Créé le: 08.04.2025
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Etats d’âme
Comme une histoire
À quarante ans passés, Lila observe son reflet, troublée par l’ombre des jours enfuis. Son corps, complice et témoin, porte les empreintes du temps, entre tendresse et mélancolie. Elle oscille entre acceptation et nostalgie, cherchant dans chaque instant un espoir nouveau qu'elle ferait sien.
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Le corps-Le temps-L’espace
Lila regardait le monde depuis son lit. Elle voyait les ciels d’été, d’automne et d’hiver se refléter dans les vitres voisines. Elle attendait le printemps, celui qui murmure à l’oreille que tout est possible que tout peut recommencer éternellement; l’étonnement, la joie, les larmes sans mots, simplement des sensations immenses qui nous signifient que l’on est vivant.
Voilà ce que Lila souhaitait ardemment: un corps en vie, un corps de femme. Elle rêvait de caresses, de volupté, de sensualité. Ce n’était pas le sexe, c’était l’idée de savoir où son corps finissait et où le monde commençait. Elle avait besoin de définitions; celles qui soulignent une existence singulière car au fond elle n’existait que parce qu’elle était fondu dans les autres. Elle souhaitait aller à la rencontre de son son identité profonde. Cartographier son corps lui paraissait être le début de quelque chose qui lui appartenait en propre.
Son mari ne la touchait plus qu’en de très rares occasions, de « grandes occasions ». Elle se sentait disparaître peu à peu, s’évanouir dans l’espace et le temps comme un sucre dans le fond d’une tasse de café qu’on n’aurait pas terminée. Elle n’avait d’elle-même qu’un lointain souvenir de ce qu’elle était, de ce qu’elle avait voulu être pour les autre, parmi les autres. Les autres….elle aurait voulu les protéger, les aider à se réaliser, les faire rire, leur montrer la beauté du monde tel quel le voyait, le rêvait, voulait le bâtir pour eux. Présomption mégalomaniaque.
A 40 ans, Lila voulait à présent guérir de ses névroses, elle ne voulait plus conquérir le monde pour les autres. Ce monde là, l’avait laissé sans force, ni voix. Elle voulait désormais aller à la découverte d’elle-même et pour cela elle allait choisir la voie du coeur, effeuiller sa marguerite, aller au devant de ses nombreuses contrées sauvages et inexplorées car bien gardées par des miradors armés jusqu’aux dents qu’il lui faudrait déjouer. Il le fallait avant qu’il ne soit trop tard, se connaître avant la fin de l’histoire. Essentiel, vital. Saisir un printemps au vol, plonger dans ses plus profondes obscurités afin peut-être d’atteindre ses plus hauts sommets personnellement accessibles.Là, où la lumière n’est plus aveuglante.
Lila ne pouvait pas vivre n’importe où. Son manque d’étanchéité était était une grâce mais aussi une souffrance. Le monde prenait racine en elle et s’y développait comme dans une forêt humide. Ce paysage touffu, l’empêchait parfois de respirer. Il fallait qu’elle choisisse avec précaution et discernement son environnement. A présent, elle ne devait faire corps qu’avec ce qui lui permettrait d’accéder à une forme d’homéostasie. Sa nouvelle conscience d’elle-même lui indiquait que ce qu’elle faisait entrer dans son corps par l’intermédiaire de son alimentation, comme les matériaux organiques synthétiques qui l’entouraient n’étaient pas sans conséquence sur son organisme, sur qui elle était, sensible à toutes formes d’énergies. Des pluies de lumière, des torrents de couleurs, des perles scintillantes pouvaient déferler sur elle aussi bien que des armées d’ombres hurlantes au pas lourd et métallique.
Elle aurait voulu s’installer dans le NORD, mais il fallait être taillée dans le granit, avoir un mental d’acier. Un séjour prolongé, et elle sombrait dans une profonde mélancolie, un cri sourd et puissant l’appelant alors depuis les abîmes de son être. Ce n’était pas tenable. Il lui fallait trouver ce lieu où sa musique intérieure ne serait pas une tragédie lyrique. Trouverait-elle le paradis perdu, ce lieu où toutes ses notes sonneraient enfin justes ?
Dimensions
Lila écoutait sa fille, Mia, qui jouait au piano. Assise sur son canapé, un livre entre les mains, elle se laissait emporter par des mots qui lui racontaient la vie, peut-être même sa vie. Une tasse de tisane aux épices, brûlante, reposait sur ses cuisses. Puis, un moment de lucidité la saisit. Cette scène, c’était ce qu’elle avait toujours voulu. Le chat allongé de tout son long sur la table basse, tandis que son mari pianotait sur le clavier de son ordinateur, dans l’angle de la pièce. La musique répétitive du piano s’infiltrait en elle, la plongeant dans un état de semi-conscience. La lumière était à la fois crue et douce en cette fin de journée d’hiver. Elle était dans le rêve de sa vie, ou peut-être que sa vie était le rêve. « Nous vivons ce que nous rêvons », se disait-elle.
L’oiseau noir se découpait parfaitement sur le ciel bleu, comme une image figée, deux morceaux de papier collés l’un à l’autre ; seule la mobilité de l’œil du corbeau permettait de savoir qu’il ne s’agissait pas d’un tableau. Il l’observait avec une intensité étrange, et elle aussi. Peut-être se demandait-il si ce qu’il voyait était bien la réalité. Le temps défilait, et Lila, allongée sur son lit, savait qu’elle allait sûrement être en retard. On lui avait toujours offert des montres à chaque anniversaire. Mais elle n’arrivait pas à entrer dans le rang des minutes et des secondes qui s’alignaient et se succédaient. Sa résistance résidait dans sa capacité à faire régner le présent, là où elle se trouvait. Abolir l’esclavage de l’enchaînement des choses à faire, des gens à voir. Que le moment l’emporte sur les moments, se disait-elle. Ou peut-être y croyait-elle.
Pourtant, déchirée, elle avait mal. Ses cellules, toutes celles qui la composaient, gémissaient une longue et douloureuse plainte. Elle ne touchait pas le sol, comme une nébuleuse, nuage de chagrin si lumineux qu’il faisait penser à de la joie, irradiante, consolante.
Caressant de ses mains son corps doux et fragile, en attente, elle prenait la mesure de ce qui n’était pas sa vie. Le chat, de manière inattendue, vint se lover contre elle. Pourtant, si indépendante, si autonome, si libre, le chat demanda, de manière impérieuse, des caresses. La caresse, pour s’inscrire dans la fragile épaisseur du réel et échapper au vertige du néant. Les chats, le savent bien. Lila prenait conscience, au crépuscule de la jeunesse toute-puissante, dont elle avait soigneusement évité de jouir, qu’elle pouvait donner du sens à ce qu’elle vivait autrement que par la pensée. Le disque s’arrêta de tourner, il fallait se lever. Mettre le masque, car les autres ne cessent de nous mesurer à l’aune de leurs qualités et de leurs faiblesses. Ne pas avoir peur d’être vulnérable, peut-être.
Lila retrouva sa meilleure amie dans le café qu’elles fréquentaient à la fac. Elles avaient l’habitude d’interroger le monde depuis leur première rencontre en 2002.
– Que se passe-t-il lors d’une rencontre ? L.interrogea-t-elle.
– Nous sommes ici confrontées à une vaste question, lui répondit Lila
– Je ne parle pas de la rencontre, mais d’une rencontre, s’écria-t-elle.
– C’est de l’ordre du cantique, et cela échappe totalement à notre entendement, cela donne le vertige.
– Si la Rencontre est un briquet qui fait jaillir des étincelles, une rencontre est souvent étrange, parfois inquiétante. Deux individualités inconnues l’une pour l’autre interagissant à travers des masques, prêtant à l’autre des pouvoirs et des intentions chimériques. Un abysse de solitude, comme ferments de constructions fantasmagoriques, peuple les rencontres.
– Imagine, un jeune homme se promène sur La LANDE , solitaire, dans le vent glacé d’une après-midi de février, et rencontre une femme qui a presque le double de son âge. Il discute un long moment sur les sentiers, au sommet de crêtes en pente douce. Charismatique, érudit et généreux, il enflamme le cœur et les pensées de cette femme. Pour lui, c’est également un bon moment, mais d’un autre ordre. On ne se rencontre pas tout à fait au même endroit dans une rencontre.
– Au fait, tu connais la définition du mot « rencontre » ?
Sur ce, elles se quittèrent, non sans avoir déjà hâte de leur prochaine rencontre.
Définition de la rencontre
La Rencontre est une question fascinante, un mystère qui échappe à notre compréhension immédiate. Elle n’est jamais simplement un échange de mots, de regards ou de gestes. C’est un instant qui défie le temps, où deux âmes, deux êtres, deux trajectoires s’entrelacent, souvent de manière inattendue, parfois même déroutante. La rencontre, par essence, est un acte presque sacré, une sorte de communion silencieuse entre deux mondes distincts, qui, pourtant, se rejoignent le temps d’un échange.
Lorsque nous rencontrons l’autre, ce n’est pas seulement l’autre personne qui nous est dévoilée, mais aussi nous-mêmes. Chacun porte en soi un univers unique, un ensemble de croyances, d’émotions, de peurs, de désirs. Au moment où ces mondes se heurtent, se rencontrent, l’intensité de ce croisement crée une sorte de vibration, de frisson. C’est un choc, parfois agréable, parfois dérangeant, mais toujours révélateur.
Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette rencontre ? Nous ne rencontrons jamais quelqu’un sans passer par le prisme de nos projections. Nous sommes comme des miroirs déformants qui transforment l’autre, le magnifient ou l’assombrissent, selon nos attentes, nos peurs ou nos désirs non avoués. Parfois, nous nous retrouvons à regarder quelqu’un, et cette rencontre nous secoue de l’intérieur, nous fait nous interroger sur qui nous sommes, sur ce que nous cherchons vraiment.
Il y a aussi une notion fondamentale dans la rencontre : la rencontre avec soi-même. En croisant l’autre, nous découvrons souvent des parts de nous que nous avions négligées, oubliées, ou jamais explorées. Peut-être que l’autre nous fait face avec une certaine pureté, une vérité brute, ce qui nous oblige à nous dévoiler aussi, à lâcher ce masque que nous portons depuis si longtemps.
La rencontre vraie n’est pas un simple échange de politesses, mais un affrontement avec l’invisible, avec des parts cachées de nous, que ce soit dans le regard d’un inconnu ou dans un face-à-face avec une personne que l’on croit connaître depuis toujours. L’on peut rencontrer l’autre et, au même moment, se rencontrer soi-même, dans une confrontation douce ou violente. Cette dynamique est le véritable moteur de toute transformation.
Dans une rencontre, il y a aussi l’aspect du « non-dit », de l’invisible, des zones d’ombre qui planent, des éléments qui restent non exprimés mais qui résonnent profondément en nous. Ce qui se joue dans la rencontre dépasse souvent les mots. Ce qui s’échange dans les silences, dans les gestes, dans les atmosphères partagées, est bien plus important que tout discours intellectuel ou superficiel.
Au fond, chaque rencontre nous transforme, même si nous ne le réalisons pas immédiatement. Comme des pierres qui se frottent les unes aux autres, l’expérience de la rencontre laisse des empreintes. Et parfois, une rencontre peut être une clé, une ouverture sur quelque chose de plus grand. On peut se dire que « tout arrive pour une raison », que cette rencontre particulière est une réponse à un besoin profond et inconscient.
C’est là, dans cette altérité qu’est l’autre, que se trouve la véritable richesse de la rencontre. Ce n’est pas une rencontre qui nous donne une certitude, mais un processus de découverte continu, un cheminement, parfois déroutant, parfois difficile, mais toujours essentiel.
Luttes
Lila avait tellement peur d’avoir peur qu’elle créait autour d’elle un champ magnétique qui filtrait la beauté du monde et laisser au dehors tout un pan du vivant. comme sur l’île mystérieuse ou comme une sorte de triangle des Bermudes. Lila déployait toute sa vitalité a créer ce monde rêvé. Lila avait acheté des cartes. Elle avait le crâne brûlant comme un volcan en éruption, le sommet de celui-ci perdait jusqu’à sa chevelure. la chevelure, elle avait justement rencontré une femme aux beaux cheveux roux, flamboyants, signature de son identité et de sa personnalité. Elle, n’en avait presque plus. La chevelure était le nom par lequel elle désignait cette femme au parcours douloureux, mais qui, au vu de cet attribut extraordinaire avait trouvé le moyen de se sauver.
Lila avait l’âme un peu comme un soleil mouillé, contemplant la lande rousse. Ceci à son corps défendant, car celui-ci aspirait à l’énergie électrique de l’aride sierra Nevada. D’autre part, elle était de ces personnes qui, paradoxalement du fait de leur empathie, leur ouverture, leur proximité avec le monde, gardait les gens à distance. En effet, son écoute attentive, sa compréhension de l’autre, quel qu’il fut, sa bienveillance, la mettait dans une position ambiguë. Les gens attendaient d’elle, plus qu’elle ne pouvait leur offrir comme si elle leur avait fait une promesse qu’elle ne pouvait tenir.
Solitude-Altérité-Portraits
La solitude prenait sa place dans la vie de Lila, aussi faisait elle sienne l’aphorisme de Montaigne «sois dans la solitude une foule à toi-même ».
Son intérêt pour l’astrologie l’avait ainsi conduite dans une association étonnante, celle des « poissons anonymes » à ne pas confondre avec une association d’aquariophiles.Il s’agissait ici de personnes qui avaient en commun le même signe et les désagréments s’y rapportant. Chaque signe comporte ses forces et ses défis mais pour le poisson , ce sont plus que des défis car ils sont …..quotidiens. Lilas poussa donc la porte de l’immeuble à la façade vert de gris pour ne pas sombrer telle une épave au fond de ses mers intérieures, seule à la barre de sa goélette, elle venait s’échouer sur les rivages de l’APPA(association pour poissons anonymes) et rencontrer d’autres de ses congénères amphibiens aux allure assez caractéristiques.
Se trouvaient dans cet espace exigu, une femme à la silhouette élancée, sa longue chevelure d’algues enchevêtrées autour de ses épaules, comme un filet dont elle ne pouvait se défaire. Sa peau avait la pâleur nacrée des coquillages, oublier sur le rivage; assise sur un rocher urbain, elle contemplait l’horizon de la pièce, d’un regard vide, une cigarette mouillée entre les lèvres, exhalant juste un soupir qui se perdait dans un vent imaginaire salé. À sa droite, un homme aux épaules larges, marquée par une musculature nerveuse, comme sculpté par les vagues mais, sous son torse fier, des branchies cicatrisés témoignaient d’un exil forcé. Il devait errer dans la ville, en costume détrempé, les chaussures pleines d’eau à l’odeur persistante. Il fixait son reflet dans les flaques à ses pieds, se demandait ce qu’il faisait encore ici , loin des abysses. Devant lui, une femme à la peau diaphane, presque translucide aux cheveux longs flottants autour d’elle comme des tentacules, ses mouvements avaient une lenteur hypnotique, comme en apesanteur dans une eau invisible. C’est sûr qu’elle ne touchait personne et que personne ne la touchait. Son regard était d’une mer sans fond, et son cœur, une marée qui ne revient jamais. À sa gauche, un homme vêtue d’un caban usé, sentant encore l’iode et le mazout. Son visage buriné était marqué par des tempêtes qu’il n’avait jamais oubliées . Il racontait à qui voulait l’entendre qu’il avait vu des monstres marins, mais personne ne l’écoutait. Il restait là, au bord de ses quais imaginaires, fixant l’eau comme un vieil ami, qui ne lui répondait plus. Pour fermer le Cercle, deux autres personnages venaient compléter cette galerie de portraits,celui que Lila appellerait, l’homme- éponge et la perle oubliée, à la fois surréalistes et mélancoliques pour lesquels l’eau de toute évidence n’était plus source de vie mais le poids, la mémoire, l’entrave. Ils portaient tous une part d’exil et de nostalgie, comme des créatures Marines, forcées de vivre sur la terre ferme.
la raison de cette adhésion inattendue venait du fait que Lila avait pu observer chez ses compagnons de solitude, chien, chat et poisson rouge des comportements dépressifs, voire suicidaires. Se remettant facilement en question, et faisant preuve d’empathie naturelle pour les vivants, et les noms vivants aussi, elle décida de prendre en considération le fait qu’elle pouvait, malgré, ses soins et ses attentions à l’égard de ses proches, être la cause de leur désarroi face à l’existence. Elle entreprit par conséquent de participer à ces cercles une fois par mois afin de partager sa perception du monde. Et oui, autant de réalité que d’individus, sauf que le natif des poissons épouse toutes les réalités. En effet, les poissons symbolisent ce qui est illimité, sans frontières, flou, caché et mystérieux, cela les rend perméables aux autres, dans lesquels, ils se fondent et se confondent parfois . De l’artiste au schizophrène, il n’y a qu’un pas.
Territoire(s)
Lila était un mélange de bleu ardoise mouillé par les larmes des saisons et d’ocre brun chaud et sec comme le fond d’un puits dans le désert. Elle portait en elle cette double appartenance qui parafait le contrat; celui qui promettait une vie meilleure. Ses ascendants avaient souffert, il fallait au sein d’un nouveau creuset, élaborer, alchimiser, transformer ce récit généalogique, rompre avec les vieux schémas. Les fruits avaient été suffisamment pressés..Il fallait en inventer de nouveaux, plus ports, plus juteux.
Son père ne cessait de manière obsessionnelle de vouloir greffer les arbres sauvages de son immense jardin. Douce et poétique folie, quête sans fin. Ne fallait il pas une terre nouvelle pour de nouveaux arbres.
Convaincue par cette nécessité, Lila avait pleinement conscience de la raison de son existence; pourtant connaître son destin n’est pas la vie. Le métissage dont elle était le fruit , lui avait donné une sagesse. Elle souhaitait la partager. Elle confiait alors aux âmes les plus trempées qu’il n’était pas temps de faire des enfants tant que l’on n’était pas soi-même une terre promise.
Pourtant, les gens font des enfants, se reproduisent sans savoir pourquoi , ou vaguement. Ils donnent la vie pour ne pas mourir; n’envisagent pas même une seconde qu’il ne s’agit pas d’eux-mêmes mais de toute une ascendance qui lutte pour finir ce qu’elle a commencé au travers de descendants qui n’ont rien demandé. Le meilleur comme le pire advient alors dans le rêve éveillé que chacun fait sans parvenir jamais à être complètement lui même; sorte de schizophrène ou d’avatar de l’oncle Jean ou de la tante mimi.
Lila savait cela, mais ne pouvait raisonnablement pas en parler. L’APPA tombait à pic. Dans cet aquarium, l’écoute était bienveillante et sans jugement, elle pourrait se révéler sans redouter d’exprimer, son identité, sa vérité.D’autre part, Lila était dans une période que l’on appelle communément de transition qui durait depuis dix ans .Elle était coincée dans le portail du vortex censé la conduire vers son moi profond, afin de pouvoir mener l’existence à laquelle elle aspirait depuis toujours. Pourtant, force était de constater que malgré son intuition de sirène et ses multiples formations, la dernière en chamanisme, elle pédalait tel un hamster, mutant certes, dans sa roue karmique.
Lila avait un passif avec son poisson rouge qu’elle avait dû accueillir malgré elle. Sa fille Mia était revenue de la foire avec Cléo, qu’elle avait gagnée lors d’un jeu de pêche à la ligne avec ses grands parents. Tellement fière de sa prouesse de future pêcheuse à la mouche ainsi que de sa capacité à agrandir sa fratrie. Fratrie iconoclaste qui se composait désormais De Happie le Westie, Lili le chat et Cléo le poisson rouge. Mia se sentait responsable telle une aînée de ses compagnons d’écailles et de poils. Pour autant, il incombait à Lila de donner à cette nouvelle recrue un habitat adéquat. Elle se résolut à lui offrir le gîte et le couvert dans un très convenable saladier à couscous; considéré rapidement insuffisant par Cléo qui en avait fait le tour.Ce qui eut pour conséquence de générer chez Lila un sentiment de culpabilité, et qui n’osait plus regardait en direction du saladier.
Les jours passants,Lila éprouvait l’irrépressible besoin de confier à son cercle la culpabilité qu’elle ressentait à l’égard de la captivité de Cléo. sa conscience la taraudait, l’empêchait de traverser la piece de vie dans laquelle trônait le coupable saladier à couscous . Tel un marchand de sommeil, Lila décida de cacher Cléo dans le meuble télé lorsqu’une visite se présentait.Quand un vendredi soir, Félix sonna à la porte chargé d’un gigantesque aquarium. Aidé par l’un de ses amis, il avait décidé de nous faire profiter de cette piscine de 125 litres qui dormait dans son garage depuis qu’il avait déménagé, venant soulager la culpabilité de Lila et secourir Cléo.
Félix membre de L’APPA depuis 5 ans était entre autres choses ichtiophile et possédait des dizaines de poissons dans un aquarium intégré au mur de sa bibliothèque. Entre le kitch et le spectaculaire, ce décor abritait en son centre un château dans lequel cohabitaient plusieurs espèces exotiques.
Félix était discret, mais très attentif à son environnement aquatique dont elle faisait à présent partie. Véritable sauveteur des mers, il venait en aide aux uns et aux autres sans rien demander en retour, sans attentes, libérant ainsi les aidés de toute dette.Créateur de légèreté, il permettait à chacun d’être lui-même. Elle ne le côtoyait pas particulièrement en dehors du cercle, mais elle ne considérait pas ses interventions comme des épis phénomènes. Au contraire ses apparitions venaient souligner et répondre aux manques. Il dénouait comme dans un tour de magie rapprochée (close up), des noeuds casse tête.
Ce soir là , il dîna avec Lila et sa famille. Félix expliqua avec précision comment s’entretenait l’aquarium, insistant sur l’importance d’un environnement stimulant et d’un ou plusieurs compagnons pour Cléo, comme pour pour tout être vivant finit-il par ajouter en regardant Lila de manière légèrement appuyé dans un timide sourire. Il nous posa ensuite des questions sur nos dernières vacances à Séville auxquelles Mia répondit avec enthousiasme. L’Andalousie carrefour de civilisations, cela leur ressemblait, véritable réservoir d’énergie, peut -être un jour y vivraient -il ?
Félix termina son dessert , une île flottante et se leva précipitamment, prenant congé sans que personne n’y soit préparé, il enfila sa veste accrochée à une patère dans le vestibule de l’entrée et disparut dans un claquement de porte. Stupéfaite, Lila était néanmoins réconfortée à l’idée de le voir au cercle le mois suivant.
« Au cercle », mais surtout à Félix, assis à 3 heures dans cette ronde intime, elle raconta que depuis quelque temps, son corps, qu’elle ne sentait plus, s’engourdissait. Elle le sentait. Ses membres droits, jambes et bras, devenaient insensibles et lourds, parcourus de fourmillements désagréables et inquiétants, jusqu’à la partie droite de son visage, qui semblait aussi vouloir s’immobiliser, glissant sur elle-même. Elle se regardait dans le miroir et il lui semblait que son œil glissait également, au milieu de sa joue. Elle savait que tout cela avait un sens, mais ne parvenait pas à le déchiffrer. L’engourdissement physique était le reflet de son engourdissement mental. Elle souffrait, elle était blessée. Elle avait donc décidé de ne plus ressentir, de ne plus laisser circuler l’énergie. Engourdir ses sentiments. Se retirer en elle-même. Une mort « partielle », afin d’éviter de souffrir. Une fuite dans une dimension inconnue à l’intérieur d’elle-même. Absorber toute vitalité, se momifier, devenir une figurine de papier mâché, cartonnée. Les rêves s’évanouissant au fur et à mesure des années, la réalité semblait perdre son potentiel. Il fallait entendre ce signal, cette corne de brume, cette boîte de résonance articulée : le corps. Non ?
Ce n’était pas la fin, il n’y avait pas de fatalité, pas de renoncement, pas encore. Il venait seulement lui rappeler que, elle et ses rêves, étaient toujours vivants, et qu’il était encore temps de les réaliser. N’est-ce pas ?
Le cercle écoutait.
Un triton prit la parole.
Devant la porte de l’immeuble, Lila regarda Félix, les yeux brillants d’un éclat retrouvé, le cœur desserré et gonflé de reconnaissance dans sa cage thoracique agrandie. Elle l’embrassa sur la joue en lui pressant les mains contre son cœur. Son œil gauche riait tandis que l’œil droit, empli de larmes, avait retrouvé sa place. Elle partit presque en courant dans une allégresse nouvelle. Elle respira de toute sa poitrine et entra dans la librairie, à l’angle de la rue.
Elle devait écrire, elle devait écrire. Mais l’ego, celui qui l’avait toujours empêchée de réaliser ce projet, était là, imposant, encore. Le regard en coin, une moue ironique, en guise de sourire. Il la dévisageait, frondeur, les bras croisés. Devant chaque livre, dont elle lisait la quatrième de couverture, il semblait lui dire : « Tu ne l’écriras pas, ce livre qui vit en toi depuis toujours. »
Depuis toujours, l’urgence de vivre était là, tyrannique. Cette hyperconscience que la vie est éphémère. Un bref instant, celui d’un souffle. Cette conscience, tout à fait contre-productive et paradoxale, l’avait épuisée, consumée, presque achevée. Courant, fuyant, tentant de donner plus de vie à la vie. Cette intensité l’avait brisée, laissée à terre, comme plaquée contre le mur ; si bien qu’elle avait fini par rencontrer, dans un fracas lourd et sourd, un burnout sans précédent.
Elle se relevait aujourd’hui, après deux ans d’arrêt. L’aquarium, comme elle se plaisait à le nommer, avait été pour elle sa bouée. Et à la frontière de cette nouvelle décennie, elle voulait être plus vivante que jamais. Son mari s’était éloigné d’elle. Elle, centimètre après centimètre, sentait le lit d’un mètre soixante qui semblait maintenant mesurer 2,10 mètres. Les corps se dérobaient l’un à l’autre dans un savant manège. Plus la distance s’installait, plus Lila se demandait comment aller à la rencontre d’un nouveau corps et de son habitant.
C’est Félix qui lui donna la réponse.
— Tu aimes danser, n’est-ce pas ?
— Oui, beaucoup.
Elle devait se relier à son corps, ce corps trop longtemps négligé, abandonné.
Le remettre en mouvement, le synchroniser aux rythmes.
Le laisser entraîner, ramener à la surface, puis sur terre, et enfin… vers les autres.
— Oui, c’est vrai, dit-elle. D’ailleurs, j’avais pensé m’inscrire à un cours de swing.
Ce n’était pas une parole en l’air. Elle tint cet engagement. Ce n’était pas une résolution de nouvelle année, mais une décision profonde, une reconquête.
Rythmes
De retour chez elle, elle fit vibrer l’air avec Noa sur son piano vintage, puis sur son ordinateur, jusqu’à trouver un club de swing. Quelques hésitations et complications techniques plus tard — les lois de l’univers sont impénétrables — elle était inscrite pour une année entière.
Dès ses premiers pas sur la piste, elle sentit l’immensité du défi qui l’attendait.
Sa dyspraxie, découverte sur le tard, prenait enfin sens dans ce contexte.
Une difficulté extraordinaire qu’elle avait dû surmonter, et qui venait ajouter du sel, du poivre, et un peu de piment doux, bien sûr, à l’aventure : coordonner les bras et les jambes, anticiper les mouvements, éviter les hésitations.
Pourtant, elle avait le rythme dans la peau.
Une musique intérieure, sourde et vibrante, ne demandait qu’à s’exprimer.
Chaque pas appris était une victoire sur elle-même et sur le monde ; chaque enchaînement maîtrisé, une conquête de son propre corps.
Dans ce monde vibrant du swing, elle rencontra d’autres femmes qui, comme elle, cherchaient bien plus qu’une simple danse.
Il y avait celle qui voulait s’émanciper, celle qui retrouvait une confiance en elle, celle qui osait enfin prendre la place qui lui revenait.
Ensemble, elles ont ri de leurs erreurs, célébré leurs progrès, et transformé chaque pas en un pas vers elles-mêmes.
Lila comprit alors que la danse ne demandait pas la tyrannie de la perfection — dont elle commençait à s’affranchir — mais bien l’abandon, la joie, et la liberté de se réinventer.
Au fil des mois, et au rythme doux et effervescent du swing, elle sentait son corps s’envoler, porté par l’énergie contagieuse du jazz.
Les cuivres éclataient, la contrebasse vibrait, et sous ses pieds, le sol devenait une scène de liberté.
Chaque triple step, chaque kick, chaque spin la propulsait dans une époque où danser était un acte de joie et d’émancipation.
Le swing, c’était son rythme, sa pulsation intérieure.
Né dans les années 1920-1930, il résonnait avec sa propre renaissance.
Comme les danseurs de Harlem dans les clubs bondés du Savoy, elle s’abandonnait au rythme, laissant tomber l’armure .
Ce n’était pas un simple mouvement :
c’était une affirmation.
Elle menait la danse.
Elle décidait de sa cadence.
Elle s’autorisait l’imprévu.
Elle le provoquait.
Lila sentait son audace grandir.
Ce n’était pas juste une danse.
C’était plus qu’une danse.
C’était un cri de liberté,
une célébration du plaisir d’être en vie.
Elle sentait son corps reprendre vie. Chaque mouvement libérait un peu plus les tensions enfouies. Son souffle s’accordait à la musique. Son cœur battait en harmonie avec Félix, mais surtout avec elle-même. Elle redécouvrait la puissance de ses jambes, la souplesse de ses bras, la sensualité de son bassin. Son corps n’était plus un étranger, mais un allié. Tourbillon des désirs, affirmation de son autonomie. Plus d’attente, ni d’hésitation, elle prenait sa place pleinement. Tel un Phœnix, elle renaissait. Son corps, jadis corseté, muselé, nié, devenait son véhicule, l’emmenant vers une liberté nouvelle, légère et exaltante.
D’un sourire entendu, elle regarda Félix. Une page était en train de se tourner, celle de l’APPA. L’ancienne page allait enfin s’effacer dans la souffrance, schéma ancestral féminin. Le cauchemar se dissipait au son du jazz.
Transparence-fulgurence(s)
Ce soir-là, en rentrant du club, l’air était dense, chargé de cette chaleur estivale qui fait mûrir les fruits et éclore les secrets. Sa fille l’attendait, elle le savait, mais elle s’accorda un instant sur les quais, là où le temps semble suspendu, entre les pages jaunies des bouquinistes. Elle avait ce rituel depuis l’enfance : effleurer les couvertures usées des vieux livres, se laisser surprendre par un titre oublié.
Ses doigts s’arrêtèrent sur un recueil de lettres soigneusement reliées. Intriguée, elle l’ouvrit et commença à lire. Très vite, une étrangeté la saisit. L’auteur et la destinataire semblaient être la même personne. Une correspondance intime, comme un dialogue entre deux âmes, enfermées dans un même corps. Elle tourna les pages, son cœur s’emballait. Plus elle avançait, plus les mots résonnaient en elle. Et soudain, la stupeur. Ces lettres, elles parlaient d’elle, Lila. Elles racontaient son histoire, ses blessures, ses doutes, comme si quelqu’un, quelque part, avait déjà mis en mots tout ce qu’elle avait toujours ressenti, sans jamais avoir osé le dire. Un frisson la traversa. Qui avait écrit ces lettres ? D’où venaient-elles ? Et surtout, comment pouvaient-elles contenir ce qu’elle n’avait jamais confié à personne ?
Ce soir-là, elle pensa qu’elle ne retournerait pas sur les quais.
Elle n’en avait plus besoin.
Le carnet resterait là, posé délicatement sur la pile des livres anciens, comme s’il avait fini sa mission.
Lila n’emportait rien.
Sauf une sensation nouvelle, nichée sous sa peau : une légèreté dense, presque paradoxale, comme si son corps était devenu plus réel en s’éveillant à l’invisible.
Elle marcha tranquillement, les talons résonnants sur les pavés, le souffle libre, la colonne souple.
Chaque pas semblait danser sans y penser.
Le swing vibrait encore dans ses os, et cette nuit d’été lui donnait l’impression de flotter entre deux mondes — mais elle n’en fuyait plus aucun.
Elle savait, à présent.
Pas avec la tête, mais avec quelque chose de plus profond.
Elle savait que tout ce qu’elle avait ressenti, tout ce qu’elle avait cru devoir taire, n’avait jamais été perdu.
Elle savait que le cœur humain est une étoile à facettes multiples,
et que parfois, une seule faille suffit pour y faire entrer la lumière.
Son double, cette présence silencieuse qu’elle avait toujours sentie sans pouvoir la nommer, lui tendait la main.
Il lui montrait le chemin vers une version d’elle-même plus entière, plus juste, plus libre.
Et ce chemin ne menait pas ailleurs.
Il menait chez elle.
Quand elle poussa la porte de l’appartement, tout était paisible.
Son mari lisait sur le canapé, un livre entrouvert sur les genoux.
Sa fille dormait, les bras au-dessus de la tête comme une petite reine.
Le chat s’étirait en silence sur le carrelage tiède.
Et le poisson rouge, fidèle à lui-même, tournait inlassablement dans son royaume d’eau.
Lila posa ses clés, se déchaussa sans bruit, et se regarda dans le miroir de l’entrée.
Pour la première fois depuis longtemps, elle se sourit.
Elle n’avait plus peur.
Elle ne cherchait plus à comprendre, à contrôler, à prévoir.
Elle était.
Son corps, réconcilié par la danse, libéré par le swing, mais aussi par cette révélation venue du fond de la vie, lui avait soufflé une chose simple et immense :
« Tu n’es pas seule, tu ne l’as jamais été.
Et tu peux enfin être toi. Entière. Vivante. Aimante. »
Elle éteignit doucement la lumière du couloir,
et rentra chez elle pour de vrai.
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