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© 2025 1a Tod Perkins

Chapitre 1

1

Les dîners au restaurant relèvent d'un jeu de scène dont les clients et le personnel sont les acteurs et les spectateurs. Que l'on choisisse le menu (masculin) ou la carte (féminin) il est convenu de laisser un pourboire. Trois entités qui incarnent les personnages qui nous livrent leurs pensées.
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AU MENU

 

Je savais qu’elle finirait par dire oui ! Un jour…

Six mois qu’elle me rendait fou ! Cette fille était un vrai mystère pour moi, belle comme un cœur, intelligente (bien plus que moi), visiblement célibataire, autonome sans être bêcheuse, volontaire sans être carriériste, tout ça était trop beau pour être vrai. Trop beau pour moi !

Six mois que je tentais ma chance, avec plus ou moins de tact et plus ou moins de réussite. Peu de réussites à vrai dire, surtout des échecs jusqu’à aujourd’hui. Mais là, ici, maintenant, aujourd’hui, c’était le jackpot, les six numéros du loto, la découverte du trèfle à quatre feuilles, elle avait accepté mon invitation à dîner.

Restait à trouver un restaurant digne de ce nom, si seulement elle pouvait être mon plat de résistance.

 

À LA CARTE

 

Je m’étais promis de lui dire non, définitivement !

Six mois déjà que je le voyais me tourner au tour avec ses gros sabots. Bien cirés, mais quand même. D’accord, il était pas mal, beau parleur, bien sapé et athlétique, mais j’avais donné avec les dragueurs. Je voulais une histoire d’amour moi, pas un coup d’un soir ou être une ligne de plus sur un tableau de chasse. Même si le chasseur était à mon goût.

Six mois que je trouvais des excuses, des prétextes bidons pour refuser ses propositions. Chaque jour, j’avais de plus en plus de mal à inventer quelque chose de crédible et chaque jour il se montrait plus inventif. Je n’allais quand même pas céder à l’usure, ce n’est pas mon genre.

Eh bien si, il faut croire que c’est mon genre ! On y était j’avais fini par accepter et je savais que j’allais craquer. J’avais déjà choisi mon dessert ! Ce serait lui.

 

SERVICE COMPRIS

 

Depuis le temps que je travaille dans ce restaurant, j’en ai vu et servi des couples, mais des gourmands comme eux, rarement ! Quand ils sont entrés, chacun de leurs côtés, on aurait cru qu’ils s’attiraient l’un vers l’autre comme des aimants. Ce n’était pas la première fois dans ma longue carrière que je voyais des convives qui auraient pu sauter la case restaurant pour filer direct à l’hôtel, mais ceux-là avaient un truc à part. Ils portaient en eux une ultime hésitation, comme une bombe à retardement dont l’explosion attendait un déclencheur inconnu.

Agités comme ils étaient, ils trituraient le menu n’arrivant pas à se décider entre la carte et le menu. À leur place, j’aurais pris une coupe de champagne et salut la compagnie. Mais comme on dit, le client est roi ! Je me tenais à leurs côtés, prêt à prendre la commande.

 

AU MENU

 

Je ne sais même pas ce qu’elle aime. Mais bon Dieu qu’elle est belle ce soir. Dites-moi que je rêve, je n’arrive pas à croire que ce soit pour moi qu’elle a fait tous ces efforts. Jamais encore je ne l’avais vue habillée avec une telle classe. Oubliés le jean, T-shirt et baskets des jours de travail en semaine. Ce chemiser et cette jupe sont des merveilles aux couleurs parfaitement assorties. Moi qui la pensais allergique aux bijoux, voilà qu’elle brille d’or et d’argent. Et ce pendentif de pierre précieuse qui se balance à son cou pour aller se cacher dans son décolleté va me rendre fou.

C’est sûr, elle va me planter là au moment de l’addition pour un autre rencard, voilà la vérité. Je me demande à quoi elle pense, si ça se trouve elle est végétarienne et elle ne trouve rien qui lui plaise. Quel lourdaud je fais, je ne me suis même pas renseigné sur ses goûts !

 

À LA CARTE

 

Bien ma grande, nous y voilà. Finalement, la cravate et la veste lui vont plutôt bien, il faut croire que l’habit fait le moine. Mais je crois que j’éprouverais encore plus de plaisir à les lui enlever qu’à les regarder. Il faut que j’arrête de penser à ça, il va finir par le lire sur mon visage, j’aurais l’air de quoi. Et puis, on ne choisit pas le désert avant l’entrée et le plat. C’est ma mère qui me l’a dit et je suis une bonne fille j’obéis à maman. Surtout quand elle n’est pas là pour me dire ce que je dois faire. Mais franchement, il a de l’allure le bougre avec cette veste ajustée et cette chemise cintrée, il a rangé ses tenues de boulot. Comment j’ai fait pour ne rien voir avant ? Et puis il est plutôt bien foutu, dire que j’ai failli rater ça.

 

SERVICE COMPRIS

 

Ils n’arrivent pas à se décider ces deux-là ! J’espère pour eux qu’ils se décideront plus vite à l’heure de tourner les pages du kamasoutra, sinon il y aura de la déception dans l’air. Bon, ça ne me regarde pas, mais je les connais les loustics comme eux. Un truc léger à grignoter et salut la compagnie on a un train à prendre. L’arrière-train oui, voilà ce que je dis, moi. Alors, prêts pour la commande ?

 

AU MENU

 

Soit sérieux mon garçon, on ne joue pas la grande bouffe ce soir, pas question de s’endormir pendant la digestion. Et surtout pas de tache sur la chemise, encore moins sur son chemisier à elle. Quoique je le lui enlèverais bien pour un petit coup de propre. Choisis bien, un plat qui ne donne pas une haleine de chacal, léger et qui donne des forces. Et ne force pas sur la bibine, une coupe de champagne, obligé, et après on la joue sérieux, ambiance je conduis bla-bla-bla. Se faire choper en état d’ivresse en la ramenant à la maison ce serait trop con.

 

À LA CARTE

 

J’espère qu’il ne va pas essayer de me faire boire pour emporter l’affaire. Je me connais, un verre en entraine un autre et après je m’en veux pendant des jours. Tout est réglé pour moi, même avec de la Badoit je suis partante. C’est vrai qu’il est craquant sous la lumière de ce restaurant. Je me demande s’il préfère faire ça dans le noir ou en pleine lumière. Moi, mon truc c’est le feu des projecteurs. Ça me stimule. J’ai dû être actrice dans une vie antérieure. Pas actrice porno, non, juste Marilyn ou quelque chose comme ça, à minima. Prendre la pose, c’est mon truc. Après, moteur, action, on tourne…

 

SERVICE COMPRIS

 

Dis donc les préliminaires c’est leur truc à tous les deux. Même pas encore commandé l’apéro. Ou alors ils passent directement au plat de résistance. Va savoir avec les jeunes de maintenant, j’en aurais vu des techniques d’approche, mais ces deux-là, y a pas à dire, ils sont à part. De vrais adolescents qui hésitent à sauter le pas. Quand je dis le pas…

 

AU MENU

 

Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir commander ! Ils ont plusieurs spécialités ici. Moi aussi j’en ai. Si je lui lis le menu, je sens que ma langue va fourcher. C’est vrai, c’est quoi ces noms de plats ? Jamais je n’avais réalisé que la bouffe était à ce point branchée sur le sexe. « Cuisses de chevreuil à la crème, mouillées de vin blanc » « Dinde farcie » ! Mais il est fou ce cuistot, jamais je ne vais oser commander ça ! Elle va me jeter son verre à la figure. Je n’ai pas révisé mon guide de bonne conduite, mais si je commande pour elle ça fait goujat. Attendre, voilà le maitre mot, mon vieux. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », ce bon La Fontaine n’a pas inventé cette morale par hasard. Au moins, j’ai retenu ça de l’école.

 

À LA CARTE

 

Non seulement il est beau gosse, mais en plus il est drôle ! Je ne sais pas comment tout ça finira, mais au moins j’aurais passé un bon moment. Mais ne nous endormons pas, il faut passer aux choses sérieuses. Allez ma grande, décide-toi, si tu le laisses décider de tout dès maintenant, tout à l’heure tu ne pourras plus lui dire ce que tu veux. Pas question de le laisser faire à sa guise, j’ai mes priorités moi. Bon là, tout me tente, je suis comme ça, moi, tout à l’heure aussi je me laisserai tenter. Mais pour le moment, ne pas se laisser aller, affirme-toi ma grande. Il est temps de dire au monde ce que tu souhaites déguster. Et surtout pas du fast food, moi je suis plutôt gigot de sept heures ! À consommer sans modération.

 

SERVICE COMPRIS

 

C’est quoi cette affaire, ils ont mis le film sur « pause » ? Il est temps que j’intervienne. Je vais leur servir un plat du jour d’office à ces deux-là ! Pas d’entrée, pas de dessert. Le jarret braisé au prosciutto sera parfait, ils sont déjà chauds comme la braise, ça va leur plaire. Mais il faut qu’ils bougent, je suis comme eux, moi, je dois remettre le couvert ce soir. Bon d’accord, moi c’est pour faire du chiffre.

 

AU MENU

 

Tu vois mon grand, finalement ce n’était pas si terrible, on s’en est sorti tous les deux avec des commandes raisonnables. Bon, d’accord la carte bleue va chauffer, mais ainsi va la vie. Pas une tâche sur la chemise ni de verre renversé ! Jusque-là, je m’en suis bien sorti, sans trop plonger dans son décolleté. J’ai bien vu qu’elle était attentive à mes gestes. Ça fait une heure maintenant que je fais gaffe à ne pas la brusquer, à ne pas faire de gestes déplacés, ce n’est pas le moment de tout foutre en l’air. Attention au moment de partir, ne pas trébucher, ne pas se précipiter et ne pas oublier la galanterie. J’habite à deux pas, je ne suis pas certain qu’elle ou moi puissions en faire beaucoup plus.

 

À LA CARTE

 

Quel sourire charmeur il a ! Et il a bon goût le bougre. Au moins dans le choix de ses restaurants. Et de ses invités bien évidemment puisqu’il m’a invité, moi. Et voilà — hips — que j’ai le hoquet, pochtronne que je suis. Et merde — hips — je ne suis pourtant pas une oie blanche qui va passer à la casserole sans avoir — hips — son mot à dire. Le champagne, je n’aurais pas dû. Il va me prendre pour une fille — hips — facile. On va perdre le piment de derniers efforts de conquête. Dans — hips — l’état où je suis, je me demande s’il va me proposer un dernier verre chez lui ? Pourvu que ce soit lui qui m’invite, dans l’état où je suis, je ne suis même pas sûre de pouvoir faire le code ma carte bleue !

 

SERVICE COMPRIS

 

Bon, les enfants, ça suffit maintenant, c’est l’heure. Je n’ai pas que ça à faire et vous non plus. Et vu l’état de la demoiselle, le digestif me semble superflu. On va la flamber au cognac sinon. L’addition monsieur ? Parfait, c’est au comptoir, merci pour le pourboire — promis je boirai à votre santé — et bonne soirée à tous les deux, au plaisir de vous revoir. Tiens, en voilà deux autres qui arrivent bras dessus, bras dessous, ceux-là en revanche, ils ont déjà consommé, ce sera plus calme. Mais assurément moins drôle, dommage.

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