Créé le: 14.06.2025
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Entre les actes

AmourComme au théâtre 2025

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© 2025

Entre les actes est une pièce en quatre temps, comme autant de battements d’un cœur qui aurait vieilli sans cesser d’aimer. Hugo et Sophia, deux amants qui se retrouvent au crépuscule de leur histoire, tentent de comprendre ce qu’il reste quand la passion s’est assoupie.
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Scène 1
Le rideau s’ouvre. Une lumière chaude éclaire un salon figé dans le temps. Un canapé usé mais confortable, une petite table en bois marquée par les années, deux verres à pied qui semblent attendre d’être remplis, un bouquet de fleurs légèrement fané dans un vase en céramique bleue. Dehors, la pluie commence à tomber, d’abord timidement puis avec plus d’assurance. On entend le clapotis discret sur la vitre, comme une mélodie oubliée qui refait surface. Deux personnages occupent l’espace. Un homme, une femme. La cinquantaine élégante. Milieu de soirée. Ils se font face, à la fois proches et distants, comme deux aimants qui s’attirent et se repoussent dans une danse silencieuse.

 

HUGO
(sert du cognac dans les verres puis, prend le sien sans le boire, le regard perdu dans le liquide ambré)
Tu sais ce que je préfère, dans les pièces de théâtre ?

 

SOPHIA
(hausse un sourcil, le sourire ironique mais tendre)
Les entractes ?

 

HUGO
(sourit, secoue doucement la tête)
Non. Les silences. Ceux où on croit que rien ne se passe… alors que tout est en train de se jouer. Les non-dits qui crépitent, les regards qui se cherchent, les souffles qui se retiennent.

 

SOPHIA
(long silence, puis elle se lève, lisse sa robe, fait quelques pas)
Alors on est en plein troisième acte, là. Le moment où les masques glissent, où les vérités éclatent. Le moment de vérité.

 

HUGO
(la regarde intensément, comme s’il voulait graver son image)
Tu crois qu’on a porté des masques, toi et moi ? Qu’on a joué une comédie ?

 

SOPHIA
(se tourne vers la fenêtre, observe la pluie qui s’intensifie)
On fait tous semblant. Même quand on dit la vérité. Surtout quand on dit la vérité. Parce que la vérité nue, c’est trop cru, trop brutal. Alors on l’habille de jolis mots, de grands gestes, de silences complices.

 

HUGO
(se lève à son tour, fait un pas vers elle)
Alors allons jusqu’au bout. Finissons la scène. Sans décor. Sans artifice. Juste toi, moi, et le rideau qui ne veut pas tomber. Juste nous, face à ce qu’on a été, ce qu’on est, ce qu’il nous reste.

 

SOPHIA
(la voix peu audible, comme un murmure pour elle-même)
Ou qui ne tombera jamais. Parce qu’on est restés accrochés à nos rôles. Même quand on ne les croyait plus. Même quand ils nous faisaient mal. Parce que c’était plus facile que d’affronter le vide, le silence, l’absence.

 

HUGO
(s’approche encore, jusqu’à presque la toucher, chuchote)
Tu sais que je t’aime encore ? Malgré le temps, malgré les silences, malgré nos errances. Tu le sais, n’est-ce pas ?

 

SOPHIA
(tourne légèrement la tête vers lui, un sourire triste sur les lèvres)
Je sais.
(pause)
Mais l’amour aussi, c’est du théâtre. Le plus beau, parfois. Le plus cruel, souvent. Un jeu de dupes magnifique et douloureux.

 

Elle se rassied, lentement, comme si le poids des années s’abattait soudain sur ses épaules. Il reste debout, immobile, le verre toujours à la main. Il le lève enfin, dans un geste suspendu, hésite, puis le repose sur la table sans y avoir touché. La lumière décline imperceptiblement, comme un souffle qui s’épuise.

 

Scène 2
Même décor, mais lumières plus chaudes. Une projection légère de souvenirs sur le fond de scène. Ambiance : Nostalgique, douce, presque riante. Pour mettre en lumière des souvenirs fondateurs.

 

HUGO
(la regarde longtemps, le verre abandonné, les mains soudain vides)
Tu te souviens de la première fois qu’on est allés au théâtre, ensemble ? C’était comme entrer dans un autre monde, découvrir un langage secret que seuls nous pouvions comprendre.

 

SOPHIA
(un sourire rêveur éclaire son visage, elle semble rajeunir soudain)
« Phèdre », à l’Atelier. Une pièce brûlante et poétique.
(petit rire espiègle)
Tu t’étais endormi pendant le deuxième acte. J’avais dû te donner un coup de coude pour te réveiller.

 

HUGO
(soupire, amusé, lève les yeux au ciel)
Ce n’est pas vrai. Je fermais les yeux… pour mieux écouter les vers, pour mieux m’imprégner de la beauté du texte.

 

SOPHIA
(secoue la tête, indulgente)
Tu disais ça aussi pour les opéras. Surtout quand c’était du Wagner. Et pourtant, tu ronflais. Légèrement, certes, mais tu ronflais.

 

HUGO
(rit doucement, comme pour lui-même)
Tu vois, on jouait déjà une comédie. Toi, la passionnée, la vibrante. Moi, le spectateur imparfait, le profane qui essaie de te suivre.
(pause, plus sérieux)
Mais j’étais là. Avec toi. Pour toi. Je revenais. Toujours. Parce que j’aimais te voir aimer, te voir vibrer.

 

SOPHIA
(plus bas, le regard soudain voilé)
Oui. Pendant longtemps, tu revenais. Et puis un jour… tu n’es plus revenu. Pas vraiment. Pas comme avant.

 

HUGO
(long silence, il baisse les yeux, fixe intensément le tapis, cherche ses mots)
C’était pas prévu dans le scénario. Pas comme ça. Pas à ce moment-là. J’ai… perdu le fil. Oublié mes répliques. Manqué mes entrées.

 

SOPHIA
(douce, presque maternelle)
Il n’y a jamais de scénario, mon amour. Juste des improvisations qu’on prétend avoir choisies. Des apartés qu’on se murmure pour se rassurer. Des silences qu’on espère éloquents.

 

HUGO
(relève la tête, plonge son regard dans le sien, intense)
Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? De ce qu’on a été, de ce qu’on a raté, de ce qu’il reste ?

 

SOPHIA
(la voix peu audible, comme si les mots peinaient à sortir)
On le range dans une boîte. Pas pour l’oublier. Pour le garder à l’abri du temps. Pour pouvoir le regarder, parfois, comme un trésor fragile et précieux.

 

Elle se lève lentement, contourne la table, s’arrête derrière lui, effleure son épaule d’une main légère.

 

SOPHIA
(murmure à son oreille, comme un secret)
Peut-être qu’il nous reste à jouer… un aparté. Un de ceux que personne n’entend, mais que tout le monde devine. Un de ceux qui disent la vérité du cœur.

 

HUGO
(se retourne vers elle, lève une main hésitante, caresse sa joue avec douceur)
Dis-le-moi, alors. Cet aparté. Même à voix basse. Même si ça ne change rien au final. J’ai besoin de l’entendre.

 

SOPHIA
(plonge ses yeux dans les siens, intense et fragile à la fois)
Je n’ai jamais cessé de t’aimer. Même dans les silences. Même dans les absences. Même quand tu n’étais plus vraiment là.
(pause, sa voix se brise légèrement)
Mais parfois, aimer ne suffit pas à sauver l’histoire. Parfois, il faut autre chose. Quelque chose qu’on a égaré en route, toi et moi.

 

Silence. Profond. Presque palpable. On entend la pluie redoubler, comme un écho à leur conversation, comme un souffle inquiet derrière la vitre. La lumière vacille, renforçant l’atmosphère d’intimité troublée.

 

HUGO
(sa main toujours sur sa joue, le pouce caressant doucement sa pommette)
Alors… On reste là encore un peu ? Comme deux vieux comédiens fatigués, qui ne veulent pas quitter la scène ? Qui veulent goûter encore un peu à la magie des planches, à la douceur des projecteurs, même s’ils savent que c’est peut-être la dernière fois ?

 

SOPHIA
(appuie son visage contre sa main, ferme brièvement les yeux)
Oui. Restons. Mais sans plus jouer. Juste… être. Toi et moi. Hugo et Sophia. Pas des personnages. Pas des rôles. Juste nous. Avec nos failles, nos manques, nos espoirs égarés.

 

Elle s’assied à côté de lui. Pas de grands gestes. Pas de déclarations enflammées. Juste deux êtres qui se frôlent, qui partagent le silence, les souvenirs, et quelque chose qui ressemble à la paix. Une bulle hors du temps, hors du monde.

 

HUGO
(sans la regarder, les yeux perdus dans le vague, la voix légèrement éraillée)
Tu crois qu’on aurait pu faire mieux ? Être meilleurs ? Plus grands, plus forts, plus lumineux ?

 

SOPHIA
(presque sans réfléchir, comme une évidence)
Meilleurs ? Peut-être. Mais pas autrement. On a fait ce qu’on a pu. Avec ce qu’on était. Avec ce qu’on avait. On a aimé. Fort. Vrai. Maladroitement, parfois. Mais sincèrement. Toujours.

 

HUGO
(jette un regard vers elle, un peu amer, un peu las)
C’est ce qu’on dit pour se consoler. Pour ne pas avoir à regretter. Pour ne pas s’avouer qu’on a tout gâché.

 

SOPHIA
(le coupe, la voix soudain plus ferme, plus assurée)
Non. C’est ce qu’on dit quand on sait qu’on a fait de notre mieux. Même si notre mieux n’était pas parfait. C’est ce qu’on dit quand on n’a plus envie de se flageller, de ressasser, de se perdre dans les « et si ».

 

Un temps. Ils se regardent, se jaugent, se redécouvrent. Comme deux adversaires qui auraient enfin décidé de déposer les armes. Comme deux complices qui se retrouvent après une longue absence.

 

Scène 3

La lumière baisse, l’atmosphère redevient plus grave. Un feu de cheminée s’invite en arrière-scène (symbolique). Ambiance : Lucide, tendre, mélancolique. Ils admettent que l’amour s’est émoussé non par trahison, mais par oubli. Par fatigue.

 

SOPHIA
(long soupir, comme pour chasser les derniers doutes)
J’ai toujours cru que l’amour, le vrai, ne s’émousse pas. Qu’il évolue, qu’il s’approfondit. Qu’il se transforme, comme le bon vin. Mais pas qu’il s’efface. Pas qu’il se perde.

 

HUGO
(hoche la tête, pensif)
Il ne s’efface pas. Il change de forme. Il s’assoit. Il devient silence, geste discret, absence de conflit. Il devient tendre… mais distant. Comme une vieille chanson qu’on fredonne sans y penser.

 

SOPHIA
(le regarde intensément, cherche son regard)
Et ça ne te manque pas ? Les frissons, le manque, l’impatience ? La passion qui brûle, qui consume, qui empêche de respirer ?

 

HUGO
(soutient son regard, jouant nerveusement avec son alliance)
Parfois. Oui. Bien sûr. Mais pas autant que toi, visiblement. Pas autant que ta présence, ta douceur, ton rire.
(pause, il soupire)
Je t’aime encore, tu sais. Même si ce n’est plus… ce feu dévorant. C’est autre chose. Un genre de loyauté intérieure. Une évidence tranquille.

 

SOPHIA
(peu surprise, un sourire un peu triste)
Je sais. Je l’ai senti. Je l’ai vu venir. Comme un crépuscule qu’on regarde s’installer sans pouvoir l’empêcher. Tu as toujours été fidèle… mais fatigué. Fatigué de te battre, de raviver la flamme, de courir après les étincelles.

 

HUGO
(amer, blessé)
Tu dis ça comme si j’étais une vieille promesse qu’on tient par devoir. Un boulet qu’on traîne par habitude.

 

SOPHIA
(s’approche encore, pose une main apaisante sur son bras)
Non. Jamais. Tu es une part de ma vie. Indélébile. Essentielle. Mais l’amour… Ce qu’on appelait l’amour, celui du début, celui qui nous faisait trembler et suffoquer, il s’est dilué dans les jours, les obligations, les non-dits. On l’a laissé filer sans s’en rendre compte.

 

HUGO
(peu convaincu, las de se battre)
On aurait pu le rattraper. Le retenir. Le chérir davantage.

 

SOPHIA
(plonge son regard dans le sien, intense et douce à la fois)
Peut-être. Sûrement. Mais on a préféré l’apprivoiser. Le rendre docile. Et c’est là qu’on l’a perdu. Qu’on s’est perdus.

 

HUGO
(fronce les sourcils, soudain inquiet)
Tu regrettes ? D’être restée ? De t’être accrochée ? À moi, à nous, à cette histoire bancale ?

 

SOPHIA
(réfléchit un instant, cherche les mots justes)
Je regrette parfois ce qu’on a cessé de rêver ensemble. Les projets avortés, les envies tuées dans l’œuf. Mais je ne regrette pas un seul de nos jours tous les deux. Pas une seule de nos nuits. Pas un seul de tes sourires. Pas un seul de nos silences.
(elle caresse doucement sa joue, comme pour adoucir ses propos)
Et surtout… je ne regrette pas toi. Jamais toi.

 

Un silence apaisé, complice. Comme si les choses, enfin, se disaient sans fard, sans peur.

 

Scène 4

Le salon devient plus intime. Une musique s’élève, à peine audible. Quelques accords de piano, simples, familiers. Un homme heureux, de William Sheller. Ambiance : Réchauffée. L’intimité revient. Aucun grand serment, mais une volonté simple, ancrée, de continuer

 

HUGO
(sourit doucement)
Tu veux dire qu’on peut encore rallumer quelque chose ?

 

SOPHIA
(Sophia pose doucement sa main sur son épaule)
Je dis juste que si on décide d’aimer… alors il faut aimer en actes. Pas en souvenir.

 

Silence. Profond. Presque fragile. On entend la pluie redoubler, comme un souffle inquiet derrière la vitre.

 

SOPHIA
Je ne t’ai jamais cessé d’aimer. Mais parfois, aimer ne suffit pas à sauver l’histoire.

 

HUGO
Et maintenant ?
On écrit quoi ?
Une dernière scène ?
Ou un épilogue ?

 

SOPHIA
Peut-être un aparté. Un de ceux que personne n’entend, mais que tout le monde devine.

 

HUGO
(prend sa main)
Alors restons. Et apprenons à souffler doucement sur les braises.

 

SOPHIA
Oui. Mais sans plus jouer. Juste… exister.

 

Sophia s’assied à côté de lui. Pas de gestes grandiloquents. Juste deux êtres qui se frôlent, partagent le silence, la mémoire, et quelque chose qui ressemble à la paix. Ils restent silencieux. Hugo se lève lentement, traverse la scène, ouvre une petite trappe sur le côté. Il saisit une bûche. Il revient au centre, l’installe dans un poêle à bois hors champ ou figuré. Il referme doucement. Un léger bruit de feu qui crépite s’élève. Il revient s’asseoir. Ils ne se disent rien. Ils regardent devant eux. Ensemble. Le rideau tombe. La musique continue encore quelques instants, seule, puis s’éteint doucement.

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