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Simon, un garçon de 5ème primaire, est harcelé par un autre élève, Nathan. L'école fait appel à une équipe d'intervention, les enfants sont interrogés, les parents réagissent. Et c'est l'escalade.
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Préoccupation partagée

 

Personnages

Mme Rochon, enseignante de 5ème primaire

Nadia, maman de Simon

Mme Darbellay, psychologue

Chloé, élève de 5ème primaire

Alex, élève de 5ème primaire

Simon, élève de 5ème primaire

Nathan, élève de 5ème primaire

Père de Simon

Policier enquêteur

Directeur de l’école

 

Scène 1

 

Mme Rochon : Bonjour, vous êtes la maman de Simon ?

Elle, c’est Madame Rochon, enseignante de cinquième primaire, qui s’est trompée d’époque : jupe plissée, chemisier blanc à col Claudine et chaussures vernies à boucle. La maman de Simon garde ses réflexions pour elle. Le regard sévère de Madame Rochon la renvoie sur les bancs de l’école. Elle prononce un « oui » timide en s’asseyant à la place de son fils, sur une chaise à la taille d’un enfant de dix ans.

Mme Rochon : Je vous ai fait venir parce que je m’inquiète pour votre fils.

Nadia, la maman de Simon, se tasse sur le petit siège d’où débordent ses fesses pourtant pas épaisses.

Nadia : Mais, pourtant, il est bon élève…

Mme Rochon : Je ne parle pas de ses résultats scolaires.

Nadia : Mais alors, de quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Mme Rochon : Eh bien, Simon est un enfant charmant, serviable, attentionné.

Nadia (sourit) : Oui.

Mme Rochon : Mais il est malmené par ses camarades de classe.

Nadia (d’une voix ténue) : Malmené ?

Mme Rochon : Bon, je vais être plus claire : votre fils est victime de harcèlement. La direction a fait un signalement, une équipe d’intervention sera là la semaine prochaine.

Nadia (s’affole) : Une équipe d’intervention ?

Mme Rochon : Oui, nous allons utiliser la MPP.

Nadia : La quoi ?

Mme Rochon : La méthode de la préoccupation partagée. Je vois que ça ne vous dit rien.

Nadia : Euh…non.

Mme Rochon : Je vous explique : notre établissement privilégie la méthode collaborative plutôt que les sanctions. En effet, nous sommes persuadés qu’à cet âge, les enfants peuvent modifier leur                               comportement.

Nadia (d’une voix hésitante) : Alors, les autres, ceux qui s’attaquent à Simon, ils ne seront pas punis ?

Mme Rochon : Non. Sauf s’ils récidivent bien sûr. Il s’agit d’une approche non blâmante, pour éviter la stigmatisation. Les intervenants ont un entretien avec tous les élèves concernés.

Nadia : Mais…Simon ne m’a rien dit.

Mme Rochon : Justement, je vous conseille d’en parler avec lui, pour savoir ce qui s’est passé exactement. Et j’aimerais aussi avoir un entretien avec votre mari.

Nadia : Je ne sais pas si mon mari voudra…

Mme Rochon : Dans ce cas, je vais écrire un mot dans le carnet et vous lui transmettrez.

Nadia ne réagit pas.

         Mme Rochon : N’est-ce pas ?

Nadia hoche la tête.

 

Scène 2

 

Dans le bureau du directeur. Chloé, une élève de cinquième primaire. Madame Darbellay, psychologue de l’équipe d’intervention.

Chloé : D’habitude, Simon, il arrive avec dix minutes d’avance, il accroche son vélo rouge avec une grosse chaîne, son vélo il y tient, il l’a reçu de son papi pour ses onze ans. Quand il a enlevé son casque, il vient toujours me dire bonjour et me demande ce que je lis. Mon père me dépose devant le portail à huit heures, alors j’ai toujours un livre avec moi en attendant que ça ouvre. Simon aussi lit beaucoup, surtout des Bédés mais c’est mieux que rien, comme dit maman. On a prévu de se marier quand on aurait l’âge, parce qu’on a pas mal de points communs, Simon et moi. Et il raconte un tas de blagues qui me font hurler de rire. Vous connaissez celle du type qui entre dans un bar et qui dit : « C’est moi ! ». Tout le monde se retourne. C’était pas lui. Vous riez, ça me fait plaisir parce que ce jour-là, y a que moi qu’ai ri, Nathan et Alex se sont regardé en haussant les épaules, l’air de dire c’est nul. Je sais qu’eux aussi sont amoureux de moi, je les aime bien, surtout Nathan avec ses longs cils noirs, qui est le plus grand de la classe et qui m’offre des cadeaux. Je vois bien que ça les énerve que j’aie choisi Simon, mais c’est comme ça, l’amour ça ne se commande pas, comme dit maman.

Mme Darbellay : Et ce matin-là, alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

Chloé : Ce matin-là, Simon n’a même pas enlevé son casque, il est passé devant moi sans me voir comme si un mur invisible nous séparait, un mur de glace que j’en ai eu des frissons. J’ai refermé mon livre, je l’ai regardé s’éloigner en traînant des pieds. C’était bien lui, mais j’ai senti qu’il était tout figé à l’intérieur et qu’il n’avait pas d’histoire drôle à raconter ce matin-là.

 

Scène 3

 

Dans le salon, ou la cuisine, ou n’importe quelle pièce de la maison. Le père et la mère de Simon (Nadia).

Le père : Qu’est-ce qu’il a encore fait, ce bon à rien ? En tout cas il était pas fier quand il m’a fait signer son carnet avec le mot de la maîtresse, cette vieille chouette aux airs de Sainte Nitouche ! Moins je la vois, mieux je me porte. Réunion classe verte par ci, vente de crêpes par là, merci aux parents volontaires, trop peu pour moi, j’ai assez à faire avec mon boulot, qu’est-ce que tu crois ? Déjà que la tronçonneuse me scie les tympans, je vais pas en rajouter avec les cancans des mamans qu’ont rien d’autre à foutre qu’organiser des anniversaires et créer des groupes WhatsApp en veux-tu en voilà ! Je lui ai dit à ton fils : elle veut quoi la vieille Rochon ? Me voir moi ? Pourquoi ? Ta mère y est déjà allée. Moi, à seize heures trente, je bosse, je peux pas prendre des congés comme je veux, moi ! Ton fils a dit : elle veut te voir aussi, et là c’est sorti tout seul, quand il me joue sa comédie de gosse terrorisé, je peux pas me retenir, je l’ai secoué comme un prunier. Je sais pas, il a dit, j’ai rien fait, gnagnagna, je l’aurais bien claqué mais il paraît que c’est interdit maintenant. Alors vaut mieux pas qu’il se ramène à l’école avec un cocard. Je l’ai lâché. Ouais, je te dis, je l’ai lâché, je l’ai pas frappé, il est allé chialer sur son lit comme une chochotte. Ton fils est une chochotte !  Ah non ! un hypersensible, c’est plus chic, tu lui trouveras toujours des excuses. Hypersensible mon cul ! Hyper-froussard, voilà ce qu’il est, même pas foutu de se défendre quand on l’attaque. Encore une histoire de gamins qui se rejouent la guerre des boutons ! Du harcèlement, comme ils disent maintenant. Ils feraient mieux de pas le crier sur les toits ou Simon va être             stigmatisé, c’est ce que le directeur m’a dit au téléphone: il faut éviter que votre fils soit stig-ma-ti-sé. Une étiquette collée sur le front avec écrit dessus : bon à harceler. Mais pour être harcelé il faut l’avoir cherché, non ? Tu dis rien ? Pourquoi tu dis rien ? T’as pas d’avis, c’est ça ?

Nadia : Si, si, je pense que tu as raison.

Le père : A la bonne heure !

 

Scène 4

 

Dans le bureau du directeur. Alex, un élève de cinquième primaire. Madame Darbellay.

Alex : Avant, Simon, c’était mon copain. On se connait depuis l’école enfantine. Mais cette année, je ne sais pas pourquoi, on s’apprécie plus comme avant. Peut-être parce qu’il fréquente des filles. En cinquième c’est nul, les garçons et les filles se mélangent plus. C’est normal, on est des pré-ados.

Mme Darbellay : Qui t’a dit ça ?

Alex : C’est Nathan, il est le plus costaud et il a déjà des poils sous les bras. Il m’a dit : toi qui es un vrai mec, Alex, tu vas pas laisser ce minable nous piquer les plus belles filles. Je savais qu’il pensait à Chloé qui a osé inviter Simon à son anniversaire et pas lui.

Mme Darbellay : Quand est-ce que Nathan a commencé à s’attaquer à Simon ? Je veux dire s’attaquer vraiment.

Alex : C’était quand il lui a pris son casque de vélo. Tiens attrape Alex, il a crié. J’ai chopé le casque au vol. Simon a posé son cartable pour se jeter sur moi.  Et moi, sans réfléchir, j’ai lancé le casque à Liam qu’était trop content qu’on le prenne dans notre équipe. Le casque était devenu un ballon, il est passé de main en main pendant que Nathan ouvrait le cartable de Simon et le balançait contre la grille.  Les filles regardaient sans rien dire. Dommage, Chloé était déjà partie. Simon courait dans tous les sens pour récupérer son casque, on s’est bien marré, c’était comme un jeu, jusqu’à ce que Simon s’écroule en chialant sur le trottoir. A ce moment-là Madame Rochon est sortie et on s’est mis en mode pause. Elle a crié « Foutez-moi le camp, on règlera ça lundi ! ». Nathan a répondu du tac au tac : Madame, vous nous avez dit qu’il fallait pas jurer. Elle a crié : Toi, Nathan, tu restes ici. Et elle a relevé Simon qui continuait à chialer comme un bébé. Elle l’a aidé à ramasser ses cahiers, ses livres et ses stylos qui avaient roulé par terre. Sa boite à lunch était cassée.

Mme Darbellay : Et toi, qu’est-ce que tu as fait ?

Alex : Ben moi, si je suis puni c’est la mort chez moi. Alors je suis parti discrétos.

 

Scène 5

 

A la sortie de l’école, sur le trottoir bordé d’une haie de tuyas. Nathan, Simon, le père de Simon. Nathan marche devant, Simon et son père à quelques mètres derrière. L’enfant désigne son camarade du doigt.

Simon : C’est lui papa ! C’est Nathan !

Le père : Celui qui te harcèle ?

Simon : Oui, c’est lui !

Le père lâche la main de son fils et court vers Nathan. Il l’attrape par le sac à dos et le retourne violemment vers lui. Le gosse lui fait face vaillamment.

Nathan : Eh ! ça va pas la tête ?

L’homme le saisit par le revers du blouson et le secoue.

Le père : Petit morveux, si tu continues à emmerder mon fils je vais te faire regretter d’être né !

Nathan : Lâchez-moi ! Vous me faites mal !

Le père : Et toi tu vas lâcher mon fils, compris ? Sinon…

Nathan (la voix tremblante) : Oui…

Le père : Oui qui ?

Nathan : Oui monsieur.

Le père de Simon lâche le gamin qui s’enfuit en courant.

Le père : Tu ne perds rien pour attendre !

Il fait signe à son fils de le rejoindre.

Le père : T’as vu, Simon, comment il faut traiter les emmerdeurs. Il retiendra la leçon, ce petit salaud. Faut pas te laisser faire, mon fils, compris ?

Simon (d’une toute petite voix) : Oui papa.

 

Scène 6

 

Dans un bureau de la police cantonale. Le père de Simon est face à un policier enquêteur.

L’inspecteur : Monsieur, vous êtes entendu dans le cadre d’une enquête pour menaces envers un mineur. Souhaitez-vous faire appel à un avocat ?

Le père (sur la défensive) : Non, je n’ai rien à cacher. J’ai rien fait de mal.

L’inspecteur : Bien. Connaissez-vous Nathan Bieri, âgé de onze ans ?

Le père : Ouais. Mon fils Simon et lui sont dans la même classe. Ce gosse est un…

L’inspecteur (le coupe) : Le 12 mai dernier, vers 17 heures, rue des écoles, vous avez eu un échange avec le jeune Nathan Bieri. Que s’est-il passé ?

Le père : Bon, j’étais énervé, c’est vrai. Mon fils est harcelé par ce gamin, tout le monde le sait, et personne ne fait rien.

L’inspecteur : Que reprochez-vous au jeune Nathan exactement ?

Le père : Il s’attaque constamment à Simon, il lui prend ses affaires, il se moque de lui devant les autres, mon fils pleure tous les matins, il ne veut plus aller à l’école.

L’inspecteur : Et donc, le 12 mai, que s’est-il passé ?

Le père : J’ai vu Nathan dans la rue et je lui ai expliqué qu’il devait arrêter de harceler mon fils.

L’inspecteur : Un témoin parle de menaces. Qu’avez-vous dit exactement ?

Le père (hésite) : J’ai dit « si tu continues, tu vas avoir affaire à moi », ou quelque chose comme ça.

L’inspecteur : Un témoin a dit avoir entendu : « si tu continues, je vais te faire regretter d’être né ». Vous confirmez ?

Le père (mal à l’aise) : C’est possible…J’étais vraiment hors de moi. A l’école, tout ce qu’ils font, c’est de la, de la « préoccupation partagée », et rien ne change ! Alors le sale gosse, je lui ai partagé un peu de préoccupation, correct, non ?

L’inspecteur : Vous rendez-vous compte que vos paroles et votre attitude ont pu terroriser un enfant de cet âge ?

Le père (éclate) : Terroriser ? Mais c’est lui qui terrorise mon fils !

L’inspecteur : Calmez-vous, Monsieur !

Le père (se lève et se met à crier) : C’est vous, peut-être, qui allez protéger mon fils ? C’est pas vrai ! Je rêve ! Si c’est ça la justice dans notre pays ! Bande de dégonflés !

L’inspecteur (se lève aussi) :  Monsieur ! Calmez-vous !

Un autre policier entre dans le bureau et emmène le père de Simon.

Scène 7

A l’école, c’est la fin de l’année scolaire, on entend des cris et des rires d’enfants dans la cour. Nadia sort du bureau du directeur, qui la raccompagne vers la sortie.

Le directeur : Vous comprenez, Madame, c’est pour le bien de votre fils, nous pensons vraiment qu’un changement d’environnement est nécessaire.

Nadia fait non de la tête. Elle serre les dents. Quand ils arrivent au portail, où des parents attendent leurs enfants, elle se tourne vers le directeur et crie.

Nadia : Je comprends surtout que mon mari a été condamné pour avoir défendu Simon et que Nathan ne sera même pas puni pour ce qu’il a fait à mon fils, il pourra même s’acheter une nouvelle PlayStation avec l’amende qu’on doit payer, voilà ce que je comprends, vous êtes un lâche et un hypocrite ! Voilà ce que vous êtes !

Le directeur sourit aux autres parents (qui peuvent être représentés par le public), dit ou fait un geste qui signifie : « excusez-la, c’est une hystérique ». Puis il se retourne vers Nadia.

Le directeur : Madame, nous avons tout fait pour régler ce problème à l’amiable, mais le comportement de votre mari…

Nadia (hors d’elle) : Vous avez fait quoi avec votre méthode de PP ? Vous l’avez partagée avec qui ? Pas avec nous en tout cas ! (Elle s’adresse au public) Regardez-le comme il a l’air préoccupé, regardez comme il a peur pour la réputation de son école ! Si votre enfant se fait harceler, il faudra qu’il change d’école, voilà ce qu’il faut comprendre !

Au bout de ses forces, elle éclate en sanglots et s’en va en courant.

Le directeur (au public) : Mesdames, Messieurs, je suis désolé, vraiment désolé.

 

Scène 8

 

Un Skate Park, à proximité d’une autre école. Simon arrive avec son père, qui porte un skate tout neuf. Sur la piste évoluent deux garçons du même âge que Simon, qui se rapproche de son père et lui prend le bras.

Simon : Papa, c’est eux !

Le père : Qui ça eux ?

Simon : Elia et Axel, c’est eux qui ont cassé mon vélo !

NOIR

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