Créé le: 21.09.2017
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Le Diable en héritage
Il faut parfois une disparition pour que la vérité apparaisse.
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Le bruit de mes semelles claquait sur le béton au rythme de ma course, il me semblait que la cadence de leur claquement était d’une lenteur épouvantable. Mon sang bourdonnait dans mes oreilles. Malheureusement j’entendais d’autres pas dans mon dos, faisant écho aux miens. Tout en continuant ma course, je jetais un coup d’œil par dessus mon épaule. Mon poursuivant se trouvait à une distance raisonnable. Cependant, je ne pouvais me permettre de ralentir ma course. Le petit corps chaud que je tenais contre moi m’encourageait à continuer à courir afin de distancer mon assaillant.
Après avoir pris une rue perpendiculaire dans la zone piétonne je jetais un nouveau coup d’œil. Il me sembla alors avoir semé l’ombre qui me pourchassait.
Devant moi, s’ouvrait un passage vouté slalomant entre les maisons. Bien que le lieu ne me rassurât pas, c’était le passage le plus rapide pour rejoindre le parking où était stationnée ma voiture. Une fois cette dernière atteinte, je pourrais amener le petit être que je tenais contre moi en sécurité.
Un léger décrochement dans le passage que je suivais se profilait devant moi, un mauvais présage me fit recommencer à courir afin d’échapper le plus rapidement possible à cet endroit.
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Soudain, une ombre surgit à hauteur de mon visage, telle une aile de corbeau, je sentis un violent choc, puis ce fut le trou noir.
Une douleur lancinante se faisait sentir dans mon crâne, je tentais d’ouvrir les yeux mais la douleur n’en fut que plus violente. Je ne savais plus où j’étais, ni comment j’y étais arrivée. Je cherchais donc dans mes souvenirs afin de retracer le déroulement des événements.
Mon premier souvenir est mon arrivée au marché hebdomadaire d’Yverdon-les-Bains, j’avais besoin de changer d’air et décidait donc de flâner entre les étalages. Les stands de fruits secs côtoyaient ceux des fromagers, donnant un parfum unique à l’air ambiant. Alors que je regardais des sacs de tissus exposés par l’un des artisans, un haussement de voix attira mon oreille:
-“Mais enfin, ce n’est pas possible! Tu devais le surveiller!”
Me retournant pour comprendre ce qu’il se passait, je vis un couple de part et d’autre d’une poussette. Cette dernière était de toute évidence vide, l’homme tentait tant bien que mal de se défendre, les mains ouvertes, paumes tournées vers le ciel dans un gest d’impuissance et dit à sa compagne
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– “Puisque je te dis qu’il était là il y a deux minutes!”
– “Il n’a qu’un an, comment as-tu pu détourner le regard?”
Je m’approchais afin d’apporter mon aide. De plus en plus paniquée, l’épouse m’expliqua que son fils d’une année n’était plus dans sa poussette, son mari renchérit qu’il avait seulement détourné les yeux un instant afin de payer le pain qu’il venait d’acheter à un stand et que lorsqu’il s’était retourné son fils n’était plus là.
– “Je ne comprends pas comment il a pu se détacher de la poussette, en plus il ne sais pas marcher sans être tenu”, m’expliqua la mère.
De toute évidence, l’enfant ne pouvait être loin, je lui proposais donc de les aider. Le bambin furetait probablement à quatre pattes sous une étale après avoir vu quelque chose qui l’intriguait.
Par précautioin, le père resta à l’endroit même de notre rencontre, tandis que la mère, qui s’appelait Karine, et moi commencions à interpeller les exposants et à soulever les nappes des tables.
Après quelques minutes de recherche, mon instinct me souffla que cela ne serait pas aussi simple, je c
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courus donc rejoindre la mère et lui suggéra d’appeler la police afin qu’ils puissent organiser des recherches plus étendues. Nous continuâmes à chercher et les rejoignîmes à leur arrivée.
Les gendarmes demandèrent à la mère de leur explique ce qu’il s’était passé, les regards qu’ils échangèrent entre collègues me firent tout de suite penser qu’ils ne croyaient pas que le garçonnet ait pu se libérer et vouloir s’octroyer un moment de liberté. Cela devenait donc extrêmement alarmant.
Ils appelèrent des renforts et demandèrent une description à la maman afin de pouvoir informer par radio les différentes patrouilles.
– “C’est un petit garçon d’une année, il y les cheveux foncés. Il est habillé d’un pantalon en jeans et d’un petit pull marin, il porte des baskets noires. Il a les yeux vairons, un vert, un brun. Il s’appelle Matthew.”
Ce signe distinctif était une bénédiction, cela permettrait bien plus facilement de faire la différence lors des recherches.
Karine s’effondra à ce moment, elle se mit à pleurer et à hurler pour qu’on lui rende son enfant, malheureusement la triste vérité commençait à la rattraper. M’éloignant afin de leur laisser un peu
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d’intimité, je regardais autour de moi sans but précis lorsqu’un picotement dans la nuque me fit dresser les poils, j’étais persuadée d’être observée…
Cette sensation bizarre me poussa à me retourner du côté de l’entrée de la zone piétonne, personne ne me semblait être à l’origine de ce présage me cela me poussa à marcher en direction de l’endroit d’où il paraissait provenir. Par chance, le feu pour piéton qui traversait la rue était vert, je me mis alors à courir, je sentais que Matthew était dans cette direction, probablement pas seul. Une fois dans la zone piétonne, différentes rues s’offraient à moi, mon instinct me poussa à remonter la rue pour rejoindre la place devant l’église. Parvenue au coin du monument un mouvement sur ma droite attira mon regard. Un bout de vêtement flottait derrière quelqu’un qui était entré dans la maison de Dieu. Je m’engageais à sa suite, par chance la porte était lourde et mis du temps à se refermer, je pus donc pénétrer dans le bâtiment en toute discrétion. Au premier abord je ne vis personne, je longeais donc la traverse de droite, derrière les colonnes. Une fois à mi-hauteur je vis à qui appartenait le vêtement entre-aperçu, une femme était vêtue d’une sorte de poncho à capuche, vert sombre, d’un tissu qui reflétait le faible éclairage. Mon regard chercha un signe de la présence d’un jeune garçon à ses côtés. J’entendis alors un petit gloussement, et je le vis, Matthew était allongé sur le dos au pied de la représentation du Christ sur la croix. Je me rapprochais furtivement, une fois à hauteur du fond de l’église je ne savais encore comment intervenir. Appeler les gendarmes serait bien trop long, la femme aurait tout le temps de repartir avec l’enfant. A ce moment, la ravisseuse se dirigea vers les cierges qui brûlaient, à quelques
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mètres d’où se trouvaient le Christ et le bébé. Un instinct me poussa à sortir de l’ombre, je courus jusqu’au bébé, le pris et me précipitai vers la sortie. A l’instant où je rejoignis le soleil les pas de la femme résonnèrent à quelques mètres derrière moi, je gainais tous mes muscles et courus le plus rapidement possible. Mes jambes me guidaient en direction de ma voiture, dans la précipitation j’avais cependant pris la rue parallèle à celle qui m’aurait amenée directement à proximité des différentes zones de stationnement. Arrivée à un carrefour je contournais la fontaine et pris la bonne rue, puis la ruelle… Puis ensuite le trou noir.
Maintenant que tout me revenait en mémoire la panique me saisit, je sautais sur mes pieds et tournais sur moi-même. Il n’y avait aucune trace de l’enfant. J’en déduis donc que ce que j’avais pris dans un premier temps pour une aile d’oiseau était en fait la manche de la femme qui avait enlevé Matthew et qu’elle m’avait tendu un piège pour récupérer le garçonnet. Ayant conscience que je n’avais plus aucune chance de retrouver sa trace je retournais donc sur le marché, afin de raconter tout cela aux gendarmes.
Une fois sur place je retrouvais les parents de Matthew assis sur un banc, ainsi que deux agents, et je leur racontai ce qu’il m’était arrivé. Karine leva les yeux sur moi, ses yeux étaient encore pleins de larmes mais le vert de ses iris prit un reflet très particulier lorsque j’évoquais l’église dans laquelle la kidnappeuse avait pénétré. Dans un sanglot elle ouvrit la main, une cordelette et un pendentif s’y trouvaient, en me penchant je vis qu’il s’agissait d’un pentacle attaché à une lanière de cuir. Le père
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m’expliqua qu’ils l’avaient retrouvé dans la poussette.
Je pris conscience à cet instant que d’une simple escapade d’un bambin nous étions passé à un enlèvement qui laissait présager le pire.
Soudain un bruit métallique se fit entendre, la mère venait de faire tomber le pendentif sur le sol et tremblait très violemment. Son mari la pris par les épaules et la supplia de lui parler.
-“Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, ce pentacle… J’ai déjà vu ce signe, pourquoi est-ce que je ne me rappelle pas où? Par pitié, ils vont faire du mal à mon enfant.”
Un gendarme arriva en courant, une femme correspondant à la description que j’avais donnée avait été aperçue longeant la route qui menait à la zone industrielle et commerciale. Soudain, le gendarme s’interrompit, fixant le pentacle encore par terre. Il blêmit et nous demanda des explications. Une fois qu’il sut où cet objet avait été trouvé il nous dit qu’il avait une idée d’où pouvait se rendre cette femme. Nous partîmes tous les cinq à l’une des voitures de patrouilles garées à proximité. Le gendarme nous expliqua que différentes plaintes avaient récemment été posées au sujet d’événements bizarres, qui pouvaient évoque la sorcellerie ou le satanisme. Les pièces se mirent alors en place, l’église, le pentacle… Mais pourquoi Matthew?
Les plaintes concernaient les locataires d’un local dans l’enceinte d’une usine partiellement désaffectée. Toute personne pouvait y louer une surface en fonction de ses besoins. Le local suspect se trouvait au fond de l’enceinte de l’usine, en bordure des rails CFF. Les vitres étaient obscurcies de l’intérieur par ce qui paraissait être des cartons ou des rideaux foncés. Il fallait monter une volée de
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marches pour atteindre la porte. Etonnamment, cette dernière était déverrouillé. Nous nous précipitâmes à l’intérieur. L’obscurité nous surpris et nous obligeât à ralentir, nous progressions presque à tâtons le long d’un corridor traversant entièrement le bâtiment dans sa longueur. Sur la gauche, un grand nombre de portes se succédaient. Un bruit, une sorte de murmure, nous fîmes nous déplacer encore plus silencieusement, au fil des secondes il se transforma en paroles prononcées à voix basses, puis en chant. Le rythme était lancinant, les paroles, répétitives, étaient dans une langue qui m’était inconnue. Arrivés à la dernière porte, nous trouvâmes celle-ci ouverte. La pièce devant nous était plus grande que nous pouvoins le présage, des bougies prodiguaient un éclairage incertain et vacillant. Une odeur forte nous assailli les narines, au premier abord indéfinissable. Puis j’identifiais un mélange d’encens, de souffre, une odeur métallique vint s’y ajouter. Au centre de la pièce, se trouvait un table en bois massif. Devant elle, nous tournant le dos, la femme était là. Son poncho vert sombre évoquait une cape alors qu’elle avait les bras levés à hauteur de ses épaules, en dessus de la table. Elle n’avait pas entendu notre venue.
A ce moment, mon regard se posa à ma droite, sur une sorte de commode, une coupe contenait une forme ovale, mes yeux s’habituant à la pénombre je pu reconnaître un cœur, probablement de port au vu de la taille. Une angoisse sourde me serra la cage thoracique. Cela expliquait l’odeur du métal, l’odeur du sang…
Un mouvement sur la table vint amplifier mon angoisse, Matthew s’y trouvait, les bras de la femme
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s’agitaient au-dessus de lui! Nous avançâmes en silence et nous plaçâmes un peu à sa droite. Soudain, un éclat apparu, la ravisseuse maniait un couteau. Elle découpait un autre cœur en dessus de l’enfant, lui faisant ruisseler le sang dessus.
Sans réfléchir, l’un des gendarmes se jeta sur la femme, ils tombèrent tous deux et roulèrent à terre. La mère de Matthew se précipita sur lui et le serra dans ses bras. Une fois autour de lui nous vîmes qu’il paraissait indemne. Un cri nous fît nous retourner, la femme avait frappé le gendarme avec une statuette et avait pu se libérer de son étreinte. Elle ouvrit l’une des fenêtres et sauta sur le toit du hangar qui se trouvait en contrebas. Elle se retourna et vit que nous nous étions rapprochés de la fenêtre. Je vis à cet instant que ses yeux étaient vairons, tout comme ceux de l’enfant. Tandis qu’un voile passa sur son visage elle fixa Karine.
-“Tu ne comprends donc pas? Ta progéniture est habitée par le malin! Regarde ces yeux! Je voulais le sauver comme je t’ai sauvée quand tu es née. Le diable était en moins depuis ma naissance, ma propre mère me l’a dit dès que j’ai demandé pourquoi mes yeux étaient ainsi. Je n’avais que 15 ans quand tu es née, la malédiction me poursuivait, je devais la faire cesser. Je t’ai donc abandonnée sur le parvis d’une église. Mais il était trop tard, tu as toi-même donné naissance à un démon, il fallait l’exorciser pour faire cesser cet envoûtement! Malheur à toi de m’en avoir empêché!”
La femme tourna la tête en direction des voies ferrées, un train inter-villes approchaient. Elle sauta du
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toit au talus attenant, traversa une première paire de rails et disparu presque instantanément sous les roues métalliques du train, nous laissant ébahi face à ses révélations. Les hurlements des roues bloquées sur les rails faisaient écho au voile de désespoir qui envahissait le regard de Karine.
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