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Chapitre 1

1

C'est l'histoire d'un vieux couple qui se rend compte que leur vie aurait pu être beaucoup plus belle, s'ils avaient mieux su se parler.
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Une banale histoire d’amour

 

Personnages:  Sarah et Marcel la soixantaine

 

S: Qu’est-ce que t’as dit le médecin?

M: Que c’était de la fatigue…

S: Ah… c’est tout?

M: Oui.

S: Faudra dire aux garçons de venir t’aider.

M: Pas besoin… Je ferai tranquillement.

S: Il ne faut pas que tu forces.

M: Ça va aller. (Long temps) Il faut que je te parle.

S: De quoi?

M: Hmmmmm…. Je voudrais m’excuser pour ce qu’il s’est passé il y a six mois… Le soir où j’ai voulu… te frapper.

S: C’est oublié.

M: Moi, je n’ai pas oublié….

S: C’est oublié, je te dis…

M: J’ai des bribes de discussion qui me reviennent.

S: Tu avais trop bu.

M: Oui, j’avais trop bu… mais ça n’excuse pas mon geste… ni les propos que j’ai tenus…

S: C’est du passé, ne remue pas…

M: Si. J’en ai besoin… Je crois que je t’ai dit que tu étais une moins que rien…

S: Hmmmm…

M: Je m’excuse… Tu n’es pas une moins que rien. J’étais excédé… parce que tu ne voulais plus de moi.

S: Hmmmm…

M: Tu ne ne veux plus faire l’amour avec moi et je ne l’acceptais pas. Je ne comprenais pas que tu ne veuilles plus céder à mes avances. Tu trouvais toujours des excuses pour ne pas passer à l’acte.

S:…

M: Ça fait combien de temps qu’on n’a pas fait l’amour?

S:…

M: Deux ans… C’est long deux ans… sans… Enfin, pour moi c’est long… Je sais, il y a des couples qui ne se touchent plus et qui sont heureux comme ça. Mais moi pas… Toi, tu dois apprécier le fait que je ne te demande plus de… Hein?… Réponds…

S:…

M: (Un peu plus fort) Réponds!

S:…

M: ( Plus fort) Réponds, merde…

S: Oui, j’apprécie que tu ne me forces plus à faire l’amour.

M: (Surpris) Mais , je ne t’ai jamais forcé…

S: Euh…

M: Je te forçais à faire l’amour?

S: Pas tout à fait… Mais quand je disais non, tu insistais presque toujours jusqu’à ce que je cède.

M: Je ne te forçais pas… Je ne t’ai jamais prise sans ton accord.

S: Je me sentais obligée de céder.

M: En fait, tu n’as jamais aimé faire l’amour avec moi. Pas vrai?

S:…

M: C’était toujours moi qui prenais l’initiative… Au début, on faisait ça régulièrement… tous les samedis… mais dès que tu étais enceinte, on arrêtait…

S: Ben… c’était normal.

M: Je n’avais plus le droit de te toucher… de te caresser…

S: Ben…

M: En fait, tu ne m’as jamais aimé…

S: Si… au début.

M: Non, tu faisais comme si tu m’aimais, mais tu n’avais pas de sentiment amoureux pour moi.

S: Je t’ai aimé parce que … tu as été d’accord de m’épouser… malgré le fait que j’avais déjà été mariée.

M: Tu essayais de te faire croire que tu m’aimais.

S: Peut-être.

M: Est-ce que tu as été heureuse avec moi?

S: … Par moments, oui… J’aimais quand on allait promener le dimanche avec les enfants. J’aimais quand on chantait tous les deux… dans les fêtes de famille par exemple.(Elle commence de chanter)

Quand nous allions tous deux (Il chante avec elle)

Où, où vont les amoureux

Perdus sous la ramée… (Etc,,,) (Cela peut aussi être un autre chant.)

M: Tu m’aimais quand on était avec les autres.

S: Quand on était tous les deux, on ne se disait presque rien.

M: Je ne savais pas quoi te dire. Je voulais te plaire, mais je ne savais pas comment faire…

S: Tu aurais pu me dire que tu m’aimais.

M: J’y pensais souvent, mais ces mots restaient bloqués dans ma gorge. J’avais peur d’être ridicule.

S: Tu n’aurais pas été ridicule.

M: Toi non plus, tu ne me disais pas que tu m’aimais.

S: Euh…

M: Ah, oui. Tu ne voulais pas mentir.

S: Non… mais…

M: Dès qu’il y a eu les enfants, j’ai senti que tu leur donnais tout ton amour et qu’il n’y en avait plus pour moi.

S: Ben…

M: Je me sentais mis de côté…

S: Tu ne participais jamais à nos discussions.

M: Tu savais leur parler… moi pas.

S: Quand les garçons travaillaient avec toi, tu ne leur parlais pas?

M: Si, je leur disais  » Fais ci, fais ça » Et ils m’obéissaient.

S: Tu ne leur demandais pas comment ils allaient?

M: Non… Tu ne me faisais pas jouer le beau rôle non plus…

S: Comment ça?

M: Ben, chaque fois qu’ils faisaient une bêtise, tu me demandais de les punir.

S: C’était normal… Tu représentais l’autorité.

M: Alors, ils me détestaient et reportaient tout leur amour sur toi.

S: Ils ne te détestaient pas…

M: Hmmmm… Tu gardais le beau rôle.

S: Le beau rôle?

M: J’étais le méchant et toi la gentille.

S: Tu n’étais pas méchant… sauf parfois quand tu avais trop bu.

M: Je n’ai plus été ivre depuis cette dispute.

S: Ah, bon?

M: Tu vois. Tu n’as même pas remarqué ça. Tu ne t’occupes plus de moi. On vit comme deux étrangers.

S: Le dimanche, tu vas toujours boire l’apéro!

M: Oui, mais je bois juste un verre. Avant, j’en buvais quatre ou cinq.

S: Et à la maison, tu bois toujours à midi.

M: Oui, un verre. Avant, j’en buvais deux ou trois.

S: Tu n’as plus été ivre depuis cette dispute?

M: Non.

S: Bravo!

M: Je n’ai pas besoin de tes félicitations puis que tu ne l’as pas remarqué!

S: Euh…

M: Tu sais, je t’aime toujours… Je t’aime depuis l’école primaire. Tous les matins, je t’attendais pour faire le chemin de l’école avec toi. Je me dépêchais de fourrager. Parfois, je ne déjeunais pas. J’avais peur que tu sois déjà partie sans moi.

S: Je t’attendais toujours…

M: J’aurais voulu que l’école soit à des kilomètres pour pouvoir rester seul avec toi.

S: On causait, on causait…

M: Enfin, tu causais et moi, je buvais tes paroles… comme on dit. Je me demande si mon penchant pour la boisson ne vient pas de là? (Il rit)

S: Tu te rappelles? On avait chanté en duo lors de la fête de Noël de l’école.

M: Bien sûr que je m’en souviens. (Il se met à fredonner leur chanson d’école et elle l’accompagne)

S: Quels souvenirs!

M: Tu m’aidais à préparer mes dictées…

S: T’étais pas terrible…

M: Je ne me suis pas beaucoup amélioré.

S: Tu m’aidais en calcul.

M: On en a vidé des fontaines… Si une fontaine perd 20 litres en une heure et qu’un robinet…

S: Arrête, j’y comprends toujours rien.

M: Puis, tu es partie travailler en ville.

S: Eh, oui.

M: Et là, tu as commencé à t’habiller différemment…

S: Je travaillais chez un avocat…

M: Tu étais devenue une fille de la ville.

S: Mais non, quand je rentrais je sortais toujours avec vous… on allait au bal.

M: Et tu aimais danser.

S: J’aimais danser, mais toi tu ne voulais jamais monter sur la piste de danse.

M: Je dansais si mal… Alors, tu valsais avec les autres et je rongeais mon frein. Je t’aimais comme un fou.

S: Pourquoi tu ne m’as rien dit?

M: J’avais peur de ne pas être à la hauteur et j’avais surtout peur que tu dises non.

S: Je crois que je ne t’aurais pas dit non.

M: Tu m’aimais?

S: Oui, je crois… Mais tu ne te déclarais pas…

M: Et puis un soir, il est arrivé.

S: Oui… (Elle baisse la tête)

M: Tu as dansé avec lui. Il était bien habillé. Il venait de la ville. Il te faisait rire. J’étais jaloux, mais jaloux… Je rentrais à la maison et je pleurais, je pleurais…

S: Pourquoi tu me dis ça maintenant?

M: Peut-être pour expliquer mes mots de la dispute…

S: Oublie…

M: Non, je t’ai dit que t’étais capable de faire l’amour avec le premier venu, mais que tu ne voulais plus le faire avec moi… Toute la rancoeur que j’avais éprouvée à vingt ans m’était revenue et… (il fond en larmes)

S: Ne pleure pas… (Elle le caresse)

M: Excuse-moi…

S: C’est rien…

M: Pourquoi ça ne s’est pas bien passé physiquement entre nous?

S: Je ne sais pas…

M: C’était bien l’amour avec Pierre?

S: Pourquoi tu veux savoir?

M: Parce que j’en ai besoin. C’était bien?

S: Oui, c’était bien.

M: Qu’est-ce qu’il faisait que je ne faisais pas?

S: Il prenait le temps, il me caressait… Il voulait que moi aussi, j’aie du plaisir.

M: Pourquoi tu ne m’as guidé quand on faisait l’amour?

S: Je ne sais pas… Peut-être que je voulais garder ces bons moments passés avec Pierre pour moi… pour le sublimer dans ma mémoire. Tu semblais prendre du plaisir de cette manière-là et je me disais que je te devais bien ça… Au début, je faisais comme si… te voir heureux me contentait… Mais plus tard, surtout dès la ménopause, je ne supportais plus tes souffles rauques, tes sueurs. Alors, j’ai essayé de trouver des excuses pour ne plus faire l’amour avec toi. Je prétextais un mal de tête, un mal de dos… Puis, j’allais me coucher longtemps après toi en espérant que tu dormirais…

M: Je me rendais bien compte de toutes tes manigances. Je ne savais plus comment obtenir tes faveurs… Alors, j’ai commencé à ruminer, jusqu’à…

S: Jusqu’à aujourd’hui…

M: Non, jusqu’à cette fameuse dispute… Après, j’ai essayé de comprendre pourquoi j’en étais arrivé là… et je dois reconnaître que l’image de ton premier mari me revenait sans cesse à l’esprit… Comment est-il décédé exactement? Je me souviens du qu’en dira-t-on de l’époque mais nous, on n’en a jamais vraiment parlé.

S: Il a été hospitalisé à Porrentruy, puis vu la gravité de sa bronchite, il a été transféré à Berne. Je n’ai pu aller le voir qu’une fois. Berne, c’était loin et il fallait y aller en train. Je devais aussi m’occuper de la ferme. Le cinquième jour de son hospitalisation, la voisine est venue me chercher parce qu’il y avait un appel téléphonique pour moi. J’ai tout de suite pressenti qu’un malheur était arrivé. Quand j’ai pris la communication, un médecin de l’hôpital m’a annoncé la mort de Pierre… (Elle est émue et Marc l’entoure de ses bras)… Mais le moment le plus triste, je l’ai vécu le lendemain, lorsque j’ai reçu une lettre de Pierre qui me disait qu’il allait un peu mieux… qu’il m’aimait plus que tout au monde et qu’il espérait me retrouver bientôt dans notre petit nid d’amour…

M: Tu as encore cette lettre?

S: Oui. Bien sûr…

M: Tu serais d’accord que je la lise?

S: Euh… Ça va peut-être te faire souffrir…

M: Non. Je crois que je pourrai supporter ça… ( On entend la voix de Pierre qui écrit la lettre)

P: Ma petite Sarah adorée, je sens que je vais un peu mieux… Tu es constamment dans mes pensées et ça m’aide à combattre cette maudite bronchite… Je tousse encore beaucoup, mais il me semble que je souffre un peu moins… Je suis désolé de te laisser t’occuper de la ferme toute seule… Je suis sûr que dans quelques jours, tout ira mieux. Tu es le soleil de ma vie. Quelle chance j’ai eu de te rencontrer et que tu acceptes de m’épouser. Tous les jours, je remercie le Seigneur de t’avoir mise sur ma route… Là, je suis un peu fatigué et je vais devoir raccourcir ma lettre, si je veux qu’elle parte aujourd’hui… Je vais t’écrire tous les jours… J’essaie de me souvenir de l’odeur de ta peau douce… Je caresse tes jolis seins… Je t’aime, je t’aime, je t’aime… A bientôt dans notre joli petit nid d’amour… je t’embrasse très très fort… ma douce et tendre Saranette…

Ton Pierrot qui t’adore

M: C’est beau… Il t’aimait vraiment et savait te le dire. Contrairement à moi.

S: Oui, il me disait plusieurs fois par jour qu’il m’aimait.

M: Et moi, je ne te l’ai presque jamais dit et pourtant je n’en pensais pas moins.

S: C’est la première fois qu’on a une conversation sur nos sentiments… C’est bien…

M: C’est bien… Mais c’est un peu tard.

S: Pourquoi un peu tard?

M: Ben..

S: Parle… dis ce que tu as sur le coeur.

M: Tout à l’heure, quand tu m’as demandé si tout allait bien, j’ai un peu menti.

S: Hein?

M: Le médecin m’a annoncé que j’avais un cancer des poumons.

S: Ooooohhhhh…Ça se soigne!!!

M: Pas vraiment… Il m’a dit que le cancer était à un stade très avancé.

S: Mais, il peut faire quelque chose!!!???

M: Il m’a proposé une chimio, mais m’a fait comprendre que c’était plus pour retarder l’issue que pour guérir.

S: Tu la commences quand?

M: Je ne vais pas la commencer…

S: Hein?

M: Je lui ai dit que je ne voulais pas d’acharnement, que je préférais continuer à vivre comme maintenant plutôt que de supporter tous les désagréments de la chimio.

S: Tu ne peux pas abandonner… tu dois te battre.

M: Non. Quand j’ai fait tous ces examens, je me suis dit que si j’avais un cancer, je ne voulais pas vivre l’enfer comme tous ceux qui se sont battus et qui ont perdu. ma décision était prise avant de connaître les résultats.

S: Mais…

M: Tais-toi. C’est réfléchi, c’est décidé et rien, ni personne, ne pourra me faire changer d’avis.

S: Tu as pensé à moi?

M: Oui. Tu seras plus heureuse sans moi.

S: Comment tu peux dire ça?

M: Je suis un poids pour toi. Imagine tout ce que tu pourras faire quand je ne serai plus là.

S: J’ai pas envie d’imaginer.

M: Et puis je veux continuer à fumer, à boire un verre si j’en ai envie…

S: Mais tu as dit que tu buvais moins.

M: Ça ne veut pas dire plus du tout.

S: Tu dois te battre… Pour les enfants.

M: Il n’y en a plus un à la maison. Ils ont leur vie… Ma décision est prise. On va essayer de bien vivre ces dernières semaines ensemble. J’ai encore plein de choses à apprendre.

S: Dernières semaines?

M: Ou mois, ou jours, je ne sais pas… Allez, je vais me coucher… (Il l’embrasse) Je t’aime toujours. (  Il sort) ( Long temps)

S: Six semaines plus tard, il a été hospitalisé pour une bronchite… Tiens, tiens… Il est mort après deux semaines de souffrances. Mais ces six semaines ont été les plus belles de notre vie de couple. On a parlé, on a chanté. On a même refait l’amour… deux fois… C’était pas le nirvana mais pour nous c’était le mieux du mieux… Il a fallu qu’il soit malade et qu’il décide de ne plus vivre pour qu’on prenne soin l’un de l’autre et qu’on vive enfin bien ensemble.

 

 

 

Merci de votre participation au concours 2025 – Comme au théâtre! Votre histoire figurait parmi les dix premières retenues dans la sélection du jury.

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