Sur l'île d'Amorgos en novembre, une femme apprend à marcher dans sa vie autant que sur l’île.
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Amorgos (île des Cyclades)

 

Je ne suis pas été, comme dit l’autre. (*)

Mais j’y suis allée

À Amorgos.

Pas pour Le Grand bleu. (**)

Son bateau cassé en deux dans une anse tout au sud.

Ou son bar sur le port.

Bar à touristes français.

Je m’en fiche.

Je ne parle à personne.

Une semaine, ce ne sera pas long.

C’est dingue, c’est mon premier jour et déjà je pense au temps à passer.

Il me faut un objectif.

À écrire sur un post-it.

Des objectifs sur des post-it

Comme dans la pièce d’Alexandra Badea.

Burnout. (***)

Lisez-la.

Je ne suis pas en burnout,

Je suis en vacances,

En novembre,

À Amorgos,

Où il fait beau, encore chaud, la mer belle, les touristes partis.

En novembre les gens travaillent,

Ou ils craignent les aléas de la météo,

Le vent surtout, parfois la pluie.

En novembre, tout est fermé ou presque,

À Amorgos.

Il me faut un but.

Une plage par jour.

Explorer toutes les plages de l’île.

Hier, j’en ai fait deux, les plus proches.

La deuxième était naturiste mais comme on est en novembre.

En tout sur cette plage de taille moyenne, nous étions trois.

Le naturisme, c’est pas trop mon truc.

J’ai tenté il y a trente ans.

Tant pis, allez, hop, au moins pas besoin de se tortiller dans tous les sens pour mettre son maillot

Et après le bain se retortiller pour se rhabiller.

J’avais oublié la sensation d’être nue dans la mer.

L’eau qui entre dans mon corps par tous les endroits.

Vous voyez ce que je veux dire.

Oui, quand on nage, forcément, on écarte les cuisses.

Sans slip de bain, les sensations sont différentes.

Intéressant.

Chaque soir je vais me chercher une nouvelle plage

Un nouveau tracé pour ma marche du jour.

Et peut-être que ces mini-objectifs sur des post-it (je ne sais pas pourquoi j’ai glissé un petit bloc de post-it jaunes dans ma trousse de toilette),

Peut-être

Qu’avec ce mini-objectif du jour,

J’arriverai à faire avec mon grand objectif de la semaine,

Du mois,

De l’année,

De ma vie.

Structurer ma vie.

Sculpter dirait ma psy.

Structurer/sculpter/dompter/maîtriser/inventer/adoucir (non, pas adoucir, on n’adoucit pas quand on marche pendant des heures sous le soleil, même en novembre, et qu’ici tous les sentiers sont escarpés et que forcément ça grimpe, non ça n’adoucit pas, ça fait suer, souffler, râler intérieurement peut-être – genre qu’est-ce que je fous là…)

Huit jours, huit plages avec un joker puisque j’en ai fait deux le premier jour.

Ramasser symboliquement un petit caillou sur chaque plage.

Je voudrais laisser des traces pour ne pas avoir été de passage

Je ne sais que prélever pour accumuler ensuite chez moi ces traces,

Tous ces petits cailloux pris partout depuis des décennies et que j’assemble ou que je laisse traîner deci, delà.

J’ai même voulu en offrir un à ma psy quand j’ai mis un terme à ma thérapie.

Juste avant de partir à Amorgos.

« Que voulez-vous me dire en m’offrant ce caillou ? », qu’elle a refusé d’ailleurs.

Rien. Je trouve qu’il fait joli sur ce petit guéridon où il y a déjà deux petits cailloux.

Jamais deux sans trois.

Elle ne préfère pas.

Je suis rentrée avec mon petit caillou que j’avais ramassé lors d’un trek en Égypte.

Je me suis acheté une énorme pizza, là où je sais qu’elles sont énormes,

Et je l’ai engloutie.

Ce que je viens chercher, ici, à Amorgos ?

La sensation d’être bien.

Avec les marches

Les plages

Les marches

Je ne suis pas été.

Pas encore.

J’ai encore quelques années devant moi

Me donner ce temps,

Me dire que je ne suis pas encore été.

 

(*) Référence à Je suis été, de Catherine Monin, 2023 (théâtre)

(**) Film Le Grand Bleu, de Luc Besson, 1988, tourné à Amorgos

(***) Référence à Burnout, d’Alexandra Badea, 2009 (théâtre)

 

A suivre sur Mémoires de plages 5