Chapitre 1

1

Ewen et Maé sont jumeaux et vont à l'école maternelle. Ils se prennent d'affection pour les anciens qui vivent à la maison de retraite d'à côté, particulièrement pour un papy qui leur raconte des histoires fabuleuses. Ils vont jusqu'à sortir de la cour d'école pour le rejoindre. Qui est ce papy ?
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Ewen et Maé se chamaillent pour une petite voiture. Une minute plus tard, leur mère les entend rire comme deux larrons en foire. Ils ne peuvent pas se passer l’un de l’autre. Ce sont des jumeaux et ils s’adorent.

Au matin, ils sortent de la maison avec leur mère et se dirigent vers l’école. A 10 heures, la récréation sonne. Ewen et Maé sortent dans la cour avec leurs camarades.

L’école est située à proximité d’une maison de retraite. Les anciens qui se promènent passent un moment à papoter avec les élèves. Les jumeaux sont absorbés par une conversation avec un des papys. Ils éclatent de rire, ce qui amuse tout le monde. Mais la cloche annonce la fin de la pause et chacun se disperse.

Maé est agité et tient des conciliabules interminables avec son frère. Madame Lyne, leur institutrice, doit intervenir à plusieurs reprises pour leur demander de se taire. Ewen et Maé n’ont qu’une hâte : retourner dans la cour et finir la conversation avec le papy qui leur raconte des histoires captivantes. Les enfants sont fascinés par ses fabuleuses épopées.

A la récréation suivante, Madame Lyne s’approche du petit groupe mais les retraités la rassurent. Elle se retire tout en gardant un œil discret. Il ne faudrait pas que les enfants fuguent pour s’aventurer dans les rues du village avec leurs nouveaux amis, pense-t-elle !

Chaque jour, lorsque la cloche sonne, les élèves se lèvent pour sortir dans la cour. Maé et Ewen filent à la grille. Mais un matin, papy n’est pas là. Ils sont déçus et attendent quelques instants dans l’espoir qu’il arrive. Mais il ne vient pas et ils finissent par rejoindre à contrecœur leurs camarades pour une partie de Chat perché. Durant une semaine, le papy ne vient pas et les jumeaux s’en inquiètent. Maé et Ewen scrutent tristement les lieux sans résultat.

Finalement, par un bel après-midi, papy revient. Les jumeaux se précipitent au grillage, un immense sourire accroché à leurs lèvres. Ils arrivent essoufflés devant la clôture. Papy est là, joyeux et heureux de revoir les enfants. Papy leur précise que, même s’il ne vient plus les voir, il sera toujours auprès d’eux et ils resteront dans son cœur à jamais… comme des petites poussières d’amour. Les enfants ne comprennent pas vraiment ce que cela veut dire mais qu’importe, le plus important c’est que papy soit là ! Madame Lyne les regarde mais n’intervient pas. Pendant la récréation, les enfants font bien ce qu’ils veulent, tant qu’ils restent sages.

Les visites du papy s’espacent peu à peu au fil du temps. Maé s’en inquiète et en parle avec Ewen mais ce dernier n’est pas soucieux. Il sait que papy revient toujours et cela lui suffit.

—      Mais s’il ne revenait plus ? Ça me rendrait triste ! J’aime tellement écouter ses histoires.

—      Moi aussi j’aime ça mais il est peut-être occupé ailleurs ? suggère Ewen.

Le lendemain, la cloche sonne la fin de la récréation et les élèves se regroupent devant la porte de la classe. Sauf Maé et Ewen qui attendent devant le grillage. La maîtresse les appelle mais ils ne bougent pas. Elle installe les autres élèves en leur demandant de rester sages puis va rejoindre les deux frères.

—      Que faites-vous ? Il est l’heure de rentrer en classe !

—      On attend papy, lui répond Maé.

—      Vous ne pouvez pas rester-là, voyons. Il viendra demain ! Allez, suivez-moi.

A contrecœur, Ewen et Maé regagnent leur place. Madame Lyne voit bien que quelque chose ne va pas. Les jumeaux deviennent distants et ne participent plus comme avant aux activités. Ils passent une grande partie de leur temps à regarder par la fenêtre. La situation tourmente la maîtresse. Si rien ne change, elle devra en parler à leur mère.

Chez eux, les jumeaux expliquent à leur maman que papy ne vient plus les voir pendant les récréations. Elle les écoute à peine :

—      Les autres retraités viennent encore ? Ils doivent avoir froid avec l’hiver qui arrive !

—      Oui, on les voit toujours mais pas papy. C’est ça qui est dommage, répond Maé.

—      Ne vous inquiétez pas. Il a peut-être un rhume et il reste au chaud !

—      Tu crois qu’il est malade, s’inquiète Ewen ?

—      Mais non, un rhume ce n’est pas grave. Il suffit de rester au chaud et le rhume part aussi vite qu’il est venu.

—      J’aime mieux ça, répond Maé, visiblement rassuré.

 

Aujourd’hui il pleut, annonce la maîtresse, la récréation se fera sous le préau. Vous ne devez pas jouer dehors sinon vous attraperez un vilain rhume. Maé et Ewen se regardent, interloqués. Il est hors de question de rester sous le préau. Mais ils ont une petite idée en tête !

Après s’être habillés, les élèves sortent sous le préau. Maé et Ewen attendent que Madame Lyne ait le dos tourné pour se glisser vers la grille. Ils se faufilent sous la pluie. Personne ne les vois, leur ruse a bien fonctionné ! Ils ont peur de se faire disputer mais l’envie de voir papy est bien plus forte. Tant pis s’ils sont punis, le jeu en vaut la chandelle. Quel n’est pas leur bonheur de retrouver papy qui leur sourie en retour !

—      Papy, tu es revenu ! s’esclaffe Maé.

Les autres retraités ne sont pas sortis à cause de la pluie. Papy est seul. Les jumeaux s’en moquent ; il est le seul qui les intéresse. Ils sont mouillés et frigorifiés. Ewen grelotte et le visage de Maé est recouvert de gouttelettes. Soudain, ils entendent Madame Lyne derrière eux. Elle semble en colère :

—      Rentrez immédiatement ou je me fâche.

—      Mais on est avec papy, répond Maé.

—      Je ne veux pas le savoir. J’avais dit de ne pas aller sous la pluie et vous avez désobéi. Je ne suis pas contente du tout. Allez, filez !

Les deux frères s’exécutent en disant au revoir à papy. Madame Lyne les regarde, médusée. C’est décidé, elle va demander à leur maman de venir à l’école pour discuter de leur attitude.

Dès le lendemain, elle la reçoit :

—      Bonjour Madame, merci d’être venue me voir. Vos enfants vont bien, soyez rassurée ! Je voulais simplement vous informer d’un petit souci au moment des récréations. Depuis plusieurs semaines, Maé et Ewen se sont pris d’affection pour les résidents de la maison de retraite qui viennent à la grille discuter avec eux. Particulièrement pour un des papys. Ils veulent le voir tous les jours et quand ce vieux monsieur ne vient pas, ils sont tristes et restent au portail à l’attendre.

—      Je ne me souviens pas qu’il m’ait parlé de cela. Qui est ce monsieur ?

—      Je ne sais pas vraiment. Il est là avec les autres retraités et il discute avec vos enfants.

—      Avez-vous déjà parlé avec cette personne, demande la maman ?

—      A vrai dire, je ne l’ai jamais vraiment vu ! Je ne sais pas lequel est le papy dont vos garçons parlent !

—      Il n’est pas dangereux, au moins ? Vous m’inquiétez !

—      Non, rassurez-vous ! De toute façon, la grille est toujours fermée à clé. Il n’y a aucun danger. Le souci, c’est qu’ils sont chagrinés à chaque absence du papy. Je n’aime pas les voir ainsi. Eux qui sont toujours joyeux et dynamiques, ils deviennent tristes et renfermés. Ils manquent d’entrain pour les activités scolaires. Je suis persuadée que tout va s’arranger mais si vous pouviez leur en parler, je pense que la situation s’améliorerait encore plus vite.

—      Bien sûr, je vais voir ça avec eux dès ce soir. Il ne faut pas qu’ils attachent trop d’importance à cette histoire. Il s’agit sûrement d’une fantaisie qui va s’arrêter aussi vite qu’elle est venue.

—      J’en suis convaincue également ! Je ne vous retiens pas plus longtemps. Merci d’être venue me voir.

—      Merci Madame Lyne. Au revoir.

 

Le lendemain, les enfants sont au portail avec les aînés. Papy étant revenu, Maé et Ewen retrouvent leur sourire et, en classe, ils réintègrent joyeusement les activités de groupe. Madame Lyne est satisfaite car tout rentre dans l’ordre.

Alors que la récréation vient de s’achever, la maîtresse s’aperçoit que Maé et Ewen ne sont pas dans les rangs. Elle regarde partout dans la cour et elle voit avec angoisse que le portail est à moitié ouvert. Se pourrait-il que les jumeaux soient sortis ? Elle est prise de panique et demande à sa collègue de surveiller ses élèves pendant qu’elle se rend dans la rue. Où sont les enfants ? Ont-ils été enlevés ? Le papy est-il un kidnappeur ? Mille questions se bousculent dans sa tête. Elle traverse la rue et se rend dans le square en face, en courant. Elle s’aperçoit, soulagée, que Maé et Ewen sont sur les balançoires et s’amusent. Ouf ! pense-t-elle. Ils sont sains et saufs. Mais à ce moment, une énorme colère l’envahit. Rouge de rage, elle leur demande de quel droit ils ont quitté l’école. Les jumeaux, pris en flagrant délit, n’osent plus bouger. Ils savent que ce qu’ils ont fait est punissable mais comme ils sont avec papy, ils pensent que ce n’est pas grave d’être sortis de la cour d’école sans permission. La maîtresse ne décolère pas et les ramène au pas de course vers l’école, en tenant un enfant dans chaque main.

—      Maîtresse, on était avec papy et il nous a emmenés nous amuser au parc. Ce n’est pas très grave, tente Maé.

—      Arrêtez vos bêtises. Cette histoire de papy, ça commence à bien faire. Vous êtes partis sans autorisation et c’est très grave. Il aurait pu vous arriver un accident. Je suis très en colère. Je vais aller voir les gendarmes et leur dire que ce papy est dangereux pour vous. Je vous interdis maintenant de le revoir, c’est compris ?

—      Hein ? Mais ce n’est pas possible ! objecte Ewen. Pourquoi tu ne veux pas qu’on voit notre papy ?

—       Votre papy ? Non mais vraiment, cette affaire vous monte à la tête ! Ce n’est pas votre papy, c’est un monsieur qui a peut-être l’âge de votre papy mais c’est tout. Si c’était votre papy, il n’agirait pas comme ça et votre maman me l’aurait dit. Je commence vraiment à en avoir assez. Vous m’avez fait une peur bleue.

Arrivée à l’école, Madame Lyne ferme à clé le portail. Puis, elle se souvient l’avoir ouvert le matin pour un livreur. A-t-elle ensuite oublié de le refermer ? Quelle erreur !

La journée est électrique pour la maîtresse. Elle ne fait que penser à la maman et ne sait absolument pas comment l’entretien va se passer. Finalement, la cloche sonne la fin du cours. Les enfants se préparent à sortir mais elle retient les deux frères. Elle doit informer la maman de l’incident. Elle serait en droit de porter plainte pour négligence. Elle la reçoit et tente de dédramatiser :

—      Bonsoir Madame. Je n’ai pas une chose facile à vous annoncer.

La maîtresse raconte ce qui s’est passé durant la récréation. Elle a beau « mettre des gants » pour expliquer la situation, la maman ouvre de grands yeux et pâlit au fur et à mesure du récit.

—      Comment avez-vous pu les laisser s’échapper de la cour d’école ? Quelle inconscience !

—      Je comprends votre colère Madame, mais franchement, si leur grand-père ne venait pas à chaque récréation les distraire, ce serait plus simple. Vous pourriez peut-être lui dire qu’il ne doit pas venir à l’école. Votre père ne nous facilite pas la tâche, vous savez !

—      Mon père ? Mon père ! Non mais vraiment, vous délirez, Madame Lyne. Mon père, comme vous le dites si bien, est décédé au printemps dernier. Ce n’est certainement pas lui qui distrait, comme vous l’annoncez, mes enfants !

Madame Lyne reste bouche bée. Maé et Ewen lui ont pourtant bien précisé que c’était le papa de leur maman. Elle les interpelle :

—      Ewen, Maé, expliquez à votre maman qui est le papy avec qui vous êtes sortis ce matin.

—      Bah, c’est papy ! Tu sais bien maman, il était parti mais maintenant il est revenu. Il vient nous voir à l’école et nous on est contents quand il est là ! répond Maé.

La maman regarde ses enfants et son visage s’assombrit. Ses yeux s’emplissent de larmes mais elle réussit à leur poser quelques questions :

—      Quand papy est là, il est comment ? Il vous parle ? Vous le voyez comme les autres retraités ?

Ewen sourit et répond le plus simplement du monde :

—      Bah non, tu sais bien. Quand il marche à côté de nous, ses pieds ne touchent même pas le sol. On dirait qu’il vole. Tu sais, « c’est comme je t’avais dit pour notre petit chat qui était mort ». Et papy il est tout brillant. On ne peut pas le toucher.

Abasourdie, la maîtresse n’en croit pas ses oreilles. Les enfants sont en train d’expliquer, le plus naturellement possible, qu’ils discutent avec leur papy décédé quelques mois plus tôt. Madame Lyne ne sait plus quoi dire tellement c’est hallucinant ! Et si les enfants disaient vrai ? Serait-ce la raison pour laquelle elle n’a jamais vu ce fameux papy ? Est-il visible uniquement par les enfants ? Si les jumeaux sont fascinés par ce papy, serait-ce parce qu’ils le connaissent ? Que leurs liens sont si forts qu’ils ont réussi à se reconnecter au-delà de la mort ? La maîtresse finit par se demander si elle n’est pas en train de perdre la raison !

Quant à la maman, elle ne peut que croire ses enfants. Elle aussi a « communiqué » avec son père après son décès mais elle ne savait pas que ses jumeaux étaient également entrés en contact avec lui.

Assise au milieu de la salle de classe, la maman installe un garçon sur chacun de ses genoux, lève ses deux mains et s’adresse à son père :

—      Papa, je sais que tu viens voir tes petits-enfants et que tu ne leur veux aucun mal. Mais, je te demande de ne plus le faire. Tu dois monter et te tourner vers la Lumière. Souviens-toi, tu les garderas toujours au plus profond de ton cœur, comme des petites poussières d’amour.

Maé et Ewen lèvent la tête, un formidable sourire se dessine sur leurs visages. Ils font un signe de la main en direction du plafond.

—      Au revoir, papy ! Je t’aime ! lancent-ils d’une même voix.

Un courant d’air glacial traverse la classe. Des larmes coulent sur les joues de la maman et de la maîtresse. L’émotion est à son comble.

Les enfants se lèvent et se dirigent vers la porte le cœur léger. Leurs yeux sont remplis de joie et leurs visages resplendissent de bonheur. Papy est parti, il ne reviendra plus, mais ils savent qu’il veille sur eux à jamais car il a semé des petites poussières d’amour dans leur cœur !

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