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P. 11-12 Ouverture

1

Un échange entre la lectrice (Helena) et l'auteure (Béatrice) sur le livre Etat-Limite de Béatrice Anselmo, lauréate 2024. A chaque chapitre, une photo et une discussion avec l'auteure. Une belle expérience que nous partageons avec vous. C'est un accompagnement vivant à la lecture du livre.
Reprendre la lecture

Chère Béatrice,

Ainsi commence le défi que je me lance: entrer dans l’épaisseur de ton histoire. En si peu de mots, tant d’information. Je retiens le cercle, elle au centre. Les autres se placent par rapport à elle. C’est un soleil ou un trou noir? 3 personnages. Et tout ce bleu! J’ai voulu prendre le ciel comme fond mais le ciel est insaisissable. La fumée de cigarette vient de mon encensoir orthodoxe. La fumée. Encore un élément insaisissable et sans limites. Je rentre avec précaution dans cette scène vaste et dépouillée.

 

Chère Helena,

De toutes ces images, je retiens aujourd’hui le bleu du ciel.

Il me rappelle ce livre de Christiane Singer, lu et relu il y a des années:

«Où cours-tu?  Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?»

Quand la maladie est là, elle agit comme un aimant, créé un centre,

nous aspire, nous dévore. La scène qui ouvre la pièce plante en son centre

le chaos d’une vie dans son élan. Et pourtant le ciel est en elles, la fille,

la mère. Le ciel dans son infinie profondeur bleue.

P.13 Hospitalier

2

Helena
Le carcan hospitalier semé de mots sans âme, pour notre bien les pires horreurs et des lettres TPL, HDT qui vous claquent la porte au nez. Signez pour le jugement dernier, l’enfermement… sinon ce sera de votre faute. Effrayant parcours pour elles, pour lui. Comment traverser ces épreuves? Ces monologues inhospitaliers

 

Béatrice

Les mots résonnent longtemps dans nos têtes.

Ils sont simples.

Ils n’en sont pas moins violents.

On les reçoit, on tente de les intégrer, accepter, digérer, diluer en soi.

Les mots techniques, spécifiques, psychiatriques cachent le réel,

refluent l’humain.

Douceur des mots adressés quand ils accueillent la souffrance,

l’impuissance.

Rares moments de dialogues hospitaliers.

P.17 Sans appel

3

Helena

Il y a tout ce blanc ou plutôt beige clair et pourtant je vois du noir. HDT, quel vilain mot. Est-ce vraiment une solution? Peut-être, mais je ne le saurais pas avant d’avoir lu la suite. C’est le printemps et tout est triste. Les cerises de la page 12, je les retrouve à la page 18. Un point d’ancrage rassurant. Il représente la vie voluptueuse. Je suis sortie piquer des fleurs du cerisier japonais… qui ne fait pas de cerises. Je crois que c’est important.

Bonne nuit Béatrice
Le téléphone décroché aussi est important et résume à lui seul l’isolement

 

Béatrice

Le téléphone nous relie.

Il nous sauve parfois.

Il nous attache.

Il nous emprisonne.

Dans la dépendance de l’autre.

Dans le sauvetage de l’autre.

Dans l’espoir pour l’autre.

On guette une intonation.

Une inflexion.

L’envie de parler.

Les bribes difficiles.

Un échange.

Pas d’échange.

Téléphone refusé.

Téléphone autorisé.

Téléphone limité.

Téléphone avec puce.

Téléphone sans puce.

Téléphone perdu.

Jeté.

Retrouvé.

J’aurais connu tous les possibles du téléphone…

P.18 Le temps des cerises

4

Helena

La couleur revient le temps d’une cigarette sous un carré de ciel bleu, le temps d’apprendre que sa mère a passé pour lui laisser de quoi fumer, peindre, lire et manger des cerises. Chaque petit plaisir apporte l’espoir. Jusqu’à demain.

Il y a davantage de cerises dans ces pages qu’en cette saison. À force de m’entendre dire au marché que ce n’est vraiment pas la saison, une vendeuse m’a dit «C’est quand on ne cherche plus qu’on trouve». Ce qui est arrivé aujourd’hui. Sur le stand d’un brocanteur, une femme. Elle m’a prêté sa déco (une cerise en plastique) pour une semaine. Tout le monde s’y met.

 

Béatrice

C’est l’été. Chaque année je guette l’arrivée des fruits sur les arbres.

Le réchauffement climatique impacte la période de bourgeonnement puis

de floraison des quelques arbres fruitiers du jardin.

À notre arrivée dans la maison, nous avions décidé de planter quatre arbres

fruitiers, chacun choisissant sa variété.

Deux pommiers pour les garçons père et fils, un cerisier pour ma fille

et un mirabellier pour moi.

À chaque printemps, je crains les dernières gelées qui détruiront

les fleurs et leur promesse de fruits. Cette année-là, les cerises sont rares

mais belles, grosses, rouge vif, juteuses. Je veux lui en apporter.

Une petite poignée de couleur à croquer. La vie et l’espoir,

concrètement et en symbole. Le goût revenu des choses simples,

fraîchement cueillies pour contrer les odeurs et la froideur de l’hôpital.

Quelques points rouges contrastant avec le bleu du ciel

et le blanc des murs.

À peine échangeons-nous les mots habituels. Sa colère d’être là.

Revers de main à l’encontre de la petite boîte de plastique

contenant les cerises.

Elles roulent à terre.

Je les suis du regard.

Impuissance à réconforter.

Silence trop lourd.

Je ne peux que partir.

P.19 Spirale

5

Helena
Que des questions fermées qui ne laissent aucune place à l’ouverture propice au dialogue. Sacrée protection. On poserait les mêmes à un réfugié qui débarque sur une plage, que ça ne m’étonnerait pas.

L’image me vient: une spirale ou un escalier en spirale. Celui qui interroge

et celle qui est interrogée s’interroge aussi. A chaque extrémité un vertige

dont on ne voit pas la fin. La spirale est un mouvement en soi, un mystère

Cloisonné

 

Béatrice

Vertige des questions

Au début un jeu

Ensuite plus qu’un jeu

Une exploration.

 

Besoin d’un diagnostic

L’errance médicale c’est

L’impossibilité de mettre des mots

Et ça traîne.

 

De médicaments inadaptés en prises en charges inadaptées

Combien de labyrinthes

D’escaliers à monter et descendre

Pour aboutir à des impasses

Vertige des réponses

On plonge en soi

Dans le mystère de la maladie

Tant que personne n’a pu mettre des mots

Expliquer le bizarre l’excès le vide

L’état-limite.

P.18-22 Inextricable

6

Helena

Entre la p.19 et p.22 une avalanche de questions qui restent sans suite. J’ai la sensation qu’au vertige s’ajoute un écheveau de neurones à démêler. S’allumera, ne s’allumera pas…? Cibler le plus urgent

 

Béatrice

Je ne peux pas comprendre

Je ne suis pas dans sa tête

Je voudrais démêler l’enchevêtrement des fils de sa pensée

Tout reprendre pas à pas

S’en sortir étape après étape

Mais ça ne marche pas comme ça

ÇA NE MARCHE PAS COMME ÇA.

P.23 Une lueur d'espoir

7

Helena

Par ordre alphabétique ou par thème? Peu importe mais le verbe ordonner est important . Pas les romans mais les livres psy. Les cerises ouvrent et ferment la conversation. Heureusement le lien passe par le cerisier. Une belle image. Ici ton livre est dans une boîte à livres grecque. Dans la civilisation qui a initié la philosophie en Europe.

 

Il y a plus de 1000 philosophes grecs.

 

Béatrice

Prendre son temps pour ranger ses idées.

Quand tout va bien.

Et quand tout va mal ?

Elle range

Ses affaires

Ses papiers

Sa voiture

Son appart’

Sa vie dans un placard.

TP.28-31 S'échapper

8

Helena

S’échapper. Cadrer. Hospitaliser. Réhospitaliser. Poser des limites à un état-limite… et dans le ciel, y a-t-il des limites? Le livre va peut-être s’envoler avec tout ce vent.

 

Béatrice

Sa pensée sans fond

Rincée

Pas de mer

Ni de bleu

Au sein des murs blancs

Elle voudrait faire escale

Au bord de l’eau

Peindre les vagues

Et prendre le large

Vers l’infini

P.28. Soutien...

9

Helena

Protection, soutien, contrainte… la frontière est mince et ce chapitre me choque. Ils la protègent pour son bien mais ne peuvent la contraindre et c’est la mère qui doit appeler les urgences. C’est n’importe quoi. J’ai connu cette absurdité avec l’internement de ma meilleure amie. Qui n’est plus de ce monde. Elle a choisi sa liberté à elle.

 

Béatrice

Avec le temps j’ai mieux compris,

Mieux accepté

Le Système.

Enfermement contre protection.

Qui peut comprendre?

Une mère qui a peur

Un père qui ne sait plus quoi faire.

La colère en réponse.

Personne n’est prêt.

Le Système

Imparfait

Le temps de la crise.

S’en remettre au système

Et souffler

Le temps de la crise.

 

Le mystère de la santé mentale

Le déni de sa gravité

Je ne suis pas dans sa tête

P.29 ... ou contrainte?

10

Béatrice

Tu es incroyable avec tes photos!

Alors que je n’ai pas envie de sourire!

Un grand merci!

J’aime leur poésie au détour de chemins!

Et voir mon livre transporté jusqu’en Grèce!

Dans toutes ces situations!

J’ai l’impression qu’il vit et qu’il me raconte

la suite de l’histoire! 🙏 🌺

 

Helena

Merci pour ce beau message. Il y a une belle coutume de Pâques chez les orthodoxes. On éteint toutes les lumières de l’église et le prêtre allume la bougie de quelqu’un qui fait de même et toutes les personnes dans l’église tiennent une bougie allumée et ça continue vers la foule à l’extérieur. C’est une belle métaphore du partage. Puis la foule se disperse avec toutes ces bougies allumées et chacun fait attention aux autres pour ne pas brûler des vêtements. Magique. J’ai l’impression que nous sommes en train de faire de même avec ton livre. Il nous rapproche et je fais attention.

 

Béatrice

Visite à l’HP

Portes verrouillées

Attente

Par la fenêtre des silhouettes blanches

Des corps en errance

Quelques cris

Ou le silence

On n’ose rien dire

On marche sur des œufs

La visite terminée, c’est toujours là,

Partout,

Ça nous colle,

Ça transpire,

On n’en sort pas.

Et pourtant, on est dehors.

P.28 Disparition

11

Helena

Il se passe un truc fou. Elle s’est échappée de l’asile psychiatrique et ton livre a disparu depuis 21:55 hier soir. Nous sommes dix à sa recherche dans tous les bars et restaurants. Je ne peux pas appeler les urgences.

 

Béatrice

Oh 😳😳😳😱😱😱

le livre poursuit son chemin… de bar

en restaurant, il trouvera sa place.

Une vie littéraire faite d’imprévus,

de rencontres, d’horizons improbables!

Bref un vrai chemin de livre! 🌺

 

Helena

Trouvé!!!

Retour à l’hôpital

 

Béatrice

Serait-ce le genre de livres qui ne vous lâche pas..?

P.31 Du blanc et du rose

12

Helena

J’aime ce dernier paragraphe qui passe du blanc au rose.

Un peu de tendresse et de lendemains

 

Béatrice

L’hier comme un avion sans ailes

L’aujourd’hui peut-être

Ou alors

Un lendemain qui chante.

P. 32-33 Urgence!

13

Helena

J’ai amené ton livre aux urgences… Il n’a besoin de rien mais sait-t-on jamais… Les médecins sont BONS… Mais, TOUS DES CONS!

 

Béatrice

La maladie mentale est vécue comme une honte.

J’ai lu «Intérieur nuit» de Nicolas Demorand,

le journaliste de la matinale de France Inter. Il évoque

l’errance, les hôpitaux, les médecins psychiatres…

quelques portraits cocasses mais le même constat:

comme c’est difficile de trouver le bon médecin,

celui qui permettra de rendre la vie acceptable!

Et tant de temps perdu et de souffrance en attendant de le trouver…

L’a-t-elle trouvé d’ailleurs?

Sinon

Continuer à

Chercher

Chercher

Chercher…

Le nombril du monde

14

Helena

Le centre du monde

Il n’est plus ici le centre du monde
Le centre du monde est à Delphes et ton livre est venu avec moi. Ou moi avec lui.

 

Béatrice

Le centre du monde

Le centre de notre monde

Tel est l’enfant

Quand il est malade

Quel que soit son âge

Comment faire autrement ?

Le centre du monde

C’est

Le centre de ses pensées

On est

Happé

Vampirisé

Perclus des souffrances qu’on voudrait prendre en charge

Envahi par la honte

Submergé par le chagrin

Ou la colère

On aimerait partir

Au bout du monde…

P.32-33 Delphes

15

Helena

Un cadre: Delphes. Un parcours: sinueux et en montée. Un dédale: en forme de nombril du monde. L’Omphalos est décoré de ces motifs qui s’entremêlent. Des liens à ne pas couper.
L’Omphalos est aussi un œuf. L’atmosphère que tu décris m’est familière. Et il y a aussi l’odeur des hôpitaux, si particulière.

 

Béatrice

Si la Pythie pouvait me parler

Je lui demanderai

Tout simplement :

Combien de temps encore

Avant la délivrance ?

Et puis ces autres questions en cascade :

Que me recommandes-tu ?

Quels travaux accomplir pour gagner la délivrance ?

Quels sacrifices pour accélérer le processus ?

À défaut de Delphes et de Pythie

Je consulte souvent

D’autres oracles.

En vain.

P.34 Dormir

16

Helena

Jedorsjedorsjedors. Les coquelicots, couleur de cerise, m’entourent d’une douce torpeur et le sommeil me berce.

 

Béatrice

Elle aussi la mère

Elle aimerait dormir

Shootée aux médocs

Pour un temps

Oublier

Rêver de champs de coquelicots

sous un soleil printanier

De préférence loin

En Grèce par exemple…

 

P.38 Pétales de sang

17

Helena

Avant de lire cette page, j’ai été saisie par ces pétales de sang posés sur un sol aride. J’ai fait la photo prémonitoire
Les coquelicots ici sont si rouges qu’ils vibrent. Saisissant

 

Béatrice

Pourquoi aime-t-on les coquelicots

Rouge-sang

À la vie

À la mort

Trois petites touches de pétales sur un sol aride

La vie continue de tambouriner à sa porte

Forcer le destin

À chaque tache

Une douleur

Elle

Son frère

Sa mère.

P.41 L'Omphalos

18

Helena

A nouveau la photo devance le livre. Ca explique qu’il n’est pas toujours dans la photo du moment. Dans ce chapitre, l’infirmier parle des liens qui sont si importants en Grèce. Ce n’est pas surprenant qu’il retourne dans son pays à quelque part au soleil. De plus en plus j’ai un lien avec le livre. Il me guide

 

Béatrice

Wikipédia me souffle l’immense ouverture du mot lien

Du latin ligamen

Originellement un objet filiforme

Ruban

Cordon

Etc

Les liens sont si ténus quand la santé mentale se mêle de nos vies

Un rien déclenche une explosion

Il ne reste souvent que

Le parent

Le frère

La soeur

Et l’ami.e de toujours

Et parfois

Même ces liens

Lâchent

On voudrait le ruban

On n’a en mains

Que

Le

Cordon

Qui coupe

Serre trop fort

Étrangle

Et l’un.e

Et l’autre.

P.43 Les rêves

19

Helena

Les rêves. Je retiens le manège. Par contre le seul du village est un cheval qui court derrière une locomotive. Il est 23h passé et le vendeur du kiosque est en train de fermer. Très contrarié que j’insiste pour le faire tourner pour la photo. J’ai déjà mis 1€. Ça ne fonctionne pas. Le monsieur rallume l’électricité mais je dois remettre 1€. Je n’ai plus de monnaie. Il suffit de demander à mon copain qui m’attend dans la voiture. Il n’est plus là. Le vendeur s’impatiente. Je téléphone. Il me faut vite un euro!!! Mon copain est parti dire bonjour à une amie de l’autre côté du port. C’est moi qui m’énerve. Finalement. On y arrive. Le livre est ballotté. C’est sûr. Il va me le faire payer.
Tourner en rond est bien la situation

 

Béatrice

Mes rêves me disent là où j’en suis.

Toujours ils m’accompagnent.

Un couple d’amis venu il y a longtemps en vacances à la maison,

il y a si longtemps, au temps d’avant, nous racontait leurs rêves au petit-déjeuner.

Depuis

Je raconte mes rêves

On se raconte nos rêves.

«Je suis/ tu es, le metteur en scène de mon/ton rêve.»

– Allo maman! J’ai fait un rêve.

– Raconte!

 

P.47 L'ange

20

Helena

Elle veut communiquer avec l’ange. Il est là. L’eau s’est gelée en un beau glaçon du bleu du grand nord. L’ange souffle… La cendre? Un baiser? Ou essaie-t’il de briser la glace?

 

Béatrice

Dialogues avec l’ange

Je retrouve ce livre dans ma bibliothèque.

Rayon divers entre mystique psychologie psychiatrie

développement personnel, éducation des enfants,

éducation canine et transition du milieu de vie.

Dialogues avec l’ange, un document recueilli par Gitta Mallasz,

livre acheté en juin 1982 (je note les dates d’achat ou

de cadeau de mes livres en première page).

J’avais 20 ans

En exergue «Qu’y a-t-il de plus naturel que de parler ensemble?»

 

Page 18 j’avais surligné en orange:

«Sois indépendante!

Tu es trop et trop peu.»

Et quelques pages plus loin…

«Il faut que tu renaisses.

Ce qui est grand s’effondre.

Ce qui est dur s’effrite.»

Et quelques pages encore plus loin, en lettres capitales:

«MARCHE SUR TON PROPRE CHEMIN.»

Quarante-trois ans plus tard, veuve, deux enfants,

Qu’il est difficile de parler quand la santé mentale

de son enfant entame jour après jour le quotidien.

Elle est trop…

Elle est trop peu…

Je n’ose pas les mots qui me viennent.

Je prie pour sa renaissance.

Peut-être dois-je renouer le dialogue avec l’ange?

P.46 Et le père ?

21

Helena

Où sont les pères? Le père. Oncle. Frère. Grand-père… la moitié du ciel est dans la nuit. Le vide. L’absence.

 

Béatrice

Dans cette histoire

Le père

Le grand absent

À la source

Jusqu’en aval

Refaire l’anamnèse

Chercher les origines

Des manques

Des traumatismes

Le fossé qui dérange

Entre

Le côté père

Le côté mère

Elle

Sur sa ligne de crête

Équilibre impossible

Elle n’est pas funambule

Simple marionnette

Tiraillée

Entre père et mère

Lui

L’Absent

Elle

Dans un trop de présence

Impossible vide.

P.51 Et la mère?

22

Helena

Ça m’a pris un peu de temps pour trouver l’image de ce chapitre. Entre galère et chemin de croix, j’ai retenu le chemin. Dans une galère, il y a une équipe de rameurs. Le chemin de croix, on le fait seule. Je voulais que ce soit une belle image.

Vu qu’il y avait du monde dans l’église, pour le pape sans doute, et que les tableaux étaient haut, je ne pouvais pas tenir ton livre devant, mon sac, le natel… voici l’étape LA mère est sur le chemin . C’est elle qui accompagne et qui soufre. C’est son chemin de croix à elle. Passive. Seule. Toujours présente. Ce n’est pas son destin mais c’est tout comme.

 

Béatrice

La mère est sur le chemin

Et tous les jours,

Oui, tous les jours,

Elle se questionne sur son chemin.

Doit-elle continuer son petit bonhomme de chemin?

Va-t-elle s’arrêter en chemin?

Est-elle à mi-chemin?

Sur le bon chemin?

Le mauvais chemin?

Avance-t-elle sur le droit chemin?

A-t-elle parcouru la moitié du chemin?

Elle souffle

Elle peine

Elle courbe la tête

Elle la relève

Chemin de sa vie

Chemin de survie

Chemin de croix

Elle ne voit pas le bout du chemin.

 

Helena

 Sacrifier et scrarifier… on dirait un anagramme
Je lis Christiane Singer Une vie sur le fil de la merveille
Combien d’années de bonheur pour combien de chemin de croix?

 

Béatrice

Je vais la relire…

Au bonheur des crises dit-elle…

P.51 Impuissante

23

Helena

Impuissante aussi
Pour cette photo, je n’ai pas résisté. C’est rare de voir le père
Et ce petit groupe pose là au pied d’un saint doré, la vierge je pense,

c’est comme pour s’excuser.

 

Béatrice

Parfois

Au hasard d’une visite d’église

Je prends le temps de m’asseoir

Je contemple

Je me laisse envelopper de silence et d’odeur d’encens

Je ne prie pas

Je parle tout bas

Je voudrais implorer

Offrir quelque chose

Je demande la paix

Pour elle

Parfois

En douce

Je donne des pièces

Je choisis ma bougie

Je l’allume

Je reste un temps devant la flamme.

La dernière fois

À Notre-Dame.

 

P.53 Le cerisier et le pommier

24

Helena

Étrange qu’une cerise puisse prendre davantage de place qu’une pomme. Le frère est dans sa bulle, dans une spirale douce et protectrice. Il offre la tendresse fraternel dont sa sœur a besoin. La cerise tient à l’arbre avec une tige toute fine, si fragile. Mais quelle place pour les autres dans le jardin familial? D’ailleurs le mirabellier n’a pas donné de fruits me dis-tu.

 

Béatrice

Au début

Une famille

Une promesse

Des symboles

1, 2, 3, 4

Ils y croient.

Planter l’arbre de vie

L’aînée,

La cerise.

Le cadet,

La pomme.

Faute de place dans le jardin

L’arbre sera nain

Il fera les plus beaux fruits

À l’ombre du cerisier.

Le père,

Un autre pommier,

Chaque année la récolte est différente.

La mère choisit les mirabelles,

Souvenir des cueillettes chez sa grand-mère.

L’arbre est majestueux

Mais à proximité d’un cèdre,

Il ne donne pas de fruits.

Ils ne pouvaient pas savoir

Ce que deviendraient leurs rêves.

La soeur porte sa croix visible.

Le frère enferme son chagrin.

Le temps travaille contre eux deux.

Les tendresses fraternelles s’essoufflent.

P.54 Le frère

25

Helena

Il brille comme il peut

 

Béatrice

Comme il peut

Il brille

Son frère

Il émet une lumière

Qui parfois vrille

S’enroule sur elle-même

Se tord

En efforts désespérés

Comme une tornade sèche de juillet.

P.53-54 Pépins de pommes

26

Helena

11 pépins soyeux dans une seule pomme!

 

Béatrice

Une pomme

Ils seront

Onze

Soyeux

Les pépins

De sa pomme.

 

Onze

Pépins

Dansent

Autour

De

Sa

Pomme.

 

Helena

 Quelle belle cascade de mots. Tu viens d’inventer la farandole littéraire. Vous vous tenez la main autour d’une pomme. Après la danse sera serpentine pour faire revenir le soleil. Il y a une tambourinairis qui mène la danse de la vie et de la mort.

 

Béatrice

La tendresse ne s’essouffle plus. Elle grandit et reprend sa place

après la mort. Elle console, entoure, soulage et insuffle la vie

à nouveau pour regonfler le soleil.

 

Helena

Ton livre et moi partons à la montagne demain

 

P.55 Dix ans de perdu

27

Helena

Elle a perdu 10 ans de sa vie. Coincée par le système elle bataille. Immobile mais errante

 

Béatrice

Elle a reçu en héritage des jours, des mois, des années de souffrance,

d’errance. Comment peut-on imaginer, dit la chanson.

Elle a cheminé, soulevé des pierres, des rochers, des montagnes.

Elle s’est cachée derrière les portes, les fenêtres, les volets et

puis elle a ouvert les volets, les fenêtres, les portes. Elle a forcé

les serrures, elle s’est perdue dans des labyrinthes, elle s’est assise

sur le bord du chemin, elle est repartie chevaucher ses démons.

Elle arrivera bien un jour à simplement marcher sur sa route.

P.56 Terre d'Irlande

28

Helena

Une fois en 10 ans, partie en vacances en Irlande. Dans un paysage vert pluvieux et liquide de bière, de gin et de vodka, direction la mer. De l’absinthe à côté du livre, dans le Val d’Hérens. Drôle de coïncidence

 

Béatrice

Le temps passe.

Elle leur a demandé de l’aider à prendre des vacances. Lui offrir

un budget pour cette échappée irlandaise. Là-bas, le ciel serait

souvent nuageux, le temps certainement à la pluie, et elle

parcourrait les routes du Connemara, se réfugierait dans des

pubs pour un verre…

– Personne ne me comprend, ni toi, ni mon frère, ni les médecins,

ni les infirmières.

Elle a besoin de vivre comme les autres. Dans l’illusion

d’une vie à laquelle elle a toujours aspirée, faite rencontres,

de voyages, de rires. Ils comprennent qu’il faut lâcher,

prendre le risque, et à son retour, ne pas vouloir savoir.

Eux aussi se bercer de l’illusion que pour un temps,

la vie a suivi un cours normal.

P.60 Le mariage

29

Helena

Le mariage. Sans commentaires, juste le bouquet de la mariée avec les éphémères boules de pissenlits que j’ai pris avec tout le soin qu’elles méritent. Quatre en tout. Et puis les petites fleurs: Ne m’oublie pas. Et toujours l’absinthe, l’absente.

 

Béatrice

Ce bouquet de la mariée

Généreusement créé par toi, Héléna.

Ce bouquet que je ne n’ai pas donné.

 

Aïe mes aieux! écrit Anne Ancelin Schützenberger.

La fille se marie sans prévenir sa mère.

La mère se marie sans inviter sa mère.

 

La grand-mère peut-être sans l’approbation de sa propre mère.

Psycho-généalogie familiale.

Histoires des mères.

Et elle, la fille, qui aimerait à son tour être mère.

 

P.62 Le labyrinthe

30

Helena

Tu as vécu dans des maisons labyrinthiques, des décombres, dans un chaos permanent et tu as été obligée d’apprendre, de patienter, prendre un bol d’air en respirant le nez au vent comme lorsqu’on arrive à la surface avant de replonger. Mais regarde toutes ces formes et ces couleurs dans ce fatras! On donne naissance à nos filles puis elles nous donnent naissance dans un sens.  Je comprends le sens du mot Merci

Ton livre et moi, nous partons en Grèce pour la fin de l’histoire 🥰

Ce enchevêtrement d’oeuvres de mon ami Henry Edouard Meyer, pataphysicien

 

Béatrice

Relativité – lithographie sur papier japon – 1953 – MC Escher

En 1935, il déménage en Suisse pour fuir le fascisme.

J’ai lu que les paysages suisses le laissent froid.

Il se réfugie dans son monde intérieur.

Ses labyrinthes sont sans issue.

Sans échappée possible.

Apparence d’ordre qui rend fou.

Traversées interminables d’espaces intérieurs.

Connexions neurologiques à tout va comme j’te pousse sans répit

hors chimie pour calmer les flux incessants de pensées chaotiques.

Les gravures de MC Escher sont grises.

Ta photo éclate de mille couleurs.

Le livre se fond dans un fatras de formes, lignes, objets.

Il a trouvé sa place.

P.63 Le fric

31

Helena

Le fric, le cash… tu ne parles que de ça? Combien coûte l’amour et combien il vaut. Dans la balance c’est impossible de peser le prix et la valeur  la quantité et la qualité  Le dialogue est impossible. Combien coûte cette relation épistolaire entre nous? Rien. Combien vaut-elle? Tout.

 

Béatrice

Question régulièrement posée à des personnalités

connues et souvent riches: pour vous l’argent fait-il le bonheur?

La même réponse toujours: non mais il y contribue.

Insupportable discours

Quand on est atteint de maladie mentale

En crise

On perd son boulot

On n’a plus une thune

On est dépendant

Et si la famille ne nous prend pas en charge

On finit à la rue

Les exceptions sont rares

Ceux qui frappent aux bonnes portes

Avec lucidité

Mais la maladie mentale tue la lucidité

L’absence de thunes

Elle

Biaise les relations

Grignote les liens

Empêche

Ça empêche

De loin on doute

On raisonne

De près

Avec le temps

On perd tout

Et la société dans tout ça

Elle abandonne

Construit des digues

Sépare

Les riches des pauvres

Les sains des malades

Quand la colère ou le désespoir ou l’impuissance parlent

On ne voit plus le multicolore

Y a plus que du noir

Parfois du gris.

P.63 Ne pas perdre la boule

32

Helena

On fera cette même photo ensemble

 

Béatrice

Bulle de paix

Sein du monde

Quand le vert et le bleu se rejoignent

Mon Dieu

Pourquoi l’as-tu abandonnée

P.66-68 La porte bleue

33

Helena

J’ai pensé que cette maison reflétait bien ces pages. Deux femmes, deux destins. Chacune sur son chemin. Des bribes de monologues s’étiolent à la surface de la mer. Et il ne reste que deux vies.

 

Béatrice

On rend les mères responsables de tout

Écrit Mona Chollet

Elles portent

Apportent

Supportent

Ouvrent les portes

Elles protègent

Soignent

Comprennent

Parfois enferment

Elles enlacent

Embrassent

Sa vie

À bout de bras.

P.69 Tourner le page

34

Helena

Je tourne la page et le livre avant d’entamer l’épilogue
Épilogos, la partie au-dessus du discours

 

Béatrice

Sa tête à l’envers

Pas dans la norme

État- limite

À rebours

Des autres

P.69 L'épilogue

35

Helena

J’ai plusieurs photos pour illustrer l’épilogue… Je cherche mais peut-être qu’il y en a plusieurs et voilà 💖

 C’est un carrefour on ne sait pas trop la fin de l’histoire. Ce va et vient de monologues entre la mère et la fille inaugurent cependant une fin de dialogue. Chacune a fait au mieux. Plusieurs pistes s’ouvrent. Je vais explorer trois photos, peut-être plus. On verra
Étrangement c’est à la page 62 que se situe la fin pour moi.

 

Béatrice

L’escalier de son enfance

À elle

La mère

Odeur de cire

Elle se remémore

Les vacances

Les Noël

Les montées au grenier

Les livres lus sous les draps

Et elle

Sa fille

Quelle enfance

Avant la faille

Le gouffre

La colère

La vie comme un escalier

Marche après marche

Sauf que

Si maladie

Si handicap

Si corps en berne

Comment on fait

Pour les gravir

Ces putains de marche?

P.70-71 Les sirènes

36

Helena

Le soir je retourne vers les sirènes. L’une est éclairée. Chacune regarde la devant elle. Elles ont coupé les ponts mais pas le toit.

 

Béatrice

Attraper un éclat de lune

Et dormir enfin

Apaisée

P.71 Christiane

37

Helena

Une autre compagne de voyage qui arrive à point nommé pour me rappeler l’essence des choses

 

Béatrice

Dix ans après l’Irlande

Elle repart

Seule

Sa voiture

Les routes

Les rencontres

Sa victoire

Pas d’alcool

Je lui ai glissé dans ses bagages

Christiane Singer

Au bonheur des crises.

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