Chapitre 1

1

L’anorexie est un trouble alimentaire qui concerne, en France, à peu près 1,5% de la population féminine. L'autrice partage ici ces maux face à son anorexie et son combat contre cette maladie, cette maladie qui promet de devenir un papillon.
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À ma très chère et tendre maladie,

 

Le vide, on se sent si bien dans le vide après tout. Tu m’avais fait rêver avec tes doux mots, qui tournaient lentement et sans cesse dans ma tête. Le vide était la solution à tous mes maux. Tu le savais bien.

 

Tu me promettais le bonheur, ce bonheur que je ne pensais jamais atteindre. Ce bonheur éternel. Pourquoi mériterais-je d’être heureuse de toute façon ? Tu as réussi à me donner une raison malgré toi, une raison que tu me murmurais pendant tant d’années dans le creux de mon oreille : la maigreur. Peut-être ai-je accepté ton aide lors d’un moment de faiblesse, de doute, je n’en sais rien. Tu étais ma force, ma raison de rester en vie. Dieu sait à quel point mourir était ma seule envie à ce moment. Pourtant, ton arrivée a bouleversé ma vie, probablement à jamais : je ne vivais que pour te rendre heureuse. Je ne vivais que pour te rendre fière de moi. Je ne pouvais pas me permettre de te décevoir, ce serait une déception pour moi aussi. Tu étais toujours là pour moi dans mes moments de solitude tard le soir. Je me souviens encore aujourd’hui, la nuit, voir ton ombre divaguer dans mon esprit, entendre ta voix si douce et mélodieuse qui m’interdisait de manger. J’avais besoin de toi à chaque instant de ma misérable vie. Tu m’étais devenue nécessaire et vitale.

 

Plus le temps passait, plus tu effaçais les gens de ma vie. Tu avais bien raison, je n’avais pas besoin d’eux pour vivre, je t’avais toi. C’était amplement suffisant et tu étais unique. Je cachais pourtant quotidiennement ton existence aux gens qui m’entouraient. Tu m’appartenais et à personne d’autre. J’avoue avoir été égoïste à ce moment, je voulais te garder uniquement pour moi et pour moi seule. Je ne voulais pas te partager. De toute façon, tu ne voulais pas que j’aie d’autres amis que toi. Je n’étais pas assez belle, pas assez mince. Tu avais bien raison. J’étais en trop-plein de « pas assez ». Pas assez intelligente, pas assez drôle, pas assez… pas assez… J’avais constamment ce vide en moi, celui que tu as finalement rempli avec ta présence.

 

Je ne me souviens pas depuis quand nous sommes amies, je ne saurai dire si tu es apparue comme ça, du jour au lendemain ou bien si dès ma naissance, tu m’avais trouvée, tu t’étais dit que tu rentrerais dans ma vie un jour ou l’autre, puis que peu à peu depuis tu intégrais ma vie. Qu’importe comment tu es arrivée, je ne peux que te féliciter pour ce stratagème. Quelle intelligence, quelle supercherie. Ta stratégie est merveilleuse. Tu es bien plus intelligente que tu ne parais, plus intelligente que je le serai un jour. Enfin, je crois.

 

Tu me rendais forte, je me sentais comme la personne la plus forte du monde, sans faiblesse. Tu me faisais croire que rien ne pouvait m’arrêter. Chaque matin, je voyais les chiffres baisser sur cette balance, dont je ne pouvais plus me passer. Mon corps changeait au fur et à mesure, au fil des jours. Tu m’avais promis la maigreur et tu me la donnée. Je te donnais désormais une confiance aveugle. J’étais devenue une plume sur une balance, un petit papillon qui virevoltait au rythme du vent. Grande chenille était devenue petit papillon. Les ailes se déployaient, majestueusement. La maladie des Ailes et la malade papillon. Nous étions le binôme exceptionnel. Le papillon était devenu si fort et si puissant grâce à l’aide de ses ailes.

 

Pourtant, me croyant si forte et imbattable, j’étais faible. Tu m’avais rendue misérablement faible et fébrile. Chaque pas que je faisais était un nouveau combat. Le regard dans le vide, la lutte pour ne pas s’effondrer. Mes jambes flanchaient dès que je faisais un mouvement, mon cœur battait la chamade sans relâche et mon esprit ne pouvait pas se concentrer quelques secondes sur une image. Pourquoi avoir suivi tes conseils ? Tu étais ma meilleure amie, je te faisais tant confiance, je t’aurais donnée ma vie. Pourtant, sans m’en rendre vraiment compte, je te l’avais donnée depuis le début, dès que j’avais accepté ton aide.

 

J’étais maigre. Si maigre que je pouvais compter les os de mon squelette. Si maigre que je pouvais apercevoir chaque détail de mon corps. Si maigre que je pouvais mourir. D’une certaine manière, tu as réussi à me tuer. Je ne serai jamais la même que celle d’avant et je ne sais pas si la nouvelle moi me plaît ou même si elle me plaira un jour. Tu m’as rendue comme un monstre, un zombie divagant dans les rues sans savoir où se diriger. Mon corps était devenu ton jeu préféré. Tu ne me voyais pas comme une personne, mais comme un challenge, un défi à relever. « Combien de temps pouvait-elle vivre avant de mourir ? » ou bien encore « Jusqu’à combien de kilos perdus elle ira ? ». Je ne sais pas quel était ton jeu exactement, mais tu ne pouvais pas t’empêcher de jouer.

 

Tu as changé ma vie pour toujours, je ne pourrai plus jamais penser comme avant toi, je continuerai toujours à compter chaque bouchée. Es-tu réellement partie ? Est-ce que je me mens en me disant que tu n’es plus là ? Est-ce qu’un jour tu pars réellement de quelqu’un que tu as hanté ? Est-ce qu’un jour tu me laisseras pour de bon ? J’ai tellement de questions qui me tourne dans la tête. Si seulement tu pouvais y répondre pour m’éclairer. Pour me sauver. Mais si tu es là, ce n’est aucunement pour me sauver, loin de là.

 

Je t’ai tant aimé au début, puis tu m’as transformée. Je ne te le pardonnerai jamais. Tu m’as tuée, je ne suis qu’un corps, rien d’autre. J’ai arrêté de me battre, j’ai lâché les armes. Je ne sais pas comment tu as fait pour me rendre aveugle. Tes belles promesses m’ont fait rêver. Je me sens si stupide de t’avoir fait confiance. J’aimerais tant que tu t’en ailles, que tu meurs. Mais au fond, si tu m’abandonnes, serais-je quelqu’un ?

 

J’ai pourtant peur que si tu t’en vas, ce soit pour hanter la vie de quelqu’un d’autre. Je ne veux pas que ça arrive. Je me sacrifierai pour que personne d’autre ne vive l’enfer que tu m’as fait, que tu me fais et que tu me feras vivre. Tu m’as hantée pour toujours. Je t’empêcherai de t’en prendre à quelqu’un d’autre. Tu t’éteindras, peu à peu avec moi. Tu es entrée dans ma vie, on la finira ensemble. Tu mourras avec moi.

 

Je m’abandonne à toi.

 

Je sais que tu prends peur, je sais qu’entre nous deux, c’est toi la faible. Tu pensais vraiment que je te laisserai vivre avec moi tout ce temps ? C’est hors de question. Je sais la peur que tu ressens en ce moment, celle d’être ta dernière victime. Quel malheur pour toi, tu finiras sur un échec. Tu es la plus faible de nous deux. Je vivrai, je vivrai une belle vie faîtes de rires et de pleurs. Je parviendrai à te tuer, moi. Je sais que j’en suis capable, car tu es devenue ma raison de me battre. Je me battrai pour toutes les personnes que tu as tuées avant moi. Je me battrai pour celles qui meurent pendant que j’écris ces mots sur ce papier.

 

Je me battrai pour qu’enfin, tu disparaisses.

Ton petit papillon éphémère, celui qui finira par te tuer.
Celui qui parviendra à vivre sans toi.

Commentaires (11)

Df

DftLauren
07.04.2023

Enfant je la percevais sans saisir. Ces médecins que je haïssais, et la peur à l'idée de la briser en lui faisant un câlin. Puis, malgré moi, elle m'a happé également. J'ai cru acquérir la guérison. Son processus est loin d'être linéaire. Ambre ne pourra parler de ces ressentis. Je me bats avec sa rage, et pour que sa vie volée.

Lize Martinez
15.08.2021

Ceci est un texte puissant. Félicitations ! Tu as une très belle plume, très délicate. J'apprécie beaucuop. Tu as des tournures de phrases très douce pour un tel sujet. Bon courage pour la suite du parcours !

An

AnaStemp
07.07.2021

Bonjour, je te connais grâce aux réseaux sociaux. Tu es très forte d'écrire dessus, tu m'as fait pleurer. Ma meilleure amie est malade aussi, je vais lui faire lire ton texte. J'espère qu'elle aimera et qu'elle te soutiendra comme je le fais

Ameline Grout
13.07.2021

Merci pour ton commentaire, j'envoie beaucoup de force à ton amie, elle ira mieux elle s'en sortira, j'en suis persuadée. Survivre à des TCA demande une extrême force et elle l'a en elle. Nous l'avons tous. Beaucoup de courage et d'amour !

Eloïz
03.07.2021

Bravo pour ce texte très fort et courage pour la suite du parcours!

Ameline Grout
03.07.2021

Merci beaucoup c'est très gentil de votre part !

Po

Porte Close
01.07.2021

Je suis encore dans une période de TCA. Ton texte m'a fait remonter des sentiments. Tu as une très belle plume et fluide. Je me suis retrouvée à la place de celui qui écrit. Tu as des mots poignants. Tu as dû avoir du recul pour écrire ça bravo ! Au final beaucoup ont les mêmes sentiments dans cette maladie et merci de l'avoir écrite

Ameline Grout
01.07.2021

J'espère que je n'ai pas réveillé des sentiments négatifs en vous. Ce n'est pas mon objectif. Merci pour votre commentaire et surtout faîtes attention à vous. Il est nécessaire de prendre soin de soi pour aller mieux !

AF

AFillev
01.07.2021

J'avoue ne pas être renseigné sur cette maladie, mais tes mots m'ont touché. Bravo pour ce texte très fort en émotions, je t'en remercie ! En espérant que tu ailles mieux et qu'écrire ceci t'aura fait du bien. Il faut du courage !

AF

AFillev
05.07.2021

En toute honneteté, j'ai versé quelques larmes.

Ameline Grout
01.07.2021

Merci à vous pour votre commentaire. Écrire sur une maladie telle que les troubles du comportement alimentaire n'est pas facile. J'espère sincèrement avoir réussi à transmettre les émotions que je désirai. Encore une fois, merci pour votre commentaire et à bientôt !

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