«Le moindre petit chat est un chef d’œuvre.» L. de Vinci
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Le rêve de Violetta Chap 10 Un chaton sur une échelle

« Le moindre petit chat est un chef d’œuvre. » L. de Vinci

Malgré plusieurs tentatives, Jeanne n’a pas réussi à atteindre Violette. Elle a laissé un message lui demandant de la rappeler mais il est resté sans réponse. Elle commence à être vraiment inquiète pour cette jeune fille qu’elle considère un peu comme sa fille. Elle a peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose de grave. Et c’est avec ces sombres pensées qu’elle se rend ce soir à une soirée de bienfaisance organisée par des élégantes dont les talons ne cessent de se rallonger et que le sort terrible des défavorisés tourmente. Les dames patronnesses du siècle passé tricotaient pour les pauvres, les grandes bourgeoises aujourd’hui boivent du champagne et nouent des idylles sous les spots de la charité. Jeanne est rebelle aux règles de ces manifestations mais elle ne peut toujours s’y dérober et ce soir ce sont de vieilles et charmantes amies qui font mine d’être si heureuses de la revoir alors qu’elles ont parfois oublié son prénom. Il s’agit de financer la construction d’une école dans un pays d’Afrique  et même si les promoteurs présentent avec enthousiasme leur projet, Jeanne pense que la soirée sera longue lorsqu’elle découvre son nom sur une table où tous les autres convives lui sont inconnus. Elle est seule car Angelo, son mari, est parti avec son frère pour un week-end de pêche en montagne et, visiblement, l’idée de ne pouvoir participer à la soirée ne semblait pas le rendre inconsolable !

La dame qui prend place à côté d’elle est une femme d’une quarantaine d’années qui mène une existence confortable aux côtés d’un mari dévoré d’ambition. Elle l’a épousé très jeune et a

mis sa vie au service de la carrière politique de cet homme qui exigeait qu’elle l’accompagne à de nombreuses manifestations. Karin n’a jamais participé avec plaisir à ces interminables dîners où ils doivent toujours paraître à leur avantage et où les échanges lui paraissent si superficiels. Les autres femmes sont jalouses de sa beauté et ne se rendent pas compte qu’elle souffre d’une timidité maladive.Jeanne tente quelques propos polis avec cette voisine élégante qui semble absente puis elle se résigne à devoir animer seule la conversation. Jusqu’au moment où Karin commence à raconter un rêve qu’elle a fait la nuit précédente, sans connaître l’identité de sa voisine. Et lorsqu’elle découvre l’existence, dans sa ville, d’un cabinet de travail sur les rêves, elle prend immédiatement rendez-vous, au plus grand étonnement de Jeanne qui ne lui aurait jamais attribué une telle ouverture d’esprit. Trois jours plus tard, les deux femmes se retrouvent face à face pour une séance que Karin a beaucoup hésité à décommander car elle se sent ridicule de parler d’un sujet aussi intime à une étrangère qui est peut-être une incapable exploitant la faiblesse des personnes désemparées et qui ne lui apportera rien de nouveau. Un rêve, ce n’est qu’un rêve après tout. Il suffit de l’oublier et tout rentre dans l’ordre. Mais celui-ci la hante, elle y pense très souvent et elle est malgré tout curieuse de voir ce que cette femme va y trouver. A condition qu’elle lui parle d’autre chose que de “travail sur soi”. Elle ne veut pas travailler sur la misère et sur les ruines de ce passé sans issue. Elle veut juste comprendre ce rêve:

“Il y a un long couloir sombre. Je ne peux en sortir.  Il y a beaucoup de portes mais elles sont toutes fermées à clé. Je pense que je dois descendre pour m’échapper. Il n’y a pas d’escalier au bout du couloir mais le sommet d’une échelle sort d’un trou et je décide d’aller voir où elle conduit. Je commence à descendre et lorsque j’arrive au-milieu des barreaux je pose le pied sur quelque chose de mou. J’entends un miaulement désespéré et je comprends que j’ai failli écraser un petit chat. Je suis déséquilibrée et je tombe sur le sol mais je ne me fais pas mal. Dans la pénombre, j’aperçois le chaton qui ne bouge pas. Je le prends dans mes bras et commence à le caresser. J’entends des voix à l’extérieur et j’appelle au secours. Des petits nains viennent me délivrer. Je repars avec le chat car je veux m’en occuper.”Dans les yeux de Karin, on peut lire une grande détermination. La femme effacée et soumise, bourrée de culpabilité a disparu. A sa place, une créature frêle mais plus vivante lève vers Jeanne un regard avide de découvrir des informations nouvelles. Après une brève pause pour bien entrer dans le rêve, Jeanne commence à poser des questions:

– Quels sont les sentiments que vous ressentez dans le rêve?- J’ai peur, je me sens perdue, isolée. Et puis à la fin je suis heureuse.- Vous souvenez-vous de ce que vous avez vécu de particulier durant le ou les jours qui ont précédé ce rêve ?- Oh oui! Ma sœur qui habite à cinq cents kilomètres, heureusement, est venue me rendre visite . Elle a cinq ans de moins que moi et trois enfants. Je dois vous dire que le grand problème de mon couple est celui des enfants. Nous n’en avons pas. Ou plutôt, nous avons eu un petit garçon qui est décédé à l’âge de trois mois de la mort subite du nourrisson. La voix de Karin s’étrangle car elle ne s’est jamais remise de ce malheur et elle se sent coupable de ne pouvoir être à nouveau enceinte malgré de nombreuses tentatives. Alain rêvait d’un fils qui serait devenu son élève, son copain, son associé. Et à ce petit garçon qu’il ne verrait jamais grandir il avait déjà tracé un avenir virtuel sans faille. Depuis que le médecin leur a enlevé le dernier espoir de devenir parents, les époux n’ont plus jamais fait allusion à leur tristesse. L’un et l’autre la refoulent au plus profond de leur âme. Ma sœur, poursuit-elle, me répète toujours que j’aurais dû poursuivre mes démarches pour être enceinte, que j’ai renoncé trop tôt, que la maternité est ce qu’il y a de plus beau au monde. Elle ne parle que d’elle, que de sa famille, n’a aucun égard pour ma souffrance et lorsqu’elle est là je me sens plus seule que je ne le suis. Mon mari a tendance à la mettre sur un piédestal car elle a deux fils et je ne peux me confier à lui. Je sais que même si j’ai du plaisir à la revoir, elle va très vite recommencer ses critiques tout en m’affirmant que c’est parce qu’elle m’aime qu’elle me parle de cette manière. Mais lors de cette dernière visite, elle m’a rappelé un événement de notre enfance auquel je m’efforce de ne pas penser. Elle en a parlé parce que sa fille aînée a l’âge que j’avais lorsque cela s’est passé.Je devais avoir sept ou huit ans. Un homme m’a suivie sur le chemin de l’école. D’habitude j’étais toujours avec une amie mais ce jour-là elle était malade. Ma mère était absente et j’ai dit à mon père que je pouvais très bien aller seule à l’école. Il devait rester avec ma petite soeur qui avait la grippe et j’ai bien vu que ma décision l’arrangeait. Il faisait beau et je n’avais que quelques centaines de mètres à parcourir à travers champs.L’histoire est d’une banalité tragique: le petit Chaperon Rouge abordé par le Grand Méchant Loup qui est nu sous son manteau et qui s’exhibe devant elle, en pleine érection. Ses yeux étaient exorbités et il m’a donné l’ordre de toucher son pénis. J’étais si effrayée que j’allais lui obéir lorsqu’ont surgi deux policiers, tels deux anges gardiens. Ils recherchaient cet homme depuis plusieurs jours et se sont saisis de lui. Ils l’ont menotté et embarqué dans une voiture. L’un des deux l’a emmené et l’autre m’a reconduite à la maison. Il a mis mon père au courant de ce qui était arrivé. J’étais encore sous le choc de la scène mais je n’avais subi aucune violence. Ce qui m’attendait alors a fait de moi une femme stérile. Du moins c’est ce que je crois, ajoute Karin tout doucement. Lorsqu’il comprit ce que le policier était en train de lui dire, mon père s’effondra et se mit à pleurer. Je ne savais pas que mon père pouvait pleurer et c’est à cause de moi qu’il était si triste. J’étais paralysée. Ma petite sœur commença également à pleurer et j’étais la seule à avoir les yeux secs, exclue de la tristesse familiale. Au bout de quelques minutes plus longues qu’une année entière, mon père fut pris d’un accès de fureur terrible et s’écria: “Je vais le tuer!” Le policier dut le retenir car il avait saisi un couteau de cuisine et se précipitait vers la porte. J’avais sept ans, j’étais responsable du désespoir de mon père et j’étais persuadée qu’il allait être emmené en prison par ma faute. Lorsque ma mère est rentrée le soir, la tempête s’était calmée et mon père, certainement un peu honteux de son comportement, chercha à minimiser l’agression pour la rassurer . Plus personne n’a reparlé de cet incident mais je me sentais si coupable que quelques années plus tard, lorsque je fus victime d’un viol par un ami de la famille, je fus totalement incapable de dénoncer l’agresseur car je craignais trop la réaction de mon père. Nous étions une famille si unie, vous savez. Les voisins admiraient mes parents et je ne voulais pas que par ma faute, tout soit détruit.”

Jeanne est heureuse que Karin ait pu aller au bout de son récit car elle a eu peur que la jeune femme n’y parvienne pas. Elle lui sourit et lui prend la main. “Le petit chat de votre rêve, c’est cette petite fille en vous sur laquelle vous marchiez car on ne vous a pas appris qu’elle existe. Elle n’a pas été reconnue comme victime.”Le regard que Karin risque alors sur elle est de ceux qui annoncent l’aube de la création. Comment puis-je être le petit chat?

Il y a en chacun de nous un enfant qui pleure, Nous avons tous été mal aimés, soit par des parents indifférents, soit par des parents trop affectueux. Ni les uns, ni les autres n’ont su reconnaître nos véritables besoins et cet enfant incompris dirige notre vie. Le père et la mère parfaits n’existent pas mais ils doivent savoir nous transmettre l’énergie de les aimer ou de les reconnaître tels qu’ils sont. Lorsque la souffrance est trop grande, nous pouvons rester toute notre vie ce petit être abandonné dont les réactions sont dictées par le besoin de se protéger. Et nous ne faisons confiance à personne, nous devenons des adultes incapables de créer de véritables relations. Nous pensons que nous allons faire du mal à ceux que nous aimons, nous refermons les portes de notre âme et nous nous trouvons dans un long couloir sombre sans issue. Derrière les portes fermées de votre rêve se cachent de aspects inconnus de votre personnalité que vous avez encore à découvrir. Mais il faudra avoir le courage de descendre l’intérieur de vous à l’aide d’une échelle dont on ne sait où elle mène. C’est là que vous rencontrerez le petit chat qui est écrasé par tout le fardeau de votre culpabilité. C’est au moment où vous le prenez dans vos bras, où vous acceptez de le reconnaître et de vous en occuper que surgissent les petits nains de Blanche Neige qui font tout le travail dans la maison. Ces nains sont des énergies positives en vous qui se réveillent et vont vous aider à sortir. Vous savez, l’inconscient ne se trompe pas. Ces énergies de vie existent vraiment et vous êtes prête à les contacter. C’est un rêve magnifique.

Jeanne se tait. Elle a beaucoup parlé mais Karin l’a écoutée avec une attention très profonde. Elle a cependant encore une question:

– On ne peut pourtant pas faire que le passé n’existe pas. On ne peut rien y changer, alors comment puis-je guérir le petit chat ?

– Non, on ne peut pas changer le passé. Mais on peut apprendre à vivre avec. Vous pouvez reconnaître vos réactions et devenir consciente du fait que ce n’est pas la personne en face de vous qui les suscite mais celui qui vous a abusée ou votre père qui n’a pas su vous rassurer. C’est un long travail mais il est si magnifique lorsqu’il porte des fruits. Karin serre avec beaucoup de reconnaissance la main de Jeanne. Elle se sent tellement plus légère qu’en arrivant. Et comme tant d’autres,” elle a beaucoup de sujets auxquels réfléchir”. Lorsqu’elle aura fait un nouveau rêve, elle reviendra le travailler.

 

Jeanne pense que l’occasion se présentera alors peut-être d’évoquer le symbolisme du chat. Le chat est la représentation du féminin qui est si souvent blessé et doit être réhabilité. Mais il était trop tôt aujourd’hui pour entraîner Karin dans des considérations qu’elle n’aurait pas été prête à entendre. Elle avait à se libérer d’un fardeau trop lourd. Chaque rêve est un message d’amour. Ce message peut aussi être annonciateur d’événements douloureux. Si elle l’avait entendu, vingt ans auparavant, Jeanne aurait-elle su découvrir dans le rêve de la mère de Violette le sinistre présage qu’il contenait?

 

A suivre: Chapitre 11 Le facteur ne parle pas

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