Créé le: 02.08.2016
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Minuit passé à l’Assemblée

Polar

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L'Assemblée, minuit passé, un vieux député est assassiné. Qui ? Pourquoi ? Sa collaboratrice mène l'enquête et plonge dans des eaux troubles : secrets à garder, sexe...
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Minuit passé à l’Assemblée

Des cordons de sécurité, des cris, des sirènes, de la fébrilité hystérique qui l’entourent, elle n’entend rien, ne voit rien d’autre que le corps sans vie de son député, les yeux grands ouverts d’étonnement d’avoir été assassiné. Le tourbillon des questions commence alors pour Jade : police, presse, députés, collègues collaborateurs parlementaires. Jade, yeux aussi verts que son prénom, répond inlassablement, calmement, anesthésiée par l’incompréhension. Qui a bien pu assassiner un discret député provincial de 86 ans à quelques semaines de la fin de son mandat ? Et que faisait-il rue Saint Dominique, en pleine nuit, en pyjama sous son imperméable d’un vieux gris délavé ? Il avait assisté à sa dernière séance de nuit, quitté le Palais Bourbon à 1h du matin, traversé la rue de l’Université vers le « 101 » et son bureau équipé d’un canapé lit où il passait ses nuits quand il était à Paris. Puis, vers 3h22, il en était ressorti par la petite porte latérale à la grande surprise des agents de sécurité. Son smartphone était resté sur son bureau et n’avait livré aucun secret. Mais Jade le savait, depuis presque 15 ans qu’elle travaillait pour lui, son député n’avait aucun secret à cacher. Pourtant, son meurtre ne devait rien au hasard d’une mauvaise rencontre, puisqu’il était sorti en pleine nuit sans prendre la peine de se vêtir malgré sa santé chancelante et cette fin d’hiver qui s’étirait vers un printemps bégayant.

Trois semaines que Louis Laupan n’était plus. Elle classait, esseulée, les documents accumulés lors de cette dernière mandature. Ils avaient été lus, relus par la police mais, comme elle s’y attendait, ils n’y trouvèrent rien qui puisse expliquer ce meurtre. Cette plongée déprimante dans ce qui était désormais à classer dans les souvenirs d’un passé professionnel joyeux lui donna le besoin impérieux de voir Zach, tout de suite, sans attendre. Il fallait qu’elle lui parle, de tout, de rien, il fallait qu’elle s’extraie de sa torpeur mortifère. Elle ne supporterait pas qu’une fois encore il ne fasse pas l’effort de lui consacrer un peu de son temps malgré ses responsabilités à Matignon, ses enfants et sa femme… Elle dévala les escaliers du « 101 » qu’elle empruntait dorénavant pour ne plus croiser députés et collaborateurs qui lui posaient inlassablement ces mêmes questions lancinantes : « Alors des nouvelles ? On sait qui a fait ça ? ». « Non ! Non ! Non ! » avait-elle envie de leur hurler à la face.

Pour l’heure elle marchait à la nuit tombée, tête baissée, ressassant les mensonges de Zach qu’elle faisait semblant de croire et ses manipulations qu’elle feignait d’ignorer. Et, en arrière plan, tournant en boucle l’assassinat du député de centre droit. Elle n’eut même pas le temps de crier quand une main l’agrippa fermement pour l’attirer vers une porte cochère. Jade n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour reconnaître le parfum poivré de Zach, pour reconnaître ses baisers qui l’électrisaient toute entière. Elle n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour reconnaître la main de son amant effleurer sa poitrine, descendre le long de ses cuisses et plonger en elle, profondément, intensément.

C’est à peine si son regard vert-jade s’entrouvrit pour croiser celui d’un bleu acier de Zach au moment où elle jouissait, abrités des regards par cette lourde porche cochère. Abrités et pourtant à la merci du premier habitant de l’immeuble cossu de la rue de Varenne où il avait décidé de l’entraîner malgré le risque d’être surpris. Le sourire ravi et gourmand du dir’ cab’, toujours très sûr de son fait, la faisait chavirer malgré ses réticence à poursuivre cette relation sans avenir. Attablés autour d’une bouteille des côtes-du-Rhône et d’un plateau de fromages, Zacharie échafaudait moult théories fumeuses sur la mort du député au grand dam de Jade qui aurait voulu une fois de plus parler de l’évolution de leur histoire. Une fois de plus il fuyait la discussion. A quoi bon parler de toutes façon, il avait toujours les mêmes excuses qu’elle ne supportait plus. Zach ne voulait pas bousculer sa routine bien huilée, son confort étriqué quitte à ne pas être pleinement satisfait de sa vie.

— Cherchez la femme ! Il faut toujours chercher la femme. Un député, un meurtre, en pleine nuit en plus ! Il faut chercher la femme ! » Zacharie riait en assénant sa vision de l’affaire.

— C’est parfaitement impossible. Il n’avait pas de maîtresse. Il a été si dévoué à sa femme même les dernières années, malgré Alzheimer. Et même s’il avait eu une tendre amie, de là à se faire assassiner… Il ne se serait pas mis dans une histoire étrange ! » rétorqua Jade agacée par le regard amusé de Zach.

— Tu sais on ne connaît jamais les gens aussi bien qu’on l’imagine… Jamais… Tu le mets sur un piédestal ton pauvre patron ! Ce n’était qu’un homme !

— Tout comme toi ! De toute façon, continua-t-elle comme habitée par le sujet, de toute façon s’il est ressorti dans la nuit sans avoir reçu ni donné le moindre coup de fil c’est que son meurtrier lui a donné rendez-vous lors de la séance de nuit. » Assena-t-elle enfin comme une évidence qui venait seulement de lui apparaître.

— C’est tout à fait impossible, voyons ! Réfléchis ! Tu penses que c’est un autre député qui lui a fait avaler son acte de naissance ?

— Ça, on va vite le savoir ! » Dit-elle en se levant d’un bond. « Je file regarder la vidéo de sa dernière nuit. Vu le sujet de la séance, c’est bien le diable s’ils étaient plus d’une quinzaine et encore je compte large ! »

Elle sortit en trombe du troquet où ils avaient leurs habitudes quand ils se voyaient à la sauvette le soir avant qu’elle rentre dans son appartement vide de lui, et que lui rentre dans le sien plein de tout. Zach lui emboita le pas en clamant qu’elle se trompait, qu’il ne pouvait pas s’agir d’un complot politique, que ce genre de chose ne se faisait plus depuis la mort de Robert Boulin.

Elle faillit percuter le député Paul Mételle, ami de longue date de feu son député. Il semblait heureux de la croiser et accablé de la mort de son vieil ami. Le regard d’aigle de Mételle perçut la nature profonde des liens qui unissaient Jade et Zach malgré la distance de bon aloi qu’ils affichaient en public. Toujours de marbre, le député renouvela son soutien à la collaboratrice qu’il devinait sincèrement éplorée. Avait-elle rêvé ou avait-elle perçu une sorte d’éclair dans l’œil torve du si sobre Mételle ?

— Laisse tomber tout ça Jade, tu n’as pas encore tout à fait l’âge de jouer les Miss Marple. Trouve-toi un autre député… Les factures ça va vite tu sais… et tu n’as personne pour t’aider. » Lui dit Zach en s’engouffrant dans la première bouche de métro qui sembla le happer goulûment loin d’elle.

— Merci pour le « pas encore tout à fait l’âge ! » cria t-elle. Et elle aurait pu rajouter « Merci pour ton personne pour t’aider ». Devant cette cruelle vérité elle comprit qu’il ne serait jamais là pour elle.

Zach rebroussa chemin en riant, l’embrassa du bout de la langue, d’une main légère il caressa légèrement son sein jusqu’à le faire darder, puis il dévala les marches du métro ayant de nouveau revêtu sa posture de haut fonctionnaire hautain, sûr de lui et irréprochable sur tous les plans. La nuit était fraiche, piquante, la collaboratrice parlementaire en deuil rentra chez elle à pied, rue des Petits Champs.

Elle recevait sms sur sms, Zach y étalait son désir de la prendre au plus vite, de mille et une façons, dans l’embrasure d’une porte aussi bien que sur son bureau. Il voulait la faire vibrer encore et encore tout comme elle le faisait vibrer, follement, intensément, passionnément. Jade souriait benoîtement à ces transports qu’elle partageait. Elle s’arrêtait pour répondre, reprenait son chemin, puis lisait le dernier sms reçu avant d’y répondre. À ce rythme elle rentra fort tard, frigorifiée. Mais quelle importance au fond… nulle âme vivante pour l’attendre ni l’accueillir, juste le son du vibreur qui la reliait à un semblant de vie de femme, pendant que lui était tout entier dans sa vie d’homme. Elle chassa la noirceur de sa journée sous une douche bouillante pendant que son téléphone vivait/vibrait dans le vide… Elle alluma son ordinateur, regarda de nouveaux les sms de Zach, y répondit et lança la vidéo de la dernière séance de nuit à laquelle assistait son député le soir de son meurtre. Très peu de parlementaires, le secrétaire d’État au logement… Une séance de nuit sans grand enjeu en somme. Jade scrutait l’écran espérant apercevoir quelque chose, sans savoir quoi. La caméra montra rapidement le député Louis Laupan assis près de son ami Paul Mételle. Tiens, Mételle était là cette funeste nuit ? Pourtant son sujet de prédilection est l’armement et non le logement. Se dit-elle étonnée par cette incongruité, et si… elle regarda de nouveau la vidéo, blêmit, retourna en arrière, sa lèvre inférieure se mit à trembler. Elle se leva, chancelante, se vêtit, l’esprit embrumé elle sortit de chez elle sans prendre son téléphone qui continuait à déverser des sms de plus en plus explicites. Jade, déterminée et hagarde sauta dans le premier taxi qu’elle croisa.

Minuit passé d’une minute, rue Saint Dominique, devant la grande porte cochère où avait gît le corps de son député Louis Laupan. Jade fixait le petit bouquet de pivoines fanées qu’elle avait déposé quelques jours auparavant. Ses larmes silencieuses se mêlaient à la bruine qui avait cru bon de faire son apparition, donnant un air encore plus funeste à la scène du crime. Des pas rapides et légers la rejoignirent bientôt. Elle s’y attendait et ne prit pas la peine de regarder le nouvel arrivant dont elle avait reconnu le pas.

— Pourquoi ? se contenta-t-telle de souffler.

— Parce qu’il avait deviné pour nous deux, parce qu’il m’avait croisé deux jours avant à la buvette des députés et sommé de prendre enfin une position d’honnête homme vis à vis de toi. Parce qu’il menaçait de tout révéler à mon épouse, parce qu’il voulait te convaincre que je n’étais pas assez bien pour toi, parce qu’il disait que si je t’aimais comme tu mérites de l’être j’aurais laissé de côté mon confort de petit bourgeois sans courage comme lui l’avait fait 40 ans plus tôt. Alors, je suis revenu à l’Assemblée ce soir là. Je lui ai donné rendez-vous ici. Je lui ai dit ce qu’il voulait entendre, je lui ai dit que j’avais besoin de son aide, de sa force pour te rendre heureuse… J’ai visionné la vidéo ce soir, en même temps que toi, je voulais distraire ton attention, et quand tu n’as plus répondu, j’ai compris que tu m’avais aperçu dans l’hémicycle près des huissiers. Rien de plus normal pour le dir’ cab’ de Matignon, non ? » Son cynisme carnassier éclatait à la face de cette nuit que même la lune avait désertée.

Il s’approcha de Jade, l’enlaça et l’embrassa longuement, tendrement. Elle était étourdie, elle se réchauffait aux creux des bras de l’homme qu’elle continuait à aimer, malgré tout. Elle voulait se noyer dans ce long baiser, elle voulait fuir Zach mais n’en avait plus la force. Puis elle revit le jovial et rubicond visage de son vieux député. Elle s’écarta vivement de son amant, le souffle court, la respiration saccadée, les yeux débordants de désespoir. Jade se détourna de lui d’un pas vif alors qu’il la sommait de revenir vers lui, à lui, même pour un jour, même pour une heure. Elle continua de marcher, tête baissée comme si ce geste pouvait l’empêcher de l’entendre, comme si ce geste pouvait la protéger de la réalité. Il sortit alors un petit pistolet, dont le canon brilla légèrement, éclairé par la faible lumière de la rue déserte. Il la visa, son dos offert à l’arme froide tout comme elle s’était offerte à leur histoire, à Zach, totalement, entièrement, sans limite. Un coup de feu retentit. Le bruit d’un corps qui tombe est assez silencieux finalement, se dit-elle en sursautant et en se retournant pensant que Zach avez mis fin à ses jours. Le député Paul Mételle venait d’abattre Zacharie avant qu’il ne la tue… Zacharie était étendu comme l’avait été avant lui le député Louis Laupan, avec ce regard étonné qu’une telle chose puisse lui arriver…

— J’avais vu le dir’ cab’ parler à Laupan cette nuit là. Mon vieil ami avait un drôle d’air… et quand je lui ai demandé ce qui se tramait il m’a tapé dans le dos en disant : « Oh, rien de bien méchant mon ami, rien de bien méchant, juste une histoire de cœur que je dois régler ! » Puis je vous ai vue avec cet homme, et j’ai compris…

— Merci… » se contenta-t-elle de répondre. Que pouvait-elle dire de plus à l’homme qui lui avait sauvé la vie en tuant l’homme qu’elle aimait et qui allait la sacrifier sur l’autel de sa tranquillité.

FIN

Commentaires (3)

We

Webstory
04.12.2016

Bravo Ychut! Vous êtes lauréate du Prix du Public 2016 avec "Minuit passé à l'Assemblée".  A lire et à relire: votre Prix du Public 2013 "Les Sept Lettres" qui a dépassé les 7000 vues!

We

Webstory
23.11.2016

MINUIT PASSE A L'ASSEMBLEE, Prix du Public du concours  d'écriture  2016. Ychuut a également gagné le Prix du Public 2012 avec "Les sept lettres". A (re)découvrir!

Pierre de lune
20.10.2016

L'univers politique se prête bien au cocktail dissimulations/sexe/réputation... il s'en passe, des choses, dans les coulisses de l'hémicycle ! Un polar agréable à lire, qui ménage son suspens ! Au plaisir de découvrir d'autres textes :-)

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