a a a

© 2024-2025 1a Arcaroc

Quatre fantômes illustres, héros de la mythologie, hommes et femmes des arts et des lettres, quatre amoureux légendaires. Dans l’antichambre de la vie, ils se révèlent en secret chaque nuit et pour l’éternité ce qu’ont été les grands moments de leurs amours.
Reprendre la lecture

Nul ne sut jamais comment ils étaient arrivés là : quatre fantômes suspendus sous la voute d’un plafond étoilé, prisonniers égarés : ils sont posés là, assis étrangement sur un croissant de lune. Ah, quel drôle d’équipage, perché loin des hommes et au-delà du temps. Un faible rai de lumière éclaire tout en bas, l’espace de cette pièce immense. Mais personne ne les voit, personne ne les entend. Ce sont quatre fantômes illustres qu’un rêve insensé a soufflés sur la voûte : héros de la mythologie, hommes et femmes des arts et des lettres, quatre amoureux légendaires. Dans l’espace silencieux, ils sont dans l’antichambre des amoureux. Et sans le savoir, ils répètent chaque nuit et pour l’éternité ce qu’ont été les grands moments de leurs amours.

***

Une première voix s’élève, un murmure comme un souffle de vent.

–         « Je suis Pénélope, fille d’Ikarios, épouse d’Ulysse et mère de Télémaque. » Comme elle est fière et digne, toute drapée de blanc. Jetant son regard aux quatre coins de l’espace, elle murmure « Que l’attente fut belle ! ».

 

–         « Je te reconnais, ô fidèle Pénélope ! Vraiment, quel amour il te fallut pour trouver la force de résister, et quel merveilleux stratagème tu as su imaginer pour ne jamais céder. Moi, Roméo, je n’ai eu ni ta patience, ni ton calme. Je fus amoureux au premier regard et je choisis de mourir plutôt que de vivre sans Juliette ». Il est si jeune celui qui prononce ces mots avec tant d’assurance. Il semble tout juste sorti de l’enfance et jette un œil interrogateur à sa voisine de lune.

 

–         « Moi, je crus mourir d’ennui par manque d’amour. Mais je suis revenue à la vie sous les mains d’un homme, un modeste et rustre garde-chasse. Oserai-je vous conter ces moments merveilleux … J’ai connu bien des émotions auprès d’Oliver. On m’appelait Lady Constance Chatterley, Connie pour les intimes. ». Son regard et ses gestes, tout en elle rivalise d’élégance et de sensualité. Elle réajuste quelques mèches et soupire.

Et c’est dans un rire clair et jeune que Jack salue ses compagnons.

 

–         « Ça mes amis, je peux vous dire que mon histoire à moi fut courte, mais intense, croyez-moi ! Et si je dois ma chance au poker d’avoir pu embarquer sur le Titanic, c’est à Rose que je dois d’avoir vécu les plus beaux moments de ma vie ». Il tape dans ses mains et prenant par le bras la belle Pénélope, il mime avec elle une danse, ondulante comme une vague. Bercée par le mouvement, elle déclame la main sur le cœur :

–         « Ô illustres compagnons, comme vos amours et infortunes semblent dignes ! Que de mémorables histoires avons-nous donc vécues tous les quatre. Et quel terrible manque en ce lieu, que de ne pas avoir à nos côtés celui ou celle qui sut donner à nos âmes toute la grandeur de l’amour. »

–         « Oui Amis, soyons fiers d’avoir ainsi connu des heures mémorables. Allons, réjouissons-nous, car nos vies sont devenues légendes et mythes, contés à travers les siècles… », ajoute Roméo d’un ton solennel.

 

–         « Et si c’était pour cela que nous étions réunis en ce lieu si étrange ? Car nous sommes vivants dans les mémoires des Hommes. Alors goûtons l’instant et partageons ici les doux secrets de nos amours. », suggère Lady Chatterley.

–         « Ça en vérité, je suis sûr que nous avons aimé de façons différentes.  Ma Rose aurait été bien plus apte à vous dire les secrets de notre trop courte histoire… mais comme elle n’est pas là, je veux bien essayer moi aussi de vous dire deux ou trois petites choses ! », conclut Jack Dawson, peu à l’aise avec l’idée de disserter des choses de l’amour.

 

Pénélope prend une longue inspiration.

–         « Généreux Amoureux, ne suis-je pas la plus antique de nous quatre ? Tous ces siècles immenses m’ont donné la paix et la sagesse. Alors, si vous le permettez, je vous dirai ce qu’ont été, les grands moments pour moi. Je n’eus pas jeunesse facile et dus m’accommoder de terribles colères de tous autour de moi. A l’âge où mon père exigea que je prenne mari, il organisa pour cela une course de chars dont le vaillant Ulysse sortit vainqueur. Mon père espérait pour moi un tout autre époux. Sa rage fut terrible car je choisis, de surcroît, de suivre Ulysse sur une ile lointaine, en sa ville d’Ithaque.  C’est ainsi que pour moi, l’amour commença par une rupture filiale et sachez mes amis que je ne revis jamais mon père. »

 

–         « Comme je te comprends, ô douce Pénélope. Car cette même colère habitait mon père et il était écrit que notre histoire serait impossible. J’étais un Montaigu et Juliette une Capulet. Mais j’ai refusé de me soumettre et de perpétuer la haine entre nos deux familles. Malheur à moi qui ai désobéi en choisissant l’amour malgré l’interdit. Ce fut un tel moment : faire le choix de la transgression par passion, dans le plus grand secret, en croyant ainsi échapper à mon destin autant qu’à mon père. »

 

–         « Le destin, la transgression, voilà des mots qui me parlent, moi qui me suis rebellée contre l’ordre établi. Je dois vous dire combien le regard de mon père a également pesé sur moi. J’étais l’unique descendante d’une riche famille de l’aristocratie anglaise et destinée à une vie choisie par mes parents : celle d’une Lady sage et dévouée. Mais j’étouffais de bienséance. Et c’est peu dire que je me suis révoltée contre ce que mon père, puis mon mari, voulaient faire de moi ! Car j’ai aimé un homme alors que rien ne nous disposait à être ensemble. »

 

–         « Eh bien, je dois dire que je n’ai pas vos lignées…  Orphelin à 15 ans, j’ai fait mes choix tout seul et comme ça venait. Je me débrouillais pour gagner ma vie en dessinant : j’étais pauvre, mais libre. En embarquant sur le Titanic, le destin m’a servi et je ne regrette rien ! Celui de Rose en revanche semblait tout tracé, car on père lui avait choisi un futur mari suffisamment riche et d’une classe sociale qui la mettait à l’abri. Tout nous opposait. Oui, alors c’est sûr que pour Rose et moi, c’est comme vous dites une sorte de révolte qui nous a poussés à vivre un amour interdit. Notre vie a basculé passionnément, bien avant le naufrage. Il paraît que ça a rendu notre histoire hors du commun. » Jouant à l’acteur qui salue en fin de représentation, l’éternellement jeune Jack Dawson se lève et mime une révérence.

–         « Ne serait-ce plutôt ta fin tragique, qui fit de toi un héros romantique ? », se moque Roméo. « Moi qui fus malgré moi héros d’une tragédie. Sans notre fin funeste, nous aurions vécus toi et moi, en époux, chacun auprès de notre belle, et ne serions sûrement pas devenus des couples de légende. »

 

–         « Chers Compagnons, ce sont là de bien tristes aveux. Que n’avez-vous eu la chance de vieillir pour vivre de plus longues et sereines années. Moi qui ai survécu à de nombreuses épreuves et terribles défis. Je vis la mort roder sans cesse autour de moi, mais l’amour fut plus fort que toutes les tragédies. Ô combien je connus ensuite de jours apaisés auprès de mon époux, le courageux Ulysse, que j’avais attendu durant vingt longues années ! Je sais combien depuis toujours l’on parle de moi comme d’une épouse modèle, drapée dans sa vertu. Longtemps j’ai usé de ruses pour ne pas me remarier… mais d’aucuns le savent, je ne fus pas fidèle en tout temps. Vingt années, c’est une si longue attente ! Je connus, je l’avoue, de rudes moments de doutes et de trop fortes tentations. C’est ainsi que je ne sus résister, et ai cédé parfois à quelques amants, qui m’ont donné la force de tenir jusqu’au retour de l’absent. Fussent-elles de coupables erreurs ou d’humaines faiblesses, elles me furent pourtant pardonnées par mon magnanime époux. Qui lui aussi, n’a pas été un héros de vertu pendant son Odyssée. Permettez donc que j’ajoute à nos pensées, ces moments de pardon qui forgent aussi les victoires de l’amour des cœurs endurants.

 

–         « Vous, des amants ? » Constance Chatterley n’est pas la seule à s’étonner de cette révélation. Mais son regard sur Pénélope clame pourtant une immense admiration.

« Eh bien très Chère, ce secret ne s’est pas tellement ébruité au fil des siècles. Mais je reconnais comme vous, bien volontiers, que les légendes ne sont pas seulement faites d’amours contrariées ou de tragédies grecques. Avouons que les grands moments de nos vies sont aussi ceux que l’on vit corps à corps. Je connus pour ma part des aventures qui furent décriées et mon histoire provoqua un immense scandale. Imaginez, chère Pénélope, plus de 2700 ans après vous, parler d’amour charnel, décrire la sensualité ou écrire sur le désir, était toujours banni, interdit, condamné. »

 

–         « La passion charnelle rejoint celle des âmes… » , murmure Jack soudain sérieux et poétique. « J’ai aimé Rose passionnément, une seule nuit. Je n’ai pensé alors ni à l’enfer ni au paradis. J’ai vécu dans ses bras avec toute l’innocence des corps qui s’aiment. Cela peut-il nous être reprochés ? Quelle chance tu as eue Connie, d’avoir trouvé auprès d’un autre tant de moments de plaisir.  Et quelle force il t’a fallu aussi pour résister à la critique ne pas te résoudre à l’ennui. »

–         « Je n’eus pas ce plaisir, malheureusement ! » Roméo semblait presque furieux. « Moi qui suis littéralement mort d’amour pour Juliette. Notre amour est resté platonique pour l’éternité. J’étais si impétueux… »

 

–         C’est cela aussi qui a fait toute la force de nos vies d’alors.

–         Aimer à en mourir…

–         Défier parents et Dieux…

–         Avoir cette ardeur hors du commun à défendre nos amours coûte que coûte.

–         Vivre des liens et des moments insensés.

***

Ils sourient tous les quatre, éclairés par une lumière sublime. Une brume semble soudain dissiper l’éclat de la lune.

–         « Ce sont ces moments d’éternité qui nous ont réunis en ce lieu.

–         Au-delà du temps et de l’espace.

–         En devenant légendes et mythes.

–         Pour continuer à vivre dans l’imaginaire des autres. »

 

La voûte s’embrume comme si se levait un jour nouveau à l’horizon d’une porte qui s’entrouvre lentement.

–     « Voyez, cette timide ouverture…

–     Et regardez, ces deux-là, en bas…

–     Ils ont vécu tout cela eux aussi, et bien avant nous !

–     L’amour, l’interdit, le désir, la tragédie, le pardon. »

 

Alors penchés depuis la voûte de l’antichambre, fantômes amoureux s’effaçant comme s’éclipse jour, ils les observent : Elle et Lui qui entrent main dans la main, nus et innocents. Le Couple avant tous les autres, les Premiers amoureux.

Commentaires (0)

Cette histoire ne comporte aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire