Créé le: 22.05.2022
149
0
5
De soi en soi à la sculpture de soi
Cher Maître
1
Puisque les soi sont multiples, devenir sage comme une image consiste peut-être à polir une image de soi plutôt que de se laisser plomber par le mythe de la connaissance de soi.
Reprendre la lecture
Comment devenir « maître de soi » ? Une condition nécessaire est de diviser son être en plusieurs « soi » (au moins deux) : un soi_1 qui dirige, des soi_2, soi_3, etc. qui obéissent. Impossible donc d’être maître de soi (des soi_2, soi_3, etc.) sans être du même coup esclave de soi (du soi_1). Comment le soi_1 prend-il le pouvoir ? Ressemble-t-il plus à un dictateur ou à un roi débonnaire ? Le soi_1 est-il lui-même plus ou moins l’esclave de tout ce que la mémoire a emmagasiné, d’un monstrueux bazar où voisinent une montagne de souvenirs, un nuage d’idées fausses, un soupçon de vérités partielles ? Qu’y a-t-il de commun entre la maîtrise de soi chez Saint-Paul et la maîtrise de soi chez Bertrand Russell ? Le soi_1 peut-il être victime d’un coup d’état ? Un soi_1 très porté sur les plaisirs de la pensée peut-il être renversé par un nouveau soi_1 très porté sur les plaisirs sensuels ? Ou inversement ? Si refréner ses désirs peut être considéré comme une preuve de maîtrise de soi, refréner sa raison peut-il être considéré de même ? Et qu’en est-il de ces maîtres qui s’adonnent sans retenue à la fois aux plaisirs de l’intellect et à ceux du ventre ? La « maîtrise de soi » n’est-elle pas une de ces nombreuses illusions entretenues par un langage que des millénaires de pensée naïve ont forgé ? La possibilité d’acquérir une « maîtrise de soi » n’est-elle pas un axiome fallacieux au service de la morale et de la loi ? N’y a-t-il pas une forte pression sociale pour que le soi_1 soit conforme à un modèle certifié ? Les anarchistes œuvrent-ils pour l’abolition de la maîtrise de soi ? Ni soi, ni maître ! Les oublieux d’eux-mêmes peuvent-ils savoir à quel soi se vouer ? Les équilibristes font-ils de la gymnastique pour couronner un soi_1 qui soit souple ? Les volages changent-ils chaque soir de soi dominant ? La fidélité à soi est-elle une insulte aux soi dominés ? Dans l’amour de soi, qui aime ? Dans le mépris de soi, qui méprise ? La soif de soi met-elle fin à la faim d’ailleurs ?
Image
2
Le souci de sa propre image, qu’il soit dicté par la volonté de plaire, le plaisir aristocratique de déplaire ou le culte illusoire de l’authenticité, est une preuve de maturité. Être adulte, c’est bien connaître les jeux de société. Je suis d’abord ce que je montre. Je suis ensuite ce que je cache, à plus forte raison quand je sème des indices qui tendent à laisser deviner ce que je cache. Je suis enfin ce que j’ignore être, ce que je pourrais être, ce que Tartempion croit que je suis. Mais ces terrains sont trop glissants pour y construire quoi que ce soit.
Ne m’emmerdez pas avec la connaissance de soi ! Le soi, ce coq-à-l’âne, cette chiure de l’esprit, cette imposture, ne peut affrioler que les décadents. L’introspection, quelle supercherie ! Chaque fois qu’un esprit s’interroge, examine sa conscience, explore son passé, tente de mieux se définir, il se caricature, trahi par ses outils : un jugement trompeur ; une mémoire sélective et déformante ; un langage imprécis et biaisé par l’attrait des clichés ; un savoir encombré d’idées fausses. Et quand bien même serait-on pourvu d’une lucidité surhumaine, « moins on se connaît, mieux on se porte », dit le philosophe Clément Rosset.
Mélanie se sentait prisonnière de son image. Pour s’en débarrasser au profit de ce qu’elle appelle son « moi profond », la souris s’allongea cinq piges sur le divan d’un psy féru de bouddhisme. Maintenant, la môme vit à poil, ne se lave plus, ne parle plus. Elle a compris qu’il fallait se dépouiller de tous ses avantages pour être vraiment soi. Comme un oignon qui a perdu ses couches successives, la créature a trouvé son être dans le néant.
Si Dieu a créé l’homme à son image, avoir le souci de sa propre image, c’est rendre hommage à l’Éternel.
Tes pensées, gros malin, ne sont que des reflets ; tes paroles : des échos ; tes gestes : des remake. Seul un insensé cède à la tentation de considérer comme siennes les productions de son corps et de son esprit. Ton existence est vouée à la reproduction. Tu es un sélecteur de phénomènes. Une façon particulière de combiner, voilà ce qui te distingue.
La maturité, c’est d’accueillir cette légèreté de l’être qui soutient la belle vie.
Commentaires (0)
Cette histoire ne comporte aucun commentaire.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire