Créé le: 08.08.2025
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Ils sont là !
Au vernissage d'un artiste peintre, l'arrivée d'un individu très éméché tenant des propos pour le moins incroyables. Doit-on le croire?
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Acte 1 :
Tout se passait bien. La galerie a ouvert ses portes à dix-huit heures. Les canapés, hors-d’œuvre, pickles et diverses chips s’étalaient joyeusement sur les tables recouvertes de nappes mauves. Un grand bol de punch translucide dans lequel nagent des morceaux de fruits trônait imperturbable au milieu des bouteilles de whisky et le champagne refroidissait dans son seau rempli de glaçons.
Dix-huit heures trente, la galerie se remplissait doucement d’invités très bien habillés pour l’occasion. Il y avait même quelques robes longues un peu désuètes mais non dénuées d’intérêt surtout auprès de quelques messieurs qui admiraient les décolletés et les chutes de reins de ces dames qui s’en trouvaient flattées.
Les Flying Tortillas, l’orchestre prévus pour animer l’événement puisaient joyeusement dans le répertoire des Pink Floyd et de Supertramp en interprétant à leur sauce les airs connus de ces groupes mythiques. La galeriste leur faisant plusieurs fois signe en agitant la main pour leur intimer de jouer moins fort.
Ils sont venus en nombre pour voir Roger Balding, l’artiste qui, pour ne pas les décevoir affichait un grand sourire en leur servant à boire.
Il est habitué depuis longtemps aux remarques des invités venus admirer ses œuvres :
« J’aime bien ce que vous faites »
_Merci.
« Quelle belle maitrise des couleurs »
_Merci.
« Mais où trouvez-vous vos idées ?
_Ils me viennent le plus souvent de mes rêves.
« Pourquoi bleu ? »
_???
A chaque question idiote il doit donner le change et répondre avec tact en restant toujours aimable. Peu importe ce qu’il dit, ces inconnus boivent ses paroles, ils attendent la phrase qui décrira le mieux son chemin créatif. C’est lui l’artiste et il se doit de se livrer sans retenue à chacun des visiteurs. Jusque-là, l’exposition est un succès. Du coin de l’œil, il voit un acheteur potentiel chuchotant à l’oreille de la galeriste.
C’est pendant le solo de guitare tiré à l’extrême sur le titre « Echoes » qu’Archibald Flock fit son entrée.
Archie Flock est au chômage depuis qu’il a ruiné une journée de tournage en restant dans le champ de la caméra, mangeant un sandwich alors que les artificiers avaient soigneusement programmé une explosion pour les besoins d’une scène de panique dans un film d’action et que pour des raisons budgétaires on ne pouvait la tourner qu’une seule fois. La scène gâchée avait couté très cher au réalisateur étant donné qu’il avait fallu faire revenir les artificiers avec le matériel et refaire les décors pulvérisés par l’explosion.
Archie était un acteur spécialisé dans les personnages secondaires voire même parfois simple figurant. Il a déjà interprété une multitude de personnages très différents tels qu’un pirate dans un film de corsaire, un chanteur de rock sans succès dans un biopic d’une star célèbre, un démon de minuit aux dents de vampire dans un film d’horreur de série Z, un truand au sein d’une bande de malfrats qui devait faire le guet lors d’un braquage, un avocat avec un attaché-case en cuir commis d’office en visite dans une prison, un rebelle des bas-fonds dealer de drogue et bien d’autres.
Pour arrondir ses fins de mois il montait parfois sur les planches du cabaret The Blue Apricot, spécialisés dans les spectacles de travestis en Drag-Queen grotesque sous l’apparence de Penelopy Saussage, la cousine rigolote de Conchita Wurst.
C’est sous cette apparence qu’il a choisi de venir à l’exposition de peinture de son ami Roger Balding en créant la surprise auprès des invités déjà très nombreux à cette heure de la soirée.
La première surprise passée, Les Flying Tortillas se sont mis à susurrer les paroles de Lady Marmelade : « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir » devant la galeriste qui leur a décoché un regard si noir que si ses yeux avaient été des révolvers elle les aurait fusillés sur place. Comme ils travaillent au cachet ils ont rapidement enchainé sur la mer de Charles Trenet.
Coiffé d’une perruque bleue aux boucles généreuses et d’une robe stretch aux couleurs vives Penelope Saussage avait un peu de peine à tenir debout chaussée de Louboutin pas vraiment à sa taille mais il était évident que c’était surtout l’alcool ingurgité avant de venir qui lui donnait cette démarche chancelante. Le maquillage provoquant ainsi que le bouc qui entourait ses lèvres et son menton ajoutait la confusion du genre incertain à l’incongruité du personnage.
Roger Balding prit la créature par le bras pour l’entrainer loin des invités et le ou la sermonner comme il se doit. Quelques messieurs ne semblaient toutefois pas insensibles au charme insolite de l’intrus coloré aux boucles bleues.
Dans la salle on entendait les réactions diverses des invités :
_Mais qui est-ce donc ?
_C’est d’un mauvais goût !
_Je ne crois pas que c’est un invité »
_Il est ivre et ne sait plus ce qu’il fait ».
_Je crois que c’est un acteur ».
_ Ah oui, j’ai vu le film où il interprétait un tueur en série fétichiste des capsules de bière jaunes »
_La robe est pas mal, je lui demanderai où elle l’a acheté quand elle reviendra.
_Mais tu n’as pas vu que c’est un homme ?
_Bien sûr, à cause de la barbe. Mais pour la robe ça m’intéresse quand-même car on n’en trouve plus des comme ça depuis les années soixante-dix.
_ Encore une coupe de Champagne ?
_Volontiers.
Depuis la pièce d’à côté leur parvenaient des éclats de voix. Le peintre Balding était très en colère :
_Tu n’as pas honte de te pointer dans cette tenue à mon vernissage ?
Et dans cet état en plus ! Mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête ?
« Je te dis que je les ai vus. Ils vont venir me chercher »
_Arrête tes élucubrations. Tu es encore imbibé de la veille !
« Mieux vaut être un imbibé qu’un nain de jardin, répliqua-t-il du tac au tac.
Imperméable à ce jeu de mots pourri, la galeriste tente de dédramatiser : « Si vous voulez, je peux lui faire un café très fort »
Mais Archie insiste et entre avec fracas dans la salle d’exposition.
« Ils sont parmi nous et depuis plusieurs siècles déjà ! »
Avec cette affirmation Archibald Flock provoque un silence interrogatif dans la salle. Les verres ne tintent plus et les invités retiennent leur souffle en attendant la suite.
« Vous ne me croyez pas ? Pourtant les preuves sont évidentes : Les traces sur le sol, les dessins dans les cavernes, les constructions gigantesques. Tout cela c’est eux ou cela a été réalisé en pensent à eux ».
Les musiciens de l’orchestre qui s’étaient arrêtés de jouer s’échangent des clins d’œil et le pianiste entame le thème de X-Files au synthétiseur.
On entend quelques rires dans la salle et les invités se détendent.
_Archie, arrête de déconner ! lui lance Roger Balding, qui à cet instant regrette amèrement de l’avoir invité au vernissage de son exposition de tableaux surréalistes.
« Roger tu dois me croire. Surtout toi qui peint des objets volants et des paysages fantastiques. Ne me dis pas que tu ne crois pas à l’existence des extraterrestres !
Le peintre essaye de se donner une contenance devant les invités.
_ Peut-être, oui. Mais pourquoi viens-tu en parler ce soir et habillé de la sorte ?
« Parce que j’arrive directement du Blue Apricot et qu’il fallait que je te voie tout de suite car ils m’attendent pour m’emmener demain.
_Qui ? Les extraterrestres ?
« Oui. Ils ont besoin de moi pour un de leur spectacle.
_ ???
Plus aucun bruit dans la salle. Les Flying Tortillas se sont également arrêté de jouer, attentifs à ce que raconte cette créature aux allures extra mais ô combien terrestres.
« Depuis le temps qu’ils nous observent et qu’ils essayent de nous avertir que nous faisons fausse route en nous battant entre nous et en détruisant les ressources de notre planète, ils ont également appris à apprécier certains aspects de notre culture.
_Tu veux dire qu’ils regardent nos émissions de télévision ?
« Non. Ils pensent que la télé ne fait que nous abrutir ; ce qu’ils aiment chez nous ce sont les spectacles vivants comme le théâtre ou les concerts.
A ce moment les Flying Tortillas se croyant admirés depuis le fond de l’espace entament les premières mesures de « We Will Rock You » du groupe Queen.
_Mais qu’as-tu a voir dans tout ça ?
« Il vont monter un spectacle où il est question d’un terrien qui se déclare réfugié apolitique et désire habiter sur leur planète. Et comme ils aiment privilégier le côté authentique dans leurs spectacles ils ont décidé d’engager un vrai humain.
_Et c’est toi qu’ils ont choisi ?
« Oui, car comme je suis capable de me glisser dans la peau de n’importe quel personnage cela leur évitera d’en engager plusieurs. Ils sont très attentifs au recyclage de la matière première. D’ailleurs ils ne comprennent toujours pas que nous n’ayons pas trouvé de solution pour le plastique et les déchets radioactifs.
_Mais, balbutie Roger, abasourdi devant tant de révélations et d’absurdités. Comment t’ont-ils contacté ? A quoi ressemble-t-ils ? Comment voyagent-ils ? Co….. »
« Holà. Une question à la fois. Et puis j’ai besoin d’un verre »
_Non, tu as déjà assez bu je crois. C’est assez ! Bois un verre d’eau !
« C’est assez se dit la baleine je me cache à l’eau, ironise Archie.
_Arrête les jeux de mots débiles avec les animaux marins et réponds-moi.
« Bon. En fait il y a plusieurs races d’extraterrestres mais eux ils s’entendent avec tout le monde. Le racisme n’existe pas chez eux. Cela fait longtemps qu’ils ont intégré le principe de la courbure de l’espace-temps et que si nous n’étions pas si aveuglés par les moyens de nous enrichir tout en appauvrissant notre planète, il y a longtemps que nous serions en mesure d’explorer l’univers. Mais tant que nous resterons fixés sur des objectifs bassement matériels nous n’irons jamais plus loin que notre propre système solaire.
_Ils t’ont dit tout ça ? Roger n’en croit pas ses oreilles. Jamais son ami ne s’était exprimé ainsi.
« Ben oui. Et du reste ça les arrange bien que nous ne soyons pas capables d’aller plus loin dans l’espace.
_Pourquoi ?
« A cause de la pollution sur la terre et des milliers de fragments de débris spatiaux qui filent à presque à trente mille kilomètre heure autour de notre plus si belle planète. Ils craignent que les humains n’aillent polluer d’autres systèmes.
_Mais comment t’ont-ils contacté ?
« Ils sont venus me voir au Blue Apricot et m’ont proposé un rôle dans leur pièce à l’humour sarcastique. C’est une parodie sur l’imbécilité des habitants de la terre !
_Mais…mais ! »
« Bon, c’est pas tout ça mais il faut que j’y aille. Je n’ai pas eu le temps faire ma valise.
_Mais… Tu pars quand ?
« Ben, demain. Ils passent me prendre vers 21 heure »
Sur ce, Archibald Flock sous les traits de Penelopy Saussage se lève et d’un pas assuré, perché en haut de ses Louboutin il sort dans la rue laissant les visiteurs de la galerie médusés. L’orchestre s’est mis à jouer un air de Blues improvisé et les verres se sont remis à tinter ainsi que les commentaires des invités.
_Non mais tu crois qu’il était sérieux ?
_C’est des foutaises !
_Dis-moi Roger. Ce ne serait pas une attraction spéciale pour ton vernissage ?
« Non, je vous assure… »
_ allez, on ne nous la fait pas…avoue !
_En tous cas moi j’ai adoré.
_Et ça va tellement bien avec vos œuvres, c’est vraiment surréaliste.
Puis les gens ont commencé à partir et l’artiste retrouve quelques amis restés jusqu’à la fin. Il est minuit.
« Prenons un dernier verre »
_Merci, ça va comme ça.
« Allez, viens faire la fête. Les gens ont adoré »
Alors l’artiste les suit jusqu’au bout de la nuit.
Acte 2 :
C’est dans un petit appartement du deuxième étage de la rue des Mouettes qu’habite Archibald Flock.
Roger Balding sonne désespérément en bas de l’immeuble de son ami.
Il se dit qu’il doit encore cuver de la veille. Ces derniers temps il l’a souvent vu ivre.
Le concierge lui ouvre la porte, surpris par l’insistance qu’a mis Roger à laisser son doigt sur le bouton.
_Monsieur, je me fais du souci pour mon ami qui habite au deuxième étage. Il ne répond pas et pourtant je suis sûr qu’il doit être chez lui à cette heure-ci.
Le concierge craignant de trouver un cadavre dans l’un des appartements de son immeuble accompagne Roger muni d’un passepartout. L’appartement est vide avec les stores baissés alors qu’un soleil éclatant réchauffe l’asphalte. Nulle trace de son ami. Rien non plus dans la salle de bain. Ni dentifrice, ni brosse à dents.
« On dirait que ce monsieur est parti en voyage, constate le concierge, rassuré de n’avoir pas trouvé le supposé cadavre qui hantait ses pensées quelques instants auparavant.
Les mois ont passé. Roger n’a toujours pas de nouvelles d’Archibald Flock.
Il se pose des questions mais se refuse à donner foi au récit loufoque de son ami. Une pièce sarcastique qui tournerait l’humanité en dérision et qui serait jouée dans l’espace ? Si c’était vrai, quel fameux coup de théâtre.
Commentaires (2)
Anna fronkish
13.08.2025
Cela m'a rappelé un clown triste qui évoque des émotions qu'il a du mal à ressentir. Merci du partage
Yo-Xarek
14.08.2025
Merci du commentaire mais le texte a été modifié depuis.
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