Créé le: 04.06.2017
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Elle

Amour

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© 2017-2025 a Max R.

© 2017-2025 Max R.

L'un homme et d'une femme, l'histoire d'une présence et d'une absence. Un jeune homme rencontre une femme mystérieuse un soir et s'engage dans une aventure muette avec elle.
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Chapitre I

Je me réveille dans le noir. Dehors il fait peut-être jour mais son corps recouvre la seule fenêtre de la pièce. Accoudée dans l’ouverture, une vieille veste à peine posée sur les épaules, elle recrache les dessins blancs de la fumée dans le froid. Il y a sûrement plus d’art entre le corps de la femme et les cinq minutes d’une cigarette que sur tous les murs du Louvre. Je ne verrai jamais son visage, elle restera fermée, accoudée à la fenêtre ouverte comme pour me dire : « Regarde dehors, il y en aussi pour toi ». La porte a toujours été là, lumineuse et salvatrice mais trop loin pour le coeur sec d’un contemplatif. On meurt de ces ouvertures, on chute dans leurs bouches béantes. Seules, elles ne sont rien mais face à moi elles se teintent du rouge d’un démon.

Elle, toujours assise, a mis fin à la valse blanche de son souffle. Dans notre guerre, elle venait de griller sa dernière cartouche.

 

Elle se lève et j’aperçois enfin le puits obscur de la ville. Je suis ses mouvements alors qu’elle se recouche à mes côtés sans un mot puis mon regard se perd dans la noirceur de ma fenêtre. Il y a tout à contempler avant que le jour n’efface la beauté nocturne, je suis tenté de l’imiter et d’aller m’asseoir pour m’absorber dans la nuit. Mais je suis retenu par son parfum, pas celui sorti d’une bouteille, celui qui émane des âmes au repos. Je glisse mon regard le long de ses cheveux et je m’arrête sur ses épaules qui se soulèvent déjà lentement au rythme du sommeil. Quand je la regarde dormir je me retrouve devant un paysage d’abandon qui s’étend et se cache maladroitement sous les draps. Je vois se dessiner la cartographie de son corps dans les plis du tissu, je me sens explorateur face à l’inconnu.

Je suis bien seul pour quelqu’un qui partage son lit avec l’une des créatures de Dieu.

 

Chapitre 2

Deux jours auparavant je déambulais seul dans le labyrinthe de ma ville. En quête comme chaque soir de cette chose qui n’existe que dans ma matière grise. De ces événements exceptionnels qui surgissent dans la banalité des murs. J’ai pensé à les confondre avec ce qu’on appelle « l’âme de la ville » mais il n’y a pas d’âme sans souvenir et ce que je cherchais était absolument nouveau. Pour simplifier je dirais être en quête constante de matière, de réel à utiliser. C’est bien joli sur le papier, presque poétique mais sa traduction dans la réalité n’est qu’une démarche hasardeuse et vaine, des exclamations étranges devant la trace d’une goutte d’eau sur un mur. Ce qui fait effet sur une feuille est souvent incompatible avec le monde.

Souvent je m’assois sur un banc, je lève les yeux vers les fenêtres teintées du bleu de l’oisiveté et s’il est suffisamment tard je cherche des camarades d’insomnie, des lueurs qui me semblent familières. On a peu d’intérêt pour ce qui n’est pas lumineux, ainsi j’ignore inconsciemment la majorité de ce que je pourrais voir. Sans remettre en doute cette passion pour les fenêtres, c’est bien rapidement que mon regard rejoint les astres pour se plonger dans cette toile trouée qu’est le ciel. Là, si je n’y prends pas garde, ce ne sera que la douce ascension du soleil qui mettra fin à ma contemplation. Je ne sais décidément pas me lasser des caresses de la nuit.

C’est un miaulement désespéré qui me sauva cette nuit là, trop amoureux des chats pour feindre l’indifférence, voilà que je m’engage dans la première ruelle venue sans vraiment savoir d’où provenait le cri. Rapidement je fus perdu, le chat ne se manifesta plus et je dû rebrousser chemin pour rejoindre la route principale. La pensée de ce petit être chétif et livré à lui même me serrait le cœur et j’avançais désormais de manière automatique sans prêter la moindre attention à mon environnement.

C’est là que je l’ai rencontré, dans la violence d’une collision. Je parle du lampadaire bien sur qui est le seul intermédiaire qu’il y eut entre moi et ma très chère.

Je me retrouve soudainement assis par terre et légèrement sonné, à ce moment là, tout autour de moi se décline en vagues formes floues dont je ne perçois pas le sens. Il y a bien plus de similitude entre un coup de tête dans un lampadaire et une bonne bouteille de rhum que ce qu’on peut croire !

Des regards gênés, on tire ses enfants vers soi… voilà que je passe pour un ivrogne qui ne sait pas se tenir. Je ne me relève pas tout de suite, ce n’est pas tous les jours qu’on peut être assis au milieu d’une rue et puis quitte à être un ivrogne autant être une alcoolique rêveur. La splendeur du ciel semble avoir un double-fond qu’elle réserve pour les observateurs étendus sur le sol, ce qui ne faisait que nous dominer se met à couler pour finalement nous noyer dans la douceur de l’obscurité. Décidément, il n’y a plus ici que cette terre.

 

Plongé dans mes pensées, je n’ai pas remarqué la silhouette qui s’était délicatement couchée à côté de moi. Et quand j’y repense j’aurais cru au chat venu me rejoindre et jamais à ce que mes yeux allaient découvrir.

C’est au bruit de son briquet que je suis sorti de mes rêveries, elle avait le menton léger et la peau comme faite de lait, les paupières fermées elle aspirait longuement sur sa cigarette avant de relâcher lentement les volutes blancs dans l’air.

On est jamais sûr après ce genre de chute et avec un esprit aussi distrait que le miens, que cette femme n’était pas une simple illusion, je ne dirais pas ange car déjà je pouvais apercevoir ses cornes mais je ne dirais pas non plus démon tant je sais que souvent le vice participe à la vertu. Ses traits étaient adoucis par les ombres nocturnes qui savent si bien tailler les visages, je cherchais ses yeux mais elle ne me fit pas l’honneur de les poser sur moi. Ce n’est que lorsqu’elle me tendit la moitié restante de sa cigarette que je fus sûr de son existence.

Plusieurs minutes passèrent avant qu’elle ne se lève, comme si je lui était redevable je me sentis obligé de me lever à mon tour et de la suivre. J’avais aussi le fragile espoir de pouvoir apercevoir les opales que son visage semblait me promettre, mais si je tentais de me mettre à sa hauteur elle accélérait le pas. Au point qu’on a fini par se courir après dans les rues endormies de la ville, mes poumons devenaient douloureux, pourtant impossible de m’arrêter, je savais que de la perdre de vue reviendrait à ne plus jamais la voir. J’étais au bord de l’évanouissement quand enfin elle s’immobilisa devant un immeuble et se retourna pour me faire face.

J’aperçus son regard, il se planta dans le miens et fit voler tout ce que je pensais savoir sur la beauté en éclat. Pourquoi Dieu avait-il jugé nécessaire d’offrir à cette femme, en plus de ces deux joyaux, un âme dont le feu impossible à contenir s’échappait de ses pupilles? Je vis se dessiner un sourire sur son visage, elle devait connaître le pouvoir de ses yeux et je dois avouer que j’en fus une victime tout à fait consentante au point de passer les jours suivant à en contempler la grâce.

Les mots étaient inutiles, son regard parlait, criait et je tentais maladroitement de lui répondre avec le peu de force que mes rétines contenaient. Quand nous devions nous quitter, le frôlement de nos corps nous servait d’au revoir et rendu à la solitude il n’y avait plus qu’à attendre le prochain soir.

C’est dans la lenteur et la longueur d’une nuit où la pluie frappait sans relâche les vitres que nos corps finalement firent connaissance dans les replis moites et ancestrales de l’amour. De ce jour, la nudité devient un principe, il y avait chez cette femme autant de pudeur quand dans un champs de fleurs. Parfois, sous l’effet des rayons de lune sa peau prenait l’aspect de la glace, et je devais pour m’assurer de ne pas être dans un rêve m’approcher et sentir la chaleur de son souffle sur mes lèvres.

 

En y repensant, je vivais constamment dans le peur de la voir disparaître, la psychanalyse trouverait probablement une raison à cette angoisse dans mon enfance mais pour moi c’était une autre force qui était à l’oeuvre. Celle de la liberté totale qui émanait de ma compagne, de cet aspect sauvage que je ne pouvais maîtriser et qui faisait très probablement son charme. Je ne lui était pas nécessaire, rien dans notre relation exprimait la propriété et après des millénaires de domination masculine c’est une chose difficile à concevoir mais elle valait largement cette peine. Et puis secrètement, je la remerciais de permettre cette évolution de ce qu’était l’amour pour moi, je me sentais devenir un autre homme que cette bête toujours en quête d’une femme rassurante et sécurisante. Loin d’être un affaiblissement, je me sentais de mieux en mieux armé pour résister à la tentation de s’enfermer dans une relation classique, je me sentais de plus en plus proche de ce monde supra-sensible où l’amour est infini.

Commentaires (2)

M.

Max R.
02.08.2017

'Merci beaucoup pour votre commentaire ! Heureux que mon travail sur les formules et les images vous touche. Cette histoire est l'esquisse d'un court roman sur lequel je travaille, maintenant que je sais quelqu'un intéressé, je le mettrai en ligne à l'occasion. '

Starben Case
27.07.2017

'... un parfum qui émane des âmes au repos...
... il n'y a pas d'âme sans souvenir...
... je ne sais décidément pas me lasser des caresses de la nuit...
Il y a tant de belles descriptions dans cette histoire et des ambiances d'amour en noir et blanc. C'est magnifique! On a envie de vous habiter
'

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