Créé le: 03.09.2021
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La(s)ure.
La(s)ure
Seul l'azur sous mes paupières sera l'écrin des justes.
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Genève, le 9 mai 2018
Jonas, voici ces mots que je ne saurais te dire, avant de ne plus parvenir à discerner tes traits, fondus bientôt dans le marasme des jachères laissées à l’abandon.
Les fruits de belladone me regardent avec leurs pupilles marines, presque noires et leur appel est une élégie de sirène suspendue au filet d’un chalutier rouillé.
Tu sais en repensant au temps d’hier, je préfère nier, d’un bloc, comme si cet espace se diluait en milliers de particules invisibles. Tu serais une de ces étriquées capsules sans place pour aucune mémoire.
La bêtise, la cruauté, l’avidité des corps ne seraient plus écrites, là, mais seul le destin de manière accélérée retrouverait son lit. Ample et puissant.
Les muses s’endormiraient ainsi, puisant à la source vive des larmes leur propre enchantement et tu deviendrais aussi pâle que leur peau séraphique, aussi fragile et ton cœur nu pourrait alors être sectionné avec le sabre des douleurs. On jetterait aux loups les quelques restes. Et leurs langues palpiteraient derrière leurs crocs.
Vers la rivière et ses petites mousses on entend encore l’âme bien née des ivresses éphémères et ces corps il y a -si- peu promus par la jouissance presque enfantine.
Invoquer Dieu, le dieu des étincellements, invoquer son pardon, sa pitié peut-être, surtout son silence lourd qui seul peut donner grandeur au vide, trop léger, trop vague.
Au prix d’un effort important, la peine reste sous la peau, elle tend ses griffes parfois, mais se rétracte et le souvenir d’un visage redonne naissance au plaisir en même temps qu’au poison. Ton visage.
Tu sais en repensant au temps d’avant, l’eau recouvre le paysage comme celle d’un barrage qu’on aurait dressé au cœur d’une vallée habitée. Je sens presque l’existence de ce village inondé. Une bouée y flotte, son centre creux parviendra bientôt à l’embouchure des turbines.
Ce mal atteint le profond de l’homme, l’orgueil, et le ressentiment pour seuls abris, les héroïnes et leurs robes moirées dansent sur les plafonds d’un cercueil déjà coupé dans le sapin. Qu’as-tu donc fait de moi, de mes errances rêveuses, quels abysses sont venus te happer ?
Ces farces, ce fond obscur, l’importance de tes baisers brutalement devenus violence, l’enlacement parvenu au détail d’un souffle presque sans âme. Leila et Jérémie sont partis en voyage, à dos d’âne avec pour seul bagage un peu de bois et quelques figues, marcher le long des crêtes, faire halte, dormir à l’arrière d’un petit bus. Nous avions préféré les laisser seuls, posséder encore leur amour, l’enfouir sous les draps d’une camionnette aménagée et poursuivre la route, ses vallons tendres.
Sans nous.
Ce matin à l’aube, le ventre me brûle, sans doute ne plus goûter jamais aux sons des sexes se rencontrant, puis se débâtant et alors percutant l’horreur des haines désespérées et leurs bouches devenues ogresses bleues. Folie.
Susciter l’attente, plonger dans ce lac tiède où le corps se fait pour un temps léger. Amitié d’une eau calme. On voit au fond quelques filaments jade sombre, tressés et avec en leur cime les premiers bourgeons encore timides. Savais-tu que les algues fleurissent ?
Te dire aussi que je ne confesserai rien devant le juge, seul mes yeux permettront, à toi, de cerner ma désespérance.
Et cela suffira à rendre ma plainte éclair, sentence, serment, résidu indélébile. Avec la pluie, ce jour a redonné brillance au bitume des trottoirs du quartier. Je me souviens les douces promenades à ton bras, au rythme des chants des hirondelles revenues, je croyais alors que seul le printemps ouvrirait la joie des annonces. Le ciel avec ses nuages balayés était hospitalier. Ta main, une confiance. Ta main, précieuse et au-dedans, des lignes brutes, des fractures en abimes.
Sous le tilleul dans le parc, quelques enfants explosent leur gaité en roulades et enfilent après, des perles pour s’offrir des colliers et toucher mutuellement leur cou, là où l’on devine le sang, vif, ému.
Je ne dirai rien, car rien ne subsistera. Ni de toi, ni de tes marques, ni de ta piètre force, ni de mes prières étouffées, ni même du feu de notre amour, pourri. J’engloutirai le tout, une bonne fois, cul sec comme l’on disait les soirs de fête de nos adolescences, et le cul, le cœur, la poitrine, les mains, secs, aussi secs que l’absence ou que le stérile d’une prostituée attachée à son taudis, à l’intensité des mépris, à l’oubli de poésie, aux corps déchargés trop vite des solitudes. Sans même une caresse. Même fausse.
Vers la berge, j’ai laissé le soleil me mordre une petite heure, je ne sais si cela était bon ou non, j’ai juste consenti à cet étrange ralliement au monde.
Les quelques cercles au raz de l’horizon, au sortir du bain, ont donné à ce moment la beauté du tragique, le mouvement était donc revenu, malgré moi. Vers le bord du ponton sur la gauche, un homme a sauté les pieds joints depuis un gros rocher, je ne l’ai plus revu quelques secondes, j’ai pensé à la fragilité de nos apparitions, presque invisibles. Réentendre son rire lorsque sa tête s’est dressée hors de l’eau a produit les mêmes petits arceaux à la surface, pour de maigres instants nous avons été en communion, nous, l’eau, le ciel, le vent. J’ai presque oublié.
Mon bras reste encore parfois douloureux, il y a quelques traces, des corolles parme – quelques croûtes qui se rétrécissent à mesure que le procès approche, tu vois comme je l’ai promis, tout sera seulement dans mes yeux, dans la seule prose de mes yeux, leur seule opacité.
Avec le flux des jours, les arcades des arbres pour oasis ou ailes fuselées, je passe assez vite les pages des photographies, le rythme s’accélère lorsque j’y croise un sourire ou si une étreinte se dévoile. Il y a le pouvoir des comètes qui passaient devant ton regard lorsque je vois dans l’image une déclaration ou la fantaisie d’un jeu, un rapprochement, j’entends l’écho d’une voix, peut-être un chant et la douleur du blottissement, de son désir, referme le livre comme un coup. Derrière l’immeuble le camion poubelle vient de récolter les dernières ordures.
Dans l’armoire, j’ai conservé la chemise de flanelle au travers de laquelle on peut discerner le contour de mes seins sous la dentelle. Dans une heure.
Elle est d’un bleu turquoise, comme celui des peintures orientales où les femmes réunies se prélassent et prennent le bain tout en s’offrant des embrassades sensuelles. Je me vêtis, mettant sur ma peau de torture, violette par endroit, une jupe dont le tissu se laisse balancer dans l’air. Mon regard, bleu aussi, ne traduira que pour toi, ce qu’il me reste d’humanité. Ici ou là, on dira des mots qui n’auront plus de sens, car ils n’auront pas la profondeur des scènes. Les décors n’y seront que planes et les phrases sans relief. Ce qu’on trouve sans doute à foison dans nos vies, des photos, des scandales, des forteresses de sable, des sidérations, des paillettes évanescentes, n’auront au tribunal, pas leur place. Seul l’azur sous mes paupières sera l’écrin des justes.
Laure
Commentaires (1)
Le poete de poukhet
03.09.2021
Bonjour madame je vous souhaite le meilleurs pour la suite
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