Créé le: 04.11.2025
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Enfin libre !

Nouvelle

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Je restais plantée là, jamais je n’avais vu pareille chose. Il ne bougeait plus, il ne respirait plus. Le sang sortait par giclées de sa gorge et se répandait sur le parquet. J’avais beau tâter le pouls à son poignet et à son cou. Rien ! Je suis allée dans la salle de bain prendre un miroir.
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Je restais plantée là, jamais je n’avais vu pareille chose. Il ne bougeait plus, il ne respirait plus. Le sang sortait par giclées de sa gorge et se répandait sur le parquet. J’avais beau tâter le pouls à son poignet et à son cou. Rien ! Je suis allée dans la salle de bain prendre un miroir. Aucun signe de vie, aucune buée !
Quel âne ! S’il avait suivi un régime comme je le lui avais demandé pour sa santé, je m’en serais accommodée aujourd’hui. Je n’arriverai pas à le transporter avec mes 45 kg, toute mouillée ! Je fais quoi ensuite si j’arrive à le tirer par les pieds jusqu’à la porte de la cave et que je le balance ? Qui croira que c’était un accident ! Il est tombé sur le couteau que je tenais dans la main pour découper le gigot. Que pouvais-je faire, moi ? Zut, je l’ai laissé dans le four !

Mei s’approcha de la cuisinière et poursuivit l’élaboration de son plan pour se débarrasser de lui.
Je vais le balancer dans la cave en attendant de trouver une solution. Je pourrais le sortir par la porte de derrière, j’approcherais la voiture en marche arrière et je le tirerais jusque dans le coffre avec le treuil. J’y arriverai bien !

 

Une fois, que Mei eut jeté le corps au bas des escaliers, elle remonta et nettoya le parquet de fond en comble. Heureusement, la pièce était petite. Elle utilisa le produit qu’elle fabriquait elle-même avec les consignes de sa grand-mère : bicarbonate ; percarbonate ; vinaigre blanc ; savon noir et encaustique-maison pour masquer l’odeur. Elle poussa la table et les chaises dans un coin et se mit à genoux. Elle en vint à bout deux heures plus tard, épuisée. Il était 22 heures. Elle se doucha et s’affala sur le sofa, alluma la télévision et s’endormit pratiquement tout de suite.

La sonnerie du téléphone la réveilla à 8 heures. Elle décrocha, la voix encore embrumée. Elle savait qu’elle ne risquait rien puisqu’il était mort ! Il ne pouvait plus rien lui faire ! C’était Clotilde, la voisine, qui lui demandait si son oncle Hector était rentré de sa tournée. Elle avait besoin de lui pour déplacer son lave-vaisselle, tombé en panne hier soir. Elle ne la connaissait que depuis dix jours, car Hector lui avait permis de sortir dans le jardin pour la première fois depuis tant d’années. En revanche, si on la questionnait, elle devait dire qu’elle était sa nièce de passage dans la région.
Mei resta silencieuse. La scène de la veille revint petit à petit à sa mémoire – le corps d’Hector gisant dans la cave ! Elle se mit à simuler une quinte de toux pour gagner du temps et trouver quelque chose de plausible à dire.
— Non, je ne l’ai pas vu ! Il devait rentrer hier soir. Il ne m’a pas appelé, je ne comprends pas. J’étais tellement crevée que je me suis endormie tout habillée sur le canapé devant la télé allumée et je me lève juste à l’instant. Il est peut-être revenu tard et n’a pas voulu me réveiller. Je monte voir s’il est dans sa chambre. Je vous rappelle.

 

Après avoir raccroché, Mei regarda l’horloge au-dessus de la cuisinière. 8 h 18. Le gigot, entouré de pommes grenailles, attendait toujours dans le four, dans le plat en terre. Elle en coupa une tranche, la mit dans une assiette pour la salir, rompit un bout de pain afin que des miettes tombent sur la toile cirée à carreaux rouges et blancs, versa du vin dans son verre, puis dans la carafe, juste pour laisser une trace de son dîner en solitaire au cas où une enquête aurait lieu. Elle pourra leur faire croire facilement qu’Hector avait fui ou se désenivrait quelque part. Elle posa l’assiette et le verre dans l’évier et donna la tranche de gigot au chien.

Elle se prépara un café, alluma une cigarette, revêtit la grosse veste de laine qu’elle avait tricotée lorsqu’elle se retrouvait seule le soir et ouvrit la fenêtre pour sentir la fraîcheur du mois de décembre.

Puis elle se souvint qu’elle devait rappeler Clotilde, avant qu’elle ne débarque dans la cuisine. Elle le fit immédiatement, et, pour la rassurer, elle avança :
— Ne vous inquiétez pas, je vous donnerai des nouvelles dès que j’en aurai.
— C’est parfait ! Tenez-moi au courant pour Hector, c’est étrange quand même, il ne s’est jamais absenté jusque-là.

Puis, Mei prit une gorgée de café, tira sur sa cigarette et envoya des volutes de fumée vers le plafond. Elle se mit à rêver à son avenir sans lui.
Elle se sentait enfin libre ! Libre de voyager, libre de voir du monde, libre de vivre, comme elle ne l’avait jamais été depuis le jour où il avait proposé de la ramener chez elle alors qu’elle attendait le bus pour rentrer après son cours de danse. Il pleuvait à torrents ce soir-là, l’autocar avait une demi-heure de retard. Il était 18 h 45. Elle accepta, malgré les avertissements de ses parents qui l’avaient mise en garde, de ne jamais monter dans la voiture d’un inconnu ou même dans celle d’un voisin.

 

            Et c’est ainsi que sa vie avec lui a commencé, il y a vingt-trois ans ; elle avait 16 ans. Il en avait 35.
Il habitait dans une maison en bordure de la forêt. Ils ont passé ces vingt-trois dernières années ensemble. Il lui avait aménagé une chambre, avec un cabinet de toilette au sous-sol sans fenêtre, qu’il fermait à clef quand il partait travailler. Lorsqu’il rentrait, elle remontait à l’étage, les rideaux étaient tirés. Il la choyait, l’aimait, la désirait. Il continuait tranquillement à sortir avec son chien, comme il l’avait toujours fait ; les soupçons d’enlèvement ne se sont jamais tournés vers lui. Il avait fait de Mei sa petite femme. Elle était devenue sa chose et ne pouvait rien entreprendre pour changer le cours de son quotidien.

            Elle avait perdu tous les souvenirs de son histoire. Elle ignorait même l’état de ses parents au moment de sa disparition. Étaient-ils encore vivants aujourd’hui ? Elle revoyait à peine leurs visages, elle avait tout oublié. Avait-elle des frères et sœurs ou était-elle enfant unique ?
Depuis vingt-trois ans, elle avait construit sa vie autour de lui.

           Aujourd’hui, c’est la vie qui s’offre à elle.

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