Créé le: 07.08.2025
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Au troisième temps de la valse
Amour, Demain, je fais un truc insensé... — Comme au théâtre 2025
Quitter l'autre ce n'est pas le laisser partir, c'est ne plus vouloir qu'il revienne. Qu'aurions-nous fait à sa place ou plus exactement qu'avons-nous fait ? Au delà du fait de stimuler l'observation et la mémoire, dans une dispute, dès que l'un cède, les deux n'y trouvent-ils pas leur compte ?
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Je suis exténuée, mais ça y est, ma décision est prise, demain je le quitte !
Tant pis pour les vacances, tant pis pour les parents, tant pis pour tout, je me sauve au sens propre comme au sens figuré. Si je reste, je vais mourir. Mourir d’ennui, mourir sans avoir vécu, mourir à petit feu.
Quand on est foncièrement malheureux avec quelqu’un, c’est presque facile de le quitter. Rien ne va alors, les comptes sont vite faits et la décision s’impose comme une évidence.
Mais quand il y a des conflits à répétition c’est beaucoup plus insidieux parce qu’entre deux crises on récupère un peu d’espoir de je ne sais où.
Ça n’efface pas tout, mais ça permet de souffler un peu. On se dit « aujourd’hui ça allait » et on se laisserait presque convaincre que tout pourrait rentrer dans l’ordre. Mais le lendemain c’est Beyrouth et on se dit que cela ne peut plus durer et qu’on aurait dû partir la veille.
Au début, je réglais les conflits en faisant des « concessions », c’était le conseil avisé de ma mère avant que mon père ne la quitte. On se dit qu’une petite concession ce n’est pas grand-chose alors on en fait une, puis une autre et encore une autre … On commence à vivre ses rêves à crédit et il y a un moment où l’on réalise que l’on ne pourra jamais rembourser.
Au bout de quelques années, on réalise qu’on est loin, très loin, trop loin de son idéal de vie et on ne sait pas si on aura assez de carburant pour faire la route en sens inverse.
Alors on cherche un nouveau but à sa vie à défaut de pouvoir retrouver celui qu’on s’était donné.
Quand je lui ai dit que je partais hier soir j’ai pensé qu’il n’avait pas entendu tant il restait avachi sur le canapé à regarder une émission que je déteste tout autant que lui.
Alors j’ai attendu le matin pour qu’il n’y ait aucun doute sur ma décision, car les enfants étaient réveillés. Une fois Juliette et Thomas dans la boucle, il n’y a plus de retour possible. C’est pour ça que je l’ai dit à ce moment-là. J’ai fait mon sac et j’ai glissé les affaires de Thomas à l’intérieur, car il est hors de question que je le lui laisse. Il va déjà avoir assez de mal avec Juliette. Et puis ça nous fait un enfant chacun, ça donne un semblant d’équité à la situation.
Voilà j’y suis, je prends ma valise et avec Thomas je pars surtout sans croiser son regard, sans penser à ce qu’il pourrait faire ou dire.
Le secret d’une bonne séparation c’est de ne jamais se mettre à la place de l’autre ! Eh bien voilà c’est fait ! Place à moi, à celle que j’étais et que je ne suis plus. Place à une nouvelle vie qui ne sera peut-être pas meilleure, mais dont j’aurai choisi chaque minute.
Juliette comprendra, elle est grande maintenant. Et puis de toute façon je ne divorce pas de ma fille. Sa place est à la maison avec sa mère et son frère. C’est son père que je ne veux plus voir, ni entendre, ni subir.
J’espère qu’il ne va pas me faire le coup éculé de la bague ou des fleurs. En reprendre pour 10 ans tout ça pour un foutu bijou et trois fleurs qui se courent après. Même pas en rêve !
Je vois bien que Thomas est inquiet. Je lui explique que l’on rentre à la maison et qu’on va regarder la télé en mangeant du pop-corn. Si avec ça il ronchonne, c’est que je ne connais pas mon fils et ça, ce n’est juste pas possible.
Arrivés à la gare, il y a une queue incroyable devant le guichet. C’est la première semaine d’août et les gens sont impatients d’échapper à leur quotidien.
Combien de couples rentreront sans casse de leurs vacances ? Je ne suis pas sûr qu’il y ait des statistiques là-dessus, mais on pourrait avoir des surprises.
Le guichetier est bel homme. Je n’ai vraiment pas la tête à ça, mais il est vraiment bel homme. Il doit être italien et je crois bien qu’il me drague. Il ne veut pas croire que j’ai déjà un enfant alors il se penche légèrement de son siège pour apercevoir Thomas.
Je sors mon porte-monnaie en prenant soin de ne pas faire tomber la photo de famille avec mari et enfants. Je paye, il me rend la monnaie en laissant un peu trainer ses mains sous l’hygiaphone et moi, je me mets à rougir parce que je ne sais pas quoi faire des miennes. Je suis parfaitement ridicule ! Et lui aussi, parce que s’il fait ça à tout le monde, son hygiaphone ne sert plus à grand-chose surtout en temps de pandémie.
Quoi qu’il en soit, je viens d’acheter mon premier lopin de liberté. Dépêchons nous, si l’autre m’a suivi, je n’ai aucune envie d’avoir une scène de ménage dans un hall de gare.
Ça y est le train démarre. Je sens comme un vent de liberté souffler dans ma tête et chaque kilomètre qui m’éloigne de lui me fait un bien fou. Je me sens si légère et ça ne m’était pas arrivée depuis si longtemps.
Je vois que Thomas ne cesse de scruter les voitures qui circulent sur la route le long de la voie ferrée. Si ça se trouve, il essaye de voir s’il peut apercevoir Juliette et son père dans l’une d’elles.
Arrivée à destination je pourrais être qui je veux ! Mais au fait qu’est-ce que je veux ?
Avant tout la paix ! Plus de disputes harassantes, plus de repas le dimanche chez ses parents que je ne supporte plus. Plus de vacances dans les Vosges parce que 10 ans d’affilée ça suffit. Je ne veux plus de sapins dans ma vie, plus jamais ni à Noël ni même pas le jour de mon enterrement. Ce sera la crémation et que mes cendres soient jetées dans l’océan !
Je veux faire ce que je veux quand je veux et surtout ne plus être l’esclave de personne. Les enfants ? Je ne suis pas leur esclave, je suis leur mère.
Ils sont parfois un peu pénibles, mais c’est le meilleur service qu’ils puissent nos rendre, car cela nous rappelle que ce que nous leur donnons est complètement gratuit et nous, ça nous remet les idées en place.
Je veux rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouveaux endroits. Et surtout ne plus jamais m’endetter pour une maison ou un appartement et m’arrêter de vivre les 25 ans que dure le crédit.
Cerise sur le gâteau, je ne verrai plus sa sœur et ça, ça n’a pas de prix. Parce que sous prétexte qu’on est des femmes toutes les deux, combien de « petits conseils matrimoniaux » m’a-t-elle prodigués parce qu’on était « comme deux sœurs » ? ! Dix ans de confidences et de petits secrets passés de l’autre côté du mur parfois au mot près. Si un jour elle cherche à se reconvertir, qu’elle aille s’installer à Berlin avec son frère. Bon débarras.
J’aimerais bien visiter Berlin un jour.
Jamais je n’aurai le budget ni pour ça ni pour le reste. Qu’est-ce que j’ai fait comme connerie ? Et si j’étais restée encore un peu ? Avec une pension pour chaque gosse ça pourrait le faire, mais le temps que tout se mette en place, je serai sous les ponts bien avant. J’ai envie de pleurer alors je vais à la cuisine et je sors le panier à oignons pour que Thomas ne remarque rien.
Les larmes me viennent, je vais aller dans ma chambre et j’emporte les oignons avec moi. Je crois que Thomas est en train de s’endormir.
Non, la chambre ce n’est pas une bonne idée, trop de mauvais souvenirs. Si je m’allonge seule, ne serait-ce qu’un instant tous ces foutus souvenirs vont me sauter dessus. Je ressors de la chambre et je me pose sur le canapé en caressant la chevelure d’ange de Thomas qui ouvre ses petits yeux.
– Tu veux dormir avec maman ce soir ?
Il a fait « oui » avec sa tête alors je le prends et le dépose doucement dans le lit. Je me couche aussi et j’éteins la lumière. Je sens son petit corps se coller contre moi. Voilà, on ne touche plus à rien. On fait les petites cuillères, moi la grande et lui celle à dessert. Que personne ne bouge, là je suis bien et demain sera un autre jour.
Le lendemain matin le réveil n’a pas sonné, mais Thomas a remué comme un asticot alors la nuit a été courte. Je me suis levé comme un dimanche, le temps de passer l’aspirateur et de préparer le petit-déjeuner parce que la vie continue, et aujourd’hui est le premier jour du reste de ma vie.
Thomas vient de se réveiller.
– Allez, viens Thomas, tu déjeunes et après on va au magasin acheter tes fournitures scolaires pour la rentrée.
J’espère que l’autre ne m’attend pas dehors, planqué dans la voiture en mode agent secret ? Non je ne vois rien.
On arrive au supermarché, j’espère qu’il me reste une pièce pour le caddy sinon ça va être le drame.
– Allez viens Thomas que je te mette dans le caddy.
Si la vie de couple ça pouvait être pareil, ce serait génial. On arrive dans le magasin, on choisit un homme, il monte dans le caddy parce qu’on ne va quand même pas le porter, on passe à la caisse et hop l’affaire est faite. En revanche attention, il y a intérêt à garder le ticket de caisse sinon on est mal.
Réflexion faite, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux les louer genre leasing automobile. On le ramène au bout de 4 ans et on en prend un autre. Et comme il parait que l’amour dure 3 ans, ça nous fait juste une petite année de transition pour commencer à s’habituer à son départ et à anticiper l’arrivée du prochain.
Je m’imagine déambuler chez le concessionnaire et chercher le modèle qui me convienne le mieux tout en jetant un œil avisé sur les options disponibles : intérieur cuir tatoué, « toi » ouvrant obligatoire et surtout pas d’attache caravane.
– Quoi, qu’est-ce qu’il y a Thomas ?
– Ah oui la liste des courses, merci, où avais-je la tête ?
Nous voilà partis pour une séance de shopping extrême. Au moindre écart avec la liste de la maitresse, nos enfants ne pourront rien apprendre de l’année et ce sera la faute des parents.
Finalement c’est sympa le métier de prof, on rédige sa liste et les autres se débrouillent pour la respecter.
Note pour plus tard : faire des listes.
Bon je crois que j’ai tout, on rentre. On aurait peut-être mieux fait de les acheter en deux fois parce que j’ai l’impression que mes bras sont en train de s’allonger.
Nous y voilà ! Allez, je range vite fait et je prépare le repas.
La porte s’ouvre. Je sursaute. Juliette déboule en trombe dans l’appartement et se précipite vers son frère.
– Thomas, tu m’as trop manqué
– Toi aussi Juliette
– Tu as été sage avec maman ?
– Oui et j’ai mangé des popcorns en regardant la télé
– Et à moi tu m’en as laissé ?
– Il y en a encore dans le placard à bonbons.
– OK, je vais dire bonjour à maman avant.
Juliette entre dans la cuisine.
– Juliette, tu m’as tellement manqué, ça a été avec ton père ?
– Je ne comprends pas pourquoi tu es partie d’un coup ?
– On ne part jamais « d’un coup », mais je t’expliquerai. Où est-il ?
– Il est dans le garage en train de ranger les matelas gonflables.
– Qu’est-ce que tu as envie de manger ce soir ?
– Des crêpes ;
– Non pas des crêpes c’est trop long à préparer
– Oh s’il te plait, s’il te plait…
– Bon, on verra !
La porte s’ouvre à nouveau.
– Il est où mon garçon ?
– Papa !
– Bonjour, mon chéri, tu as été sage avec maman
– Oui !
– C’est bien, elle est où maman ?
– Dans la cuisine
Juliette sort de la cuisine au moment où son père y entre avec un bras replié dans le dos. Une odeur fétide de complot arrive jusqu’à moi.
– Tu peux m’accorder 5 minutes ?
– Je t’ai déjà accordé 10 ans de ma vie, tu ne crois pas que cela suffit ?
– Eh bien justement, ce n’est pas 10 minutes de plus qui vont changer grand-chose.
– Je t’écoute
– On peut aller dans la chambre ?
– Ben voyons !
– Ce n’est pas ce que tu crois
– Parce que toi, tu sais ce que je crois ?
– Viens, il n’y en a pas pour longtemps
– Dis donc, ça ressemble drôlement à ce que je crois !
Il referme la porte derrière lui.
– Voilà je suis désolé pour tout ce qu’on s’est dit alors j’ai un petit cadeau pour toi.
Il sort une petite boite bien emballée dont la taille ne laisse aucune place au doute et fait apparaitre son bras caché qui tenait un bouquet de fleurs assoiffées par des heures de voiture sur la lunette arrière.
Dites moi que je rêve ou plutôt que je cauchemarde ! on fait le remake « d’un jour sans fin » et c’est moi la marmotte ?
– C’est pour toi.
– Je n’en veux pas.
– Mais commence par l’ouvrir
– Non, mais puisque tu veux que je l’ouvre, je vais l’ouvrir et je vais même l’ouvrir en grand !
– JE N’EN VEUX PAS DE TON CADEAU et je suis sûre que tu ne sais même pas pourquoi ?
– Tu es encore fâchée ?
– Encore fâchée ? Non, j’ai dépassé ce stade depuis longtemps. Là c’est juste terminé ! Game over, tu prends tes affaires et tu vas t’installer chez qui tu veux. Tu pourras venir tous les 15 jours pour chercher les enfants à moins que tu ne souhaites la garde alternée ce qui m’étonnerait beaucoup, car tu ne sais rien faire de tes dix doigts et les enfants risquent de vite s’en apercevoir.
Sans rien dire, il pose la boite sur la commode comme il s’il avait déposé une offrande sur l’hôtel d’un dieu païen, mais pas question que ce soit moi qui sois sacrifiée.
Il quitte la chambre et je lui emboite le pas pour rejoindre les enfants et échapper au piège. Les voilà tous les trois devant la télé et je me retrouve toute seule dans la cuisine.
Il veut jouer ? On va jouer !
– Juliette, Thomas, je vais faire des crêpes, vous venez aider maman ?
– Bingo ! Non, mais !
Assis dans le salon, après avoir mangé, nous savons l’un et l’autre que cela pourrait ressembler à notre dernière soirée familiale. Alors on fait attention aux enfants, cela pourrait être le point d’orgue de leur future « vie d’avant ».
Pour tous ceux qui ignorent les subtilités du solfège, le point d’orgue se trouve généralement à la fin de la partition. Il prolonge la durée de la note ou du silence au bon vouloir du musicien.
Bon, j’avoue, j’étais à la fanfare quand j’étais gamine.
Vers 23 heures, tout le monde va se coucher. Thomas somnolait déjà depuis un bon bout de temps et Juliette avait décroché depuis longtemps de la télé, accaparée par son smartphone et ses soi-disant amis sur Insta.
Une fois les enfants couchés, je reviens dans le salon pour ouvrir le canapé-lit. Puis après y avoir lancé draps et couvertures, je me retire vite fait dans la chambre en prenant soin de fermer la porte. Mais une fois couchée, il m’est impossible de dormir. La nuit va être longue comme le sont ces moments où l’on sait que l’on marche sur une ligne de crête et qu’en fonction de l’endroit où l’on va tomber, la vie sera radicalement différente.
C’est le matin. Thomas se réveille le dernier, attiré sans doute par l’odeur du pain grillé. Tout le monde est déjà attablé pour prendre le petit-déjeuner. Il s’assoit à côté de moi. Je lui passe la main dans les cheveux.
– Aïe, ça pique ! tu as un nouveau bracelet maman ?
– Oui, répond Juliette, ce sont des améthystes.
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