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© 2021-2024 Nina Torpic

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Une lettre pour enfin vivre. Un acte symbolique pour couper, à l'aide d'un stylo, un très vieux lien toxique.
Reprendre la lecture

Oui, c’était ton surnom. A douze ans, j’avais décidé de te rebaptiser ainsi parce qu’il m’était devenu impossible de prononcer ton prénom et surtout parce que phonétiquement, je trouvais que ça ressemblait au mot pervers.

 

Tu auras remarqué que je n’ai pas pris la peine de noter mon nom et mon adresse au dos de l’enveloppe. Je n’attends aucune réponse de ta part. Ne t’inquiète pas, tu sauras bien assez tôt qui je suis mais pour ça, tu dois poursuivre ta lecture.

 

Fantôme de ton passé, longtemps rongé par la haine, j’ai envie, pour la première fois de ma vie d’exorciser tout le mal que tu m’as fait.

 

Patience, tu vas comprendre…

 

Y’a deux ans, j’ai compris que je devais « faire un acte symbolique » pour nettoyer la trace dégueulasse que tu as laissé dans ma vie. J’avais beau frotter jusqu’au sang, de toutes les manières que ce soit, ça ne s’effaçait jamais vraiment.  Alors, j’ai enchainé les psys.  Il y’en a eu au moins six. Ben oui, fallait bien ça pour que je relève un peu la tête, histoire d’entrevoir enfin la ligne d’horizon au lieu de mes pieds mal assurés.

 

Je ne te cache pas que j’ai souhaité ta mort, j’ai imaginé mille scènes de torture ou, toujours, je te coupais les mains. J’étais une déesse surpuissante et vengeresse, telle Morrighan, et je te punissais inévitablement par là ou tu avais péché.

 

Alors par ou je commence ?

 

Par les crises d’angoisse ? parce que mon manque de confiance en moi me poussait au doute jusqu’ à la folie ? tiens, en parlant de folie, tu savais qu’avant, on appelait folie du doute les troubles obsessionnels compulsifs ? ou peut-être que je pourrai aborder le poids énorme de la culpabilité qui ne m’appartenait pas ?  Ça faisait 25 ans que ça me pesait. Les peurs, (des plus simples, comme se faire agresser, tripoter, aux peurs les plus sombres) du genre… est-ce que je risque de reproduire ce que j’ai subi ? Suis-je un prédateur qui s’ignore ? Une bonne grosse phobie d’impulsion… Un sacré cadeau que tu m’as fait là hein ?! Sais-tu seulement ce que c’est ? Je te résume : peur de faire du mal à quelqu’un. En général, quelqu’un qu’on aime. Il m’a fallu du temps pour me débarrasser de ces merdes. Oui, tu as bien lu, ces merdes ! Tous ces jolis moments gâchés à cause de ce que tu m’as fait. Il m’a fallu du temps pour comprendre que je n’étais ni tordue ni perverse mais que cette phobie était une conséquence directe de ce que tu as fait à la petite fille que j’étais. Toutes ces fois ou je minimisais ce qu’il m’était arrivé, devant les articles de journaux ou les gros titres du 20h en me disant que « ça aurait pu être pire » que finalement, ce n’était pas si grave comparé à ce que pouvaient subir d’autres enfants …

 

Et, ma scoliose, ce n’est pas au cartable que je la dois, mais à toi.  Je m’en voulais des manifestations visibles de la puberté qui commençait. Si j’avais pu, je les aurais fait pousser dans le dos ces mini nichons qui me semblaient pastèques alors que j’en était plutôt au format fraises. C’est pour ça que je me suis voutée le plus possible.

 

J’ai mis du temps aussi à me dire que je n’aurai jamais les réponses à certaines questions. Les voici : Qu’est-ce qui t’as fait croire que t’avais le droit de poser les mains sur moi ? Qu’est-ce qu’il y’ a d’excitant chez une gamine de douze ans ? Qu’est-ce qui t’as fait croire que j’allais garder « le secret entre nous ». Tu vois, il m’a fallu du temps pour accepter que je n’aurai jamais ces réponses et je me suis construit ma vérité. Ma vérité c’est que t’es un grand malade !

 

Seulement, j’ai grandi avec l’idée que c’était moi la responsable de ce qui m’était arrivé. Que quelque chose en moi t’avais provoqué et je me suis sentie coupable d’être une future femme.

 

Est-ce que tu peux imaginer comme les premières relations amoureuses ont été dures ? Quand la personne que j’aimais ne pouvaient pas m’approcher ou que mes reflexes défensifs s’activaient dès que je voyais des mains s’agiter trop près de mon buste ? Il m’a fallu beaucoup de temps pour apprendre à refaire confiance. Et beaucoup de larmes ont été versées parce que j’avais envie d’être aimée mais mon corps ne le supportait pas.

 

Te rends tu seulement compte de la chance que t’as eu quand la famille, effrayée à la perspective de me traumatiser avec un procès, n’a pas eu le courage de porter plainte ! t’en rends tu seulement compte ?

 

Je ne me sentais pas suffisamment forte pour revivre les attouchements que tu m’as fait en les racontant devant un juge. Et l’idée que ton avocat puisse mettre en doute ma parole d’enfant ou puisse m’accuser de t’avoir provoqué m’était tout simplement insupportable.

 

J’ai laissé passer tous ces maux, physiques, psychologiques, émotionnels pendant des années, je me suis niée, abandonnée moi-même, mais aujourd’hui c’est terminé. Je veux que tout dégage parce que j’ai un futur radieux qui m’attend et qui attend de moi que je me débarrasse des dernières scories qui trainent.

 

Maintenant, vient le meilleur, t’en jugera par toi-même.

 

Je crois que ces merdes étaient sur mon chemin pour le développement de ma personnalité. Ou de mon âme, appelle ça comme tu veux. Je crois que toutes les épreuves par lesquelles je suis passée, toutes ces nuits d’angoisses, toutes ces larmes, cette boule permanente de peurs bien compacte dans le creux de mon ventre, toutes ces nuits noires de l’âme, toutes les tortures mentales que je me suis infligées jusqu’au désespoir m’ont permis de savoir qui je suis, quelles sont mes ressources et comment je fonctionne.

 

Parce que quand je suis descendue en enfer, et que mon cœur était si envahi par la détresse que j’ai cru en mourir ou devenir folle, bizarrement, j’en suis ressortie épuisée mais avec une force intérieure incroyable.  J’étais cramée, carbonisée même, mais j’en suis revenue avec une connaissance de moi plus approfondie, plus claire.  J’ai pu découvrir ma force et fière de moi comme jamais parce que j’avais traversé l’enfer j’avais encore plus envie de vivre et d’être heureuse !

 

Grâce à cette descente, je sais que je suis une guerrière dotée d’un formidable élan vital, je sais que je peux me faire confiance et que puisque j’ai surmonté ça, j’ai confiance en ma capacité à surmonter les épreuves de la vie. Je ne soupçonnais pas qu’une telle capacité de résilience dormait en mon sein meurtri.

 

Je te dois aussi ça. Je te pardonne. Enfin, Je prie pour que la vie m’aide à te pardonner. Pas pour toi mais pour moi. Maintenant que j’ai la tête claire et le dos de plus en plus droit, je veux un cœur libre et j’espère réussir à te pardonner.

 

J’aime bien trop la liberté pour laisser la colère m’emprisonner en moi-même.

 

Le phœnix salue quand même, le pivert par courtoisie.

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