Chapitre 1

1

Pierre un homme d’une soixantaine d’années, veuf depuis quelques années, il vit avec son fidel compagnon, un chien nommé Setter. Lorsque qu’il reçoit une lettre avec quarante ans de retard, sa vie va se chambouler.
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Pierre est un homme doté d’une force tranquille. Il y a quelques années, le décès de sa femme, l’a laissé seul avec leur chien Setter. Malheureusement ils n’ont jamais eu d’enfants, sa sœur Mathilde est sa seule famille. Pierre fait du télé-travail depuis la mort de sa femme, cela lui permet de pratiquer le Qi Gong et la méditation tous les matins, il se lève à l’aube, été comme hiver, c’est son petit rituel qui lui permet de rester zen pour le reste de la journée.

 

Il  sort ensuite promener son chien, dans les bois avoisinants pendant plusieurs heures. On pourrait se demander quand est-ce qu’il travaille et dans quel domaine, pour pouvoir gagner sa vie? Il fait comme il peut, ou plutôt comme il veut, il rédige des modes-d’emploi de machines en fin de journée ou dans l’après-midi. Il rend ses travaux toujours en fin de mois.

 

Il ne lui reste plus que cinq ans avant la retraite.

 

L’entreprise dans laquelle il travaille depuis ses vingt ans n’a pas eu le courage de le mettre à la porte, une entreprise très familiale comme on en trouve pratiquement plus. Les chefs lui ont donné un travail tranquille.

 

Donc, une fois son rituel fait, Pierre sort se balader avec Setter. A les voir tous les deux ils se ressemblent. Même allure, même démarche. Le chien court plus que l’homme, mais c’est la seule chose qui les différencie.

 

Il a un moral d’acier, rien le ne perturbe. Enfin c’est le sentiment qu’il dégage. On pourrait presque l’envier. Travailler quand on veut, sortir quand on veut.  Il aime cette vie.

 

Quelques heures de méditation, de longs moments passés avec son chien, une solitude heureuse.

 

Chapitre 2

2

Assis dans son fauteuil Pierre repense à sa vie passée. Il se souvient de ses vingt ans en Angleterre, à Greenwich. Il avait connu une belle brésilienne qui suivait le même cours linguistique de six mois. Ils s’étaient promis de s’écrire.

Il aurait tellement aimé recevoir cette lettre qui lui aurait permis de la rejoindre au Brésil et il se demande quelle aurait été sa vie s’il était parti. Une lettre du genre ….

 

Hello mon Pierre,

Comment vas-tu? Je suis tellement heureuse.  J’ai une super bonne nouvelle à t’annoncer !

Finalement, mes parents ont accepté notre relation. C’était laborieux, j’ai dû  discuter, négocier, marchander longtemps.

Je crois que mes parents ont compris à quel point je tenais à toi. Et comme je leur avais dit qu’avec ou sans leur accord, je serais partie. Il ont eu peur que leur petite fille chérie les abandonne. Ils ont craqué et donné leur accord.

 

Je sais que tes parents n’étaient pas très chauds non plus. Tu as réussi à avoir leur approbation? Je ne sais pas s’ils t’ont dit quelques chose, car j’ai entendu une conversation téléphonique entre nos parents respectifs et j’ai compris que finalement, ils ont accepté que nous puissions nous revoir, vivre ensemble.

 

Au fait, es-tu toujours d’accord que nous allions faire ce grand voyage ensemble? Visiter tous les pays dont nous avions parlé et rêvé longtemps, lors de notre séjour linguistique à Londres.

 

Même pas de problèmes financiers, mes parents vont cautionner notre aventure. C’est l’avantage d’avoir des parents riches ……

 

J’espère que tu vas arriver très vite. J’ai trop hâte de te revoir.

Je t’embrasse

Anitta

 

 

De retour de sa balade de la soirée avec Setter, Pierre découvre une lettre dans sa boite aux lettres. Une enveloppe épaisse, avec des timbres venant des États-Unis.

 

Au départ, il hésite à la jeter, se demandant qui peut bien lui écrire depuis les États-Unis, avec tout se qu’on entend sur les contrôles dans ce pays?

 

–  Dis voir Setter, qu’est-ce que t’en penses, je l’ouvre ou je la jette?
Le chien le regarde en penchant la tête de côté. Pierre prend ce signe comme une approbation pour  garder ce courrier.

 

De retour à la maison, il s’assied sur son canapé, se sert à boire et regarde l’enveloppe.

 

–  Bon c’est quoi cette connerie, qui peut m’envoyer un courrier depuis l’autre bout du monde?  Sans en comprendre la raison, il est presque inquiet.

 

Il regarde son chien et lui dit:

 

–  Allez, je l’ouvre, qui sait, j’ai peut-être gagné un voyage?

Setter grogne. Surement de désapprobation. Ben oui, s’il gagne un voyage il va l’abandonner.

 

Délicatement, il décachette l’enveloppe. C’est étrange, une lettre écrite en anglais et une enveloppe fermée

 

Bonjour Monsieur Pierre.

J’ai retrouvé ce courrier dans les affaires de mon père qui vient de décéder.

D’après ce que j’ai vu, cette lettre doit être là depuis très longtemps. Elle était dans un dossier avec tout un tas de photos faites chez nous.

 

Il y a très longtemps, je devais avoir une dizaine d’année, nous avions hébergé pendant quelques mois une jolie fille brune, brésilienne, je crois, justement la fille qui est sur les photos. Je ne sais pas comment cela a pu se faire, car la lettre n’est visiblement jamais partie et pour des raisons que j’ignore, mon père ne l’a jamais fait suivre.

 

Je suis vraiment désolé. Je me permets de vous la faire parvenir, en espérant que cette fois elle arrive à destination.

John

 

Pierre très intrigué par cette lettre,  ne peut s’empêcher d’ouvrir cette jolie enveloppe rose, avec plein de petits dessins.

 

–  Dis Setter, cette enveloppe me rappelle quelqu’un que j’ai beaucoup aimé il y a des siècles… enfin des décennies. Mais ce n’est pas possible, ça ne peut pas être elle. Elle m’aurait écrit? Bon j’ouvre.

Pierre ouvre l’enveloppe. Son visage devient blême. Il est sidéré. L’écriture, très particulière, celle d’Anitta.

–  Setter, tu te rends compte, elle m’a écrit!, elle m’a écrit!.

 

Setter le regarde, aboie… il n’a jamais vu son maître dans cet état.

 

L’émotion de Pierre redescend un peu. Il lit la lettre, une larme lui coule sur la joue.

 

–  Elle a dû penser quoi Anitta de n’avoir plus eu de mes nouvelles? J’en fais quoi maintenant de cette lettre. Tu te rends compte quarante ans, quarante ans se sont passés…. tu ferais quoi à ma place? C’est vrai que tu ne peux pas te rendre compte toi. Tu ne peux pas savoir, tu ne peux pas te mettre à ma place.

–  Ummmm

–  Ta réponse m’aide beaucoup. A mon âge, 60 ans, ce n’est pas rien? Suis-je un jeune-vieux? Et elle, elle doit avoir le même âge, peut-être quelques années de plus, si mon souvenir est bon.

–  Setter, je pense que peut-être que je vais garder cette lettre en souvenir. Si quarante ans sont passés, il peut bien se passer encore quelques années.

 

Si Pierre l’avais reçue à l’époque où il était encore jeune et beau, quelle aurait pu être sa vie avec Anitta pendant de longues années? Ils s’étaient fréquentés pendant six mois à Greenwich pour des cours linguistiques.

 

–  Tu vois Setter, si j’avais reçu cette lettre ans plut tôt, je ne t’aurais pas connu.

–  Ummmm

–  Ben oui, car je serais d’abord parti pour le Brésil, j’aurais rencontré les parents d’Anitta et me serais fait apprécier par eux, j’aurais surtout gagné leur confiance, c’est quand même eux qui auraient financé nos voyages.

–  Ummmm

–  Oui oui, j’aurais tellement aimé visiter le plus de pays possible. Faire presque un tour du monde avec Anitta.

–  Tu t’imagines, j’aurais pu courir sur les plages de Santa Monica, tu sais comme dans les séries TV où l’on voit des tas de jeunes courir et jouer au basketball

–  J’aurais aimé nager avec les dauphins dans les îles. T’aurais aussi aimé, aller nager dans l’océan.
–  Je serais  monté sur les buildings de New York. Toi tu n’aurais pas pu, t’as le vertige.

–  Ummmm

–  J’aurais aimé vivre au jour le jour, sans contrainte. J’aurais appris des langues, des coutumes. Rencontrer des nouvelles personnes.

–  Tu sais, Setter, peut-être ma vie aurait été très très différente, j’aurais surement enrichi mes connaissances, ma tolérance envers les gens, mais au final, je pense sincèrement que ma vie ici n’a pas été si mal. Surtout ces dernières années avec toi

–  ouaf ouaf.

–  Visiblement tu as l’air d’accord avec moi.

 

Pierre a cogité et passé une nuit blanche. Que faire de cette lettre? La garder au fond d’un tiroir, essayer de retrouver Anitta?

 

Au matin après ses petits rituels, il part avec Setter, qui sait, peut-être que la balade dans les bois lui donnera la solution.

 

De retour à la maison, il se décide. Il va faire une recherche sur le réseaux sociaux.

Après tout qu’est-ce qu’il risque?

 

Sur Google, il écrit son nom Anitta Weber, Rien. Ni Facebook, ni Instagram, ….. enfin rien.

Il recherche également au moyen de l’adresse de l’expéditeur. De vagues renseignements qui datent.

 

Il essaye alors de trouver le numéro de téléphone de la mairie de la ville.

 

Il regarde son chien et lui dit

 

–  T’en pense quoi Setter, je tente d’appeler?

Setter n’en a rien à faire, il ne lui répond pas.

 

Il se lance, rassemblant ce qui lui reste de son vieux portugais il compose le numéro.

Une charmante voix lui répond. Il explique alors qui il recherche, si cette personne habite toujours la ville Santos.

 

Après quelques instant d’attente, la personne lui annonce qu’il y a encore quelques personnes de cette famille qui vivent dans la ville.

 

Il remercie, raccroche et réfléchit.

 

L’idée de partir lui plaît  beaucoup. Il décide d’appeler sa soeur pour qu’elle puisse garder Setter, car il a une affaire urgente à régler à l’étranger et ne peut pas prendre le chien. Il lui expliquera à son retour.

 

Elle accepte, c’est vrai qu’il ne lui avait jamais rien demandé depuis la mort de sa femme.

Chapitre 3

3

Le temps de remplir les papiers nécessaires et de trouver un vol, pas trop cher et  un hôtel,  le voilà parti. Direction Santos.

 

Le jour suivant son arrivée, alors qu’il est assis dans le patio de l’hôtel, un homme haut en couleur, de long cheveux blancs attachés mollement, vient s’assoir à coté de lui.

 

–  Tu viens de Suisse, je crois.
–  Oui, comment le savez-vous?
–  Je sais, je sais, je sais toujours tout, surtout je sais toujours tout de tous.
–  Alors, vous allez pouvoir m’aider.
–  Ça certainement. J’ai d’ailleurs beaucoup d’informations à te fournir. Serais-tu d’accord qu’on aille faire un petit tour au bord de la plage.
–   Normalement je devrais refuser, mais comme j’ai fait un grand voyage pour retrouver…

–  Anitta, oui je sais. C’est pour cela que je veux te parler.

 

Les deux hommes sortent de l’hôtel, marchent en direction de l’océan et s’asseyent sur un banc.

 

Le vieil homme, les yeux dans le vague, dit à Pierre.

 

–  Tu sais, tu n’aurais pas dû faire ce voyage pour retrouver Anitta.
–  Pourquoi elle est morte, c’est ça?
–  Non pas du tout. Mais je te mets en garde…Vas si tu veux. Mais sache ceci : ce que tu crois chercher n’existe plus comme tu l’as connu.

 

L’homme sort une petit bout de papier de sa poche, l’adresse où habite Anitta.

 

Pierre le remercie en lui disant qu’il va faire très attention à son conseil.

 

Pendant qu’il retourne à l’hôtel, Pierre doit prendre une décision.  Il se sent bien seul tout à coup. Il est habitué à parler tout seul, il aime beaucoup réfléchir à haute voix. C’est aussi pour cette raison qu’il le fait avec Setter.  Setter n’est pas là, il va devoir composer avec les moyens du bord.

 

Il choisit de mettre ses oreillettes et faire semblant de parler au téléphone pour ne pas avoir l’air d’un demeuré.

 

– Dis-donc, cet homme a l’air bien étrange,  et puis il me tutoie comme si on était de vieux amis, la situation prend des tournures inquiétantes, tu ne trouves pas. ……. Oui, me je me demande si j’ai bien fait de venir, ………. j’aurais mieux fait de rester dans ma petite vie avec mon chien.  ……. c’est quoi cette idée de vouloir tout chambouler pour une histoire, même magnifique, qui a duré six mois, il y a quarante ans.
Arrivé à l’hôtel, finalement, il se décide, commande un taxi et se rend à l’adresse que l’hurluberlu lui a donné.

 

Une femme dans la trentaine ouvre la porte :

 

–  Bonjour, je suis un ami d’Anitta, est-ce qu’elle est là?
–  Pour être là, elle est là. Elle est devant vous.
–  Non c’est pas possible, vous ne pouvez pas être Anitta Weber. Anitta est une femme d’une soixantaine d’années. Vous devez avoir au moins la moitié de son âge.
–  Je regrette, je ne connais pas cette Anitta que vous recherchez. Peut-être habitait-elle ici il y a bien des années, moi j’ai emménagé, il y a une dizaine d’années, lorsque je me suis mariée.
–  Vous vous êtes mariée avec un Weber, dans la famille de votre mari y a-t-il quelqu’un qui porte le même nom que vous?
–  Je ne peux pas vous répondre, mon mari a coupé les ponts avec toute sa famille. Je ne connais pas tous les détails et je ne pense pas que vous êtes venu pour connaitre des histoires de familles. Je ne suis d’aucune aide pour vous. Je vous souhaite une bonne continuation. Au revoir.

 

Le porte se referme. Pierre reste un peu interloqué. Elle ne lui a même pas donné le temps de la saluer.

 

Il décide de retourner à l’hôtel et réfléchir comment poursuivre son séjour: Continuer à chercher ou rentrer à la maison

 

 

Chapitre 4

4

Le matin suivant, il s’installe à nouveau dans le patio de l’hôtel, allume son ordinateur, afin de trouver des lieux à visiter dans la ville, s’aérer l’esprit car, il faut bien se l’avouer il est un peu déprimé. Il parait que Santos est une ville fascinante avec un marché aux puces, un jardin botanique et un petit zoo.

 

–  Je suis bien con, du coup. Toutes ces heures de vol pour trouver quoi! Une Anitta qui n’est pas la mienne. L’autre hurluberlu s’est bien moqué de moi en me donnant son adresse. Aussi fausse que lui.

 

Pierre décide dans un premier temps d’aller visiter le marché aux puces, coloré et très animé, cela  fera du bien à son humeur grise, puis il ira marcher vers les jardins qui bordent la plage

 

Devant l’entrée, une affiche attire son attention. Au milieu trône une femme de dos, une longue chevelure blanche lui descend jusqu’à la taille. Une inscription s’enroule tout autour de son corps.

 

“Tentez votre chance! Pour 60 cruzeiros,

faites parler Nitta, la femme muette”.

 

Pierre a un mauvais pressentiment, suite à la mise en garde de l’homme, il se demande si cette Nitta pourrait être l’Anitta qu’il recherche. Cette idée l’effraie.

 

Il décide de ne pas rentrer dans le marché et de longer la plage. Comme il a besoin d’exprimer à haute voix ce qu’il ressent, il remet ses écouteurs et commence son monologue. De toute façon les gens qu’il croisera ne le comprendront même pas.

 

–  Mon vieux, tu pensais quoi, vraiment. Avoue, tu pensais retrouver une belle Anitta, comme celle qui tu as connu quarante ans auparavant. Elle doit être comme toi, elle a vieilli, elle a pris du poids, bon là c’est pas obligé. Tu pensais qu’elle était toujours riche. Du moins assez riche pour que tu puisses venir vivre chez elle avec Setter. Tu pensais vraiment qu’elle a attendu la réponse à sa lettre….quarante ans?
–  Si ça se trouve, elle l’a fait, elle, son tour du monde.

 

Pierre s’assied sur le sable, regarde l’eau. De longues minutes passent, des mouettes aussi passent en riant. Voilà bien un signe, elles rient, de lui, de son ingénuité. Il l’a peut-être retrouvée son Anitta, désargentée, muette à ses heures. Ne parlant que si on la paye.

 

Pierre est vraiment déprimé. Tout ce temps perdu. C’est vrai qu’à la maison, il a quelques  obligations. Déjà son chien, le pauvre. Même s’il est bien avec sa soeur. Son travail, ses modes d’emploi à écrire.

 

Pierre rentre dans un restaurant, commande une caïpirinha bien fraîche.  Puis des crevettes grillées et comme les crevettes ça donne soif, une autre caïpirinha. Au bout d’un moment, l’effet des deux cocktails se fait sentir. Lui qui, tout au plus, ne buvait qu’une bière de temps en temps.

 

En  sortant du restaurant il fait quelques pas. Est-ce l’effet de l’alcool? Il décide d’un coup, qu’il ne doit pas se fier aux recommandations que le vieux fou lui avait donné.

 

L’émotion suscité par les jolies femmes brunes qui marchent sur le trottoir, lui apparait comme un signe.

 

Il met ses écouteurs, allume son téléphone et écoute de la musique tout en élucubrant des phrases incompréhensible.

 

–  Pierre départ pas bêler Anitta, mochée, vieillir, grossir, appauvrir ou s’enrichir. M’importerais pas. Appauvrit  Pierre, cette Anitta t’a vraiment faire perdu la têtéee

 

Pierre court sur le sable, des passants le regardent, c’est lui qui devient fou. Il se retourne sur toutes les femmes, voit Anitta partout.

 

Au bout d’un moment, la soif le reprend, il entre dans un bar, demande une caïpirinha.

Mauvaise idée, très mauvaise idée. Son cerveau est encore plus embrouillé. Il repart de plus belle dans des déclamations encore plus farfelues.

 

–  Je veux aller mondé avec toi. Appel. Secourir moi. Recherche moi.

 

 

Chapitre 5

5

Ce matin, Pierre,  s’est remis de ses émotions de la veille, à part un mal au crâne qui lui servira de leçon pour le reste de sa vie.

 

–  Bonjour Mathilde. Comment ça va ……. comment va Setter? Je suis content que tout se passe bien. ….. Non je n’en ai pas douté, sinon je ne te l’aurais pas confié… je sais, je sais que tu t’en occupes bien. Ecoute, mon voyage doit se prolonger encore de quelques jours. …… tant mieux, tu en es même ravie..… Je te … vous souhaite une bonne balade. …. Oui oui, je te tiendrai au courant. Bises

 

Une bonne balade sur le sable doux lui fera le plus grand bien et aérera les restes de l’alcool encore accrochés aux cellules de son cerveau.

 

Chaque fois qu’il croit retrouver Anitta, la phrase du vieil homme lui revient. D’abord son homologue, puis la soi-disant muette. Il ne sait plus où chercher, surtout qu’il doit bientôt rentrer à Genève. Il se décide de faire une pause et de profiter du séjour pour visiter quelques lieux, car il est chamboulé, lui habitué à une vie bien rangée. Cette lettre est-elle arrivée pour le faire sortir de sa zone de confort ?

 

A l’hôtel, le réceptionniste lui a parlé d’une magnifique montée jusqu’au Mont-Serrat, en funiculaire ou à pied le long du “chemin de croix” jusqu’à la petite chapelle, l’exercice physique dissipera surement son mal de crâne plus rapidement. Et puis un peu de mysticisme ne lui ferait pas de mal.

 

La montée en solitaire de plus de quatre-cent marches pour arriver au sommet, lui parle plus, aller trouver une Sainte locale, c’est surement plus fiable que l’homme à l’allure de vieil ermite. Prendre les escaliers plutôt que le funiculaire lui semble jouer en sa faveur lorsqu’il arrivera dans la chapelle. Naturellement, il ne sera pas question durant la montée de discourir à haute voix,  s’il ne veut pas arriver mourant à la chapelle.

 

De dix marches en dix marches, Pierre s’arrête pour humer le parfum des fleurs autour de lui.

Une fragrance lui rappelle quelque chose, un air de déjà senti.

 

–  Mais quelle est cette délicieuse odeur?  Est-ce une fleur, un fruit? Un parfum d’il y a longtemps, oui, je me souviens, j’étais à Londres pour faire des courses avec Anitta, on était rentrés dans un grand magasin, il y avait un stand avec des parfums. Elle en a essayé un. Délicieux, un mélange de fruits, oui c’est ça, parfum de mûres.

 

Pierre regarde autour de lui, effectivement, d’un côté du chemin,  des arbustes remplis de mûres embaument l’air.

 

Arrivé finalement au sommet,  il admire le paysage somptueux. Il rentre dans la chapelle, un sentiment de paix et de positivité l’envahit. Il se met à croire qu’Anitta n’est pas une chimère qu’elle ne reste pas  introuvable.

 

Envouté par le lieu, il n’a pas la force de parler à haute voix. C’est bien la première fois.

 

Assis sur un banc, il prie. Enfin à sa manière. Il parle à Notre‑Dame du Mont-Serrat, il a lu que ce lieu lui est dédié . Pas besoin de demander à haute voix. Elle entend tout, même les prières silencieuses….Sinon ça ne serait pas une Sainte protectrice.

 

 

Chapitre 6

6

Le lieu se prête à la réflexion. Pierre, toujours assis sur le banc de l’église, cogite.

 

Comme il aimerait avoir la présence de Setter pour l’aider à trouver les réponses à ses questions.

 

Il regarde la statue. Il met un cierge, histoire de ponctuer sa demande puis lui dit :

 

–  Pourriez-vous m’aider à reprendre un projet vieux de quarante ans? A l’époque où j’avais rencontré Anitta, cette belle et exotique fille, j’avais vingt ans. Plus ou moins au début de ma vie amoureuse. A Greenwich, au milieux de jeunes comme nous, venant de tous les pays du monde, nous nous sentions appartenir a une communauté privilégiée.
–  Dans ces années là, peu de jeunes pouvaient se permettre d’aller de longs mois apprendre une langue, dans des écoles privées. Du moins, c’est ce qui me semblait. Je me sentais un privilégié, un privilégié loin de mes parents. Avec Anitta, nous nous sentions libres, nos seules contraintes, si on peut parler de contraintes, étaient de réussir les examens. Nous avions des projets plein la tête, des envies de voyages dans des pays que nous ne connaissions qu’à travers les récits divers, envie de goûter à la liberté, de vivre d’insouciances, d’avoir vingt ans, merde, sans penser à l’avenir. L’avenir arriverait bien plus vite qu’on ne l’aurait pensé.

 

Pierre regarde la Sainte, elle est toujours là avec son regard de pierre. Immuable. Elle attend la suite de sa réflexion, surement.

 

Pierre continue ses pensées.

–  Admettons que je retrouve ma belle, qu’on reprenne l’histoire où on l’avait laissée. Le seul point positif est qu’aujourd’hui on n’aurait plus besoin de l’aval de nos parents. Mais quarante ans plus tard, on n’aurait surement plus la même dynamique. Ni la même insouciance. La liberté c’est le seul point identique d’il y a quarante ans.

 

L’effort d’arriver sur le mont, son travail de réflexion, la fraicheur du lieux amènent Pierre à s’assoupir.

 

Une main posée sur son épaule et une douce voix le tire de sa sieste.

 

–  Monsieur, monsieur, ça va, vous vous sentez-bien? Vous avez besoin de quelque chose?

 

Pierre sursaute. Que lui veux cette nonne?

 

– Heu, pardon. Pourquoi me demandez-vous cela? Heu non non, j’étais en pleine prière. Vous comprenez, je suis ici depuis plusieurs jours à la recherche d’une personne. Je pensais trouver du réconfort auprès de la Sainte de cette église.

 

Une voix derrière une colonne appelle la nonne.

–  Sœur Thérèse!
–  Veuillez m’excuser, je reviens. Vous m’expliquerez ce que vous êtes venu chercher..

 

Sœur Thérèse revient.

 

–  Voulez-vous que nous sortions, j’ai du temps à vous consacrer.
–  Avec plaisir. C’est très gentil à vous.

 

Assis face au spectacle envoûtant du coucher de soleil sur la ville, sœur Thérèse lui demande :

–  Qui cherchez-vous, je peux surement vous aider à retrouver cette personne.
–  J’en doute, j’ai fait plein de recherches depuis ces derniers jours, même depuis chez-moi avant de venir.
–  Et vous venez d’où?
–  De la Suisse.
–  Donc vous recherchez une personne qui vit ici.
–  Plus ou moins. Je ne sais pas si c’est le lieu qui veut ça, mais excusez ma question, comment êtes vous rentrée dans les ordres?
–  Vous avez envie de devenir ecclésiastique?
Pierre sourit et ne répond pas.

–  Telle que vous me voyez vous n’allez pas me croire, mais je n’ai pas toujours été sœur Thérèse, j’ai voyagé pendant quelques années, puis ma mère est tombée malade alors je suis revenue vivre ici.
–  Je suis désolé, une situation pas facile, j’ai perdu ma mère il y a quelques années.
–  J’ai travaillé dans plusieurs associations, Je connais beaucoup de gens par ce biais.
–  C’est fantastique.
–  Si vous voulez m’en dire plus sur la personne que vous cherchez, je pourrais vous aider.
Pierre regarde sœur Thérèse, elle a quelque chose dans le regard qui lui rappelle Anitta. Mais bon, depuis un moment, il voit Anitta partout. Soudain la phrase du vieil homme lui revient en mémoire. Comme une nouvelle mise en garde. « ce que tu crois chercher n’existe plus comme tu l’as connu.»

 

Un doute le prend. Et si cette nonne était Anitta. Au point où il en est. Si ce n’est pas elle, il espère qu’au moins elle pourra l’aider à la retrouver.

 

Si c’était elle, une nonne de plus de soixante ans, il ne sait pas si vraiment il aurait envie de lui faire changer de vie. Raconter la vérité, comment la prendrait-elle?

 

–  Mon meilleur ami avait connu une Brésilienne en Angleterre, il devait venir la retrouver, il m’avait montré la lettre que son amie avait écrite. Elle a refait surface tout récemment, dans des papiers que j’ai retrouvés, d’ailleurs, je me demande comment cela se fait que je les avais chez-moi, dans un album qu’il m’avait prêté. Malheureusement, il est décédé dans un accident. Il s’appelait Pierre, Je sais que ça fait longtemps, mais j’ai attendu d’être à la retraite pour faire ce voyage. C’est stupide d’avoir attendu tant d’années, au moins je suis venu découvrir la ville où il devait venir retrouver son amie.

 

Sœur Thérèse, devient blême. Elle ne répond pas.

 

–  Excusez-moi, j’ai un pressentiment, je peux vous demander, votre vrai nom c’est pas Thérèse, n’est-ce pas ? Vous appeliez vous Anitta avant de devenir sœur Thérèse?

 

Sœur Thérèse sort de ses pensées, une larme coule sur sa joue.

 

–  Anitta. Oui. Je viens de comprendre, je ne sais pas comment vous avez fait pour me trouver, c’est moi que vous cherchiez. Merci à vous de m’avoir dit pourquoi ma lettre est restée sans réponse.
–  Qui sait, une voix m’as surement guidé, je m’apprêtais à rentrer à la maison. Je vous remercie en son nom pour votre aide. Je vais pouvoir retourner au pays, serein.

 

Pierre, la regarde et comprend qu’il a bien fait d’avoir persévéré dans sa quête. Surtout de savoir que ce n’était pas la pauvre désargentée et soi-disant muette.

 

Ils restent encore un moment assis sur ce banc à contempler la nuit qui avance, se racontent brièvement leurs vies. Puis chacun s’en alla de son côté .

 

Le jour suivant, Pierre reprend l’avion pour retrouver sa vie d’avant, avec le sentiment d’avoir fait le bon choix finalement.

 

De retour chez lui, le cœur un peu flou, Pierre se demande si l’on vit pour aimer ou si l’on aime pour vivre.

Commentaires (2)

Chantal Girard
26.08.2025

Quel bon moment j'ai passé en suivant les péripéties de Pierre ! L'histoire est sympa, bien menée et la chute surprenante. Bravo !

Giulia.C
26.08.2025

Merci Chantal. Ça a été un plaisir de le faire vivre pendant ces trois jours.

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