Créé le: 20.10.2016
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Le violoncelle muet

Nouvelle

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© 2016-2025 a Rose

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Communication, interprétation, compréhension, les multiples facettes du langage.
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Le violoncelle muet

Céline et Lucien sont de jeunes retraités, en bonne santé. Ils sortent leurs projets de voyage et de loisirs qu’ils avaient bien classés dans les tiroirs de leurs mémoires alors qu’ils étaient dans la vie active. Dans cette dernière, ils ont porté plusieurs casquettes et ont réalisé de grandes oeuvres, remporté des succès et essuyé des échecs. Leurs enfants sont maintenant des adultes exerçant les professions qu’ils ont choisies. Ce sont eux qui ont les premiers rôles sur la scène où se joue la vie.

Céline et Lucien ont eu beaucoup de chance, ils ont pu proposer à une société bien portante de consommateurs effrénés leurs services en pratiquant des métiers qui leur procuraient satisfaction, plaisir et revenus financiers non négligeables. Leurs parents n’avaient pas connu autant d’aisance.

Céline et Lucien ont, comme la majorité des personnes de leur génération, reçu une éducation prônant la prévoyance et l’épargne. Ils ont ainsi toujours réfléchi où ils voulaient placer les priorités pour leurs dépenses, ils mesuraient minutieusement le pour et le contre avant de prendre la décision d’acquérir un bien, effectuer un investissement. Ils savaient choisir les meilleures conditions pour un voyage en famille, pour des vacances où chacun y trouvait son plaisir. Ils ont ainsi réussi à se faire un joli bas de laine leur offrant l’opportunité de réaliser les projets enfouis dans les tiroirs de leurs mémoires.

 

Céline est entrée dans le monde de la musique grâce à l’activité professionnelle de son mari. La musique a trouvé une large place dans la famille. Tant dans les discussions, l’organisation du commerce de Lucien, l’écoute de différentes oeuvres musicales, l’intérêt pour le répertoire classique, le contact avec les musiciens, les concerts. Chaque enfant jouait d’un instrument et il ne se passait aucune journée sans musique dans la maison.

Un tiroir de la mémoire de Céline porte la mention: jouer d’un instrument.

Un soir, Lucien rentre à la maison avec un violoncelle. Spontanément, Céline dit:

– Et si j’essayais, je pourrais apprendre et peut-être jouer de cet instrument.

Dans sa tête, une petite voix lui parle, elle entend sa maman lui répéter:

– Sois discrète, ne dérange personne, ne fais pas de bruit.

Mais cette fois, Céline va prendre une grande place et débute les exercices.

Ce n’est pas facile, très peu mélodieux, parfois astreignant, les cordes vibrent en couinant mais Céline a l’endurance et la patience qui l’amèneront vers un résultat.

Un autre projet voit le jour. Lucien et Céline partent au bord de la mer. Dans un hameau paisible, inconnu des guides touristiques, ils louent un petit studio avec vue sur la mer et accès à une grande terrasse. Ils ont emporté dans leurs bagages le violon de Lucien et un violoncelle électronique.

Ce dernier n’ayant pas de caisse de résonnance, l’archet fait vibrer les cordes qui émettent un son en sourdine, le musicien porte un casque relié à l’instrument pour entendre pleinement son jeu. Un minium de discrétion oblige, s’ils choisissent un endroit calme, d’autres personnes ont peut-être aussi opté pour cette sérénité.

En effet, dans cette maison de vacances, d’autres appartements sont loués. Lucien se renseigne auprès du propriétaire et des vacanciers si la musique les dérange. Certains répondent sincèrement qu’ils n’y voient aucun inconvénient. Le couple voisin partageant la même terrasse se prononce de manière très diffuse. Lucien interprète leur langage comme une affirmation, nos exercices musicaux vont les opportuner. Lucien trouve un endroit retiré où lui seul entend chanter son violon. Céline pense: mon violoncelle muet ne dérangera personne. Lucien lui conseille tout de même de jouer à l’intérieur de la maison ou éventuellement dans la nature où lui-même s’est installé pour jouer.

Céline lui répond:

– Je supporte aussi le désagrément causé par la fumée du cigare que notre voisin fume sur la terrasse, à côté de notre porte. Si je l’indispose, qu’il vienne me le dire.

Le lendemain, le couple plie bagage. Ils avaient pourtant réservé l’appartement pour une semaine.

Raison évoquée: l’endroit est trop venteux.

Le propriétaire vient se plaindre:

– J’ai perdu 400 Euro à cause de votre musique.

Lucien et Céline ont aménagé leur scène musicale dans la nature, les arbres ont peut-être des oreilles mais pas de langue. Ici pas de souci d’interprétation des mots.

Commentaires (2)

Asphodèle
17.11.2016

Bonjour, j'ai été attirée par votre nouvelle, car je joue depuis quelque temps du violoncelle. Et j'ai aussi toujours des couinements qui viennent s'intercaller entre les notes. Ce qui me touche, c'est ce besoin de jouer en silence qui transparait dans votre texte, car moi non plus je n'ai pas envie que mes voisins m'entendent. Au début je faisais même attention à ce qu'ils ne soient pas là pour jouer. Bon, pour moi ça se termine mieux puisque personne n'a déménagé. Mais c'est vrai que, comme on le sent bien dans votre nouvelle, qu'on a toujours cette crainte de déranger, de sortir du cadre, d'oser, tout simplement.

Starben Case
11.11.2016

Merci d'avoir partagé cette histoire qui a des résonances en moi

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