Créé le: 15.06.2025
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Dialogue sans limite
P. 11-12 Ouverture
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Un échange entre la lectrice (Helena) et l'auteure (Béatrice) sur le livre Etat-Limite de Béatrice Anselmo, lauréate 2024. A chaque chapitre, une photo et une discussion avec l'auteure. Une belle expérience que nous partageons avec vous. C'est un accompagnement vivant à la lecture du livre.
Reprendre la lecture
Chère Béatrice,
Ainsi commence le défi que je me lance: entrer dans l’épaisseur de ton histoire. En si peu de mots, tant d’information. Je retiens le cercle, elle au centre. Les autres se placent par rapport à elle. C’est un soleil ou un trou noir? 3 personnages. Et tout ce bleu! J’ai voulu prendre le ciel comme fond mais le ciel est insaisissable. La fumée de cigarette vient de mon encensoir orthodoxe. La fumée. Encore un élément insaisissable et sans limites. Je rentre avec précaution dans cette scène vaste et dépouillée.
Chère Helena,
De toutes ces images, je retiens aujourd’hui le bleu du ciel.
Il me rappelle ce livre de Christiane Singer, lu et relu il y a des années:
«Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?»
Quand la maladie est là, elle agit comme un aimant, créé un centre,
nous aspire, nous dévore. La scène qui ouvre la pièce plante en son centre
le chaos d’une vie dans son élan. Et pourtant le ciel est en elles, la fille,
la mère. Le ciel dans son infinie profondeur bleue.
P.13 Hospitalier
2
Helena
Le carcan hospitalier semé de mots sans âme, pour notre bien les pires horreurs et des lettres TPL, HDT qui vous claquent la porte au nez. Signez pour le jugement dernier, l’enfermement… sinon ce sera de votre faute. Effrayant parcours pour elles, pour lui. Comment traverser ces épreuves? Ces monologues inhospitaliers
Béatrice
Les mots résonnent longtemps dans nos têtes.
Ils sont simples.
Ils n’en sont pas moins violents.
On les reçoit, on tente de les intégrer, accepter, digérer, diluer en soi.
Les mots techniques, spécifiques, psychiatriques cachent le réel,
refluent l’humain.
Douceur des mots adressés quand ils accueillent la souffrance,
l’impuissance.
Rares moments de dialogues hospitaliers.
P.17 Sans appel
3
Helena
Il y a tout ce blanc ou plutôt beige clair et pourtant je vois du noir. HDT, quel vilain mot. Est-ce vraiment une solution? Peut-être, mais je ne le saurais pas avant d’avoir lu la suite. C’est le printemps et tout est triste. Les cerises de la page 12, je les retrouve à la page 18. Un point d’ancrage rassurant. Il représente la vie voluptueuse. Je suis sortie piquer des fleurs du cerisier japonais… qui ne fait pas de cerises. Je crois que c’est important.
Bonne nuit Béatrice
Le téléphone décroché aussi est important et résume à lui seul l’isolement
Béatrice
Le téléphone nous relie.
Il nous sauve parfois.
Il nous attache.
Il nous emprisonne.
Dans la dépendance de l’autre.
Dans le sauvetage de l’autre.
Dans l’espoir pour l’autre.
On guette une intonation.
Une inflexion.
L’envie de parler.
Les bribes difficiles.
Un échange.
Pas d’échange.
Téléphone refusé.
Téléphone autorisé.
Téléphone limité.
Téléphone avec puce.
Téléphone sans puce.
Téléphone perdu.
Jeté.
Retrouvé.
J’aurais connu tous les possibles du téléphone…
P.18 Le temps des cerises
4
Helena
La couleur revient le temps d’une cigarette sous un carré de ciel bleu, le temps d’apprendre que sa mère a passé pour lui laisser de quoi fumer, peindre, lire et manger des cerises. Chaque petit plaisir apporte l’espoir. Jusqu’à demain.
Il y a davantage de cerises dans ces pages qu’en cette saison. À force de m’entendre dire au marché que ce n’est vraiment pas la saison, une vendeuse m’a dit «C’est quand on ne cherche plus qu’on trouve». Ce qui est arrivé aujourd’hui. Sur le stand d’un brocanteur, une femme. Elle m’a prêté sa déco (une cerise en plastique) pour une semaine. Tout le monde s’y met.
Béatrice
C’est l’été. Chaque année je guette l’arrivée des fruits sur les arbres.
Le réchauffement climatique impacte la période de bourgeonnement puis
de floraison des quelques arbres fruitiers du jardin.
À notre arrivée dans la maison, nous avions décidé de planter quatre arbres
fruitiers, chacun choisissant sa variété.
Deux pommiers pour les garçons père et fils, un cerisier pour ma fille
et un mirabellier pour moi.
À chaque printemps, je crains les dernières gelées qui détruiront
les fleurs et leur promesse de fruits. Cette année-là, les cerises sont rares
mais belles, grosses, rouge vif, juteuses. Je veux lui en apporter.
Une petite poignée de couleur à croquer. La vie et l’espoir,
concrètement et en symbole. Le goût revenu des choses simples,
fraîchement cueillies pour contrer les odeurs et la froideur de l’hôpital.
Quelques points rouges contrastant avec le bleu du ciel
et le blanc des murs.
À peine échangeons-nous les mots habituels. Sa colère d’être là.
Revers de main à l’encontre de la petite boîte de plastique
contenant les cerises.
Elles roulent à terre.
Je les suis du regard.
Impuissance à réconforter.
Silence trop lourd.
Je ne peux que partir.
P.19 Spirale
5
Helena
Que des questions fermées qui ne laissent aucune place à l’ouverture propice au dialogue. Sacrée protection. On poserait les mêmes à un réfugié qui débarque sur une plage, que ça ne m’étonnerait pas.
L’image me vient: une spirale ou un escalier en spirale. Celui qui interroge
et celle qui est interrogée s’interroge aussi. A chaque extrémité un vertige
dont on ne voit pas la fin. La spirale est un mouvement en soi, un mystère
Cloisonné
Béatrice
Vertige des questions
Au début un jeu
Ensuite plus qu’un jeu
Une exploration.
Besoin d’un diagnostic
L’errance médicale c’est
L’impossibilité de mettre des mots
Et ça traîne.
De médicaments inadaptés en prises en charges inadaptées
Combien de labyrinthes
D’escaliers à monter et descendre
Pour aboutir à des impasses
Vertige des réponses
On plonge en soi
Dans le mystère de la maladie
Tant que personne n’a pu mettre des mots
Expliquer le bizarre l’excès le vide
L’état-limite.
P.18-22 Inextricable
6
Helena
Entre la p.19 et p.22 une avalanche de questions qui restent sans suite. J’ai la sensation qu’au vertige s’ajoute un écheveau de neurones à démêler. S’allumera, ne s’allumera pas…? Cibler le plus urgent
Béatrice
Je ne peux pas comprendre
Je ne suis pas dans sa tête
Je voudrais démêler l’enchevêtrement des fils de sa pensée
Tout reprendre pas à pas
S’en sortir étape après étape
Mais ça ne marche pas comme ça
ÇA NE MARCHE PAS COMME ÇA.
P.23 Une lueur d'espoir
7
Helena
Par ordre alphabétique ou par thème? Peu importe mais le verbe ordonner est important . Pas les romans mais les livres psy. Les cerises ouvrent et ferment la conversation. Heureusement le lien passe par le cerisier. Une belle image. Ici ton livre est dans une boîte à livres grecque. Dans la civilisation qui a initié la philosophie en Europe.
Il y a plus de 1000 philosophes grecs.
Béatrice
Prendre son temps pour ranger ses idées.
Quand tout va bien.
Et quand tout va mal ?
Elle range
Ses affaires
Ses papiers
Sa voiture
Son appart’
Sa vie dans un placard.
TP.28-31 S'échapper
8
Helena
S’échapper. Cadrer. Hospitaliser. Réhospitaliser. Poser des limites à un état-limite… et dans le ciel, y a-t-il des limites? Le livre va peut-être s’envoler avec tout ce vent.
Béatrice
Sa pensée sans fond
Rincée
Pas de mer
Ni de bleu
Au sein des murs blancs
Elle voudrait faire escale
Au bord de l’eau
Peindre les vagues
Et prendre le large
Vers l’infini
P.28. Soutien...
9
Helena
Protection, soutien, contrainte… la frontière est mince et ce chapitre me choque. Ils la protègent pour son bien mais ne peuvent la contraindre et c’est la mère qui doit appeler les urgences. C’est n’importe quoi. J’ai connu cette absurdité avec l’internement de ma meilleure amie. Qui n’est plus de ce monde. Elle a choisi sa liberté à elle.
Béatrice
Avec le temps j’ai mieux compris,
Mieux accepté
Le Système.
Enfermement contre protection.
Qui peut comprendre?
Une mère qui a peur
Un père qui ne sait plus quoi faire.
La colère en réponse.
Personne n’est prêt.
Le Système
Imparfait
Le temps de la crise.
S’en remettre au système
Et souffler
Le temps de la crise.
Le mystère de la santé mentale
Le déni de sa gravité
Je ne suis pas dans sa tête
P.29 ... ou contrainte?
10
Béatrice
Tu es incroyable avec tes photos!
Alors que je n’ai pas envie de sourire!
Un grand merci!
J’aime leur poésie au détour de chemins!
Et voir mon livre transporté jusqu’en Grèce!
Dans toutes ces situations!
J’ai l’impression qu’il vit et qu’il me raconte
la suite de l’histoire! 🙏 🌺
Helena
Merci pour ce beau message. Il y a une belle coutume de Pâques chez les orthodoxes. On éteint toutes les lumières de l’église et le prêtre allume la bougie de quelqu’un qui fait de même et toutes les personnes dans l’église tiennent une bougie allumée et ça continue vers la foule à l’extérieur. C’est une belle métaphore du partage. Puis la foule se disperse avec toutes ces bougies allumées et chacun fait attention aux autres pour ne pas brûler des vêtements. Magique. J’ai l’impression que nous sommes en train de faire de même avec ton livre. Il nous rapproche et je fais attention.
Béatrice
Visite à l’HP
Portes verrouillées
Attente
Par la fenêtre des silhouettes blanches
Des corps en errance
Quelques cris
Ou le silence
On n’ose rien dire
On marche sur des œufs
La visite terminée, c’est toujours là,
Partout,
Ça nous colle,
Ça transpire,
On n’en sort pas.
Et pourtant, on est dehors.
P.28 Disparition
11
Helena
Il se passe un truc fou. Elle s’est échappée de l’asile psychiatrique et ton livre a disparu depuis 21:55 hier soir. Nous sommes dix à sa recherche dans tous les bars et restaurants. Je ne peux pas appeler les urgences.
Béatrice
Oh 😳😳😳😱😱😱
le livre poursuit son chemin… de bar
en restaurant, il trouvera sa place.
Une vie littéraire faite d’imprévus,
de rencontres, d’horizons improbables!
Bref un vrai chemin de livre! 🌺
Helena
Trouvé!!!
Retour à l’hôpital
Béatrice
Serait-ce le genre de livres qui ne vous lâche pas..?
P.31 Du blanc et du rose
12
Helena
J’aime ce dernier paragraphe qui passe du blanc au rose.
Un peu de tendresse et de lendemains
Béatrice
L’hier comme un avion sans ailes
L’aujourd’hui peut-être
Ou alors
Un lendemain qui chante.
P. 32-33 Urgence!
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Helena
J’ai amené ton livre aux urgences… Il n’a besoin de rien mais sait-t-on jamais… Les médecins sont BONS… Mais, TOUS DES CONS!
Béatrice
La maladie mentale est vécue comme une honte.
J’ai lu «Intérieur nuit» de Nicolas Demorand,
le journaliste de la matinale de France Inter. Il évoque
l’errance, les hôpitaux, les médecins psychiatres…
quelques portraits cocasses mais le même constat:
comme c’est difficile de trouver le bon médecin,
celui qui permettra de rendre la vie acceptable!
Et tant de temps perdu et de souffrance en attendant de le trouver…
L’a-t-elle trouvé d’ailleurs?
Sinon
Continuer à
Chercher
Chercher
Chercher…
Le nombril du monde
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Helena
Le centre du monde
Il n’est plus ici le centre du monde
Le centre du monde est à Delphes et ton livre est venu avec moi. Ou moi avec lui.
Béatrice
Le centre du monde
Le centre de notre monde
Tel est l’enfant
Quand il est malade
Quel que soit son âge
Comment faire autrement ?
Le centre du monde
C’est
Le centre de ses pensées
On est
Happé
Vampirisé
Perclus des souffrances qu’on voudrait prendre en charge
Envahi par la honte
Submergé par le chagrin
Ou la colère
On aimerait partir
Au bout du monde…
P.32-33 Delphes
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Helena
Un cadre: Delphes. Un parcours: sinueux et en montée. Un dédale: en forme de nombril du monde. L’Omphalos est décoré de ces motifs qui s’entremêlent. Des liens à ne pas couper.
L’Omphalos est aussi un œuf. L’atmosphère que tu décris m’est familière. Et il y a aussi l’odeur des hôpitaux, si particulière.
Béatrice
Si la Pythie pouvait me parler
Je lui demanderai
Tout simplement :
Combien de temps encore
Avant la délivrance ?
Et puis ces autres questions en cascade :
Que me recommandes-tu ?
Quels travaux accomplir pour gagner la délivrance ?
Quels sacrifices pour accélérer le processus ?
À défaut de Delphes et de Pythie
Je consulte souvent
D’autres oracles.
En vain.
P.34 Dormir
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Helena
Jedorsjedorsjedors. Les coquelicots, couleur de cerise, m’entourent d’une douce torpeur et le sommeil me berce.
Béatrice
Elle aussi la mère
Elle aimerait dormir
Shootée aux médocs
Pour un temps
Oublier
Rêver de champs de coquelicots
sous un soleil printanier
De préférence loin
En Grèce par exemple…
P.38 Pétales de sang
17
Helena
Avant de lire cette page, j’ai été saisie par ces pétales de sang posés sur un sol aride. J’ai fait la photo prémonitoire
Les coquelicots ici sont si rouges qu’ils vibrent. Saisissant
Béatrice
Pourquoi aime-t-on les coquelicots
Rouge-sang
À la vie
À la mort
Trois petites touches de pétales sur un sol aride
La vie continue de tambouriner à sa porte
Forcer le destin
À chaque tache
Une douleur
Elle
Son frère
Sa mère.
P.41 L'Omphalos
18
Helena
A nouveau la photo devance le livre. Ca explique qu’il n’est pas toujours dans la photo du moment. Dans ce chapitre, l’infirmier parle des liens qui sont si importants en Grèce. Ce n’est pas surprenant qu’il retourne dans son pays à quelque part au soleil. De plus en plus j’ai un lien avec le livre. Il me guide
Béatrice
Wikipédia me souffle l’immense ouverture du mot lien
Du latin ligamen
Originellement un objet filiforme
Ruban
Cordon
Etc
Les liens sont si ténus quand la santé mentale se mêle de nos vies
Un rien déclenche une explosion
Il ne reste souvent que
Le parent
Le frère
La soeur
Et l’ami.e de toujours
Et parfois
Même ces liens
Lâchent
On voudrait le ruban
On n’a en mains
Que
Le
Cordon
Qui coupe
Serre trop fort
Étrangle
Et l’un.e
Et l’autre.
P.43 Les rêves
19
Helena
Les rêves. Je retiens le manège. Par contre le seul du village est un cheval qui court derrière une locomotive. Il est 23h passé et le vendeur du kiosque est en train de fermer. Très contrarié que j’insiste pour le faire tourner pour la photo. J’ai déjà mis 1€. Ça ne fonctionne pas. Le monsieur rallume l’électricité mais je dois remettre 1€. Je n’ai plus de monnaie. Il suffit de demander à mon copain qui m’attend dans la voiture. Il n’est plus là. Le vendeur s’impatiente. Je téléphone. Il me faut vite un euro!!! Mon copain est parti dire bonjour à une amie de l’autre côté du port. C’est moi qui m’énerve. Finalement. On y arrive. Le livre est ballotté. C’est sûr. Il va me le faire payer.
Tourner en rond est bien la situation
Béatrice
Mes rêves me disent là où j’en suis.
Toujours ils m’accompagnent.
Un couple d’amis venu il y a longtemps en vacances à la maison,
il y a si longtemps, au temps d’avant, nous racontait leurs rêves au petit-déjeuner.
Depuis
Je raconte mes rêves
On se raconte nos rêves.
«Je suis/ tu es, le metteur en scène de mon/ton rêve.»
– Allo maman! J’ai fait un rêve.
– Raconte!
P.47 L'ange
20
Helena
Elle veut communiquer avec l’ange. Il est là. L’eau s’est gelée en un beau glaçon du bleu du grand nord. L’ange souffle… La cendre? Un baiser? Ou essaie-t’il de briser la glace?
Béatrice
Dialogues avec l’ange
Je retrouve ce livre dans ma bibliothèque.
Rayon divers entre mystique psychologie psychiatrie
développement personnel, éducation des enfants,
éducation canine et transition du milieu de vie.
Dialogues avec l’ange, un document recueilli par Gitta Mallasz,
livre acheté en juin 1982 (je note les dates d’achat ou
de cadeau de mes livres en première page).
J’avais 20 ans
En exergue «Qu’y a-t-il de plus naturel que de parler ensemble?»
Page 18 j’avais surligné en orange:
«Sois indépendante!
Tu es trop et trop peu.»
Et quelques pages plus loin…
«Il faut que tu renaisses.
Ce qui est grand s’effondre.
Ce qui est dur s’effrite.»
Et quelques pages encore plus loin, en lettres capitales:
«MARCHE SUR TON PROPRE CHEMIN.»
Quarante-trois ans plus tard, veuve, deux enfants,
Qu’il est difficile de parler quand la santé mentale
de son enfant entame jour après jour le quotidien.
Elle est trop…
Elle est trop peu…
Je n’ose pas les mots qui me viennent.
Je prie pour sa renaissance.
Peut-être dois-je renouer le dialogue avec l’ange?
P.46 Et le père ?
21
Helena
Où sont les pères? Le père. Oncle. Frère. Grand-père… la moitié du ciel est dans la nuit. Le vide. L’absence.
Béatrice
Dans cette histoire
Le père
Le grand absent
À la source
Jusqu’en aval
Refaire l’anamnèse
Chercher les origines
Des manques
Des traumatismes
Le fossé qui dérange
Entre
Le côté père
Le côté mère
Elle
Sur sa ligne de crête
Équilibre impossible
Elle n’est pas funambule
Simple marionnette
Tiraillée
Entre père et mère
Lui
L’Absent
Elle
Dans un trop de présence
Impossible vide.
P.51 Et la mère?
22
Helena
Ça m’a pris un peu de temps pour trouver l’image de ce chapitre. Entre galère et chemin de croix, j’ai retenu le chemin. Dans une galère, il y a une équipe de rameurs. Le chemin de croix, on le fait seule. Je voulais que ce soit une belle image.
Vu qu’il y avait du monde dans l’église, pour le pape sans doute, et que les tableaux étaient haut, je ne pouvais pas tenir ton livre devant, mon sac, le natel… voici l’étape LA mère est sur le chemin . C’est elle qui accompagne et qui soufre. C’est son chemin de croix à elle. Passive. Seule. Toujours présente. Ce n’est pas son destin mais c’est tout comme.
Béatrice
La mère est sur le chemin
Et tous les jours,
Oui, tous les jours,
Elle se questionne sur son chemin.
Doit-elle continuer son petit bonhomme de chemin?
Va-t-elle s’arrêter en chemin?
Est-elle à mi-chemin?
Sur le bon chemin?
Le mauvais chemin?
Avance-t-elle sur le droit chemin?
A-t-elle parcouru la moitié du chemin?
Elle souffle
Elle peine
Elle courbe la tête
Elle la relève
Chemin de sa vie
Chemin de survie
Chemin de croix
Elle ne voit pas le bout du chemin.
Helena
Sacrifier et scrarifier… on dirait un anagramme
Je lis Christiane Singer Une vie sur le fil de la merveille
Combien d’années de bonheur pour combien de chemin de croix?
Béatrice
Je vais la relire…
Au bonheur des crises dit-elle…
P.51 Impuissante
23
Helena
Impuissante aussi
Pour cette photo, je n’ai pas résisté. C’est rare de voir le père
Et ce petit groupe pose là au pied d’un saint doré, la vierge je pense,
c’est comme pour s’excuser.
Béatrice
Parfois
Au hasard d’une visite d’église
Je prends le temps de m’asseoir
Je contemple
Je me laisse envelopper de silence et d’odeur d’encens
Je ne prie pas
Je parle tout bas
Je voudrais implorer
Offrir quelque chose
Je demande la paix
Pour elle
Parfois
En douce
Je donne des pièces
Je choisis ma bougie
Je l’allume
Je reste un temps devant la flamme.
La dernière fois
À Notre-Dame.
P.53 Le cerisier et le pommier
24
Helena
Étrange qu’une cerise puisse prendre davantage de place qu’une pomme. Le frère est dans sa bulle, dans une spirale douce et protectrice. Il offre la tendresse fraternel dont sa sœur a besoin. La cerise tient à l’arbre avec une tige toute fine, si fragile. Mais quelle place pour les autres dans le jardin familial? D’ailleurs le mirabellier n’a pas donné de fruits me dis-tu.
Béatrice
Au début
Une famille
Une promesse
Des symboles
1, 2, 3, 4
Ils y croient.
Planter l’arbre de vie
L’aînée,
La cerise.
Le cadet,
La pomme.
Faute de place dans le jardin
L’arbre sera nain
Il fera les plus beaux fruits
À l’ombre du cerisier.
Le père,
Un autre pommier,
Chaque année la récolte est différente.
La mère choisit les mirabelles,
Souvenir des cueillettes chez sa grand-mère.
L’arbre est majestueux
Mais à proximité d’un cèdre,
Il ne donne pas de fruits.
Ils ne pouvaient pas savoir
Ce que deviendraient leurs rêves.
La soeur porte sa croix visible.
Le frère enferme son chagrin.
Le temps travaille contre eux deux.
Les tendresses fraternelles s’essoufflent.
P.54 Le frère
25
Helena
Il brille comme il peut
Béatrice
Comme il peut
Il brille
Son frère
Il émet une lumière
Qui parfois vrille
S’enroule sur elle-même
Se tord
En efforts désespérés
Comme une tornade sèche de juillet.
P.53-54 Pépins de pommes
26
Helena
11 pépins soyeux dans une seule pomme!
Béatrice
Une pomme
Ils seront
Onze
Soyeux
Les pépins
De sa pomme.
Onze
Pépins
Dansent
Autour
De
Sa
Pomme.
Helena
Quelle belle cascade de mots. Tu viens d’inventer la farandole littéraire. Vous vous tenez la main autour d’une pomme. Après la danse sera serpentine pour faire revenir le soleil. Il y a une tambourinairis qui mène la danse de la vie et de la mort.
Béatrice
La tendresse ne s’essouffle plus. Elle grandit et reprend sa place
après la mort. Elle console, entoure, soulage et insuffle la vie
à nouveau pour regonfler le soleil.
Helena
Ton livre et moi partons à la montagne demain
P.55 Dix ans de perdu
27
Helena
Elle a perdu 10 ans de sa vie. Coincée par le système elle bataille. Immobile mais errante
Béatrice
Elle a reçu en héritage des jours, des mois, des années de souffrance,
d’errance. Comment peut-on imaginer, dit la chanson.
Elle a cheminé, soulevé des pierres, des rochers, des montagnes.
Elle s’est cachée derrière les portes, les fenêtres, les volets et
puis elle a ouvert les volets, les fenêtres, les portes. Elle a forcé
les serrures, elle s’est perdue dans des labyrinthes, elle s’est assise
sur le bord du chemin, elle est repartie chevaucher ses démons.
Elle arrivera bien un jour à simplement marcher sur sa route.
P.56 Terre d'Irlande
28
Helena
Une fois en 10 ans, partie en vacances en Irlande. Dans un paysage vert pluvieux et liquide de bière, de gin et de vodka, direction la mer. De l’absinthe à côté du livre, dans le Val d’Hérens. Drôle de coïncidence
Béatrice
Le temps passe.
Elle leur a demandé de l’aider à prendre des vacances. Lui offrir
un budget pour cette échappée irlandaise. Là-bas, le ciel serait
souvent nuageux, le temps certainement à la pluie, et elle
parcourrait les routes du Connemara, se réfugierait dans des
pubs pour un verre…
– Personne ne me comprend, ni toi, ni mon frère, ni les médecins,
ni les infirmières.
Elle a besoin de vivre comme les autres. Dans l’illusion
d’une vie à laquelle elle a toujours aspirée, faite rencontres,
de voyages, de rires. Ils comprennent qu’il faut lâcher,
prendre le risque, et à son retour, ne pas vouloir savoir.
Eux aussi se bercer de l’illusion que pour un temps,
la vie a suivi un cours normal.
P.60 Le mariage
29
Helena
Le mariage. Sans commentaires, juste le bouquet de la mariée avec les éphémères boules de pissenlits que j’ai pris avec tout le soin qu’elles méritent. Quatre en tout. Et puis les petites fleurs: Ne m’oublie pas. Et toujours l’absinthe, l’absente.
Béatrice
Ce bouquet de la mariée
Généreusement créé par toi, Héléna.
Ce bouquet que je ne n’ai pas donné.
Aïe mes aieux! écrit Anne Ancelin Schützenberger.
La fille se marie sans prévenir sa mère.
La mère se marie sans inviter sa mère.
La grand-mère peut-être sans l’approbation de sa propre mère.
Psycho-généalogie familiale.
Histoires des mères.
Et elle, la fille, qui aimerait à son tour être mère.
P.62 Le labyrinthe
30
Helena
Tu as vécu dans des maisons labyrinthiques, des décombres, dans un chaos permanent et tu as été obligée d’apprendre, de patienter, prendre un bol d’air en respirant le nez au vent comme lorsqu’on arrive à la surface avant de replonger. Mais regarde toutes ces formes et ces couleurs dans ce fatras! On donne naissance à nos filles puis elles nous donnent naissance dans un sens. Je comprends le sens du mot Merci
Ton livre et moi, nous partons en Grèce pour la fin de l’histoire 🥰
Ce enchevêtrement d’oeuvres de mon ami Henry Edouard Meyer, pataphysicien
Béatrice
Relativité – lithographie sur papier japon – 1953 – MC Escher
En 1935, il déménage en Suisse pour fuir le fascisme.
J’ai lu que les paysages suisses le laissent froid.
Il se réfugie dans son monde intérieur.
Ses labyrinthes sont sans issue.
Sans échappée possible.
Apparence d’ordre qui rend fou.
Traversées interminables d’espaces intérieurs.
Connexions neurologiques à tout va comme j’te pousse sans répit
hors chimie pour calmer les flux incessants de pensées chaotiques.
Les gravures de MC Escher sont grises.
Ta photo éclate de mille couleurs.
Le livre se fond dans un fatras de formes, lignes, objets.
Il a trouvé sa place.
P.63 Le fric
31
Helena
Le fric, le cash… tu ne parles que de ça? Combien coûte l’amour et combien il vaut. Dans la balance c’est impossible de peser le prix et la valeur la quantité et la qualité Le dialogue est impossible. Combien coûte cette relation épistolaire entre nous? Rien. Combien vaut-elle? Tout.
Béatrice
Question régulièrement posée à des personnalités
connues et souvent riches: pour vous l’argent fait-il le bonheur?
La même réponse toujours: non mais il y contribue.
Insupportable discours
Quand on est atteint de maladie mentale
En crise
On perd son boulot
On n’a plus une thune
On est dépendant
Et si la famille ne nous prend pas en charge
On finit à la rue
Les exceptions sont rares
Ceux qui frappent aux bonnes portes
Avec lucidité
Mais la maladie mentale tue la lucidité
L’absence de thunes
Elle
Biaise les relations
Grignote les liens
Empêche
Ça empêche
De loin on doute
On raisonne
De près
Avec le temps
On perd tout
Et la société dans tout ça
Elle abandonne
Construit des digues
Sépare
Les riches des pauvres
Les sains des malades
Quand la colère ou le désespoir ou l’impuissance parlent
On ne voit plus le multicolore
Y a plus que du noir
Parfois du gris.
P.63 Ne pas perdre la boule
32
Helena
On fera cette même photo ensemble
Béatrice
Bulle de paix
Sein du monde
Quand le vert et le bleu se rejoignent
Mon Dieu
Pourquoi l’as-tu abandonnée
P.66-68 La porte bleue
33
Helena
J’ai pensé que cette maison reflétait bien ces pages. Deux femmes, deux destins. Chacune sur son chemin. Des bribes de monologues s’étiolent à la surface de la mer. Et il ne reste que deux vies.
Béatrice
On rend les mères responsables de tout
Écrit Mona Chollet
Elles portent
Apportent
Supportent
Ouvrent les portes
Elles protègent
Soignent
Comprennent
Parfois enferment
Elles enlacent
Embrassent
Sa vie
À bout de bras.
P.69 Tourner le page
34
Helena
Je tourne la page et le livre avant d’entamer l’épilogue
Épilogos, la partie au-dessus du discours
Béatrice
Sa tête à l’envers
Pas dans la norme
État- limite
À rebours
Des autres
P.69 L'épilogue
35
Helena
J’ai plusieurs photos pour illustrer l’épilogue… Je cherche mais peut-être qu’il y en a plusieurs et voilà 💖
C’est un carrefour on ne sait pas trop la fin de l’histoire. Ce va et vient de monologues entre la mère et la fille inaugurent cependant une fin de dialogue. Chacune a fait au mieux. Plusieurs pistes s’ouvrent. Je vais explorer trois photos, peut-être plus. On verra
Étrangement c’est à la page 62 que se situe la fin pour moi.
Béatrice
L’escalier de son enfance
À elle
La mère
Odeur de cire
Elle se remémore
Les vacances
Les Noël
Les montées au grenier
Les livres lus sous les draps
Et elle
Sa fille
Quelle enfance
Avant la faille
Le gouffre
La colère
La vie comme un escalier
Marche après marche
Sauf que
Si maladie
Si handicap
Si corps en berne
Comment on fait
Pour les gravir
Ces putains de marche?
P.70-71 Les sirènes
36
Helena
Le soir je retourne vers les sirènes. L’une est éclairée. Chacune regarde la devant elle. Elles ont coupé les ponts mais pas le toit.
Béatrice
Attraper un éclat de lune
Et dormir enfin
Apaisée
P.71 Christiane
37
Helena
Une autre compagne de voyage qui arrive à point nommé pour me rappeler l’essence des choses
Béatrice
Dix ans après l’Irlande
Elle repart
Seule
Sa voiture
Les routes
Les rencontres
Sa victoire
Pas d’alcool
Je lui ai glissé dans ses bagages
Christiane Singer
Au bonheur des crises.
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