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Cette foire trouve ses origines au temps où le mode d'échange était le troc. Les articles, les vendeurs, les acheteurs étaient locaux. Le monde a bien changé, Ste-Catherine aussi.
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Ste-Catherine n’est pas xénophobe

Installée, au chaud, à une table du buffet de la gare, j’attends le départ du car en feuilletant le journal local.

Dehors, un vent glacial secoue les arbres et emporte les dernières feuilles déjà brunes et sèches en les faisant valser sur la place.

Le chauffeur du bus profite de cette petite pause entre deux courses pour boire son café. Il me regarde en disant :

– Si vous utilisez les transports publics ces prochains jours, observez les indications horaires car le parcours est modifié et certains arrêts ne sont pas desservis.

– En effet, j’ai vu la signalisation, toute la rue principale sera fermée et même certaines ruelles parallèles. De quelle manifestation s’agit-il ?

– Vous ne connaissez pas la foire Ste-Catherine ?

– Non.

– Alors ne manquez pas l’événement.

 

Je suis le mouvement de foule, tous mes sens s’imprègnent de cette ambiance festive. Par-là un arôme de café, puis mon nez reconnaît les épices de Noël, cannelle, anis, girofle, coriandre. Ici un haut-parleur diffuse en boucle les cantiques de la nativité, plus loin un violoniste a bravé le froid pour nous offrir son concert, un petit panier, à ses pieds, attend tout de même quelques piécettes, mais les curieux poursuivent leur chasse à la “bonne affaire”. Des badauds se sont arrêtés à un stand,

 

le vendeur les invite à goûter son vin chaud fait maison.

Soudain, la mélodie d’une danse arménienne s’arrête dans l’élan d’une levée, le musicien reste avec son inspiration coupée à mi-chemin, bouche légèrement ouverte, il regarde la personne souriante, arrêtée juste devant lui. Lentement, il descend ses bras, son violon pend le long de sa jambe gauche et l’archet pointe vers le sol.

– Eh ! mais c’est toi, qu’est-ce que tu fais là ?

Le mélomane prend son ami retrouvé dans les bras. Ils restent longuement enlacés, oubliant la foule, le bruit, la cohue, ils sont comme coupés du monde et du présent. Dans leur bulle ils revoient leur Odyssée.

Ils s’étaient rencontrés, il y a si longtemps, lui fuyant ses obligations de servir un pays en guerre et son ami musicien, pour des raisons similaires, avait déjà traversé plusieurs contrées, connu la faim, la misère, la peur, l’épuisement. Ses pieds couverts de plaies n’avaient plus la force de se soulever, à chaque pas ils grattaient le sol, soulevant à peine un peu de poussière, quelques haillons recouvrait son corps squelettique, pour seul bagage, son violon.

Quelques petites pièces tombent dans le panier, le violoniste remercie d’un sourire et remonte son instrument sur l’épaule et les notes d’un chant de Noël s’envolent vers le ciel.

– Tu vois la crousille à mes pieds offre le café, viens, il faut fêter cet instant de retrouvailles. Comment se portent ta femme et tes enfants ?

Je poursuis ma visite et soudain mon regard est attiré par les couleurs chaudes et chatoyantes de magnifiques tissus ondulant au gré du vent de chaque côté d’un comptoir. Son propriétaire, un homme, au teint basané, à l’allure très soignée appelle les passants à venir goûter ses amandes grillées: Mesdames, Messieurs, n’hésitez pas, vous ne serez pas déçus mes amandes vous apporteront chance, beauté, santé. Goûtez.

Je m’arrête, accepte quelques fruits et marchande le prix d’un châle.

D’autres vendeurs appellent l’attention d’éventuels preneurs pour leurs articles, fabrication artisanale garantie. Voyez ces couronnes de l’Avent, elles vous illumineront jusqu’à Noël, ou ces décorations qui n’attendent plus qu’à être fixées à votre porte.

Une petite dame, ratatinée sur un tabouret, près d’une source de chaleur diffusée par un poêle à gaz, tricote des chaussettes. Le cliquetis de ses aiguilles qui dansent autour du fil de laine l’accompagne inlassablement. Devant elle, une petite table est couverte de bas, mi-bas, socquettes, grandeurs et couleurs pour tous les goûts.

Les vœux de cette fin d’année, je les écrirai sur des cartes uniques et artistiques, réalisées avec tant de minutie par des personnes laissées pour compte et qui, trop souvent, doivent essuyer ces airs de condescendance et pitié mal placée. A l’étal voisin, je choisirai, pour affranchir mon courrier, des timbres dont la surtaxe sera redistribuée à la jeunesse défavorisée.

Envie de me poser un instant au calme pour déguster une boisson chaude, j’entre chez le chocolatier. Attablés près de la fenêtre, je remarque le violoniste et son ami. Ce dernier semble un peu énervé et clame :

– “Ben, nous, on a été obligé de quitter le pays. Arrivés en France, on nous crevait les pneus. Ensuite, on est venu en Suisse. Ici, ils sont froids, mais ils nous foutent la paix “

Mais toi, tu sembles en forme. Tu es ici depuis longtemps ?

 

– J’ai beaucoup cherché, me suis installé à différents endroits, plusieurs fois j’y ai cru mais à nouveau les problèmes, les ennuis ont envahi ma vie. Enfin tu dois connaître ça aussi, le mot “bienvenu” a une validité de très courte durée. Dans cette ville je souhaiterais sincèrement rester. Mais parle-moi un peu de toi, quand on s’est rencontré, ou plutôt trouvé, on se cachait dans ces montagnes si austères, on pensait échapper aux regards des chasseurs de fugitifs. Je me souviens comme si c’était hier, toi et ta femme, vous m’avez sauvé, sans vous je n’aurais jamais atteint l’autre versant de la montagne.

– Mais si, tu avais une volonté de fer et grâce à toi on a découvert les bons raccourcis car tu lisais les signes de la nature et du terrain.

– Peut-être mais on s’est finalement quand même fait prendre. Qu’est-ce qu’ils ont fait de vous, ils vous ont ramenés au Kosovo ?

– Non, ils nous ont gardés quelques semaines dans un centre d’accueil puis un jour ou plutôt une nuit, il y a eu des bagarres, tout un branle-bas de combat, on n’a rien compris mais on a profité de cette agitation pour s’enfuir. Et nous voilà à nouveau en chemin, les longues marches avec la peur au ventre, l’impression constante de voir débouler un garde, chaque personne croisée est vue comme un espion qui va nous dénoncer.

– Mais comment t’as fait pour t’installer en France ?

– Nous avons cherché longtemps, tenté notre chance dans différentes régions et finalement dans un petit village français, nous avions déposé une demande d’asile, nous avons appris le français comme tu peux l’entendre, suivi tout le programme d’intégration et finalement on se croyait vraiment accepté. J’avais même trouvé un boulot dans l’agriculture. Nos deux fils allaient à l’école du village et ma femme gagnait un peu d’argent en faisant des ménages. Notre logement était quelque peu décentré et toute la famille se déplaçait à vélo.

– Eh bien le tableau semble parfait. Comment se fait-il que tu sois ici ?

– Ben comme je te l’ai dit quand tout semble acquit, les ennuis nous rattrapent. On n’a jamais su qui nous en voulait, mais c’était devenu invivable pour toute la famille. Régulièrement un de nos vélos avait un pneu crevé ou c’était un amoncellement d’ordures qui recouvrait le paillasson de notre entrée, et bien d’autres chicanes et tracasseries.

Mais tu dois peut-être reprendre ton poste ? Ou as-tu encore un peu de temps pour me parler de toi, de ton parcours ?

– Ben, tu te souviens lorsqu’ils nous ont embarqués, je n’étais qu’une loque alors ils m’ont soigné, oui ils m’ont vraiment bien requinqué. Dès mon arrivée dans l’infirmerie, j’avais eu des conversations intéressantes avec le médecin qui passait régulièrement voir les patients et donner les instructions au personnel. Nous avions quelques points communs, il était du même pays que moi. Un jour le Docteur m’annonce qu’il va partir, il a postulé pour un travail dans un hôpital en Autriche et je pourrais l’accompagner, il ferait les démarches nécessaires afin que je ne sois plus un hors-la-loi. Je suis donc parti, j’ai vécu avec la famille du médecin, appris la langue allemande, je donnais quelques cours de violon à ses enfants et connaissances. Puis d’importants changements et imprévus sont survenus dans cette famille et il était préférable que je poursuive mon chemin seul, je ne voulais pas être une charge pour eux, ils m’avaient déjà tant donné.

Mais là, il faut que j’aille reprendre mon travail, passe à la maison, on aura plus de temps pour parler.

– Mais où habites-tu ?

– Le petit immeuble à l’entrée de la ville, le plus vieux et le plus défraîchi, cinq étages, quinze appartements, un microcosme. Il n’y a pas d’étrangers simplement dix nationalités différentes. Tu devrais voir les jours où le facteur de service est en congé et qu’un de ses collègues fait la tournée, il piétine devant les boîtes aux lettres en comparant les noms sur les boîtes et les adresses sur le courrier à distribuer, on dirait qu’il vient juste d’apprendre à lire.

Dans cette maison, nous sommes comme une grande famille. Services rendus sont monnaie courante et une fois par mois, on se réunit pour déguster les spécialités cuisinées par un des locataires. La concierge organise le repas de fin d’année.

– Aucun habitant suisse ne loge dans cet immeuble ?

– Si, la concierge, Henriette, son mari est portugais. D’ailleurs, je te conseille d’aller lui parler si tu veux être sur la liste au cas où un appartement se libère. Tu la trouveras au bas de la rue, elle a un stand et vend ses biscômes et pâtisseries portugaises.

 

Les deux hommes sortent et j’appelle le serveur pour régler ma consommation.

– Dites-moi, Monsieur, je pensais que cette foire était un marché très local, offrant des produits du terroir et articles typiques de la région mais je constate que Ste-Catherine a un caractère plutôt cosmopolite.

– Oh, mais à ses origines, les paysans descendaient des alpages avec leurs fromages, tommes, quelques légumes, de la viande, une vache, un veau, un cochon ou quelques volailles tout ce qu’ils voulaient échangés contre les produits de première nécessité comme sucre, farine, céréales, tissus, chaussures, habits, etc.. Ils ne s’arrêtaient pas au bancomat pour remplir leur porte-monnaie et les exposants ne devaient pas passer au guichet postal pour se procurer de la petite monnaie. Tout se monnayait au troc.  Nos montagnes et nos vallées n’ont pas bougé mais la vie a bien changé, nos mayens sont devenus des résidences secondaires, il n’y a presque plus d’agriculteurs. Nos coteaux sont couverts de vignes et les anciens sont vignerons alors que les jeunes sont partis étudiés et travaillé hors canton. Cependant, Ste-Catherine reste le lieu et l’occasion de se rencontrer pour les gens d’ici comme pour ceux qui ont élus domicile dans une autre région pour des raisons familiales ou professionnelles,

ils aiment faire le déplacement, pour retrouver des amis, des connaissances, de la famille, partager un repas, siroter les nouveaux cépages et échanger anecdotes et chroniques de l’année écoulée. 

– Cette petite ville blottie sous le regard dur et sévère de ces montagnes l’encadrant de toutes parts semble avoir un esprit très altruiste, largement ouvert sur le monde.

– Oui aujourd’hui, car chacun pense “affaires et commerce”, mais quand la routine reprend les rênes, vous n’avez pas besoin de venir de bien loin pour qu’on vous affuble d’une étiquette avec mention “étranger”

 

Je poursuis ma visite. Un air de vacances, de mer et de soleil flotte autour de l’étal de Guiseppe. Je lui achète quelques olives et des tomates séchées. Il me raconte que dans sa jeunesse il a travaillé ici comme employé agricole, à l’âge de la retraite, il est retourné au pays mais il ne manque jamais de venir vendre quelques produits de son verger à ce marché.

– Vous voyez l’antiquaire, là-bas. Je le connais bien,  il était arrivé en Suisse à la même époque que moi. Nous avons souvent travaillé ensemble. Lui est resté ici et on se voit chaque année à la foire.

 

 

 

Ma voisine me tape sur l’épaule, bienvenue à notre foire, viens je t’offre la raclette. Quelle foule, cette spécialité a un succès incroyable. Il faut faire la queue, attendre son tour, on ne voit même pas le racleur et son serveur-caissier, juste nos nez hument l’odeur du fromage, du vrai tout droit descendu de l’alpage me précise ma voisine. On frappe des pieds pour essayer vainement de les réchauffer. On pourrait croire que nos chaussures doublées, nos doudounes, nos gants en tissus polaires ont tous décidé de laisser entrer le froid, ils sont devenus incapable de le repousser. Enfin, source de chaleur en vue. Au-dessus d’un magnifique foyer, un grand chaudron et sur une table à côté, une demi-meule de fromage fond lentement à la chaleur d’un four à gaz. Sur chaque assiette, une louchée de polenta puisée dans le chaudron, une portion de fromage fondu, deux cornichons. Accompagné d’une tasse de thé, ce menu est délicieux et vraiment très ravigotant.

 

Je rentre à notre chalet, mets une grosse bûche dans le fourneau, range mes achats. J’allume la mèche d’une bougie de cire d’abeille, un résident d’une institution locale m’a expliqué tout le processus de fabrication et était si fier lorsque les passants s’intéressaient à son travail. Je m’installe pour lire le livre d’un jeune auteur, il parlait avec tant de motivation de son œuvre et les passages qu’il lisait ne manquaient pas de captiver les visiteurs.

Peut-être renferme-t-il un texte développant le sujet si sensible et délicat du racisme.

Commentaires (1)

Be

Bernadette
09.06.2017

'Texte d'actualité qui vient poser la question de notre regard sur la différence. En sécurité dans une atmosphère de fête du partage, l'étranger vient nous rappeler que c'est le moment de la réconciliation avec toutes les parties de nous. '

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