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Le mari d'un couple de retraités membres d'une chorale multiplie les altercations avec la chef de chœur nouvellement promue. L'épouse s'évertue à calmer l'ambiance lorsqu'un évènement va bouleverser les choses.
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Odile et Bertrand, septuagénaires à la retraite, déambulent sur l’estacade du Bois de la Chaise, fierté de la Plage des Dames, en devisant sur un ton un peu houleux. Habitant non loin du château de Noirmoutier, le couple vient régulièrement retrouver l’agréable parfum de l’air marin que l’on respire près de la côte. Mais ce matin, la sérénité n’est pas au rendez-vous car Odile tance ouvertement Bertrand au sujet de ses réflexions désobligeantes adressées à Nathalie, leur cheffe de chœur, concernant sa manière de diriger la chorale.

 

Régulièrement Bertrand ne peut s’empêcher de donner un avis en contradiction avec chaque nouvelle décision que Nathalie entend mettre en application. L’ambiguïté de la situation est que les deux personnages sont aussi têtus l’un que l’autre. En règle générale l’avis de l’un étant différent de celui de l’autre, chacun s’évertue à démontrer que c’est lui qui a raison. Puisqu’il n’y a qu’une seule bonne réponse, les explications de l’entêté sont parfois scabreuses, n’ayant ni queue ni tête.

Le plus délicat est lorsque les deux avis tiennent la route, comme on dit, ce qui est rare. Mais si le cas se présente les discussions durent un bon moment avant que les deux personnes se rendent compte qu’il y a en effet deux possibilités. Ensuite il se passe encore plus de temps avant de déterminer quelle solution doit être réellement mise en pratique. Laquelle est la meilleure ? Pas celle de l’autre bien sûr ! Alors… l’affrontement verbal continue de s’éterniser dans une ambiance enfiévrée.

Il faut quand même préciser que dans la majorité des cas, c’est la cheffe de chœur qui tient la vérité. Une autre éventualité délicate, rare néanmoins, est lorsque c’est Bertrand qui a la bonne réponse. Long est également le temps qui s’écoule avant que Nathalie avoue son erreur. C’est alors que Bertrand, Jubilant mais néanmoins magnanime, sort sa fameuse phrase dont il n’est pas peu fier :

« Tu as souvent raison, mais moi j’ai pas toujours tort. »

Comme d’habitude la fin de la phrase est reprise en chœur par les autres choristes, ce qui fait sourire Nathalie. Mais Bertrand soutient à Odile que c’est un sourire en coin, pas franc. Odile est désolée que son mari reste conforté dans sa disgrâce envers Nathalie.

L’ensemble des membres de la chorale vénère leur cheffe de chœur qui a toutes les compétences, pédagogiques et humaines, d’un bon professeur. La variété des textes est judicieusement choisie et entérinée par les choristes. Certaines propositions faites par ces derniers sont étudiées en groupes et validées par Nathalie si la mélodie est compatible avec la tessiture de chaque pupitre. La chorale est composée de quatre pupitres : deux féminins (soprano et alto), et deux masculins (ténor et basse). C’est en fonction du registre des voix et des capacités vocales de chaque participant que sont choisies les musiques.

L’entente entre les différents types de voix des choristes est parfaite, une ambiance très conviviale règne au sein de l’ensemble des participants. Heureusement Bertrand ne déroge pas à la règle. Seulement, parfois, il aime bien mettre son grain de sel quand cela n’est pas forcément utile, uniquement dans le seul but de faire maronner Nathalie. On ne sait pas exactement pourquoi, mais il a toujours eu une dent contre la cheffe de chœur. Non pas par phallocratie, non, c’est comme ça ! Certains disent que c’est parce que lors du premier jour de leur rencontre avec Nathalie, cette dernière a tout de suite fait preuve de fermeté en désignant catégoriquement qui devait être ténor ou basse parmi les hommes alors qu’elle n’a pas eu à désigner qui d’entre les femmes devait être soprano ou alto. Bertrand s’est alors indigné en protestant contre une telle preuve de favoritisme. La réponse de la cheffe de chœur nouvellement promue n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu quand elle a rétorqué que les femmes, elles, au moins, connaissent très bien le timbre de leur voix et savent à quel registre se joindre.

Il n’en a pas fallu plus pour rebrousser le poil de Bertrand et son entêtement n’est pas prêt de se dissiper.

 

Voila maintenant quatre mois que Nathalie dirige la chorale « Chœur Noirmoutrin ». Ce nom ne l’enthousiasmant pas tellement, le trouvant un peu « pompeux », elle propose de le changer. Là encore, Bertrand ne comprend pas pourquoi changer ce nom qui désigne bien son statut et ses origines. Plusieurs noms sont proposés et deux semblent sortir du lot, de l’avis des membres de la chorale : « La Chorale des Marais » et « L’Air des Dunes ». Évidemment, aucun ne plait à Bertrand qui réplique :

« C’est vraiment n’importe quoi ! Et pourquoi pas « Le Chœur des Mimosas », pendant qu’on y est, puisque notre île est surnommée l’île aux mimosas ?

— Ah ! Voila une merveilleuse idée, s’exclame Nathalie. Qu’en pensez-vous ? »

Des applaudissements mêlés de hourras surgissent de l’assemblée approuvant de ce fait l’assentiment de Nathalie.

Bernard, décontenancé devant ces réactions, mais toujours prêt à contredire Nathalie signifie son mécontentement en rétorquant :

« Bien évidemment, vous êtes encore d’accord avec Nathalie !

— Ah non, Bertrand. Ne soit pas obtus. Oui, ils sont d’accord avec moi, mais c’est d’abord avec toi qu’ils sont d’accord puisque c’est ta proposition. C’est bon signe, on va bien finir par s’entendre. Te rends-tu compte, on est d’accord sur un même sujet sans avoir eu à défendre notre position.

— Oh, je t’en prie, pas d’ironie. J’ai lancé ces mots au hasard, sans réfléchir.

— Hé bien, pour une fois que tu parles sans réfléchir, le hasard fait bien les choses. »

Pour le coup, Bertrand est désarçonné. Sans un mot, il se contente de s’assoir dans son coin en haussant les épaules.

 

Depuis cet échange verbal, chaque fois que Bertrand cherche à contredire Nathalie, cette dernière, prenant un air théâtral, lance fièrement :

« C’est vraiment n’importe quoi ! »

Aussitôt, à l’unisson, les choristes ajoutent :

« Et pourquoi pas « Le Chœur des Mimosas » ? »

S’ensuivent de grands éclats de rire dans l’assemblée, coupant ainsi la chique à Bertrand qui hausse les épaules en marmonnant :

« Ah c’est malin ! »

À force d’entendre ce genre de réplique, il faut reconnaître que Bertrand est devenu moins agressif. Il ne part plus au quart de tour lorsqu’une décision ne lui agrée pas vraiment. Les séances de la chorale sont devenues plus sereines car les prises de positions ne se transforment plus en dialogue de sourd.

Odile elle-même s’en trouve soulagée. Assise, rêveuse dans son canapé, elle revoit les images de cette fameuse soirée où Bertrand a inconsciemment trouvé le nom de la chorale. Elle se met à confier à son mari la singularité de la situation à ce moment-là.

« C’est étonnant quand même, que tu aies trouvé inopinément un nom qui convient à tout le monde pour la chorale.

— Avoue que les autres propositions étaient un peu farfelues.

— Je reconnais surtout avec plaisir ton adhésion au jugement de Nathalie qui a trouvé ton idée merveilleuse.

— Bon, okay, ce n’est pas la peine de remuer le couteau dans la plaie ! »

 

Chaque année, pour célébrer le départ en vacances, la chorale organise un petit apéritif dinatoire dans la salle de répétition. La grande baie vitrée donnant sur la terrasse face à la mer est grande ouverte. Le soleil étant de la partie, des tables y sont disposées à l’ombre des pins maritimes dont leurs troncs inclinés témoignent de la force du vent quand les intempéries font rage. C’est un plaisir de partager de tels moments avec ses partenaires, ses associés de chœur comme le claironne Nathalie.

Au prime abord, les groupes se forment par affinité ou par type de voix puis très vite un brassage s’effectue permettant d’approfondir la connaissance des uns et des autres. En l’occurence Nathalie se dirige vers Odile et Bertrand bavardant joyeusement avec un autre couple de choristes.

« Vous avez l’air de bien vous amuser tous les quatre. Je ne me trompe pas en pensant que vous vous connaissez en dehors de la chorale ?

— Ah ! Là, tu as une nouvelle fois raison, répond Bertrand en souriant. Nous nous connaissions bien avant de rejoindre la chorale. Et toi ? Nous savons qu’il n’y a pas longtemps que tu es venue sur l’île. Tu y connais des gens ?

— À ton tour d’avoir raison Bernard. Oui j’y suis venue récemment avec mon mari et nous y avons un couple d’amis natifs de l’île ainsi que mon frère et sa femme.

— Une bonne réponse chacun son tour ! Comme tu disais, c’est bon signe, on va finir par s’entendre.

— Tu sais, souligne Odile, nous sommes heureux de t’avoir trouvé comme cheffe de chœur, nous avons eu beaucoup de mal à trouver quelqu’un pour remplacer celle qui nous a fait faux bon brusquement. Et tu la remplaces à merveille. Comment as-tu su qu’il y avait un poste à pourvoir ?

— Merci pour cet éloge. C’est mon frère qui m’a prévenue car il travaille à la mairie et savait que j’avais déjà dirigé d’autres chorales. De plus, je suis prof de piano et il a eu vent que l’École de Musique de Noirmoutier en cherchait un. Tout s’est enchaîné admirablement bien.

— Où habitais-tu précédemment ? demande Odile.

— À Challans depuis mon mariage. Mais auparavant je vivais à cinq kilomètres de là avec mes parents, à Sallans où je suis née depuis bientôt cinquante et un ans.

— Comme c’est curieux, s’exclame Bertrand, J’ai moi-même habité Sallans avec mes parents et j’y suis né également. À vingt ans j’ai quitté Sallans pour venir à Noirmoutier où j’ai connu Odile et nous nous y sommes mariés. Ça fait tout juste cinquante ans de cela.

— Quelle coïncidence, tu as peut-être connu mes parents. Moi, je n’ai jamais connu mon père, il a quitté maman avant ma naissance. Maman s’est ensuite mariée avec l’homme qui m’a élevée et que j’ai toujours appelé papa. Mon frère est né deux ans après, c’est en fait mon demi-frère qui vit à Noirmoutier.

— Il est en effet possible que j’ai connu tes parents, j’habitai rue de la Garenne, et toi ?

— Quand je suis née, maman habitait avec ses parents non loin de là, rue des Tilleuls. Elle a ensuite déménagé avenue du Bocage quand elle s’est mariée. »

Bertrand est manifestement saisi par cette réponse ; soupçonneux, il avance une éventualité qui germe dans son esprit.

— Avant de venir à Noirmoutier j’ai connu une fille qui habitait rue des Tilleuls. Ta mère ne s’appellerait pas Janine par hasard ?

— Si, bien sur. Mais ne me dis pas que c’est toi qui… »

Un grand silence plane sur le petit groupe. Bertrand, interloqué met un certain temps avant de répondre.

« Je ne sais pas si c’est moi qui… comme tu dis. Cela est possible, mais si c’est le cas, je n’ai jamais su que Janine était enceinte.

— Maman m’a dit qu’elle était sure de savoir qui était mon père mais elle n’a jamais cherché à le rechercher pour le lui dire puisqu’il avait quitté le village avant qu’elle ne sache qu’elle était enceinte et que de toute façon, pour elle c’était une passade.

— Il est un fait que notre liaison était passagère sans espoir de lendemain… Mais c’est surprenant quand même. En définitive, biologiquement je suis…

— Apparemment Bertrand, il va bien falloir que l’on s’y fasse, j’ai bien l’impression en effet que je peux t’appeler papa.

— Je comprends maintenant pourquoi vous êtes aussi têtus l’un que l’autre, ajoute Odile. Tel père, telle fille ! »

 

Comme à l’accoutumée, Odile et Bertrand reviennent en bord de mer admirer avec un plaisir renouvelé les cabines blanches alignées tout le long de la Plage des Dames et qui s’étendent jusqu’à la Pointe de Saint-Pierre, dominée par l’hôtel où le film « Les vacances du petit Nicolas » a été tourné. Ils rejoignent le sentier conduisant à l’Estacade et s’enfoncent dans le magnifique Bois de la Chaise. Se caractérisant par une végétation méditerranéenne agrémentée de chênes verts, arbousiers, pins maritimes et où les mimosas s’y épanouissent à merveille, le bois a conquis et inspiré le peintre Auguste Renoir.

Le couple se dirige vers la Plage de l’Anse Rouge, elle aussi pourvue de cabines de plage d’un blanc lumineux, et où surplombe la Tour Plantier aux allures de phare. Enivrée par les senteurs maritimes mêlées de l’odeur du bois, Odile laisse vagabonder ses pensées en contemplant les vaguelettes qui s’élancent avec fougue à l’assaut des rochers qu’elles ne font que caresser.

La présence de trois formes humaines apparaissant devant ses yeux la sort de ses rêveries. Blottie contre le bras de Bertrand elle distingue venant vers eux, Nathalie accompagnée de son mari, de son beau-père ainsi que de sa mère à qui elle annonce gaiement : « Maman, je te présente papa ! »

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