Créé le: 14.08.2018
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Féline insolence

Animal, NouvelleAnimal! 2018

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© 2018-2025 1a Cardinal de La Rapière

« Les démocrates n’aiment pas les chats » écrit Baudelaire. Voilà pourquoi je ne suis pas démocrate.
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« Les démocrates n’aiment pas les chats » écrit Baudelaire. Voilà pourquoi je ne suis pas démocrate. De la devise française, le chat ne retient que le premier terme. Cet animal réactionnaire n’en fait qu’à sa tête ; il a le goût du luxe ; il cultive sa paresse ; il est joueur ; il se méfie de l’homme ; il peut subitement passer de la caresse à la morsure ; il ne se départit jamais de sa majesté ; il se tient à l’écart des foules ; il déteste le bruit ; il se promène en funambule. Et c’est un redoutable chasseur !

 

Je suis peintre. Mais attention, un vrai, pas un de ces vicelards qui transforment des montagnes de merde en montagnes de pèze ! Sur chacune de mes toiles figure un chat. Sa présence est ma seconde signature. C’est une obsession inactuelle de la beauté qui me pousse vers le plus dandy des mammifères. Même immobile, un chat danse.

Les chats de Steinlen, bien sûr, mais aussi ceux de Benjamin Rabier, d’Albert Dubout, sans oublier celui qu’André Franquin met en scène dans les planches de Gaston Lagaffe, ont dessiné ma jeunesse.

J’ai illustré « Je suis un chat », de Natsume Sôseki ; « Les sages réflexions du chat Murr », d’Hoffmann ; « Peines de cœur d’une chatte anglaise », de Balzac ; « Blues pour un chat noir », de Bison ravi.

Ma concierge, la Mère Michel, m’a prié de lui tatouer un chat. « Celui-là, m’a-t-elle dit, je ne pourrai pas le perdre. »

 

Parfois, j’utilise le chat pour traduire mes allergies. Le dessin d’un chat horrifié par un concert de rap m’a valu mille compliments de la part de connaisseurs qui sniffent cet art vocal aux textes qu’il faut savoir lire entre les lignes de coke. Le chat préfère la musique de Mozart ou de Rossini. Le goût de cette bête n’a pas été orienté par l’éducation progressiste.

Mon tableau d’un chat qui pleure devant un restaurant végane a nourri quelques débats sans faim parmi les amis des animaux.

En publiant dans un canard la caricature d’un matou survolté qui joue en cour d’école avec une boulette de came, sous le regard amusé d’un dealer, j’ai pu rire des réactions parues la semaine suivante à la rubrique « Venin des lecteurs ». Mon dessin était qualifié de « raciste, discriminatoire, outrepassant les limites de la liberté expression ». Pourquoi ? Parce que le dealer, je l’avais fait noir. Grands dieux ! Un dealer noir ! Il n’est pourtant pas nécessaire d’être doué d’un sens très développé de l’observation pour constater que Genève peut s’honorer d’une forte présence de dealers noirs. Si représenter une réalité peut être raciste, je crois que je vais me dénoncer auprès des autorités comme un affreux raciste qui a besoin de suivre une rééducation… Et le pire, c’est que le journal, dans sa lâcheté, a présenté ses regrets aux âmes sensibles que mon dessin avait choquées. Blesser avec la vérité : est-ce un péché capital dans la moraline cucul la praline issue de la fesse commune ? Ah ! ces dignités qu’un rien suffit à froisser…

 

Mon œuvre la plus récente réunit mon chat Bébert et la jouvencelle la plus exquise de mon immeuble. Olympia doit avoir environ seize ans. Elle baise bien pour son âge. Un peintre qui n’abuserait pas de son modèle violerait la déontologie de son métier. Olympia n’a pas cédé tout de suite. Un peu de harcèlement fut nécessaire. On ne demande pas la permission d’embrasser une fille, ce serait le meilleur moyen de prendre un râteau. Les premiers baisers, j’ai eu plaisir à les lui voler. Je sentais bien que ça l’excitait… mais le rôle de la gonzesse, c’est d’abord de résister… Il n’y a que des féministes pour faire semblant de ne pas comprendre les règles de ce jeu ! Éduquée au porno, la jeune Olympia ne barre aucune voie. C’est avec un pinceau trempé dans le désir que j’honore ses formes et ses couleurs. Je la caresse sur la toile avant de jouir d’elle sur la couche.

Une idée simple : je voulais peindre Olympia nue, allongée sur un transat, avec Bébert couché en rond sur le pubis de la belle. Mais le chat n’était pas attiré par le minou d’Olympia. Que faire ? Je n’allais quand même pas appeler un psy pour chats…

« Attends ! Essayons un truc ! »

Une boucle pédestre, via la cuisine, et je m’agenouille devant la moule de mon modèle, pour frictionner sa toison avec un liquide.

– Mais qu’est-ce que tu branles ? me lance Olympia, regard accusateur.

Je souris en posant le doigt sur son clitoris.

– Je barbouille ton sexe avec du nuoc-mâm.

– Du nuoc-mâm ? Mamma mia ! Quésaco ?

– Une sauce vietnamienne à base d’anchois fermentés dans la saumure.

– Mais c’est dégueulasse !

– Voyons, bébé, ne médis pas de la cuisine asiatique !

– Et pourquoi tu sauces ma foufoune avec autre chose que ta crème blanche ?

– Parce que Bébert raffole du poisson.

Je m’en vais chercher le chat qui lisait dans ma bibliothèque la quatrième de couverture de « Les souris ont la peau tendre », que l’ami Dard m’avait dédicacé. Délicatement, je pose Bébert sur l’origine du monde, qu’il se met à lécher.

– Gros pervers ! me crie l’innocente.

– Mais non, c’est pour le familiariser avec ton corps. Quand il aura fini de te gamahucher, il se couchera sur ton ventre pour faire une sieste.

– Renifle de l’insecticide, tête de bois ! Ton cortex grouille de termites. La langue de ton chat sur mes parties génitales me fait l’effet du papier de verre.

– Courage, princesse ! L’art est une ascèse.

– Ascèse, mon cul !

– Ton cul est une merveille.

– Ma vulve est une merveille en feu.

– Tu ne seras pas la première sorcière vaudoise zoophile à finir brûlée.

 

– Vieux bouc ! Lorsque le bourreau me demandera quelle est ma dernière volonté, je lui dirai d’allumer le bûcher avec tes couilles arrosées de napalm.

Comme s’il avait vu le diable sortir de sa cachette favorite, Bébert fuit vers la buanderie.

– Ventre-saint-gris ! L’animal abandonne ton ventre. Quel goujat !

– Quoi ? Tout ça pour rien !

– Hum ! Il se peut que le nuoc-mâm soit trop salé. Nous essaierons un autre produit…

À ces mots le corps beau ne se sent pas de rage et se jette sur moi, le flacon de sauce à la main. Je comprends très vite que son intention n’est pas de le ranger dans les entrailles du frigo…

L’achèvement de la toile était ajourné. Il ne manquait plus que l’essentiel : le chat lové sur le sexe. J’aurais pu le peindre en observant Bébert dormir ailleurs. Sauf que je suis perfectionniste. J’ai besoin de voir la bête là où je veux la voir. Je soigne trop les détails pour tolérer la tricherie.

 

Un homme épatant, qui ne triche jamais, est l’oncle d’Olympia : Paul. Nous sommes devenus de grands amis. Il enseigne les maths dans une école vouée à la mission d’apporter quelques rudiments de culture à des branleurs. Il m’a demandé de créer une broche en forme de chat, pour servir d’insigne aux membres d’une amicale qu’il a fondée. Je suis fier d’en être.

L’Amicale des joyeux réactionnaires se propose de mettre l’humour et la poésie au service d’un sabotage de la propagande progressiste. Le joyeux réactionnaire ne s’engage à rien : il est trop sceptique et trop léger pour cela. Il allie le goût du geste au sens de l’inutile. C’est un aristocrate qui aime les paysans ; c’est un dandy qui méprise le snobisme et la cuistrerie du monde intellectuel et artistique. Comme le con, le joyeux réactionnaire ose tout ; mais, à la différence du con, il ne se prend pas au sérieux. Il n’a peur de rien. S’il se fait traiter de facho ou de macho, ça ne le met pas en colère : ça l’amuse. La plupart du temps, le joyeux réactionnaire est un homme discret. Mais quand la propagande progressiste devient envahissante, s’en va draguer les mômes à l’école comme une cochonne perverse, alors cet homme tranquille épris de science et de beauté sent monter en lui le désir de flanquer une raclée à cette vieille salope. Histoire de rigoler un peu.

Comment rejoindre l’Amicale des joyeux réactionnaires ? Si vous êtes une femme, donc une créature naturellement réactionnaire, la seule formalité est de coucher avec le fondateur. Si vous êtes un homme, c’est plus compliqué. Une amicale, comme son nom l’indique, table sur l’amitié, lien soumis à ces hautes vertus que sont l’intolérance et la discrimination. Bref, c’est par votre excellence qu’il vous faudra prouver que vous êtes digne d’appartenir à l’élite chevaleresque de notre époque.

Puisque notre emblème est le chat, notre banquet annuel se tient dans le Cheshire et notre cri de guerre est : « Miaou ! ». Chaque fois qu’un journaliste me pose une question piteuse comme seuls peuvent en poser des esprits contaminés par la médiocrité médiatique, je réponds : « Miaou ! ».

Lors de mon dernier passage à la télévision, je n’ai pas pu faire moins de vingt-trois « Miaou ! » tant le niveau de mon interlocuteur était bas… C’était la veille du quatorze juillet. Vers la fin de l’entretien, le journaliste parisien me demande :

– Demain, allez-vous profiter de votre présence ici pour voir le défilé sur les Champs-Élysées ?

Je lui réponds aussi sec :

– Non, j’ai l’intention d’écrire aujourd’hui même au président Macron pour lui proposer de décréter le quatorze juillet « journée de deuil national en hommage au Marquis de Launay », lequel a rempli son devoir en défendant la Bastille contre les émeutiers. Ce gentilhomme, massacré par la populace, décapité au couteau, la tête promenée au bout d’une pique, mérite bien que la France l’honore. La fête nationale française célèbre le début d’une immense boucherie. La fête nationale suisse célèbre le début d’une union de trois cantons, c’est quand même mieux, non ? Je trouverais plus pertinent que la France fête sa naissance le vingt-cinq décembre, date du baptême de Clovis… Évidemment, rappeler ainsi les origines chrétiennes de la France déplairait à certains… Mais, à travers la révolution, sanctifier une France athée déplaît à d’autres… Le mieux serait peut-être de chercher une date où il n’y eut en France aucun événement marquant… Et de sacrer ce jour par une fête nationale où seraient mises à l’honneur l’insouciance et la légèreté, voire la gauloiserie… On demanderait aux légionnaires d’inviter les jeunes filles à danser la java, aux avions de faire pleuvoir des étoiles, aux chars d’assaut de tirer des friandises, au président de raconter des blagues…

– Ce que la France commémore le quatorze juillet, c’est le début d’un processus qui a changé la face du monde. Ça ne compte pas, pour vous, les Droits de l’homme ?

– Miaou !

 

Colette est jusqu’à présent la seule femme de notre Amicale. Autour d’elle s’égaient douze membres virils. Je ne sais pas si elle a couché avec l’oncle Paul, mais je peux témoigner que le miel de son corps et le sel de son esprit font d’elle une gourmandise rare.

Je l’ai vue aux Bains des Pâquis le mois dernier. Comme elle bronzait seins nus, j’ai sorti mon bloc, histoire de croquer ses roberts.

– Dis-moi, Colette, qu’est-ce qui t’amène dans cet endroit branchouille ?

– Le désir de faire bander les gouines de la gauche caviar. À part ça, je gamberge.

Moue réprobatrice sur quelques tronches alentour.

– Et puis-je savoir ce qui allume tes synapses ?

– Je veux pondre une nouvelle pour un concours littéraire.

– Un concours ? Mais qu’est-ce qui te prend ? C’est d’un plébéien ! Ça ne te ressemble pas… En plus, avec le talent que tu possèdes, tu n’as aucune chance ! Ce qui plaît à la plupart des jurés, c’est une niaiserie conformiste. Pas trop, bien sûr ! Ils salivent pour une tartine un tantinet originale, juste ce qu’il faut pour sortir du plat sans dépasser la table. L’originalité chic, tu vois ce que je veux dire… Label : « c’est chiant, mais on dit que c’est génial ». Un devoir bien torché, natürlich, façon prose de maçon.

 

– Pas besoin de me faire un dessin, je connais la clef de sol ! C’est juste pour me divertir, gros bêta ! Qu’est-ce que tu préfères : une snobinarde qui rame sur la flotte ou ta Colette qui rame sur les mots ?

– Tu as un thème imposé, j’imagine…

– Oui ! Animal.

– Et tu comptes le traiter à rebrousse-poil ?

– Non, je vais voler dans les plumes des bas-bleus bossus.

– Quelle idée as-tu derrière la tête ?

– Elle est devant mes yeux, bâtisseur d’hypothèses mal placées ! Que vois-tu face à mon aimable poitrine ?

– Un cygne muet d’admiration.

– Muet tout court, c’est un cygnus olor.

– Et alors ?

– Alors, ami de la mythologie, je médite une reprise burlesque de « Léda se fait niquer ». Savais-tu que les cygnes n’ont pas de pénis ?

– Les veinards ! Comment s’opère la fécondation ?

– Par simple contact cloacal. Cela soulève un problème, vois-tu. Dans la version courante où Léda reste femme, que peut un Zeus transformé en cygne, à part déposer son sperme à la surface du jardinet de sa conquête ? Or l’idée que des spermatozoïdes puissent être assez vigoureux pour accomplir sans aide mécanique le long trajet qui va de l’orifice à l’ovaire ferait pisser de rire le plus sec et le plus sérieux des gynécologues musulmans.

– Hum, je connais des œuvres qui suggèrent l’intromission du bec dans le vagin. Ainsi, Zeus aurait eu le moyen de pousser la semence jusqu’au col de l’utérus… De François Boucher, je te recommande une huile très parlante… et de James Pradier une édifiante Léda en ivoire au Musée genevois d’Art et d’Histoire. Joseph Delteil, l’écrivain du paléolithique, rapporte qu’il a vu dans une ferme une gamine de quatre ou cinq ans jouer avec un canard. Clou du spectacle : le palmipède becqueta la figue de la fillette. Possible que le mythe de Léda soit né d’une observation de ce genre…

Mordious ! Le regard de l’Italienne assise à côté de Colette ! Je lisais dans ses yeux noirs qu’elle me tenait pour un pédophile… Ma romancière en herbe, après un silence de quelques respirations, rebondit.

– Et si c’était Léda qui avait donné un coup de main ou un coup de gode aux spermatos pour les envoyer au fond ? Zeus n’aurait voulu que s’amuser, tandis que l’Étolienne nourrissait l’ambition de pondre un ou plusieurs lardons…

– « Pondre » est le verbe approprié, puisque c’est un œuf qui lui est sorti du ventre… ou deux.

– Trouve-moi une explication rationnelle !

 

– À vos ordres ! Quelques mois après la fécondation, Léda, délaissée par son mari Tyndare, s’adonne au plaisir solitaire avec un œuf d’autruche en guise de sex-toy. Par l’odeur alléchés, les fœtus Hélène, Clytemnestre, Castor et Pollux quittent la matrice et débarquent tant bien que mal dans le vagin. Ils trouent la coquille d’œuf, dévorent le blanc et le jaune, et s’endorment à l’intérieur. Quand Léda, rassasiée d’un orgasme géant, retire l’œuf de sa trousse, elle y découvre les quadruplés.

– C’est du grand-guignol ton scénario !

– Oui, allons nager ! Les puces de canard s’impatientent de migrer vers nos chairs tendres. Pas besoin de remettre ton soutien-nibards ! Depuis deux mille dix-sept, il est permis aux frangines de se baigner seins nus dans la cité de Calvin.

Pour savourer les eaux du lac, il faut se résoudre à franchir deux obstacles : la barrière des cailloux qui torturent la plante des pieds et la barrière des moutards qui supplicient les oreilles. Au large, le plaisir nous enveloppe. Colette n’osait pas s’approcher des cygnes… Pourtant, le danger venait plutôt de moi…

De retour sur la berge, après avoir coupé des langues malpolies et poli des pierres coupantes, j’offris à boire à Colette et la soûlai de mes déboires avec Bébert.

– Ton chat Bébert est un anarchiste de droite. Il refusera de se coucher sur un bouton de rose. Mon chat Nor est un marquis libertin. Pour ce nostalgique de l’Ancien régime, le confort d’un con n’est pas à dédaigner. Nor est sociable comme Casanova. Dormir est le penchant qu’il favorise le plus souvent. Je suis prête à parier ma collection complète de culottes que Nor se prêtera volontiers à une sieste sur les caroncules myrtiformes d’Olympia.

 

Une semaine plus tard, grâce à Nor, j’achevais mon tableau. Je l’intitulais : « Méfiez-vous du chat qui dort sur le Mont-de-Vénus ! »

 

Ce matin, devant le jet d’eau, Olympia m’annonce qu’elle est enceinte. Colette ne m’avait pas dit que Nor était un Dieu.

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