l’aube, je rajoute
et je m’endors.

 

29 décembre 1990

La respiration

25

Sans inspiration
restant dans l’instant
du souffle tenu

 

attendant le temps
de l’expiration
menant un moment
ce souffle ténu

 

allant s’animant

 

30 décembre 1990

En bateau

26

 

Mon cœur chavire
ce doux navire
prend l’eau.

31 décembre 1990

À deux

27

 

L’un écrit
c’est deux
ce qu’il dit
c’est peu

 

Encore moins
c’est point
de poème
et même…

 

Sans tracer
de signe
c’est assez
insigne

 

Être l’un l’instant
où n’est rien
mon chant

 

Premier janvier 1991

Le sage et le poète

28

Serein
Sans bien
Sans lien
Sans rien

Tout juste correct
démontre le sage

Laisser l’erreur
désigne l’humain
Aimer les vers
créé l’envers

2 janvier 1991

 

 

Le passé

Au lieu d’en face
un non-lieu

le cœur du ‘je’ s’emballe
le temps le dépouille

se souvenir du départ
un revoir sans yeux

un ici sans lieu
plus loin l’oubli

paysage effacé
chape sur la feuille

13 janvier 1991

Nouvelles

29

Le sang coule
les corps meurent
image banale

 

La violence perd
la violence gagne
c’est normal

 

La paix du luxe
mes yeux révulsés
voient le négatif

 

14 janvier 1991

La vie à pieds nus

30

 

Que la vie soit
un chemin où tes pieds nus
se moule dans la glaise

 

Que les amours soient
des champs où tes pieds nus
foulent les herbes humides

 

Que le destin soit
un roc sous tes pieds nus
chauffé par le soleil

Commentaires (1)

We

Webstory
24.01.2019

'
Formidable! Jean Cérien publie à nouveau ses textes, effleurant nos sens de sa poésie. A quand des illustrations pour visualiser ces paysages oniriques?

Page 4: "Ailes opalines cendrées..."   "Ailes d'anges, ailes de vin..."
'

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